II.2.3. La pédagogie interculturelle d'Abdelwaheb
Allouche
Introduisant le 30 octobre 1929 une série d'articles
sur la crise du français à Genève, Robert de Traz
(Bronckart, 1984 :6) constate, parlant du langage des enfants,
qu' « ils parlent un effroyable charabia, mêlé
d'argot genevois, d'argot parisien, de termes impropres, de termes
fabriqués par eux-mêmes ». Pour lui comme pour
Abdelwaheb Allouche (1984), les difficultés d'expression des enfants
couvent deux faits fondamentalement liés. D'une part, il s'agit du
malaise de l'enseignement du français qui doit prendre en compte une
trop grande diversité de finalités à la fois vagues et
parfois contradictoires parmi lesquelles l'acquisition de la grammaire
traditionnelle, le maintien et la reproduction d'une langue littéraire
stabilisée, le développement du raisonnement logique et
l'unification des parlers vers un seul système orthographique, et
d'autre part, le désarroi des locuteurs face à une langue
fermée sur les modèles édictés par la
société française.
Ainsi, tout en se demandant « Et si la grammaire
était inutile ? », De Traz (Bronckart, 1984 :
14) constate que « dans sa forme traditionnelle en effet,
la grammaire ne peut constituer un bon instrument au service de la
pensée, ni dans ses aspects cognitifs, ni dans ses aspects
culturels ». Et pour cause, elle animerait
« l'utopie de la langue française, une,
éternelle, idéale et donc soustraite aux lois du
changement » (Bronckart, 1984 : 9). C'est donc au
terme d'une étude menée sur les enfants d'immigrés
maghrébins à Paris et dans le but de définir une
démarche de conciliation prenant effectivement en compte les
différences culturelles des élèves étrangers qui ne
doivent plus être considérés comme des corps
étrangers souvent refoulés de la société
française que Abdelwaheb Allouche propose la pédagogie
interculturelle.
Pour poser « La problématique de
l'enseignement des langues et des cultures d'origine aux enfants
d'immigrés maghrébins : l'exemple de la banlieue
parisienne », Abdelwaheb Allouche part du constat selon lequel
pour que l'idéologie de l'égalité des
chances joue sans l'ombre d'un doute, l'école a fait comme si la
seule famille est le système scolaire et que le chronomètre s'est
mis à marcher lorsque l'enfant a porté son tablier ou a pris le
chemin de l'école. Les influences extrascolaires et l'identité
première - surtout la langue maternelle - sont mises au vestiaire car
elles sont considérées comme sources
d'interférence (1984 : 45) .
Conçue dans l'optique d'un processus qui
« essaie de prendre en considération les situations
linguistiques provoquées par la transplantation, et de valoriser les
cultures d'origine des enfants immigrés » (p. 43), la
pédagogie interculturelle remet en cause l'une des missions
fondamentales de l'école, la finalité constituée de ses
visées uniformisantes. Orientée vers « la
conciliation recherchée avec la socialisation première de
l'enfant par la réappropriation de la langue maternelle et la
valorisation identitaire» (p.46), cette
visée axe son action dans deux directions :
- l'apprentissage des langues d'origine dans le cadre d'un
cours intégré à l'enseignement habituel,
- une animation socioculturelle basée sur la
découverte ou la redécouverte des pays d'origine des
immigrés (Abdelwaheb Allouche, 1984 :44).
Telle que décrite, la pédagogie
interculturelle, parce que appliquée ou réservée
aux seuls immigrés portugais et arabes, valorise essentiellement les
langues d'origine ou maternelles qui jouent d'après l'expression de
Bouton (Abdelwaheb Allouche, 1984 : 49) le rôle de
« lieu géométrique »[...] de toute les
conduites verbales, [ permettant] de corriger les erreurs en rendant
transparentes les interférences ». A partir
de là, l'enfant peut facilement distinguer les codes à travers
une pédagogie de la différence et se corriger
immédiatement lorsqu'il y a confusion dans les codes ou des codes.
Par ailleurs, l'animation culturelle dans
l'optique de la pédagogie interculturelle n'est pas constituée
d'enseignements systématiques en salles de classe. De même, elle
n'est pas réservée essentiellement aux seuls enfants
d'immigrés. Et Abdelwaheb Allouche le précise d'ailleurs
clairement quand il indique que
contrairement à l'enseignement des langues
d'origine qui ne s'adresse qu'aux enfants des migrants, les activités
d'animation ont le mérite de valoriser les cultures différentes
aux yeux de tous les enfants. Elles consistent à leur offrir des
possibilités d'expression verbale et corporelle. Les classes
éclatent en ateliers de contes, théâtre, marionnettes. Il
ne s'agit pas d'apporter de nouvelles connaissances, mais de mieux se
connaître mutuellement par un travail de simulation
(1984 :49).
Au total, la pédagogie interculturelle d'Abdelwaheb
Allouche propose une piste de travail appréciable en ceci qu `elle
permet non seulement de rapprocher les communautés entre elles, mais
aussi et surtout en ce qu'elle crée le dialogue entre les populations
afin qu'elles s'acceptent les unes les autres. Mais il faut noter qu'elle est
réservée, peu connue et sa réussite reste encore
tributaire de la volonté des municipalités. D'où la
nécessité de prospecter en direction de la
sémio-didactique.
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