La capacité de la femme mariée en matière du travail en droit français et en droit congolais( Télécharger le fichier original )par Yves-Junior MANZANZA LUMINGU Université de Kinshasa - Licence en Droit 2006 |
§2. L'Ord-Loi n° 67/310 du 09 août 1967Texte promulgué sous la vague révolutionnaire de la Deuxième République, cette ordonnance-loi a rompu avec le passé en faisant progresser les débats sur la capacité professionnelle de la femme mariée. La prise de position du législateur de 1967 révélait l'institution d'un régime de liberté professionnelle, mais sous réserve de l'opposition expresse du mari. A. Rupture avec le passéLa révolution de 1965 et la Deuxième République qui en était l'émanation n'avaient pas apporté que de mauvaises choses. Pour preuve, en matière de travail, contrairement aux textes antérieurs qui faisaient application des principes de droit commun sur la capacité juridique de la femme mariée, celui du 09 août 1967 a marqué un grand tournant. En effet, il a permis à la femme mariée de recouvrer sa liberté quant aux engagements professionnels qu'elle pouvait conclure. Il y a eu de ce fait une dérogation au droit commun contenu dans le code civil livre 1er (45(*)) parce que le législateur de ce texte portant code de travail avait expressément pris une disposition spéciale. Certes, aux termes de l'article 3 alinéa c du texte sous examen : « (...) la femme mariée peut valablement engager ses services, sauf opposition expresse du mari », laquelle opposition peut d'ailleurs être levée par le tribunal lorsque les circonstances et l'équité le justifient. Cette attitude du législateur de 1967 prouve à suffisance sa détermination à vouloir rompre avec le passé où la femme mariée était cloisonnée dans un carcan juridique lui exigeant l'autorisation maritale préalable pour chaque acte juridique. Quelle serait alors la portée exacte de ce fameux article 3c ? B. La portée exacte de l'Ord-loi n° 67/310 du 09 août 1967 sur la capacité professionnelle de la femme mariéeDans l'esprit du législateur de 1967, la femme mariée était libre d'exercer une profession de son choix. Toutefois, si cette activité est de nature à porter un préjudice sérieux aux intérêts du ménage ou du conjoint, ce dernier pourrait s'y opposer. Ainsi donc contrairement au principe du droit civil en vertu duquel la capacité de la femme mariée trouve certaines limitations, le droit du travail lui reconnaît la pleine capacité professionnelle. Il s'ensuit que la femme mariée peut valablement conclure un contrat de travail sans l'autorisation de son mari ; celui-ci pouvant toutefois s'opposer à ce que sa femme exerce une telle profession si cette opposition est fondée sur l'intérêt de la famille. Cette opposition est en fait à formuler auprès de l'employeur de la femme. Notons par ailleurs que cette espèce de veto reconnu au mari n'est pas absolu et ne doit pas s'ériger en obstacle à tout moment. Le législateur a pris le soin de prévoir les garde-fous pour éviter les dérives et abus des pouvoirs. C'est pour ces raisons que la femme dispose du recours judiciaire contre l'opposition maritale. Le tribunal peut ainsi lever cette opposition à condition d'établir qu'elle n'est pas justifiée ni fondée et que le mari a obéi à des motifs illégitimes. Mais il serait utopique de croire qu'un texte, si ambitieux soit-il, suffit à lui seul à opérer un revirement radical des mentalités et des pratiques. Encore faut-il qu'il soit accompagné des actions positives concrètes. Par conséquent, nous remarquons avec LUWENYEMA LULE que « dans la pratique, il y a là pour la femme une liberté qui ne s'exerce vraiment qu'avec le consentement tacite du mari, car si celui-ci refuse, le ménage peut sérieusement en pâtir. L'entêtement de la femme face à l'opposition du mari entraîne souvent la dislocation du foyer » (46(*)). Le professeur MUKADI BONYI abonde dans le même sens quand il soutient que « le droit reconnu à la femme de s'adresser au tribunal pour obtenir la levée de l'opposition ne constituait qu'une illusion. En pratique, le recours au tribunal ne se concevait que pour les ménages qui ne s'entendaient pas. D'une manière générale, dès que le mari usait de son droit d'opposition, la femme se voyait obligée de se soumettre à la volonté de son mari » (47(*)). De tout ce qui précède, concluons que le recours à l'autorisation judiciaire contre l'opposition maritale ne peut avoir que des conséquences fâcheuses pour l'harmonie du ménage. Néanmoins, l'analyse faite des dispositions de ce code ne nous présente aucun inconvénient majeur qui pourrait justifier l'abrogation audacieuse de l'alinéa c de son article 3. C'est la contrepartie de l'instabilité institutionnelle qui a longtemps caractérisé l'histoire politique de la RDC et a contribué à faire évoluer la législation congolaise selon les humeurs de la classe politique au pouvoir. Le spectre de la « tabula rasa » n'a cessé de hanter les dirigeants congolais qui reconnaissent rarement les efforts et les mérites de leurs prédécesseurs, foulant ainsi aux pieds tout ce que l'on pourrait considérer comme des acquis. * 45 Nous sommes en 1967 et le Code civil Livre 1er est encore en vigueur. Il est remplacé actuellement par le Code de la Famille qui a repris ses dispositions relatives à la capacité de la femme mariée. * 46 LUWENYEMA LULE, Op.cit., p. 119 * 47 MUKADI BONYI, « Le nouveau Code du travail n'a pas supprimé l'autorisation maritale », in Le Potentiel n° 2783 du 26 mars 2003. |
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