Alors qu'elles étaient jadis
rémunérées exclusivement par les investisseurs, les
agences de notations tirent aujourd'hui près de la moitié de
leurs revenus des produits complexes, dits structurés.
D'où l'existence d'un conflit d'intérêts
potentiel pour les agences qui participent souvent à
l'élaboration du produit, et sont rémunérées par
son émetteur. Mais, elles doivent néanmoins lui attribuer une
note objective. Note qui, en outre, servira d'argumentaire pour attirer les
investisseurs. «C'est comme si un studio de cinéma payait un
journaliste pour faire la critique de son film et en utilisait ensuite des
extraits
dans ses publicités», a estimé en septembre
2007, le sénateur républicain Jim Bunning lors de l'audition des
trois principales agences devant le Sénat
américain18.
En outre, il n'est pas rare que des investisseurs
évaluent le risque d'un instrument dans lequel ils souhaitent investir
en se fondant essentiellement sur sa notation. En effet, celle-ci traduit, sous
la forme d'un symbole alphanumérique simple, la qualité de
crédit d'un titre, permettant ainsi une comparaison facile et rapide
entre titres de différents émetteurs de pays ou secteurs
variés. Les tranches senior et mezzanine de CDO
bénéficiant, par construction, de notations de la
catégorie investissement (typiquement AAA et A).
Ainsi, il peut sembler attractif d'investir dans de telles
tranches, en apparence peu risquées, d'autant que celles-ci peuvent
offrir un surcroît de rémunération substantiel par rapport
aux obligations corporatives de même notation. Cependant, s'agissant des
CDO, leur nature structurée limite la portée de leur notation,
celle-ci ne reflétant que certains aspects de leur risque de
crédit. Si la notation indique le niveau de risque moyen d'un titre,
elle n'intègre pas la dispersion du risque autour de sa moyenne.
Pourtant, l'allocation séquentielle des pertes aux
tranches de CDO a pour effet de concentrer l'espérance de pertes dans
les tranches subordonnées. Ces dernières présentent de ce
fait un profil de risque très différent, à notation
comparable, de celui d'obligations corporatives. Pour ces tranches, la
probabilité d'événements extrêmes, tels que la perte
par l'investisseur de toute sa mise, est très faible.
En revanche, pour une tranche mezzanine de CDO, il suffit
d'une proportion assez faible de pertes sur le portefeuille sous-jacent (de 6 %
à 10 % environ) pour que l'investisseur perde sa mise. Ceci vaut aussi
-- à un degré moindre -- pour les tranches senior AAA de CDO
synthétiques car, malgré leur appellation, celles-ci sont souvent
subordonnées à une tranche « super-senior ». Ainsi,
tout investisseur qui se
18
Le Devoir du lundi 01 octobre 2007
porterait sur des CDO en se focalisant sur leur surcroît
de rendement, tout en se contentant de leur notation pour en évaluer le
risque, s'exposerait à des déconvenues19.
En outre, les notations de CDO se sont jusqu'à
présent révélées, à l'instar des notations
de signatures corporatives, beaucoup plus volatiles que celles des produits de
titrisation traditionnels (cf. tableau ci-dessous résultant des travaux
de Cantor et Hu - 2003).
Tableau 4 : Proportions annuelles moyennes de notes
dégradées, rehaussées et
inchangées par
catégories de titres
Source : Cantor et Hu (2003)
Elles sont en outre exposées à des
dégradations plus fréquentes et d'une plus grande
sévérité, non seulement par rapport aux produits de
titrisation traditionnels, mais aussi par rapport aux titres corporatifs. Si
l'historique disponible en la matière est encore trop court pour porter
un jugement définitif, ce phénomène témoigne
néanmoins de la difficulté de la tâche des agences de
notation, compte tenu des multiples éléments influençant
la notation des CDO.
L'interprétation du profil d'évolution des
notations de CDO requiert la prise en compte d'éléments
structurels et de facteurs conjoncturels. Au rang des facteurs structurels
figure essentiellement la concentration du marché des CDS autour de
quelque 500 à 1 000 signatures liquides. Cela, obligent les arrangeurs
de CDO synthétiques à puiser continuellement dans le même
vivier. Ainsi, certaines signatures
19 Banque de France -- Revue de la stabilité
financière -- Juin 2005
se retrouvent dans des dizaines de CDO, leur défaut (ou
la dégradation de leur note) pouvant dès lors avoir une incidence
démultipliée.
Au plan conjoncturel, les CDO conçus à la fin
des années quatre-vingt-dix et au début de la décennie
actuelle comportaient souvent des défauts de conception, notamment en
termes de diversification. Ce qui a d'ailleurs conduit les agences de notation
à durcir quelque peu leurs exigences. Au total, la conjonction de ces
deux types de facteurs explique l'épisode de l'année 2002, «
annus horribilis » des CDO, au cours de laquelle le quart des montages
européens ont vu leur note dégradée, 90 % des tranches
dégradées étant synthétiques et 60 %
présentant un adossement à un portefeuille insuffisamment
diversifié (moins de 100 signatures).
Dans l'analyse des causes de la crise des prêts
hypothécaires, Les observateurs ont souligné plusieurs lacunes du
processus de notation. Il s'agit, en effet, de la faiblesse des modèles
et des hypothèses relatives aux corrélations, de la mauvaise
estimation de la solvabilité des émetteurs et des garants, du
départ de personnels chevronnés des agences de notation et
embauchés par les banques d'affaires pour déceler les failles de
la modélisation, des conflits d'intérêts (contacts
fréquents entre banques d'investissement et agences de notation,
regroupement de services par les agences de notation), etc. Les acheteurs en
bout de chaîne se sont retrouvés incapables d'évaluer les
CDO et les CLO (collateralised loan obligations) et se sont
fiés aux agences de notation, mais sans obtenir de valorisation
exacte20
.
Par ailleurs, les événements récents
comportent de nombreux ingrédients d'une crise de liquidité
classique. Le repli du marché de l'immobilier a été
à l'origine du premier choc de liquidité agrégé. Il
importe donc de comprendre un plus cette notion qu'est la liquidité.
20 Jean Tirole « Déficits de
liquidité : fondements théoriques », revue de la
stabilité financière, février 2008