L'exemplarité de façade de la lutte contre
l'impunité se retrouve atténuée dès lors qu'il
s'agit de s'intéresser au contexte de création de l'instance
internationale qui mène cette lutte. Le TPIR est une création du
Conseil de Sécurité, à l'égard duquel il a
l'obligation d'adresser un rapport annuel et d'en recevoir des instructions. De
même que les juges du Tribunal élus par l'Assemblée
générale, sont présélectionnés par le
Conseil de Sécurité,37 avec le droit de veto pour les
cinq membres permanents. L'action du TPIR est d'autant plus difficile qu'il a
été crée par le Conseil de Sécurité de l'ONU
sur demande de la partie victorieuse de la guerre d'agression, le gouvernement
du FPR et parce que plusieurs dispositions de la résolution font jouer
à ce dernier un rôle important dans le fonctionnement et dans les
affaires judiciaires. Ainsi Paul Tavernier estime que la procédure de
création des tribunaux pénaux internationaux n'a pas
été neutre et de ce fait, risque «de favoriser
l'impunité de certains hauts responsables et de constituer un obstacle
à l'efficacité des tribunaux ».38Or il est
attendu du TPIR qu'il identifie tous les criminels, quelles que soient leurs
fonctions ou leur appartenance ethnique, afin qu'ils répondent de leurs
actes, chacun individuellement. Ainsi le TPIR pourra prétendre agir dans
le sens d'une véritable réconciliation nationale, du
rétablissement et du maintien de la paix au Rwanda.
L'obj ectif de réconciliation pour être
pleinement atteint suppose entre autre chose, la fin des hostilités, un
règlement durable du conflit, la reconnaissance des crimes
passés, le respect des droits de l'homme comprenant donc la jouissance
des libertés fondamentales, le droit à la justice. Il convient de
noter donc dès à présent, l'importance de cette
reconnaissance des crimes passés dans son ensemble et non à
l'égard d'une seule des parties des événements de 1994. En
effet le Conseil de Sécurité n'a pas fait mention dans le
préambule de la résolution de qui était responsable de ces
actes de génocide et de ces violations du droit international
humanitaire. Cette tâche relève du mandataire à savoir le
TPIR au travers de ses actes d'accusations. Parler de réconciliation
nationale, c'est également s'intéresser aux différents
acteurs agissant
3 7 Annexe 3, Statut du TPIR article 12, paragraphe 3.
3 8 P. Tavernier, L'expérience des Tribunaux ad hoc,
Revue internationale de la Croix--Rouge, 31 décembre 1997, no 828,
p 647--663.
pour la réalisation de celle--ci. Il s'agit des
représentants de l'État Rwandais, des forces militaires et
politiques mais également de la population civile. Et par cette
multiplicité d'acteurs, il n'est pas étonnant de devoir faire
part à des exigences propres à chacun de ses acteurs, qui
divergent, s'entrechoquent.
C'est dans ce contexte, que le Tribunal Pénal
International doit agir, dans cette lutte contre l'impunité, avec pour
dilemme omniprésent de concilier avec justesse la construction de la
paix et le respect de la justice. Pour ce faire, cette instance internationale
dispose de principes reconnus par l'ensemble de la communauté
internationale, à savoir l'indépendance et l'impartialité.
Face à l'action des différents tribunaux pénaux
internationaux et leurs études, ces deux objectifs paraissent
inconciliables pour certains. D'où des interrogations justifiées
au sein des juristes de la communauté internationale: que peut bien
signifier «réconciliation », comment un tribunal peut--il y
arriver? Ne s'agit--il pas d'un objectif politique plutôt que
juridique?
L' établis sement du TPIR n'est--il pas le
résultat de tractations politiques devant le Conseil de
Sécurité des Nations--Unies, menées suite à des
échecs politiques, diplomatiques et militaires retentissants ? 39
La recherche inexorable de la justice constitue un obstacle
à la paix, dès lors qu'un processus de réconciliation est
fragilisé, par le fait qu'il soit mis en place par le rôle
politique d'anciens chefs de guerre criminels tel que l'actuel Président
de la république Rwandais, Paul Kagamé. Puisque cette recherche
de la justice se verrait mise à mal par l'intérêt des
vainqueurs gouvernant habilement le Rwanda. Cependant pour la
Fédération Internationale des Droits de l'Homme, il ne saurait y
avoir de véritable paix sans justice et «fermer les yeux sur
l'impératif de la justice uniquement pour parvenir à un accord,
hypothèquerait ce dernier ».40 Il est
démontré à travers de nombreuses tentatives de
réconciliation, qu'aucune paix durable n'a pu s'établir sans
l'intervention indép endante du judiciaire.
3 9 Silence sur un attentat, le scandale du
génocide Rwandais, groupe d'experts internationaux, sous la
direction de Charles ONANA, éditions Duboiris, Avril 2003, p 8 3 -- 1 0
0
4 0« Pratiques constitutionnelles et politiques en
Afrique: dynamiques récentes» Conférence de
l'Organisation Internationale de la Francophonie--Bénin,, Cotonou,
29--30 s eptembre, 1er octobre 2005;.
La notion d'indépendance et d'impartialité
prend une valeur supplémentaire dans ce contexte. Une institution ne
saurait se prétendre judiciaire sans qu'elle ne soit
indépendante. Il est du devoir d'une instance internationale d'agir en
respectant ces principes, et de ne pas agir pour l'une ou l'autre version d'un
conflit. Or une impunité, même partielle, hypothèque tout
effort de réconciliation. C'est donc peine perdue d'espérer le
règlement durable du conflit Rwandais en laissant impunies les graves
violations des droits de l'Homme infligées à l'encontre de la
population Hutu lors du génocide. Ainsi de quelle réconciliation
peut--on bien parler lorsque des membres d'un seul groupe ethnique sont
maintenus en détention, lorsque les crimes avérés des
victorieux sont mis sous silence, et lorsque le pouvoir décide des
témoins, des accusés et exerce des pressions significatives sur
le procureur.41Enfin quelle volonté de réconciliation
peut faire l'impasse sur l'attentat commis le 6 avril 1994 contre l'avion
présidentiel rwandais?
La lutte contre l'impunité telle que menée par
le TPIR, et notamment en ne poursuivant qu'un seul groupe ethnique jette un
discrédit sur la motivation réelle de sa création. Car il
ressort que la création de cette institution fut guidée non pas
par la volonté de mettre sur pied une instance habilitée à
rendre justice, mais plutôt d'une naissance dans un climat
d'opportunité politique diverses. De même que cette mission de
réconciliation des peuples se retrouve mise en doute par le sentiment
d'avoir une instance pénale internationale oeuvrant pour une justice des
vainqueurs et violant par la même sa neutralité et son
impartialité. En effet il est perceptible au travers des
différents jugements que le TPIR n'est pas attaché à
procéder à un examen objectif de tous les aspects du conflit
rwandais, mais bien plutôt d'aspects qui servent les
intérêts des vainqueurs et du gouvernement de Paul Kagame. Certes
l'institution proclame son voeu que plus jamais ne se reproduisent des
massacres comme ceux du génocide Rwandais, mais « peut-on y
arriver sans que la vérité, toute la vérité, et
rien que la vérité soit dite ? » 42
4 1 Carla Del Ponte a été limogée de son
poste de Procureur du TPIR suites aux insistantes pressions du gouvernement
rwandais, et grâce à l'appui des gouvernements américain et
britannique, «Carla Del Ponte craint que Kigali n'exploite sa mise
à l'écart du TPIR », Agence France--Presse, 9 Aout
2003.
4 2 De l'invisible attentat aux faux experts: le combat des
avocats de la défense au
Tribunal Pénal International pour le
Rwanda, Tiphaine Dickson «Silence sur un attentat,
Qui dit réconciliation dit forcément
vérité comme préalable. Or la vérité dans le
cadre du génocide rwandais est un idéal. Dans la
réalité des faits, ce qui est réellement attendu du TPIR
c'est l'existence d'un doute raisonnable concernant la culpabilité d'une
personne. C'est l'histoire même du génocide qui s'écrit au
fil des procès qui se déroulent à Arusha, et pour
comprendre le comportement criminel d'un accusé, l'étude du
contexte dans lequel il s'insère est un passage obligé. C'est
pourquoi lorsqu'il est attendu d'une institution internationale qu'elle soit
fédératrice, qu'elle contribue au processus de
rétablissement et de maintien de la paix, dans un pays composé de
différents groupes ethniques, elle ne doit pas chercher à
occulter une vérité qui prend corps au fur et à mesure des
procès, au risque de contrarier un gouvernement en place. C'est toute
cette subtilité qui ressort des propos de Tiphaine Dickson, «
la répétition, ad infinitum, du récit aimable et
convenable quant au «génocide des tutsis »franchise exclusive?
discrédite et subvertit toute notion de justice. Le fait d'occulter
toute la vérité n'honore en rien les victimes innocentes des
massacres: les hommes, les femmes, les enfants, et les vieillards, qu'ils
soient tutsi, hutu, twa ou congolais. Ils avaient tous le droit de vivre dans
un pays en paix. Et leur mémoire est trahie lorsque la justice refuse de
lever le voile sur les causes d'une guerre qui aura fini par les faucher, sans
procès. ».43
La certitude d'un génocide à l'encontre de la
population tutsi lors des événements de 1994 est un fait
irréfutable. Mais il est à rappeler que d'importantes tueries
à caractère systématique ont eu lieu entre avril et
septembre 1994 au fur et à mesure de l'avancée du FPR sur tous
les fronts44. Il y a donc eu plusieurs sites de massacres des
populations civiles exécutées par le FPR au cours de l'assaut
final d'avril--juillet 1994 et durant les mois qui ont suivi la victoire du FPR
sur les FAR en juillet 1994. 45 L' extermination des Hutus rwandais par le
régime FPR s'est notamment illustré dans la
le scandale du génocide Rwandais » groupe
d'experts internationaux, sous la direction de Charles ONANA, éditions
Duboiris, Avril 2003, p90--107.
4 3 De l'invisible attentat aux faux experts: le combat des
avocats de la défense au Tribunal Pénal International pour le
Rwanda, Tiphaine Dickson «Silence sur un attentat, le scandale du
génocide Rwandais» groupe d'experts internationaux, sous la
direction de Charles ONANA, ibid., p83-- 100
44 Cf.infra, La pratique du Tribunal Pénal International
pour le Rwanda : la face immergée de l'iceberg, p35--38
4 5 REYNTIENS Filip, Le Rwanda, les violations des droits de
l'homme par le FPR/APR, Plaidoyer pour une enquête approfondie,
Anvers, juin 1995.
destruction des camps de réfugiés hutu à
l'Est du Zaïre et les massacres de leurs occupants.46
L'espérance d'une action pour l'effectivité
d'une réconciliation nationale, ne peut avoir lieu dans ce contexte. En
effet « C'est en identifiant tous les criminels que le TPIR cassera
cette culture de l'impunité qui a toujours attisé la spirale de
la violence au Rwanda en particulier et dans la région des Grands Lacs
d'Afrique en général .»47Or aujourd'hui
« cette réconciliation est hypothéquée par des
poursuites sélectives et discriminatoires » 48. Le malaise est
d'autant plus perceptible que le 13 décembre 2000, dans une
conférence de presse à Arusha, Carla Del Ponte annonce
publiquement que des dossiers d'enquêtes sont constitués contre
les membres du FPR. Elle a demandé une coopération des
autorités rwandaises pour mener à bien ces poursuites. Mais cette
timide initiative de Carla Del Ponte de lancer des poursuites contre des
membres du FPR va lui valoir son éviction du TPIR. Ainsi il est
constant, depuis 16 ans, que seuls les Hutus aient fait l'objet de poursuites
parmi les cas connus du procureur. Les crimes graves pesant sur les Tutsis
membres du FPR ne semblent pas être à l'ordre du jour.
Engager des poursuites à l'encontre des tutsis membres
du FPR ayant commis des violations graves du droit international humanitaire
oblige le Tribunal Pénal International pour le Rwanda à revenir
sur le fil officiel de l'histoire du génocide Rwandais. Fil
fragilisé par une autre vérité, pointant une
réalité dérangeante autant pour l e gouvernement Rwandais
que pour la communauté internationale. La lutte contre l'impunité
ne peut s'accommoder de poursuites sélectives, au risque de contrarier
un équilibre politique arrangeant aux yeux de la communauté
internationale. Car dans ce cas, le citoyen du monde doit savoir que la lutte
contre l'impunité telle celle menée par le TPIR ne s'inscrit pas
dans un cadre de réconciliation des peuples, mais bien de
réconciliation partielle ou partiale d'un peuple. Ceci va à
l'encontre des principes de base attendus dans le cadre d'une justice
pénale internationale. Ainsi le TPIR s'enlise dans une tâche qui
n'est pas la sienne: écrire une histoire politiquement correcte,
alors
4 6 Lettre, KAREMERA Edouard, La vérité
d'abord, la justice ensuite, Janvier 2005, p 2--4
4 7 Jean--Pierre Edouard Komayombi, document, Rwanda,
jusqu'où va le calvaire d'un peuple, Avril 1996.
48 Lettre KAREMERA Edouard, ibid, p 17--18
que « L'histoire et la Justice ne peuvent s'écrire
à la fois, avec le même crayon, sans distordre l'un ou l'autre
» comme le pointe David Paciocco49
Or cette discordance se retrouve dans la pratique du TPIR, et
celle--ci se retrouve immergé car politiquement et juridiquement non
avouable.
49 Professeur à l'Université d'Ottawa, Canada.