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Lutte contre l'impunité et effectivité des droits des accusés : le doux chant de sirène du tribunal pénal international pour le Rwanda.

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par à‰lise LE GALL
Université Pierre Mendès France - Master 2 Droit 2010
  

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Table des sigles.

CED H : Cour Européenne des Droits de l'Homme

ONU : Organisation des Nations Unies

OUA: Organisation de l'Unité Africaine

FAR: Force Armée Rwandaise

PIDCP : Pacte International des droits civils et politiques.

TPIR: Tribunal Pénal International pour le Rwanda

TPIY: Tribunal Pénal International pour l'ex--Yougoslavie

FPR : Front patriotique Rwandais

APR: Armée patriotique Rwandaise

M.X : affaire actuellement en cours au TPIR

M.Y : affaire actuellement en cours au TPIR

En 1959, suite à l'indépendance du Rwanda, des troubles politiques conduisent des dizaines de milliers de Rwandais d'ethnie tutsi à s'exiler en Ouganda, afin d'échapper à des tueries inter--ethniques. En quittant le Rwanda au moment de l'indépendance, les autorités belges laissent la direction du Rwanda entre les mains des Tutsis, qui ne représentent que 15% de la population. Mais peu à peu une élite hutu va se former avec la création en 1959 d'un parti hutu: le parmehutu, ayant pour finalité de reprendre la direction du pays. Cette crispation sur la volonté de diriger le pays est palpable par l'émergence de conflits inter--ethniques en 1959. En effet de nombreux Tutsis vont faire l'objet de persécutions, de massacres, et beaucoup de Tutsis menacés vont fuir par milliers en Ouganda, au Burandi, et au Congo--Kinshasa. Pendant les années 1960, de nombreuses tentatives de retour au pays par les Tutsis en exil vont être mises en échec, et auront pour conséquence de nouveaux massacres à l'encontre des Tutsis restés au Rwanda, par les Hutus, notamment en 1963.1 Quelques années plus tard en 1972 dans l'état voisin du Burundi, l'armée burundaise à majorité tutsi perpétue des massacres à l'encontre des Hutus burundais. Cette instabilité politique se reflétant au delà des frontières rwandaises affaiblit davantage le pouvoir du président rwandais Grégoire Kayibanda. Celui--ci dans un dernier espoir de retrouver une unité politique va accentuer ses efforts dans une politique nationale contre les tutsis. Et en 1973 des massacres sont à nouveau perpétrés, générant une nouvelle vague d'exil de tutsis.

C' est à ce moment, après des années de conflits inter--ethniques entre les tutsis et les hutus, que le président Hutu Habyarimana arrive au pouvoir. Les massacres qui s'en suivent vont entraîner des mouvements d'émigration, essentiellement en Ouganda. Rapidement les tutsis sont stigmatisés, comparés à des « cafards », des « cancrelats» et ceux qui font le choix de rester au Rwanda font l'objet de nombreuses persécutions. Ainsi pendant plus de 35 ans, le pouvoir sera exclusivement entre les mains de la majorité hutu avec à sa tête le général président Habyarimana. Mais la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), constitué pour l'essentiel de la seconde génération des Rwandais exilés en Ouganda, ne reste pas inerte devant cette monopolisation du pouvoir.

1 Entre 8 000 et 12 000 tutsis seront massacrés. Le journal «le monde» du 4 février 1964 parle de génocide et la Radio--Vatican parle de «terrible génocide jamais perpétré depuis celui des Juifs ».

Les Tutsis installés provisoirement en Ouganda, souhaitent rentrer au pays, mais leur retour est refusé. Le Front Patriotique Rwandais entraîné et armé, organise un retour par la force. C'est pourquoi le 1er octobre 1990, la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais lance depuis l'Ouganda une attaque contre le régime autoritaire du général--président Habyarimana.

D evant la menace extérieure oppressante et l'opposition intérieure grandissante, le régime se durcit et opère des interpellations d'environ dix mille Tutsis du Rwanda et d'Hutus complices des assaillants, notamment après une tentative d'attaque sur Kigali dans la nuit du 4 octobre 1990. Ces assaillants vont constituer par la suite le noyau dur des partis politiques d'opposition. Ceci marque donc le début du multipartisme ouvert sur fond de guerre civile. Entre la volonté de consolidation de leurs positions pour les belligérants, et la volonté tenace par les partis politique d'entrer au gouvernement, la pressi on poussera Habyarimana à céder en avril 1992.

D e nombreux massacres de Tutsis en découlent à Bugesera en mars 1992, à Gisenyi-- Ruhengeri en janvier 1991, à Gisenyi en décembre 1992, et en janvier 1993. En représailles, le Front patriotique Rwandais lance une «expédition punitive» en février 1993 et arrive à Kigali, après avoir commis de nombreux massacres. C'est dans ce contexte de violence, à travers notamment la pratique dite « Kubuhoza », que les partis politiques poursuivent leur implantation dans le pays.2 En août 1993, un accord de paix est conclu à Arusha entre le gouvernement et le FPR. Afin de s'assurer de l'application effective de cet accord, l'ONU envoie au Rwanda un contingent de quelque 2500 hommes: la MINUAR. Or le début de la mission onusienne va coïncider avec le coup d'État militaire du 21 octobre 1993 au Burundi au cours duquel le président hutu démocratiquement élu Melchior Ndaye trouve la mort. Cet événement va être largement exploité par la Radio et Télévision Libre des Mille collines, qui va par ailleurs diffuser des chants de guerre proscrits depuis la signature de l'accord de paix.

Parallèlem ent Frodoual Karamira, membre du comité directeur du plus grand parti d'opposition, le Mouvement Démocratique Républicain, organise un meeting politique à Kigali au cours duquel il lance le slogan «hutu power », qui traduit la

2 Pratique par laquelle les politiciens recrutent de force et tentent de chasser ou tout au moins déstabiliser les autorités locales (préfet, maires, conseillers municipaux) qui ne leur sont pas favorables.

radicalisation ethnique d'une partie des militants des mouvements politiques. En effet la plupart des formations politiques se disloquent alors en tendances extrémiste et modérée qui se disputent la légitimité.

Il va sans dire que cette dislocation au sein des partis retarde la mise en place du gouvernement et du parlement de transition prévus par les accords de paix d'août 1993. Le 5 janvier 1994, Habyarimana prête serment comme président de la République, mais l'investiture du gouvernement et du parlement n'auront jamais lieu, les blocages politiques persistant tant du côté du régime que du Front Patriotique Rwandais (FPR).

Le 21 février marque le début d'une escalade de violences, aboutissant à l'avènement d'une des pages les plus sombres et tragique de l'histoire du Rwanda et de la communauté internationale. En effet le 21 février 1994, le leader charismatique de l'opposition, le ministre des travaux publics Félicien Gatabazi, est assassiné devant son domicile à Kigali. Le lendemain, en guise de représailles, le président du CDR, Martin Bucyana, est lunché par une foule en colère à Butare (sud), la région natale de Gatabzi. De nouvelles violences éclatent, notamment à Kigali et à Cyangugu, le fief de Bucyana.

C' est dans ce contexte de guerre civile, de montée de l'extrémisme, de propagande anti tutsi dans certains médias, que survient l'événement tragique du 6 avril 1994 : l'assassinat du président Habyarimana par le crash de son avion présidentiel.

Dans la nuit du 6 Avril 1994, une phrase transmise sur les ondes de la radio, sonnera le clairon de 100 jours de terreur: « Abattez les grands arbres ». Pendant trois mois, la Radio Télévision Libre des Mille Collines encourage et guide jour après jour le massacre des Tutsis. Les milices Interhamwe3, l'ensemble des hutus extrémistes se chargent de massacrer à travers tout le pays les Tutsis, ainsi que certains Hutus modérés réputés hostiles à ce projet et considérés comme des «traîtres ». La population utilise essentiellement des machettes, des houes et des gourdins cloutés. Des barrières sont montées sur toutes les routes du Rwanda pour arrêter les fuyards qui sont massacrés sur place. Face à cette agitation, des hiérarchies parallèles sont organisées par les préfets poussant les autorités locales à mettre en place des massacres de grande

3 Issu du Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement.

ampleur.4 Ainsi par exemple, au prétexte de mise en sécurité, des Tutsis sont regroupés dans des lieux publics comme les stades, les bâtiments communaux, les écoles, les églises. Ils y seront massacrés par des groupes de miliciens, parfois précédés par les Forces Armées Rwandaises

Les massacres atteindront des sommets dans l'horreur et la cruauté. Des femmes enceintes sont éventrées pour tuer les foetus. Les violences sexuelles sont fréquentes et des tueries ont lieu au sein de familles mixtes. Horreur et cruauté caractérisent la rapi dité et de l'ampleur du génocide: en trois mois, un million de personnes sont tuées selon les autorités rwandaises, 800 000 selon l'ONU et l'OUA.

Dans cet événement tragique, il est à regretter l'inaction de la communauté internationale. D'ailleurs cette démission a été martelée par le général canadien Roméo Dallaire, commandant la MINUAR5. L'inaction de la communauté internationale a principalement pris appui sur l'existence de la guerre civile, prétexte permettant de détourner l'attention sur la réalité du génocide existant. La reconnaissance de l'existence d'un génocide par la communauté internationale interviendra bien trop tardivement, empêchant alors d'appliquer la convention internationale pour la prévention et la répression du génocide, et de faire ainsi cesser ces massacres.6

C ep endant dès lors que l'information d'un tel événement est relayée à l'échelle d'un continent puis du monde, cela ne devient plus l'apanage d'un peuple, du peuple rwandais, ni de puissances politiques. Il s'agit bien d'atrocités humaines qui peuvent être perceptibles par chaque être humain, citoyen du monde. Il n'y a alors plus de barrières, ni de différences culturelles, l'évidence est universelle, l'inacceptable est criant. Et face à cette force humaine amenant à une conscience mondiale, l'inaction est impossible. C'est pourquoi à défaut d'avoir pu agir à temps, le temps des remords laisse place à une volonté tenace d'être présent pour tenter de soulager une conscience secouée.

4 Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre, le génocide au Rwanda, Editions Karthala, 1999, p 261--306.

5 Force de l'Organisation des Nations--Unies destinée à soutenir les accords d'Arusha.

6 LANOTTE Olivier, La France au Rwanda (1990--1994) : entre abstention impossible et engagement ambivalents, P.I.E. Peter Lang, Centre d'Étude des crises et des conflits internationaux, 2007, p 512-- 529.

Ainsi, le 8 Novembre 1994, moins de quatre mois après la fin du génocide et des massacres qui ont coûté la vie à environ un million de Rwandais en moins de cent jours, le Conseil de sécurité des Nations Unies sur la base du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, crée par une résolution7 le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), dont le siège est fixé à Arusha en Tanzanie. Le TPIR reçoit alors comme mandat de « juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'Etats voisins entre le 1 er Janvier et le 31 décembre 1994 »8. La compétence du TPIR est donc restreinte dans le temps à la différence de celle du TPIY, dont la juridiction n'a pas de date limite.

C e tribunal s'inscrit donc dans ce mouvement de justice transitionnelle qui inaugure un avant et un après le crime. Cette justice transitionnelle propose un mythe au sens de Paul Ricoeur, «elle identifie d'abord le mal, puis invite les institutions judiciaires ou extrajudiciaires à mettre en récit la tragédie survenue, avant de proposer sa résolution. C'est ce parcours qui aboutit à la reconnaissance publique du crime, et, si possible de l'aveu du criminel, lequel porte la promesse d'une métamorphose de la société, et, partant, réanime le vieux rêve d'une rédemption face aux forces des Ténèbres ». 9

C' est ainsi que le Conseil de sécurité précise notamment que les poursuites ainsi entamées «contribueraient au processus de réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement et au maintien de la paix» et contribueraient aussi à «faire cesser « les crimes «et à en réparer dûment les effets. ». Il souligne «qu'une coopération internationale est nécessaire pour renforcer les tribunaux et l'appareil judiciaire rwandais» et décide «que tous les Etats apporteront leur pleine coopération au Tribunal international et à ses organes, (...) y compris l'obligation faite aux Etats de donner suite aux demandes d'assistance ou aux ordonnances émanant d'une Chambre de première instance. »10

7 Annexe 2, Résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU portant création du TPIR.

8 Annexe 3, Statut du TPIR annexé à la résolution 955 du Conseil de Sécurité portant création du Tribunal.

9 Pierre HAZAN, Juger la guerre, juger l'Histoire, PUF, 2007, p 80--110

1 0 Annexe 1 : Résolution 955 du Conseil de sécurité portant création du TPIR.

Ainsi, l'action du tribunal dépasse la dimension strictement judiciaire de la poursuite des auteurs du génocide. En effet les objectifs édictés par la résolution de l'ONU, réconciliation nationale, maintien de la paix, lutte contre l'impunité, appui aux tribunaux et l'appareil judiciaire rwandais démontrent bien une volonté internationale d'apporter une réponse pénale et symbolique forte au troisième génocide du vingtième siècle. Mais il est à relever que pour beaucoup de Rwandais, la réalité des motivatio ns concernant la création de ce Tribunal international est toute autre: la mauvaise conscience internationale. La véracité de cette réalité ne peut qu'être appuyée par cette tragique défaillance d'intervention de la communauté internationale dans le génocide de 1994. De plus, son intervention à posteriori par la création de ce Tribunal International, pour sanctionner le crime une fois celui--ci commis, trouve un paradoxe: une ambition de réconciliation nationale, mais pourtant limitée dans le temps et l'espace.11 La réconciliation d'un peuple peut--elle se planifier à travers un temps déterminé? Le droit international se vit au présent, la réconciliation d'un peuple ne peut être une donnée pouvant faire l'objet d'une prévision temporelle: « le temps n'a aucune vertu productrice, et rien ne se fait par le temps, quoique tout se fasse dans le temps »12

D epuis 1994, le TPIR a évolué au regard des moyens de son existence. Avec plus de 800 employés, et un budget pour l'année 2008--2009 qui dépasse les 267.356.200 dollars 13. Il s'est développé en une institution conséquente sur le plan matériel et humain, capable théoriquement de mener à bien les missions qui lui sont conférées. Pour cela il est composé de trois chambres de première instance, de trois juges chacune et d'une chambre d'appel avec cinq juges.

En poursuivant les individus considérés comme les principaux responsables du génocide rwandais, le TPIR a joué un rôle important dans la délivrance d'une certaine justice aux victimes et aux survivants du génocide. Depuis le début du premier procès, le TPIR a émis, à compter du 1er Janvier 2010, quarante--neuf jugements concernant quarante accusés, dont neuf ont été jugés conjointement avec un ou plusieurs autres co--accusés. Trente--trois accusés ont été reconnus coupables, et sept ont été acquittés des

1 1 Annexe 3 : Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.

1 2 GROTIUS Hugo, le droit de la guerre et de la paix, Elibron Classics series, 2006 livre II, chap..IV, I, p.210

1 3 http://fr.hirondellenews.com/content/view/6276/26/

crimes retenus contre eux. Depuis la délivrance de son premier jugement dans le cas Procureur contre Akayesu du 2 septembre 1998, le TPIR a évolué pour devenir un tribunal ad hoc ayant une empreinte notable sur le développement de la jurisprudence pénale internationale.

L'acti on du Tribunal Pénal International pour le Rwanda s'inscrit alors dans un processus de lutte contre l'impunité, s'articulant autour de trois objectifs: sanctionner les responsables, satisfaire le droit qu'ont les victimes de savoir et d'obtenir réparation, p erm ettre aux autorités de remplir leur mandat en tant que puissance publique garante de l'ordre publique. Cette lutte contre l'impunité face aux événements du génocide de 1994 met en scène des acteurs de taille : les victimes, le TPIR, mais aussi les Etats, dont la volonté politique est fondamentale.

La lutte contre l'impunité dans le cadre du TPIR poursuit un objectif louable: la réconciliation des peuples, de la nation, condition première pour le maintien de la paix. Or la réconciliation des peuples, le rétablissement de la paix sont des notions empreintes de politique, de social, mais difficilement de juridique. Ainsi allier la lutte contre l'impunité à cet objectif de réconciliation des peuples, c'est introduire une dimension politique et historique dans un processus juridique international, qui devrait se concentrer sur la notion de culpabilité, en dehors de toute autre considération, afin d'oeuvrer avec objectivité et impartialité dans le jugement des présumés génocidaires du Rwanda. Comme le dit si bien David Piaccoco, « L'histoire et la Justice ne peuvent s'écrire à la fois, avec le même crayon, sans distordre l'un ou l'autre; Le TPIR , plutôt que d'écrire l'Histoire et d'agir à titre de pacificateur, devrait être un forum de justice utilisé pour déterminer la culpabilité ».

Bien entendu la justice pénale internationale a une finalité répressive, cependant elle a peut--être tout autant un but préventif, dissuasif, voire « pédagogique ». 14 En effet face aux crimes de guerre, crimes contre l'humanité, la réparation pour les victimes est difficilement atteignable, la sanction ne peut paraître que disproportionnée face à l'horreur des faits vécus. Mais il reste alors la recherche de la Vérité, l'établissement des faits en réaction au révisionnisme, le devoir de justice à l'égard des victimes. Cependant

1 4 Sous la direction d'Hervé ASCENSIO, Emmanuel DECAUX et Alain PELLET, Droit international pénal, Cedin Paris X, Éditions A. DEDONE, 2000, p 1--15

l'action et les jugements du Tribunal Pénal International depuis sa création laissent entrevoir une justice à deux vitesses, mettant en lumière une recherche partiale de la vérité, de l'établissement des faits concernant les événements d'avril-juin 1994. Or la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda ne doit pas véhiculer cette idée d'être une institution judiciaire internationale au service d'une partie au conflit, où encore sous l'emprise de considérations hautement politiques contraignant celle--ci à ne pas faire éclore une vérité historique, attendue du peuple rwandais. Le TPIR se doit d'être une institution judiciaire agissant dans un souci d'équité, de neutralité et d'indép endance afin de servir au mieux sa mission première : juger les principaux génocidaires. Ceci pourrait poser par la suite les balises d'un processus de réconciliation des peuples, et de la Paix. C'est pourquoi les juges de la chambre d'appel ont souligné l'importance de la confiance publique. C'est sur elle que repose l'édifice judiciaire: « Quand elle est trahie, il se lézarde. Elle est le ressort du respect et du sentiment de protection que la justice inspire. Si le ressort casse, elle en devient son fossoyeur. ». Et d'aj outer que la confiance publique recherchée n'est pas celle de la communauté internationale, mais bien avant tout la confiance publique du peuple Rwandais.

L'action du Tribunal Pénal International est encadrée par un arsenal législatif et juridique de grande ampleur. En effet l'essence de son existence trouve sa source dans la réalité de violations des droits de l'homme à grande échelle, et notamment de la perpétration d'un génocide Rwandais. Depuis la convention sur la prévention et la répression du génocide de 1948, il est clairement établit que tous actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie , un groupe national, ethnique, racial ou religieux constituent une violation des droits fondamentaux reconnus par l'ensemble de la communauté internationale. 15 De ce fait, les événements d'Avril - Mai 1994

1 5 Article 2 de la Convention de prévention et de répression de génocide du 9 décembre 1948: Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci--après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

constituait bien un génocide.16 L'action du Tribunal Pénal International pour le Rwanda s'inscrit bien sur cette base: juger les présumés responsables du génocide rwandais et auteurs graves de violations du droit international humanitaire.17

D e cette mission première découle celle de rechercher la vérité pour l'intérêt d'une justice équitable, seul fondement solide de la réconciliation du peuple rwandais. Et comme dans tout procès pénal ou autre, la clé de voûte d'une «bonne justice» néce ssaire pour une acceptation du plus grand nombre, doit s'articuler autour de la notion d'équité. Équité pour l'accusation, mais aussi équité pour la défense. Le respect des droits fondamentaux aussi bien pour l'accusé, que pour la victime est un pilier essentiel. Car comme le décrit si bien Jean--Marie Biju--Duval « Défendre le droit d'un accusé à bénéficier d'un procès équitable, c'est se battre pour une justice internationale qui ne puisse être, dès demain, la risée de ses détracteurs ». Pour ce faire, dans le statut du TPIR, il existe un certain nombre de dispositions pour assurer le fonctionnement, l'organisation d'un tel procès. Ce sont des dispositions qui offrent des garanties d'équité aussi bien pour l'Accusation que pour la Défense. Et il est donc à rappeler, que l'accusé dispose des droits et des garanties fondamentaux reconnus non seulement à travers le statut du TPIR, mais également à la lumière d'une mappemonde de textes internationaux assurant la protection de ces droits fondamentaux. OEuvrer en ce sens lors d'un procès devant une instance internationale, c'est atteindre avec rigueur et finesse la mission de juger les présumés responsables du génocide, en ayant pour horizon effectif l'aboutissement d'une réconciliation nationale.

Dans ce contexte de fin de mandat du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, il est bon de s'intéresser plus particulièrement à l'articulation de la lutte contre l'impunité avec le droit des accusés. En effet l'objectif louable de lutte contre l'impunité au sein du TPIR s'insère--il dans un processus purement juridique, ou est--il parasité par des dimensions politiques, venant mettre en danger l'effectivité des droits de la défense? Sanctionner les responsables, pour une instance internationale tel que le TPIR doit être guidé par des considérations purement juridiques et objectives, et non par des considérations politiques, sociales, qui satisferaient une volonté extérieure au processus de justice du TPIR. La création d'une instance internationale pour juger de

1 6 N° ICTR--96--4--T, le Procureur contre Jean--Paul AKAYESU, 2 septembre 1998. 1 7Annexe 3, « Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda », p.1.

telle s infractions est justement guidée par ce souci d'impartialité et d'objectivité permettant d'axer toutes les actions sur cette notion de responsabilité et de culpabilité. Ceci est difficilement possible pour des instances nationales, dont le recul nécessaire pour juger de la responsabilité la culpabilité d'un accusé peut être insuffisant de par le joug historique, culturel et social pesant sur leurs actions. Lutter contre l'impunité ne ressort pas d'une conception objective. La perception et l'action de lutte contre l'impunité seront différentes selon le parti pris. La lutte contre l'impunité s'exercera en fonction des orientations voulues de celui qui détient le pouvoir de son exercice. Dans le contexte du génocide du Rwanda et du Tribunal Pénal International, les acteurs au service de cette lutte contre l'impunité sont divers. C'est pourquoi son action mêlera forcément des considérations subjectives, cherchant à satisfaire des intérêts différents selon qu'ils sont défendus par la communauté internationale, par le gouvernement rwandais, ou par les ONG. Cette différence d'intérêts peut entacher l'action première du TPIR d'être une instance pénale internationale impartiale, objective, chargée de juger les présumés responsables de violations graves du droit international humanitaire. Le TPIR, représentant une instance créée par la communauté internationale au travers du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ne possède pas une liberté d'action aisée.

Ainsi dans sa lutte contre l'impunité, l'action du TPIR est de déterminer en premier lieu qui sont ces présumés responsables: seulement des extrémistes hutus, ou peut--on également s'interroger sur la nécessité d'inculper des tutsis ayant eux aussi violés des normes du droit international humanitaire pendant la période du génocide. L'inculpation de présumés responsables de violations de droit international humanitaire chez les hutus, comme chez les tutsis, doit -elle relever de considérations politiques entachant alors l'accomplissement de ce principe impartial de culpabilité? Nul doute qu'il ne s'agit pas pour la communauté internationale au travers du TPIR de sanctionner pour sanctionner, cependant on peut s'interroger sur les travers de cette course à l'impunité. S'agit--il de satisfaire la conscience d'une communauté internationale, d'un gouvernement rwandais qui est représenté par les vaincus à savoir les Tutsis, ou tout simplement d'agir dans un souci de rendre une justice juste et équitable indépendamment des intérêts des parties. Dès lors qu'il s'agit d'être dans un schéma choisi ou subi de satisfaction de l'une des parties, il est clair que le processus judiciaire peut perdre de son impartialité, notamment au niveau de l'effectivité des droits des accusés. C'est pourquoi il est bon de se demander si au sein du Tribunal Pénal

International pour le Rwanda, il est possible de combattre l'impunité tout en préservant les droits des accusés?

Le champ d'étude sera effectué, au regard de l'analyse d'un travail de trois mois au sein d'une équipe de Défense du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, composée d'un conseil principal français, d'un co--conseil canadien, d'une assistante juridique, et de trois stagiaires. Équipe oeuvrant pour la défense de M. Callixte Nzabonimana, ancien ministre rwandais de la jeunesse et des sports du gouvernement par intérim de 1994, dont le procès a commencé le 9 novembre 2009 devant le TPIR et est toujours actuellement en cours. Son acte d'accusation modifié en octobre 2008 fait état de cinq chefs d'accusations: Génocide, entente en vue de commettre le génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, extermination constitutive de crime contre l'Humanité, assassinat constitutif de crime contre l'Humanité.18

D ans un premier temps, nous soulignerons le contraste existant entre la lutte contre l'impunité telle que revendiquée par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda et son application concrète dans la pratique (I). Ceci au travers de l'étude de certains de ses jugements faisant état de jurisprudences, délivrant le message d'une lutte contre l'impunité effective. (A) Mais la face cachée de l'iceberg au travers de l'application par les instances du TPIR offre un bilan plus mitigé (B).

D ans une seconde partie nous démontrerons, que cette lutte contre l'impunité menée par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda conduit à mettre en péril l'effectivité des droits des accusés (II). Ceci malgré une volonté textuelle affirmée, assurant les droits des accusés (A), mais dont l'application au sein du Tribunal Pénal International pour le Rwanda laisse entrevoir une pratique assombrissant ce principe d'équité du Tribunal Pénal International du Rwanda (B).

1 8 N° ICTR--98--44D--PT, Le procureur contre Callixte NZABONIMANA, acte d'accusation modifié, 4 octobre 2008.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote