La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines;lecture et reprise de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale( Télécharger le fichier original )par Barnabé Milala Lungala Katshiela Université de Kinshasa et université catholique de Louvain - Thèse de doctorat 2009 |
A. Explication fonctionnelle et causaleEmile Durkheim est considéré comme « l'artisan de l'explication fonctionnelle en tant que méthode scientifique en sociologie et auquel (sic) (Malinowski) attribuait la paternité du fonctionnalisme ».223(*) Le cadre fonctionnaliste a servi à plusieurs chercheurs en sciences sociales sur le terrain africain : « l'anthropologie culturelle anglaise (B. Malinowski, A.R. Radcliffe-Brown) qui a (eu cour en Afrique et en Australie a) choisi un cadre fonctionnaliste pour des analyses empiriques ».224(*) L'école anglaise d'anthropologie sociale et culturelle a transformé ce type d'analyse en un véritable programme : entendons par là qu'elle en a défini les principes méthodologiques, et les orientations théoriques. Un phénomène bizarre, inattendu, dissonant sera dans un premier temps rattaché à l'institution ou à la structure sociale qui le supportent ; dans un deuxième temps, on déterminera la fonction sociale jouée par celles-ci et le rendant intelligible. Cette fonction enfin, est génériquement pensée comme réponse à un besoin (Malinowski, 1944) ».225(*) Selon le compte rendu de Fabrice Clément et Laurence Kaufmann, « Searle (...) se rapproche d'une perspective fonctionnaliste ».226(*) Il évoque pour cela quelques exemples : « en affirmant, par exemple, que la réalité sociale est créée par nous pour nos propres besoins. Selon Malinowski, en effet, les institutions sont les moyens organisationnels que les sociétés se donnent pour satisfaire leurs besoins primaires (biologiques) ou leurs besoins dérivés (culturels). Au demeurant, nous nous appesantissons ici sur le modèle fonctionnaliste d'Emile Durkheim, dont nous allons tenter de mettre en exergue les schèmes reconstructeurs et en retracer l'itinéraire philosophique. Dans ce cadre précis, nous analysons justement l'évolution du fonctionnalisme dans la philosophie analytique de telle sorte que la tâche centrale de notre enquête aboutit à la question suivante : que devient le fonctionnalisme dans la philosophie analytique et dans la philosophie de l'esprit de John Searle ? Nous empruntons la présentation de fonctionnalisme traditionnel à Robert Franck tirés de deux de ses articles intitulés respectivement : « les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » publié dans l'ouvrage Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, en 1994 et « Histoire et structure », dans Jean-Michel Berthelot (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, en 2001. Nous allons tenter de présenter la question en nous appesantissant, comme il procède lui-même, au point de départ sur le fonctionnalisme, spécialement à travers Emile Durkheim qui s'est fortement inspiré du fonctionnement de l'organisme biologique comme modèle. Nous présentons ici quelques notions fondamentales de la doctrine fonctionnaliste de Durkheim pour dégager les points d'encrages avec Searle. Nous reprendrons quelques notions importantes à partir d'Emile Durkheim comme un des philosophes - fondateurs des sciences sociales, spécialement de la sociologie. Son point de vue se démarque d'abord de la pratique philosophique courante d'un Rousseau ou d'un Thomas Hobbes, etc. Il appelle à traiter les faits sociaux non comme des idées mais comme des choses : « est chose tout objet de connaissance ...ce dont nous ne pouvons nous faire une notion adéquate par un simple procédé d'analyse mentale, tout ce que l'esprit ne peut arriver à comprendre qu'à condition de sortir de lui-même, par voie d'observation et d'expérimentation ».227(*) Bien plus : « Les causes inconnues dont elles dépendent ne peuvent être découvertes par l'introspection même la plus attentive »228(*). Il se démarque aussi d'Auguste Comte au point de vue de l'objet et de la perspective : de l'Humanité comme objet, il substitue la société, et renverse les effets de Comte en cause, ce ne sont pas les consciences individuelles qui déterminent la conscience collective mais l'inverse. « On est habitué, dit-il, à se représenter la vie sociale comme le développement logique de concepts idéaux, on jugera peut-être grossière une méthode qui fait dépendre l'évolution collective de conditions objectives, définies dans l'espace ».229(*)Tout au contraire : « Notre principal objectif, affirme Durkheim, est d'étendre à la conduite humaine le rationalisme scientifique en faisant voir que, considérée dans le passé, elle est réductible à des rapports de cause à effet ».230(*) Ce postulat fonde le fonctionnalisme même. Du point de vue de la philosophie, disons d'ores et déjà que cette théorie sus- évoquée de Durkheim est fort tributaire de la philosophie de la Nature de René Descartes et de son mécanisme. A la question de savoir si« les sciences sociales recourent effectivement au deux sortes d'explications caractéristiques des sciences de la Nature, Robert Franck répond à la suite de Durkheim par l'affirmative. Il prend en exemple la théorie de la « densité dynamique » de Durkheim. 231(*) A propos pour Durkheim, nous dit-il « l'effort principal du sociologue devra donc tendre à découvrir les différentes propriétés de ce milieu (le tout) qui sont susceptibles d'exercer une action sur le cours des phénomènes sociaux. Jusqu'à présent, nous avons trouvé deux séries de caractères qui répondent d'une manière éminente à cette condition ; c'est le nombre des unités sociales, et le degré de concentration de la masse, ou ce que nous avons appelé la densité dynamique ».232(*) Pour Durkheim le programme philosophique de recherche qui s'en dégage par delà cette forme de cartésianisme part de fait que « la mentalité des groupes n'est pas celle des particuliers, elle a ses lois propres233(*). (...) Il y a des similitudes que l'abstraction pourra dégager entre la mentalité sociale et la pensée privée».234(*) Emile Durkheim dans son livre intitulé les Règles de la méthode sociologique ajoute qu'il n'y a pas de continuité entre les faits psychiques individuels et les faits sociaux. « Il faut laisser, va continuer Durkheim, à l'avenir le soin de rechercher dans quelle mesure (la mentalité social) ressemble à la pensée des particuliers. C'est même là un problème qui ressortit plutôt à la philosophie générale et à la logique abstraite qu'à l'étude scientifique des faits sociaux ».235(*) En somme, la méthode de la sociologie positive d'Emile Durkheim s'établit autour d'une dualité ontologique entre la matérialisation des « faits sociaux » comme pratiques sociales et leurs effets particuliers sur les consciences individuelles.236(*) Ainsi, « en ne considérant les phénomènes qu'en tant que pratiques sociales, Durkheim cherche donc à évacuer les considérations subjectives, qui, dans une perspective positiviste, demeurent du domaine de l'incertain. En tant que réalités « en-soi », les « faits sociaux » sont quantifiables et ne peuvent ainsi être isolés - et définis- par la statistique de manière « objective » ; ceci en contraste avec les effets particuliers sur les individus ».237(*) Nous pouvons dire que Durkheim met ensemble deux conceptions qui « s'opposent d'abord sur leurs fondements ontologiques respectifs, c'est-à-dire dans leur façon particulière de concevoir le monde social (culturel) qui constitue par ailleurs l'objet d'analyse de chacun. Le contraste entre les conceptions de la culture comme réalité en- soi (positivisme) ou comme réalité dépendante de la perception des hommes (herméneutique) relev(ant) de l'opposition entre les ontologies réalistes et antiréalistes de la « réalité » du monde ».238(*) * 223 Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, Librairie Philosophique, Vrin, Paris, 1994, p.280. * 224 Jürgen HABERMAS, La logique des sciences sociales et autres essais, Quadrige /Puf, Paris, 1987, p.103. * 225 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social», dans Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.237. * 226 Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFMANN, Le monde selon John Searle, Cerf, 2005, Paris, p.90. * 227 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.XIII. * 228 Ibidem. * 229 Ibidem, p.IX. * 230 Ibidem. * 231 Robert FRANCK, « Histoire et structure » dans Jean-Michel Berthelot (Dir.) Epistémologie des sciences sociales, Puf, p.338. * 232 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.112. * 233 Ibidem ,p. XVII. * 234 Ibidem, p.XIX. * 235 Ibidem , p.XX. * 236 Laurent MCFALLS, Nicolas LIORZOU, Julie PERREAULT, Anca - Elena MOT, Construire la politique : contingence, causalité et connaissance dans la science politique contemporaine, Presses de l'Université de Laval, Québec, 2006, p.249. * 237 Ibidem, p.249. * 238 Ibidem, p.235. |
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