Paragraphe I : Première hypothèse : Le
tribunal arbitral est saisi
En droit Tunisien, la solution pour l'arbitrage interne
résulte de l'article 19(A).(35(*)) L'article 52 du code
de l'arbitrage admet largement l'incompétence des tribunaux
étatiques lorsque le litige est pendant devant le tribunal arbitral.
Plus précisément, ces dispositions comportent une règle
équivalente à celle de l'article 19 alinéa1, qui sont un
texte du droit international de l'arbitrage (B)(36(*)) .
A) Droit interne :
l'article 19 alinéa 1 du code de l'arbitrage
L'article 19 alinéa 1 dispose que
« lorsqu'un litige pendant devant un tribunal arbitral, en vertu
d'une convention d'arbitrage, est porté devant une juridiction, celle-ci
doit ,.., se déclarer incompétente ».
L'interprétation de cet alinéa ne pose guère de
difficultés. Si c'est le fond du litige qui est porté devant le
tribunal étatique le principe du dessaisissement s'applique purement et
simplement. L'exception tirée de l'existence de la convention
d'arbitrage constitue une exception de procédure qui produit dans cette
hypothèse un effet absolu. Elle oblige le tribunal étatique
à constater son incompétence. La cour de cassation tunisienne
s'est également penchée sur la question, dans l'arrêt
Bouslama c/ Karkach. La cour suprême a cassé l'arrêt d'appel
qui avait fait abstraction d'une clause insérée dans un contrat
et s'était déclarée par conséquent
compétente pour trancher le litige. Cet arrêt fait une exacte
application de l'article 19 du code qui impose le dessaisissement des
juridictions de droit commun en présence d'une convention
d'arbitrage(37(*)).
Cependant des difficultés d'interprétation
peuvent surgir :
Il est certain, tout d'abord, au juge étatique de
s'abstenir d'apprécier la validité de la convention d'arbitrage.
Il appartient alors à la partie la plus diligente de saisir le tribunal
arbitral, et éventuellement à son adversaire de provoquer devant
les arbitres l'examen de la compétence du tribunal arbitral. Cependant
doit-on au moins admettre que le juge étatique vérifie
préalablement l'existence de la convention d'arbitrage? Le texte
énonce que le tribunal arbitral doit avoir été saisi en
vertu d'une convention d'arbitrage pour que le tribunal étatique se
déclare incompétent. Ce qui peut impliquer l'obligation pour ce
dernier de constater l'existence de celle ci. En particulier, le juge
étatique est-il habilité à vérifier la
réalité du consentement des parties à l'arbitrage ?
Doit-il au contraire se satisfaire de l'existence purement formelle de la
convention d'arbitrage et laisser aux arbitres le soin d'apprécier la
réalité du consentement des parties à celle-ci ? Le
contrôle du juge étatique dans cette dernière
hypothèse, ne porterait que sur «l'apparence » de la
convention d'arbitrage. En ce sens, il suffirait conformément à
l'article 6 du code de l'arbitrage(38(*)) que la convention l'arbitrage soit
stipulée dans un écrit pour que le tribunal étatique se
déclare incompétent.
M. Emmanuel Blanc(39(*)) n'a jamais mis en doute qu'une convention
d'arbitrage retirait à la juridiction normalement compétente la
connaissance du litige et l'obligeait à dessaisir. La cour de cassation
française s'est ralliée à cette solution dans un
arrêt du 13 février 2002. La cour admet que «la clause
d'arbitrage entraînait d'office l'incompétence du juge vu
l'article 1458 N.C.P.C »(40(*)) .
Dans cet ordre d'idées, deux décisions rendues
le même jour par la première et la deuxième chambres de la
cour de cassation. Suivant l'une (41(*)) «l'article 1458 N.C.P.C. ne doit
recevoir application que dans le cas où une juridiction étatique
est saisie du fond du litige, malgré l'existence d'une convention
d'arbitrage »; il s'ensuit que seule la saisine, du tribunal arbitral
fait obstacle à la compétence du juge
étatique(42(*)).
Curieusement, le nouveau code de procédure civile
libanais ne comporte aucun texte similaire à l'article 19 alinéa
1 du code de l'arbitrage Tunisien. De plus, bien que s'inspirant largement de
la législation française de 1980, le législateur libanais
de 1983 a omis d'insérer un texte semblable à l'article 1458
N.C.P.C. Cette lacune soulève maintes interrogations. En l'absence d'un
texte exprès, les juridictions étatiques doivent-elles se
déclarer incompétentes en présence d'une convention
d'arbitrage ? En réalité, la réponse à cette
question ne semble guère faire de doute. L'incompétence des
juridictions étatiques découle en effet de l'esprit même de
la législation libanaise en la matière, des principes
généraux relatifs à la liberté contractuelle ainsi
que de la force obligatoire des contrats. D'ailleurs même en l'absence
d'un texte identique à l'article1458 N.C.P.C et 19 C.A
« plusieurs arguments tirés des dispositions du nouveau code
de procédure civile libanais relatives à l'arbitrage militent
dans ce sens » (43(*)).
Une question fort délicate a suscité la
jurisprudence et la doctrine tunisienne à savoir : Est-ce que la
saisine du tribunal arbitral d'un litige demeure valable lorsque le même
litige est pendant devant une juridiction étatique ?
A juste titre également, dans son arrêt Mokthar
c/ Mokdad, la cour d'appel de Tunis le 18 juillet 1994 a
considéré que la saisine du tribunal arbitral pour un litige
pendant devant la cour d'appel demeure non valable. Cependant l'annotateur
(44(*))
estime que la position de la cour est injustifiée vu que le
législateur Tunisien, dans l'article 4 du code de l'arbitrage, a
autorisé de conclure un compromis d'arbitrage même au cours d'une
affaire pendant devant une juridiction étatique. Aussi, il n'a
réglementé «la saisine du tribunal arbitral » que
dans le côté de la preuve et des effets, dans l'article 11C.A.. Le
commentateur a, d'ailleurs, ajouté que la position de la cour ne peut
pas être justifiée même en application de l'exception de
litispendance inapplicable à la relation liant l'arbitrage,
procédé privé, et la juridiction étatique.
Quoi qu'il en soit, l'insertion d'une convention d'arbitrage
entraîne nécessairement le dessaisissement des juridictions
étatiques de leur compétence si un tribunal arbitral a
été saisi du litige. La question qui peut surgir en vue de
l'application de ces dispositions est de déterminer à quel moment
le tribunal arbitral peut être considéré comme saisi ?
Ou plus précisément à quel moment le litige est
considéré comme «pendant» devant un tribunal
arbitral ? Pour répondre en application, par analogie, des
dispositions de l'article 11 et 24 du code (45(*)) l'acceptation de sa
mission par le tribunal arbitral est nécessaire pour que l'article 19
al.1 soit mis en oeuvre. On peut même se demander si cette acceptation
est vraiment suffisante pour qu'on considère qu'un tribunal arbitral est
effectivement saisi du litige ? Un arrêt de la cour d'appel de Tunis
a jugé que le tribunal arbitral ne pouvait être
considéré comme saisi qu'au jour de l'acceptation par les
arbitres de leur mission, cette acceptation étant accompli au moment de
la signature de l'acte de mission aussi elle peut se réaliser de
différentes manières. Elle est importante dans la mesure
où elle détermine le point de départ du délai
d'arbitrage(46(*)).
Cette solution est critiquable. En effet selon M. Antonias
Dimolitsa (47(*)) l'acceptation par les arbitres de leur
mission est matérialisée dans le cadre d'un arbitrage CCI, le
jour où les arbitres soumettent au secrétariat le formulaire de
la déclaration d'acception et d'indépendance signé par
eux, qui est évidemment bien antérieur non seulement à
l'acte de mission mais aussi à leur saisine effective. Il est pourtant
fort douteux que cette déclaration d'acceptation par les membres du
tribunal arbitral soit vraiment suffisante, puisque le tribunal est en fait
constitué à la suite seulement de celle-ci et qu'il n'est pas
exclu que la remise du dossier de l'affaire au tribunal arbitral ait lieu bien
après sa constitution ou même n'ait jamais lieu pour la simple
raison, que la provision réclamée à ce stade de la
procédure, n'a pas été versée (article 13 de
règlement CCI 1998 ). C'est plutôt la remise du dossier entant que
telle aux arbitres, ou moins dans un arbitrage CCI, qui devrait être
considérée comme le moment de leur saisine, aux fin d'application
de l'article 1458 N.C.P.C.
Un auteur avait considéré curieusement que
l'expression «saisine du tribunal arbitral » est
équivalente à sa constitution, ce qui pourrait retarder
démesurément l'octroi de la provision. La constitution du
tribunal peut , en effet, n'être en rien concomitante à la
saisine ; en outre, cette dernière reste très en
deçà de la liaison d'instance (48(*)).
Si en droit interne, il est admis dans tous les pays qu'une
convention arbitrale valable a pour effet de rendre incompétents les
tribunaux ordinaires. Ce principe subiste-t-il lorsque l'arbitrage convenu
n'est pas national mais «étranger » ou
«international » ?
* 35 En droit
Français la solution résulte de l'article 1458 N.C.P.C
« lorsque un litige dont un tribunal arbitral est saisi en vertu
d'une convention d'arbitrage est portée devant une juridiction de
l'État , celle-ci doit se déclarer
incompétente ».
* 36 Quant au droit
Français, la cour de Cassation , dans l'arrêt Eurodif c/
République Islamique d'Iran , le 28 juin 1989, Rev. arb 1989, p.653,
note PH. FOUCHARD, a eu l'occasion d'affirmer que les dispositions de
l'art.1458 N.C.P.C relatif à l'arbitrage interne était applicable
aux arbitrages internationaux.
* 37 V. arrêt
cité, supra note n° 29
* 38 V. L'article 1443
N.C.P.C relatif à la clause compromissoire.
L'article 1449 N.C.P.C relatif au compromis.
* 39 BLANC EMMANUEL,
« Nouveau code de Procédure civile commenté dans
l'ordre des articles » , avec le concours de
Viatte (J.) : Librairie du journal des notaires et des avocats, p. 788
* 40 C. Cass. Fr., 13
février 2002, cassation d'un arrêt rendu le 3 novembre 1999 par la
cour d'appel de Paris.
* 41 C. Cass.
1re civ., 20 mars 1989, Bull. I, n° 139, p.92
C. Cass. 2e civ., 20 mars 1989, Bull. II,
n° 84, p.40, note Guinchard et T. Moussa
* 42 Civ. 1er,
13 février 1990, D. Bull. I,p.593, note G. Peyrad.
* 43 SFEIR - SLIM (M.),
« Le nouveau droit libanais de l'arbitrage a dix
ans », Rev . arb. 1993, p. 554.
* 44 C. Appel de Tunis,
n° 15465, le 18 juillet 1994, RTD 1994, p. 317, note Gara Nourddine.
* 45 Le texte a
été rappellé par une jurisprudence constante, C. Cass.
1er civ., n°55988, Société Get c/ sté.
Hedia, 14 mai 1998, RJL mai 1999, p.147; C.Cass.5éme ch.,
Société Albania c/ Sogit , le 9 juin 1999 (inédit).
* 46 C.A.Tunis n°20, 5
mars 1997 (inédit).
* 47DIMOLITSA
ANTONIAS,« Autonomie et Kompetenz - Kompetenz »,
Rev. arb. 1989, p.305.
* 48NAJJAR IBRAHIM,
« Référé - provision et clause
d'arbitrage », note sous cass. com., 29juin1999, Recueil Dalloz
1999 n°41, p. 650.
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