La capacité de la femme mariée en matière du travail en droit français et en droit congolais( Télécharger le fichier original )par Yves-Junior MANZANZA LUMINGU Université de Kinshasa - Licence en Droit 2006 |
§3. La loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002La loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002 portant (nouveau) code du travail a été accueillie avec un esprit de triomphalisme au sein de mouvements féministes. Mais les esprits avisés et les intellectuels dotés de juridisme n'ont pas tardé à déceler le paradoxe. DESCARTES parlerait de l'inadéquation entre le pensé (le réel) et l'expression ou le discours. L'on se rend vite compte de l'inopportunité de la révision des dispositions de l'ancien code du travail sur la capacité de la femme mariée. C'est que le législateur de 2002, cherchant à se conformer à la CEDEF, a fait une interprétation tronquée ou erronée de l'ordonnance-loi du 9 août 1967 et a ainsi faussé la méthodologie légistique. Dès lors, l'on se demande s'il y a eu effectivement des innovations ou un recul pur et simple. A. Contexte d'élaborationLa RDC ayant ratifié quantité d'instruments internationaux sur les droits de l'homme en général et particulièrement sur la promotion des droits des femmes, notamment la CEDEF, devait prendre des mesures appropriées afin de remplir à bon escient ses engagements internationaux. 1. La conformité à la CEDEF L'article 2 de la CEDEF stipule que « les Etats parties condamnent la discrimination à l'égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l'égard des femmes (...) » Et à cette fin, ils s'engagent notamment à « prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des femmes » (48(*)) L'article 15 alinéa 2 renchérit : « les Etats parties reconnaissent à la femme, en matière civile, une capacité juridique identique à celle de l'homme et les mêmes possibilités pour exercer cette capacité. Ils lui reconnaissent en particulier des droits égaux en ce qui concerne la conclusion de contrats (...) » Ces mesures sont nécessaires pour assurer le plein développement et le progrès des femmes, en vue de leur garantir l'exercice et la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur la base de l'égalité avec les hommes. Ainsi, la RDC ayant ratifié cette convention ne pouvait pas se soustraire à ses obligations internationales. Tel est d'ailleurs le contenu substantiel des 4ème et 5ème rapports combinés de la RDC à la 36ème Session du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard de la femme, rapports élaborés par le Ministère de la Condition Féminine et Famille. En effet, selon ces rapports, en matière du travail, la loi du 16 octobre 2002 portant code du travail est une réponse aux nombreuses réclamations formulées en vue du renforcement des mesures anti-discriminatoires à l'égard des femmes travailleuses par l'élimination des inégalités tant décriées. Cette loi se veut ainsi plus favorable à la femme et est venue abroger ou modifier certaines dispositions de l'ancien code du travail supposées discriminatoires, ce en vue de rendre la législation congolaise conforme à la CEDEF. C'est ici le lieu de nous demander si, concernant la capacité de contracter, l'interprétation faite par le législateur de 2002 est tombée bien à propos. 2. Interprétation tronquée de l'article 3c de l'Ord-loi du 9 août 1967 La Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale ayant occupé ce portefeuille au premier trimestre 2003 a, à l'occasion de la Journée Internationale de la femme en cette année, accordé une interview au Journal l'Avenir (49(*)), entretien au cours duquel elle a affirmé que « le nouveau code du travail a supprimé l'incapacité juridique de la femme congolaise » Et pourtant, sa collègue de la Condition Féminine et Famille reconnaît qu'il ne s'est agi que d'une suppression de l'opposition expresse du mari à l'engagement d'une femme mariée (50(*)) L'affirmation de la Ministre du Travail ne fut pas la première du genre. Quelques articles parus dans certaines éditions du Journal Le Potentiel au cours du même trimestre en sont un exemple éloquent. En effet, pour Madame Adèle LUKOKI, « (...) les femmes congolaises ont réussi à arracher du Chef de l'Etat, l'abrogation de l'article du code du travail concernant l'autorisation maritale qui, jusque-là, était exigée à la femme avant tout recrutement dans une entreprise » (51(*)). Abondant dans le même sens, l'auteur de l'article « Le Ministère du travail élabore d'autres projets du code de travail » met un accent particulier sur quelques innovations apportées par le législateur de 2002, en l'occurrence « la suppression des clauses discriminatoires à l'endroit des femmes notamment l'incapacité juridique de la femme mariée à contracter librement sans autorisation de son mari » (52(*)). De tels articles ne pouvaient que provoquer la sensibilité de certains analystes, même s'il y en a eu qui, voulant faire des leçons à ceux qui vantaient tant les innovations mitigées du code du travail de 2002, ont fini par rejoindre d'une manière ou d'une autre leurs détracteurs sans qu'ils ne s'en rendent compte. Il en est ainsi de M.H. TSHIMANGA qui, voulant rétorquer aux propos des auteurs des articles sus évoqués, a exposé les raisons qui, selon lui, militent en faveur de l'autorisation maritale (53(*)). Là encore apparaît l'expression « autorisation maritale » Tout compte fait, nous pouvons conclure qu'il y eut une difficulté d'herméneutique législative. Pourtant, l'Ordonnance-loi du 9 août 1967 n'exigeait pas de la femme mariée la production préalable d'une autorisation maritale pour travailler. La femme mariée était en effet libre d'engager ses services sauf opposition expresse de son mari, opposition qui, avons-nous déjà eu à le relever, pouvait d'ailleurs être levée par le tribunal lorsque les circonstances et l'équité le justifient. C'est donc à tort que certains employeurs exigeaient des candidates mariées l'autorisation maritale avant l'embauche, pratique déjà jugée par LUWENYEMA LULE de « contraire à la loi » (54(*)). Dès lors, il sied de se demander si le nouveau code du travail a apporté des innovations comme d'aucuns l'affirment ou le législateur ne s'est contenté que d'une marche à reculons. * 48 Art. 2 litera f de la CEDEF * 49 Propos recueillis par MAVAMBU, M.J., in http//digitalcongo.net, 8 mars 2003 * 50 MINISTERE DE LA CONDITION FEMININE ET FAMILLE, Synthèse des 4ème et 5ème rapports combinés sur l'application de la CEDEF en RDC, Kinshasa, août 2006. * 51 LUKOKI, A., « La situation sociale des congolais est restée préoccupante en 2002 », in Le Potentiel n° 2716, 2 janvier 2003 * 52 W.T., « Le Ministère du Travail élabore d'autres projets du code de travail », in Le Potentiel, n° 2764, 4 mars 2003 * 53 TSHIMANGA, M.H., « A propos de l'autorisation maritale : de quoi s'agit-il ? », in Le Potentiel, n° 2766, 6 mars 2003 * 54 LUWENYEMA LULE, Op.cit., p. 119 |
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