Conclusion
En 1994, la résolution du Conseil de
sécurité des Nations Unies portant création du Tribunal
Pénal International pour le Rwanda avait prévu à celui--ci
un mandat de dix ans. Force est de constater que depuis 2004, de multiples
résolutions conduisent à repousser inexorablement la fin de son
mandat à une date ultérieure. La dernière
résolution en date prévoit la fin du mandat du TPIR en 2011.
La stratégie d'achèvement du TPIR prend du
temps: « Le temps qui émousse toutes choses, le temps qui
travaille à l'usure du chagrin comme il travaille à
l'érosion des montagnes, le temps qui favorise le pardon et l'oubli, le
temps qui console, le temps liquidateur et cicatrisateur n'atténue en
rien la colossale hécatombe: au contraire, il ne cesse d'en aviver
l'horreur (...) les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles,
c'est-à- dire ne peuvent pas être prescrits ; le
temps n'a pas de prise sur eux ».112Cette date butoir
repoussée au fil des années ne traduit pas tant une idée
sous jacente que les criminels seront poursuivis jusqu'à la fin des
temps, mais bien la complexité d'exercice du mandat du Tribunal
Pénal International pour le Rwanda.
Ave c beaucoup d'entrain et de détermination, le TPIR
s'attèle dès 1994 à sa mission première:
sanctionner les principaux responsables du génocide rwandais et de
violations graves du droit international humanitaire. Agissant en écho
avec le Tribunal Pénal International pour l'Ex--Yougoslavie, de
nombreuses décisions jurisprudentielles vont permettre d'étoffer
une matière encore naissante : le droit international pénal.
En effet c'est par certains jugements du TPIR et du TPIY que
des notions théoriques ont pris toute leur dimension et leur profondeur.
Notamment concernant la notion de crime de génocide, en y
intégrant les violences sexuelles, précisant ainsi davantage
l'élément moral de l'infraction de génocide. Les
décisions du TPIR ont également permis d'ouvrir le champ des
poursuites aux responsables politiques, aux médias, aux artistes, et
pour la première fois à l'encontre d'une femme. Ces
décisions sont d'une importance capitale
1 1 2 JANKELEVITCH VLADIMIR, Pardonner? Dans l'horreur et la
dignité, Edition Seuil, 1997.
car porteuse de symboles au sein d'une communauté
internationale. Symbole d'égalité, d' ouverture dans cette lutte
contre l'impunité.
Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda apporte
beaucoup au sein de la Communauté Internationale, sa stature a
rappelé et rappelle encore aujourd'hui combien il est important de
combattre l'impunité des crimes contre l'humanité, et c'est ainsi
qu'il a servi d'appui pour la construction de la Cour Pénale
Internationale: «ces tribuna ux servent de tremplin pour la
création d'une cour permanente: celle-ci présen terait l'avantage
d'être stable et de n'être pas axée sur une région ou
un situation déterminée »113. Le TPIR a
également permit de révéler les failles possibles d'une
juridiction pénale internationale.
Sa mission de sanctionner les principaux responsables du
génocide et de violations graves du droit international humanitaire
devait permettre d'oeuvrer pour une réconciliation des peuples ainsi que
le rétablissement et le maintien de la Paix. Ici le bilan d'action du
TPIR est beaucoup plus mitigé. L'emprise de considérations
politiques (présentes depuis sa création) dans ses actions
conduit à douter de sa probité. Une empris e conduisant le TPIR
à un manque d'impartialité et d'indépendance certaines,
mettant en exergue une impunité de fait. Comment justifier alors
qu'aucune poursuite n'ait été diligentée à
l'encontre de présumés responsables Tutsis de violations graves
de droit international humanitaire, pourtant dénoncés dans de
nombreux rapports d' experts ? Ce constat d'impunité de fait peut--il
alors oeuvrer pour une réconciliation des peuples? Cette
partialité dans le choix des poursuites ne peut mettre en lumière
qu'une vérité de l'histoire du génocide : une
vérité apaisant un peuple rwandais les Tutsis, mais non
l'ensemble du peuple rwandais. Ce n'est pas La Vérité . Le Rwanda
souffre ainsi d'une réconciliation nationale chancelante, comportant
quelques notes d'animosités palpables.
Une lutte contre l'impunité sous la chape de plomb de
considérations politiques parasite l'exercice d'une justice
équitable au sein d'une institution judiciaire internationale, car
dénuée d'impartialité et d'indépendance. Sous le
joug politique du
1 1 3 Président du TPIY, M. Cassese, observations
adressées au comité ad hoc de la Commiission de droit
international pour la création d'une cour criminelle internationale.
gouvernement de Kigali dirigé par les Tutsis,
certaines enquêtes et la tenue de certains procès au TPIR
démontrent une violation aux devoirs de la justice et de la morale.
Cette volonté de lutte contre l'impunité des Hutus «
à tout prix », actuellement mise en place par le TPIR sous
l'influence de considérations politiques (liberté d'action du
procureur entravée, l'empêchant souvent de mener à bien ses
actions pour une justice impartiale) entraîne des violations graves du
droit des accusés. Et ce, malgré une mappemonde protectrice
reconnue par l'ensemble de la communauté internationale et une
réglementati on interne soucieuse de garanties pour les droits des
accusés.
Certes le Tribunal Pénal International pour le Rwanda
dispose d'un arsenal législatif lui permettant d'agir dans le respect
d'une justice équitable et impartiale. Son action l'accentue, notamment
dans les grands jugements qu'il a rendus depuis sa création. Mais le
principe universellement reconnu de séparation des fonctions impose
à ce Tribunal Pénal International pour le Rwanda de pouvoir agir
sans influence extérieure. Le dernier exemple en date, l'arrestation de
l'avocat Peter Erlinder, doit éveiller une prise de conscience
internationale quant à la dérive présente au sein du TPIR,
mettant en péril l'état de droit. l'État de droit
sous--entend que chacun soit soumis au respect du droit, du simple individu
jusqu'à la puissance publique, dans le respect de la hiérarchie
des normes, de la séparations des pouvoirs et des droits fondamentaux.
Or du fait de cette non séparation des pouvoirs entre le pouvoir
juridique et politique, des violations des droits des accusés sont
visibles au sein du TPIR. Ceci conduit inévitablement à douter de
la probité de cette instance, ne pouvant alors porter les fruits d'une
réconciliation des peuples.
M ais une instance internationale de cette envergure ne peut
pas agir sans aucune influence politique. Cependant la vision de
l'éthique politique qu'elle doit prendre en compte ne doit pas
être réduite aux relations internationales, aux seuls rapports de
force, mais bien une vision politique soucieuse de privilégier la
dimension universelle de l'humanité et la nécessaire mise en
commun des richesses. Ceci permet de saisir les propos suivant: « Au
total, l'effectivité des droits économiques, sociaux et culturels
suppose une mise en commun des ressources, car il n'y a ni riches, ni pauvres,
encore moins un Nord, et un Sud. La véritable urgence consiste à
mettre en commun les richesses existantes. Et c'est bien là, la
dimension éthique de l'approche des droits de l'Homme qui doit
régir la coopération internationale. Pour y parvenir, il faut
redonner du sens aux
institutions existantes, qu'il s'agisse des États
actuels, des organisations internationales existantes, ou encore des
institutions ».114
Ainsi la lutte contre l'impunité peut être
exercée tout en préservant les droits des accusés,
dès lors qu'elle n'est pas essentiellement guidée par des
intérêts politiques divers. Il s'agit bien pour le tribunal de
juger de la culpabilité ou non d'un individu, en agissant à la
lumière d'une impartialité objective, garantissant l'exercice
d'une justice saine et équitable. Et nul doute alors que la satisfaction
des victimes et du peuple Rwandais pourra être quelque peu atteinte:
connaître l'histoire de son drame, prémice d'une
réconciliation des peuples profonde et assurée.
M alheureusement, les faits actuels du Rwanda corroborent
l'idée de ce mémoire, à savoir que la lutte contre
l'impunité telle que menée par le TPIR et ses conséquences
notamment sur le plan des droits des accusés, n'ont pas permis d'aboutir
à une réconciliation sereine des peuples. En effet , le 26
Août 2010 un rapport de l'ONU détaille une décennie
(1993--2003) de crimes contre l'humanité commis en République
démocratique du Congo. Elle met en cause Kigali pour des faits qui,
selon les auteurs du rapport, pourraient être qualifiés de
«génocide» à l'encontre des Hutus.115Ceci
devrait enfin interrompre le doux chant de sirène qui couvre la
réalité de l'exercice d'une justice dépendante et partiale
au sein du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. D'ailleurs le
grondement face à constat était relayé de façon
plus vigoureuse depuis quelques années dans les couloirs de la
Défense.
Ainsi quelques recommandations pourraient être
soulevées:
· Développer l'idée d'une police
internationale habilitée à l'arrestation des criminels
recherchés. Evitant ainsi d'être soumis aux manoeuvres politiques
d'État abritant/entravant l'arrestation des criminels recherchés.
Ceci
1 1 4 « L'Éthique de la coopération
internationale et l'effectivité des droits humains », Actes du
colloque international et inter--institutionnel, Université de Bergame,
12--14 mai, 2005, p 200
1 1 5 Annexe 8, Le Rwanda pointé du doigt pour les
massacres en République Démocratique du Congo, le 26 Aout
2010.
permettrait ainsi un gain de temps dans la recherche de ces
criminels, puisqu'une institution serait habilitée à cette
mission.
· Appréhender les présumés
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises
par les Tutsis envers les Hutus, lors du génocide rwandais de 1994 et
entrant dans la compétence rationae temporis du TPI R.
· Prendre en considération les différents
rapports et enquêtes concernant l'assassinat du président
Habyarimana en avril 1994 et enclencher une procédure judiciaire.
· Renforcer le devoir de coopération et d'assistance
internationales des États dans la conduite des affaires au sein du
TPIR.
· Revoir profondément la question du partage des
activités entre les juridictions rwandaises et le TPIR. S'assurer que
les affaires transmises seront jugées par des institutions judiciaires
rwandaises, respectant les principes d'une justice impartiale et
indépendante, respectueuse des droits fondamentaux.
· Privilégier le développement de la
compétence universelle des États dans l'optique de la
stratégie d'achèvement du TPIR.
· Intégrer la Cour Pénale Internationale dans
la stratégie d'achèvement du TPIR.
Annexe 1: Organigramme du TPIR p.
Annexe 2, Résolution 955 portant création du
Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
p. 1 3
S/RES/955 (1994)
8 novembre 1994
RÉSOLUTION 955 (1994)
Adoptée par le Conseil de sécurité
à sa 3453e séance, le 8 novembre 1994
Le Conseil de sécurité,
Réaffirmant toutes ses résolutions
antérieures sur la situation au Rwanda,
Ayant examiné les rapports que le
Secrétaire général lui a présentés
conformément au paragraphe 3 de sa résolution 935 (1994) du 1er
juillet 1994 (S/1994/879 et S/1994/906), et ayant pris acte des rapports du
Rapporteur spécial pour le Rwanda de la Commission des droits de l'homme
des Nations Unies
(S/ 1 9 94/ 1 1 5 7, annexe I et annexe II),
Saluant le travail accompli par la Commission
d'experts créée en vertu de sa résolution 935 (1994), en
particulier son rapport préliminaire sur les violations du droit
international humanitaire au Rwanda que le Secrétaire
général lui a transmis dans sa lettre du 1er octobre 1994
(S/1994/1125),
S e déclarant de nouveau gravement alarmé par
les informations selon lesquelles des actes de génocide et d'autres
violations flagrantes, généralisées et
systématiques du droit international humanitaire ont été
commises au Rwanda,
Constatant que cette situation continue de
faire peser une menace sur la paix et la sécurité
internationales,
Résolu à mettre fin à de
tels crimes et à prendre des mesures efficaces pour que les personnes
qui en sont responsables soient traduites en justice,
Convaincu que, dans les circonstances
particulières qui règnent au Rwanda, des poursuites contre les
personnes présumées responsables d'actes de génocide ou
d'autres violations graves du droit international humanitaire permettraient
d'atteindre cet objectif et contribueraient au processus de
réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement et au
maintien de la paix,
Estimant que la création d'un tribunal
international pour juger les personnes présumées responsables de
tels actes ou violations contribuera à les faire cesser et à en
réparer dûment les effets,
Soulignant qu'une coopération
internationale est nécessaire pour renforcer les tribunaux et l'appareil
judiciaire rwandais, notamment en raison du grand nombre de suspects qui seront
déférés devant ces tribunaux,
Considérant que la Commission
d'experts créée en vertu de la résolution 935 (1994)
devrait continuer à rassembler de toute urgence des informations tendant
à prouver que des violations graves du droit international humanitaire
ont été commises sur le territoire du Rwanda, et qu'elle devrait
présenter son rapport final au Secrétaire général
le 30 novembre 1994 au plus tard,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies,
1 . Décide par la présente résolution,
comme suite à la demande qu'il a reçue du Gouvernement rwandais
(S/1994/1115), de créer un tribunal international chargé
uniquement de juger les personnes présumées responsables d'actes
de génocide ou d'autres violations graves du droit international
humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais
présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le
territoire d'États voisins, entre le 1er janvier et le 31
décembre 1994, et d'adopter à cette fin le Statut du Tribunal
criminel international pour le Rwanda annexé à la présente
résolution;
2 . Décide que tous les États apporteront leur
pleine coopération au Tribunal international et à ses organes,
conformément à la présente résolution et au Statut
du Tribunal international, et qu'ils prendront toutes mesures
nécessaires en vertu de leur droit interne pour mettre en application
les dispositions de la présente résolution et du Statut, y
compris l'obligation faite aux États de donner suite aux demandes
d'assistance ou aux ordonnances émanant d'une Chambre de première
instance, conformément à l'article 28 du Statut, et prie les
États de tenir le Secrétaire général informé
des mesures qu'ils prendront;
3 . Considère qu'une notification devrait être
adressée au Gouvernement rwandais avant que des décisions ne
soient prises en vertu des articles 26 et 27 du Statut;
4 . Prie instamment les États ainsi que les
organisations intergouvernementales et non gouvernementales d'apporter au
Tribunal international des contributions sous forme de ressources
financières, d'équipements et de services, y compris des services
d'experts;
5 . Prie le Secrétaire général de mettre
en oeuvre d'urgence la présente résolution et de prendre en
particulier des dispositions pratiques pour que le Tribunal international
puisse fonctionner effectivement le plus tôt possible, notamment de lui
soumettre des recommandations quant aux lieux où le siège du
Tribunal international pourrait être établi, et de lui
présenter des rapports périodiques;
6. Décide qu'il choisira le siège du Tribunal
international en fonction de critères de justice et
d'équité ainsi que d'économie et d'efficacité
administrative, notamment des possibilités d'accès aux
témoins, sous réserve que l'Organisation des Nations Unies et l'
État où le Tribunal aura son siège concluent des
arrangements appropriés qui soient acceptables pour le Conseil de
sécurité, étant entendu que le Tribunal international
pourra se réunir ailleurs quand il le jugera nécessaire pour
l'exercice efficace de ses fonctions; et décide d'établir un
bureau au Rwanda et d'y conduire des procédures, si
cela est possible et approprié, sous réserve de la
conclusion d'arrangements adéquats analogues;
7 . Décide d'envisager d'augmenter le nombre de juges et
de chambres de première instance du Tribunal international si cela
s'avère nécessaire;
8 . Décide de rester activement saisi de la question.
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