II.2.5. La démarche interculturelle d'Amor
Séoud
Axée sur l'analyse et l'exploitation du texte
littéraire en particulier et du discours en général, la
démarche interculturelle est une réflexion que
Séoud (1997) présente dans son ouvrage intitulé Pour
une didactique du texte littéraire et qu'il partage avec plusieurs
didacticiens parmi lesquels Collès (1992) et Charaudeau (1987). Cette
démarche qu'il nomme par ailleurs pédagogie
interculturelle s'inscrit dans l'optique d'une
méthodologie éclectique dont la nécessité se
justifie par le fait que (1997:137)
le plaisir n'est pas le seul enjeu de la
reconnaissance-découverte de soi en lecture : la conscience d'une
identité aussi. C'est pourquoi il importe d'inscrire dans notre
perspective didactique, aussi bien en F.L.E. qu'en FLM, un passage par ce qui
s'appelle aujourd'hui l'interculturel. Mais on se doute bien que, en
réalité, il s'agira là rien moins que d'un passage
obligé.
La démarche interculturelle
est ainsi un passage obligé pour la didactique du texte
littéraire ou du discours à cause de la dimension
anthropologique des textes. Cette dernière constitue une voie
d'accès privilégié aux modèles culturels.
Une telle démarche concerne à la fois le fond et la forme
des textes et évoque la fonction sociale de la
littérature, fonction qui figure sa dimension
représentative des références culturelles d'une
communauté et partant son important rôle intégratif et
identitaire. Par ailleurs, Séoud pense que la complexité
des problèmes identitaires au lieu d'entamer l'intérêt
didactique qui leur est porté aujourd'hui, permet plutôt
d'établir un lien étroit entre l'école et la vie, un lien
qui se joue dans la réalité. C'est pour cette raison qu'
il faut avoir déjà conscience que
l'interculturel est un passage obligé parce qu'aussi, à y
regarder de plus près, tout rapport avec le texte est dans son essence
interculturel, en F.L.E. mais également en F.L.M, compte tenu
évidemment de la « pluralité » culturelle, de
la multiplicité des croisements culturels, caractéristiques de la
civilisation d'aujourd'hui et même, par-delà cette
pluralité et cette multiplicité (Séoud,
1997 :137).
D'aucuns pourraient ainsi croire que la
démarche interculturelle relève essentiellement de
l'actualité au regard des exigences vitales que crée en nous la
mondialisation et ses contingences. Que non ! Elle est une
nécessité millénaire, car le rapport de l'homme au texte
existe et a existé depuis l'aube des temps, dès que l'homme a
commencé à communiquer avec ses semblables. Dans ce sens
et parce qu'elle aide à cerner l'altérité,
c'est-à-dire les manières par lesquelles les interlocuteurs
expriment leurs pensées, leurs émotions, bref leur vision du
monde, l'analyse textuelle
est par définition interculturelle, puisque
même si l'on reste dans une culture de départ, elle nous invite
à rendre visible une mémoire et une identité, enfouies
sous l'éphémère identité du présent
(Bertrand , 1993 :53) .
La démarche interculturelle fait de l'Autre un
miroir pour soi et de soi un miroir pour l'Autre. En effet,
grâce à sa position d'extériorité
(Bakhtine, 1984) que Todorov (1989) traduit par
exotopie, seul l'Autre peut nous voir dans notre
totalité, seul l'Autre peut nous permettre de nous voir dans notre
totalité. De la même façon, c'est cette position qui
permet de voir l'Autre dans sa totalité. Ainsi, la culture
étrangère a besoin de la culture maternelle pour
s'élucider et vice-versa. Et Bakhtine (1984 : 140) de
préciser que
dans le domaine de la culture, l'exotopie est le moteur le
plus puissant de la compréhension. Une culture étrangère
ne se révèle dans sa complétude et dans sa profondeur
qu'au regard d'une autre culture (et elle ne se livre pas dans toute sa
plénitude car d'autres cultures viendront qui verront et comprendront
davantage encore). Un sens se révèle dans sa profondeur pour
avoir rencontré et s'être frotté à un autre sens,
à un sens étranger : entre les deux s'instaure comme un
dialogue qui a raison du caractère clos et univoque, inhérent au
sens et à la culture pris isolément.
Cette démarche théorique montre à
suffisance qu'une situation sociale de métissage culturel ou une
situation sociale multiculturelle entraîne automatiquement une
méthodologie interculturelle. Et Séoud conclut qu' «
ainsi la question, sociale, du multiculturel, entraîne la question,
pédagogique de l'interculturel» (1997 :149).
Cette méthodologie, au regard de la civilisation mondiale,
mondialisée ou transfrontalière qu `elle implique,
permet bien d'aborder les nouvelles écritures africaines quel que soit
leur degré de polyculturalité, de
multiculturalité, de métissage culturel ou de
pluralité culturelle.
Pratiquement, la pédagogie interculturelle de
Séoud a trois étapes :
- la comparaison à travers un
croisement de regards et une combinaison de possibles multipliés
à souhait,
- la distanciation ou
décentrement ou encore
décentration à travers une attitude objective
qui implique critique pour la découverte des valeurs de cultures autres,
- la compréhension empathique qui
permet de comprendre l'autre en se mettant au besoin à sa place.
Telles sont les grandes lignes de la pédagogie
interculturelle, démarche
rendue possible grâce à la confrontation,
à la comparaison avec d'autres sujets, d'autres cultures. Ainsi
l'éducation interculturelle est faite de va-et-vient entre l'autre et
soi, d'un « jeu alterné ou
cumulé d'identification ou de
distanciation », [...] , d'un jeu,
finalement,où le « je » est un autre, tout en
étant mieux que jamais soi-même
(Séoud,1997 :148).
Tout en étant définie pour enseigner la
littérature, la démarche interculturelle semble négliger
un tout petit peu le texte en lui-même, bien que Séoud parle d'une
pédagogie axée à la fois sur la forme et le fond du texte.
Comment confronter les faits sans accorder au préalable une place
à la lecture et à l'analyse formelle et profonde des
textes ? La focalisation sur la comparaison des données culturelles
qui sont pour la plupart du domaine du symbolique, avec croisements de regards,
ne peut se faire de manière objective que si elle prend appui sur les
faits de langue, ces derniers constituant sinon la voie royale, du moins un des
moyens primordiaux par lesquels la culture est véhiculée. La
découverte objective des propriétés culturelles ne saurait
d'emblée être le fruit de l'impressionnisme. De même, la
place et les aptitudes de l'enseignant ne sont pas clairement définies.
Autant de lacunes qui pourraient être corrigées par d'autres
démarches parmi lesquelles la méthodologie interculturelle de
Rittau.
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