Une juridiction internationale est une juridiction
créée par un accord entre États (par exemple l'Accord de
Londres, le Statut de la Cour Pénale Internationale) ou par un acte
dérivé d'une organisation internationale. C'est ainsi qu'en ce
qui concerne plus précisément le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda, il découle de la création d'une
résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
L'arti cle 14 du Pacte International relatif aux droits
civils et politiques(PIDCP) du 16 Décembre 1996, reconnaît
à toute personne le «droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal compétent,
indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera
soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil ». Il découle de cet article
que la protection des droits de la défense repose tant sur les garanties
procédurales spécifiques au droit pénal que sur les
attributs essentiels de la fonction juridictionnelle. Cet article pose le
principe de garanties juridictionnelles réelles, à savoir des
garanties qui assurent à l'accusé qu'il est jugé par un
tribunal légalement constitué et en application des règles
de droit. Ce souci de l'effectivité de ces différentes garanties
par les acteurs de la justice internationale est visible, notamment à
travers le travail d'analyse, d'étude, de questionnement ressortant dans
les différentes décisions jurisprudentielles des tribunaux
pénaux internationaux.
Ainsi dans l'affaire Dusko Tadic, la Chambre d'appel a
vérifié la qualification du TPIY, comme un «tribunal
établi par la loi ». Pour cela, son raisonnement est de
considérer que le tribunal international est «établi par la
loi» dès lors que ses règles de composition et de
procédure garantissent les droits de la défense. C'est ainsi
qu'au travers de ce raisonnement, les droits de la défense de la
personne individuelle, jugée par un tribunal formé par la
communauté internationale, constituent «la clef de voûte du
système, en conciliant les attributs du droit « international»
et « pénal» ».77
Les instruments universels de protection des droits de
l'Homme et notamment le PIDCP doivent être respectés par les
tribunaux internationaux créés sous l'égide des Nations
Unies . C'est pourquoi les garanties procédurales prévues par
l'article 14 des pactes ont été visées tant par le
Secrétaire général que par les tribunaux. Il ne s'agit pas
ici de dresser la liste de l'ensemble des droits de la défense.
Cependant il peut être noté qu'en mati ère d'accusation en
matière pénale au sein du PIDCP, la présomption
d'innocence (article 14 paragraphe 2) est protégée, tout comme le
droit à un double degré de juridiction (article 14 paragraphe
15), le principe de non bis in idem (article 14 paragraphe 7), ainsi que des
garanties procédurales relatives à l'information et à la
défense de l'accusé (article 14 paragraphe 3). Quant à
l'article 15 du même texte, il impose le respect des principes de
légalité des délits et des peines et de non--
rétroactivité de la loi pénale.
Ensuite, la mappemonde protectrice au niveau des sources
internationales trouve également son expression au sein des Conventions
de Genève et leurs Protocoles additionnels. Ce sont des traités
internationaux contenant les règles fixant un cadre dans un contexte de
guerre. L'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève constitue
une référence dans la protection des différents droits et
notamment ceux des accusés, en interdisant plus particulièrement
le meurtre, les mutilations, la torture (...) et les procès
inéquitables. Cet article confirme une exigence de procès
équitable, incluant donc le respect des droits des diverses parties au
procès : exigences que 194 États parties, dont le Rwanda et la
Tanzanie doivent respecter.
7 7 « Les droits de la défense », in
H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal,
Pedone, 2000, p. 791
Les droits de la défense sont des droits
proclamés textuellement, cependant face à la rigidité
textuelle, il est permis aux tribunaux pénaux internationaux de pouvoir
agir en adé quati on avec le contexte particulier dans lequel ces droits
s'exercent. Cette adaptabilité est louable et peut permettre une
meilleure effectivité de ces droits. Dans l'affaire Duko Tadic, la
chambre d'appel semble vouloir ainsi éviter une multitude de recours
fondés sur les textes précités de protection des
différents droits, notamment de ceux de la défense. En effet la
chambre d'appel suggère que les tribunaux pénaux internationaux
sont bien tenus de respecter les droits de la défense, tant en
interprétant, voire adaptant la définition de ces garanties
à la lumière du contexte particulier dans lequel ils agissent,
celui de l'ordre international. 78
D e ce fait, il est impératif que le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda, inscrit dans un cadre de justice
internationale, intervienne dans une indépendance et une
impartialité exemplaires. Or dans un contexte de joug politique sur
l'institution judicaire, le danger de cette décision de la chambre
d'appel est d'inciter, légitimer certaines interprétations
restrictives des droits fondamentaux et notamment ceux des accusés.
De plus les décisions des tribunaux pénaux
internationaux se réfèrent aux sources universelles mais aussi
régionales par l'utilisation des conventions africaines,
américaines et européennes des droits de l'Homme. S'il est
difficile de définir leur place précise dans la hiérarchie
des instruments juridiques utilisés par les tribunaux pénaux
internationaux, ces conventions représentent un appui non
négligeable dans cette recherche de protection et d'effectivité
des droits des accusés. Ceci peut être illustré dans
l'exemple suivant: si les garanties de l'article 6 de la CEDH ne sont pas
respectés devant le TPIR ou TPIY les États coopérants
pourraient se voir imputer la violation de la Convention Européenne des
Droits de l'Homme.79 De même l'arrêt de la CEDH S.W et
C.R contre Royaume Uni, 22 novembre 1995 , montre bien que le principe de
légalité s'applique non seulement en matière de droit
pénal de fond (incrimination, sanction)
78 IT--94--1--AR72, 2 octobre 1995, paragraphe 42.: Relatif
à l'appel de la défense concernant l'exception
préjudicielle d'incompétence.
79 CEDH, Soering contre Royaume-Uni, 7 juillet 1989,
à propos de l'extradition.
mais aussi en matière procédurale ou de droit
pénal de forme. Ainsi donc le principe de légalité est
garanti par des textes internationaux, régionaux mais aussi à
l'article 18 de la constitution du Rwanda.
C ette protection des droits de la défense est
assurée également à l'article 7 de la charte africaine des
droits de l'homme et des peuples, du 27 Juin 1981, qui contient notamment le
droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale. Enfin l'article 8 de la convention américaine
relative aux droits de l'homme contient l'ensemble des garanties judicaires
auquel un individu peut avoir droit.
D e cette mappemonde textuelle des droits de l'homme, il en
ressort une exigence d'indépendance et d'impartialité, qui est
renforcée par la notion large de « procès équitable
», tel qu'elle ressort clairement de l'article 6 paragraphe 1 de la
Convention Européenne des droits de l'homme. Toute la difficulté
consiste à donner un contenu à ces notions.
L'indépendance du TPIR se mesure au fait qu'il ne peut
être soumis à des ordres ou à des instructions provenant de
l'extérieur de la juridiction. Le tribunal doit pouvoir prendre ses
décisions uniquement sur la base des règles de droit et
conformément à son intime conviction. Or évoluer au sein
d'une équipe de Défense au sein de cette institution
internationale, permet de saisir la difficulté de l'exercice. 80
L'impartialité quand à elle présuppose
l'indépendance mais davantage encore. Définir
l'impartialité comme une absence de préjugé ou de parti
pris est cependant insuffisant car il existe deux façons de
l'apprécier: subjectivement et objectivement. L'impartialité
subjective s'apprécie eu égard aux dispositions personnelles des
magistrats composant le Tribunal mais elle est difficile à
caractériser puisqu'elle impli que de sonder les individus. En revanche
l'impartialité objective se rapporte quant à elle aux apparences.
Ainsi dans l'arrêt de la CEDH du 27 Aout 2002 Didier contre France,
l'impartialité objective consiste à se demander si
«indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains
faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de
ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent
revêtir de l'importance ».
8 0 Cf infra, un constat de violations assombrissant ce principe
d'équité, p 59
La Cour Européenne des droits de l'Homme apporte son
approche concernant le sens que doit revêtir l'impartialité dans
l'arrêt Piersack du 1 er octobre 1982. En effet la Cour
Européenne des Droits de l'Homme va retenir l'impartialité
objectif au regard de « la confian ce que les tribunaux d'une
société démocratique se doivent d'inspirer aux
justiciables ». La juridiction doit donc offrir des garanties
suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime.
Ici aussi l'exercice semble périlleux au sein du TPIR, dès lors
qu'il est constaté que seuls des Hutus ont été
jugés et condamnés 81
Pourtant cette mappemonde protectrice des droits de l'Homme,
et soucieuse d'une justice indépendante et impartiale se retrouve au
coeur même des bases textuelles encadrant le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda.
8 1 Cf.supra, «la pratique du TPIR: le face immergée
de l'iceberg, p 35 et s.