Le statut du TPIR régissant les procédures
internationales pénales en cours, confèrent une place au droit de
la défense. Ceci est clairement établi à l'article 18
paragraphe 3 relatif aux droits du suspect, et l'article 21 relatif aux droits
des accusés dans le statut du Tribunal Pénal International pour
l'ex Yougoslavie. Concernant le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda, il s'agit des articles 17 paragraphe 3 et 20 du statut du TPIR et
article 55 et 67 du statut de la Cour Pénale Internationale. La stricte
réglementation de l'acte d'accusation est prévue aux articles
17.4), 20.4° du statut du TPIR,82 et article 47 B) et C) du
Règlement de procédure et de preuve.83
Le droit de l'accusé est encadré aux articles
17.3 du statut du TPIR concernant le droit d'être défendu, et
l'article 20 du statut du TPIR concernant les droits de l'accusé. Afin
de saisir l'interprétation qui est faite par le TPIR de l'ensemble de
ces droits, il est judicieux d'analyser ces droits à la lumière
de décisions jurisprudentielles. Ainsi dans l'affaire Akayesu,
l'appelant a demandé que son mémoire soit traduit afin de
respecter son droit à être compris par les juges. Sa demande fut
acceptée par la chambre au motif qu'une bonne administration de la
justice et une égalité de traitement des parties l'imposent. Dans
cette affaire, l'accusé a également présenté deux
motifs d'appel concernant le fait d'avoir été privé du
droit d'être défendu par le conseil de son choix et d'avoir
été privé du droit à un conseil compétent.
Ici la Chambre d'appel a retenu «en principe, le droit à
l'assistance gratuite d'un avocat ne confère pas le droit de choisir
celui--ci », et que «en pratique l'accusé indigent a la
possibilité de choisir parmi les avocats figurant sur la liste ».
En revanche concernant le droit à un avocat compétent, la chambre
répond que la compétence de l'avocat est une présomption
qui ne peut être renversée que par la preuve du contraire. Or en
l'espèce, la preuve du contraire n'a pas été
rapportée.
Autre jurisprudence intéressante, concernant
l'application d'un droit à l'égalité des
armes entre
l'Accusation et la Défense. Dans l'affaire Kayishema et
Ruzindana84, la
8 2 Annexe 3, Statut du Tribunal Pénal International pour
le Rwanda.
8 3 Annexe 4, Règlement de procédure et de preuve
du TPIR.
8 4 N° ICTR_95--1--A, Le procureur contre Clément
KAYISHEMA et Obed RUZINDANA, jugement, 1 Juin 2001.
Défense a demandé des informations sur les
moyens matériels d'enquête dont disposait l'Accusation afin
d'exiger un équilibre avec ceux de la défense sur la base du
principe de l'égalité des armes. Ceci a donc conduit la chambre
à interpréter le sens de l'article 20 du statut du TPIR, et
celle--ci a conclu qu'il s'agissait davantage d'une égalité de
droits, que de moyens entendus comme les méthodes et ressources. En
effet pour la chambre d'appel, l'égalité des armes entre la
Défense et l'Accusation ne signifie pas nécessairement une
égalité matérielle. Cette approche est beaucoup plus
restrictive que celle de la chambre d'appel du TPIY sur cette question, qui
conclut qu'il faut s'assurer que chaque partie doit avoir une chance
raisonnable de défendre ses intérêts, sans être dans
une situation désavantageuse par rapport à l'autre.
85Elle sous--entend que la défense des intérêts
de chacune des parties se fait également à travers des
méthodes et ressources et que l'égalité des armes comprend
donc aussi un aspect matériel. De même que pour le Cour
Européenne des droits de l'homme, l'égalité des armes ne
s'entend pas nécessairement comme une égalité stricte,
mais à tout le moins, qu'il faut éviter que, pour
l'établissement de la preuve, une partie soit dans une situation de
«net désavantage » par rapport à une
autre86
C oncernant l'obligation d'informer le prévenu des
charges qui pèsent contre lui dans les plus brefs délais, qui
constitue une composante du droit à un procès équitable,
la chambre d'appel a été amenée à y répondre
dans l'affaire Barayagwiza87. Puisque sur le fondement du
délai raisonnable de la procédure et de l'absence d'information
prompte de l'accusé, la Chambre d'appel a décidé de la
remise en liberté de l'accusé. Par cette décision, la
chambre d'appel démontre que le TPIR dispose donc d'instruments et de
moyens juridiques lui permettant de mettre fin à la poursuite d'un
accusé en cas de violations graves des droits de l'accusé.
Le droit au procès équitable est prévu
à l'article 19 du statut du TPIR concernant l'ouverture et la conduite
du procès, l'article 21 concernant la protection des victimes et
témoins et l'article 22.2 sur la motivation du jugement et enfin les
articles 24 et 25 du
8 5 N °IT--94 -- 1 -- R, Le procureur contre Dusko
TADIC, jugement du 15 juillet 1999, paragraphe 48.
8 6 Cour Européenne des Droits de l'Homme, 23 octobre
1993, série A, n° 274, JCP 1994, I, n°3742, note F. Sudre.
8 7 N° ICTR--97--19, Le procureur contre J.
BARAYAGWIZA, 3 novembre 1999.
Statut du TPIR pour l'appel et la
révision88. Ici il est intéressant de relater l'acte
d'appel présenté par Kayishema89, qui s'articule
autour de cinq points, pour soulever l'iniquité de son procès.
Tout d'abord la question de l'indépendance du tribunal, puis
l'égalité des armes, la présomption d'innocence, le
principe du contradictoire, et les délais de communication de
pièces. La chambre d'appel va apporter des précisions sur
l'interprétation qui doit être faite de ces différents
droits, notamment sur la question de l'indépendance du tribunal. Ainsi
elle considère que l'impartialité du juge se base sur un
critère subjectif, l'indépendance du tribunal est basée
quant à elle sur un critère objectif « en tant qu'organe
judiciaire dont la compétence est définie par la
résolution 955 du Conseil de Sécurité, il agit en toute
indépendance par rapport aux organes des Nations Unies ». Ensuite
dans l'affaire Rutaganda90, la chambre de première instance
a, exceptionnellement, autorisé la défense à ajouter trois
nouveaux témoins à sa liste initiale, au motif qu'il en allait de
l'intérêt de la justice.
Enfin, dans l'affaire Kayishema et Ruzindana91,
les juges ont affirmé que «le principe du droit au procès
équitable fait partie du droit international coutumier. Il est
confirmé par plusieurs instruments internationaux, notamment l'article 3
commun aux Conventions de Genève... ». Ou encore dans le jugement
Akeyesu, la chambre de première instance du TPIR faisait
déjà référence aux droits de l'accusé
«tels que reconnus par l'article 14 du Pacte International des Nations
Unies relatif aux droits civils et politiques ». L'illustrati on de la
jurisprudence démontre les sources diverses et variées sur lequel
s'appuie le TPIR pour mettre en pratique la textualité des droits
inscrits dans son statut et dans son règlement de procédures et
de preuves.
C ependant il est à noter que cette place
accordée aux droits de la défense ne constitue qu'un bref passage
au sein du corpus du statut du TPIR et de son règlement de preuves et de
procédures. En effet l'ensemble des autres dispositions est presque
exclusivement consacré aux structures du greffe, des juges et du
procureur, sans aucune prévision de structuration symétrique du
contre--pouvoir de la défense. Car il faut savoir que la Défense
est un organe indépendant, qui ne fait l'objet d'aucune disposition
concernant
8 8 Annexe 3 : Statut du Tribunal Pénal International
pour le Rwanda.
8 9 N° ICTR--95--1--A, Le procureur contre KAYISHEMA et
RUZINDANA, 1 er Juin 2001.
9 0 N° ICTR--96--3--T, Le procureur contre
RUTAGANDA, 6 décembre 1999.
9 1 N° ICTR--95--1--A, Le procureur contre KAYISHEMA et
RUZINDANA, 1 er Juin 2001.
son fonctionnement, ses structures, son budget au sein du
statut du TPIR. Un déséquilibre organique, renforcé par
deux possibilités de sanctions «abus de procédure », ou
« entrave à la procédure» ou «actes contraires
à l'intérêt de la justice », largement utilisé
par les juges au cours des procès. D'autant plus que ces
possibilités de sanction sont laissés à
l'appréciation arbitraire du juge et échappent pour l'essentiel
au contrôle d'une juridiction d'appel. Ainsi lors de la tenue des
procès, cette possibilité de sanctions ouverte aux juges et
l'utilisation qu'ils en ont fait, est incompatible avec le droit absolu pour
une défense d'user de tous les moyens de fait et de droit dès
lors qu'ils ne sont pas déloyaux et respectant la morale. Dans la
pratique cette possibilité de sanction est utilisée en
dépassant les limites de sa création. Sa pratique s'apparente
à un moyen d'évincer le droit absolu de la défense de
soulever et soutenir librement toutes contestation de fait et de droit.
Le statut du TPIR assure entre autres des garanties
fondamentales tels que la légalité du tribunal, les droits de la
défense ou encore la règle de non bis in idem. C oncernant la
légalité du tribunal, il est intéressant de faire un lien
avec la décision du TPIY dans l'affaire Tadic, afin de savoir si le TPIY
était un tribunal établi par la loi au sens de l'article 6--1 de
la CEDH et 14--1 du PIDCP. Pour répondre à cette question, la
chambre d'appel s'est penchée sur le critère organique, en
énonçant que l'expression « établi par la loi»
pouvait viser, en droit international, la création d'un tribunal par un
organe non parlementaire mais «doté du pouvoir de prendre des
décisions contraignantes ». Tel était le cas du Conseil de
sécurité de l'ONU dont la résolution portant
création du TPIR, constitue une mesure contribuant au
rétablissement et au maintien de la paix au Rwanda. Un autre appui de la
chambre d'appel réside dans un critère fonctionnel où les
juges énoncent que pour être un «tribunal établi par
la loi », la j uri diction doit « offrir toutes les garanties
d'équité, de justice et d'impartialité, en toute
conformité avec les instruments internationalement reconnus relatifs aux
droits de l'homme ». La chambre d'appel concluait alors que ces garanties
sont assurées devant le TPIY.
Un raisonnement par analogie serait la voix la plus facile
concernant le TPIR, d'autant plus qu'à la lecture du statut du TPIR et
de son règlement de procédure et de preuve, cela semble
être le cas. Mais une toute autre lecture peut contrecarrer une telle
pensée. En effet c'est au regard de leur effectivité que ces
droits font difficulté. Certains des
droits de la défense peuvent effectivement entrer au
conflit, du point de vue de la communication des pièces (avec le droit
des témoins), garder l'anonymat (avec les intérêts d'un
Etat à ne pas divulguer certains secrets). Étant entendu que
devant les tribunaux pénaux internationaux, le système est
fortement accusatoire, il est à craindre un déséquilibre
entre l'accusation et la défense, la première disposant de moyens
particulièrement plus importants.
S'agissant de la répression des crimes internationaux,
les garanties de protection de la Défense paraissent plus
aisément réalisables devant des juridictions constituées
dans l'ordre International que par celles des États concernés par
l'infraction. Le risque pour les tribunaux internes est d'avoir de
sérieuses difficultés à remplir la condition
d'impartialité. En effet « dès lors que les autorités
étatiques sont dans de nombreux cas impliqués dans le conflit,
les juridictions ordinaires se trouvent dans l'impossibilité soit
d'assurer la répression, soit de garantir effectivement les droits de la
défense; de fait leur indépendance semble également
compromise, du moins tant que le conflit n'est pas effectivement
résorbé ». Or à la lumière des
développements précédents, une grande interrogation peut
être soulevée concernant le TPIR. Certes, celui--ci, n'est pas le
fruit direct d'une création étatique impliquée dans le
conflit mais bien d'une instance internationale, à savoir le Conseil de
sécurité de l'ONU, non partie au génocide Rwandais de
1994. Seulement au vu de certains éléments l'indépendance
de cette institution n'est pas avérée et semble être sous
le joug politique du gouvernement rwandais qui manie avec subtilité les
rênes de cette institution judiciaire. De ce fait l'impossibilité
de garantir effectivement les droits de la défense peut être
craint au sein du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
Aucune spécificité du droit international
pénal et de la procédure internationale pénale ne dispense
les États et les organes des Nations Unies de respecter ce que l'on
appelle communément « les droits de la défense »
lorsqu'ils décident de créer une juridiction. Le Conseil de
sécurité dans les résolutions 808 (1993) et 955 (1994)
pose clairement que la traduction en justice des responsables des crimes en
ex--Yougoslavie et au Rwanda s'impose comme un moyen de restauration et de
maintien de la paix. Par cette mappemonde protectrice, il est à
comprendre l'importance que l'institution se doit de présenter les
caractères essentiels de la justice et de protection des droits
fondamentaux. En d'autres termes, créer un processus
juridictionnel, sanctionnant la responsabilité des individus, suppose
les droits de la défense. Sinon les décisions prises suivent le
schéma d'une décision administrative, où les droits de la
Défense n'ont que très peu de place. Dès lors la logique
protectrice des droits fondamentaux va nécessairement contenir la
logique répressive du droit pénal international.
Cette force textuelle de protection des droits,
appuyée de jurisprudences diverses, agit comme un trompe l'oeil au
regard d'une pratique mettant en doute l'effectivité de ces droits
venant d'une mappemonde protectrice et évolutive, désireuse de
protéger toujours plus les droits fondamentaux des droits de l'homme. La
volonté de l'organe judiciaire qu'est le TPIR d'agir avec
équité est perceptible au travers de jugements rendus, de
décisions relatives à certaines requêtes. Mais cette
volonté se débat dans les sables mouvants de politisation
oppressante fragilisant les bases de sa construction.