II.2.2. L'approche communicative
Conçue dans la lignée de l'évolution de
la didactique des langues, l'approche communicative a permis de
reconsidérer la définition des méthodologies,
méthodes et démarches dans le domaine afin de tenir compte de
l'environnement pluriel qui caractérise le monde actuel et de la culture
multiforme qui en découle. Ainsi, dans le cadre des révisions
épistémologiques, Puren (1988 : 17) écrit :
les méthodes constituent
des données relativement permanentes parce qu'elles se situent au niveau
des objectifs techniques inhérents à tout enseignement des LVE
[langues vivantes étrangères](faire accéder au sens, faire
saisir les régularités, faire répéter, faire
imiter, faire réutiliser...).
Les méthodologies en
revanche sont des formations historiques relativement différentes les
unes des autres, parce qu'elles se situent à un niveau supérieur
où sont pris en compte des éléments sujets
à des variations historiques
déterminantes tels que :
- les objectifs
généraux, parmi lesquels dans le cas de l'enseignement
scolaire, priorité peut être donnée à l'objectif
pratique, ou au contraire aux objectifs culturels et formatifs ;
- les contenus linguistiques et
culturels, où l'on peut par exemple privilégier la
langue parlée ou la langue écrite, la culture artistique ou la
culture au sens anthropologique... ;
- les théories de
référence, en particulier les descriptions linguistique
et culturelle, la psychologie de l'apprentissage, la pédagogie
générale,qui évoluent au cours de l'histoire ;
- et les situations d'enseignement :
les rythmes scolaires, le nombre d'années de cours, d'heures
d'enseignement par semaine, d'élèves par classe et
l'homogénéité de leur niveau, leur âge, leurs
besoins et leurs motivations, la formation des professeurs, etc, qui peuvent
varier considérablement d'une époque à l'autre.
Une approche profonde des éléments ci-dessus
cités montre d'une part l'importance de la maîtrise de la langue
en tant que structure ou ensemble de structures et d'autre part l'intervention
du culturel à tous les niveaux. Véhiculé dans les
apprentissages en terme d'objectifs culturels et perçu tant dans les
contenus à caractères artistique ou anthropologique que dans
les descriptions linguistiques, psychologiques et pédagogiques, le
culturel permet de relever et de cerner la dimension totale et efficiente du
langage humain.
Développée dès 1975,
l'approche communicative est une réaction contre le caractère
rigide et irréaliste de la méthodologie audiovisuelle. Trop
systématique, elle laissait peu de place à l'initiative de
l'apprenant dont le rôle était tout simplement d'acquérir
les notions qui lui étaient enseignées et par conséquent
de produire des énoncés justes et atomisés. De même,
les dialogues proposés aux apprenants étaient bien loin de la
réalité et de la communication normale, « le type
de situation présenté [étant] toujours le
même : 2 à 4 personnes qui parlent à leur tour sans
chevauchement, sans hésitation, sans reprise, sans bruits de fond, sans
ratés » (Porcher, 1981 : 25). Ce faisant,
le texte utilisé était réductif par le fait même
de l'absence du naturel qui caractérise les interactions
langagières entre les hommes, effaçant par la même occasion
leur contenu socioculturel.
* Les apports de l'approche communicative
La spécificité de l'approche communicative est
ainsi d'avoir recentré la didactique des langues sur la communication.
Dès lors, l'objectif de l'enseignement linguistique devient faire
acquérir la compétence de communication,
concept créé par Dell Hymes (1972). Cité par
Bérard (1991 :17), il
définit cette compétence comme étant l'ensemble
constitué de la connaissance des normes grammaticales
(compétence linguistique) et de la
maîtrise de leurs normes d'emploi (règles
d'usage), définition que certains didacticiens trouvent trop
réductionniste.
Pour Canale et Swain (1980), cette compétence a trois
composantes à savoir la compétence grammaticale (CL), la
compétence sociolinguistique (CS) et la compétence
stratégique (CST). La compétence sociolinguistique intègre
une composante socioculturelle conçue comme étant « la
connaissance des règles sociales dans un groupe donné »
et une composante discursive qui est « la maîtrise des
différentes formes de discours ». Enfin, la compétence
stratégique est entendue comme l'ensemble des stratégies de
communication qui permettent de combler les ratés des échanges
entre interlocuteurs en restaurant le naturel qui caractérise les
interactions langagières normales.
Sophie Moirand (1982 :20) quant à elle, identifie
quatre éléments qui constituent la compétence de
communication :
· une composante
linguistique...
· une composante
discursive, c'est-à-dire la connaissance et
l'appropriation des différents types de discours et de leur organisation
en fonction des paramètres de la situation de communication dans
laquelle ils sont produits et interprétés ;
· une composante
référentielle, c'est-à-dire la
connaissance des domaines d'expérience et des objets du monde et de leur
relation ;
· une composante
socioculturelle, c'est-à-dire la connaissance et
l'appropriation des règles sociales et des normes d'interaction entre
les individus et les institutions, la connaissance de l'histoire culturelle et
des relations entre les objets sociaux.
La définition de Moirand est plus complète.
Elle reconnaît par ailleurs que la compétence
stratégique ne se réalise qu'au moment de
l'actualisation des autres compétences à travers les
phénomènes de compensation qui relèvent de
« stratégies individuelles de
communication ».
Un autre apport de l'approche communicative est
constitué des actes de parole qui
relèvent des recherches d'Austin (1970) et Searle (1972) sur
l'approche pragmatique du langage,
approche qui considère le langage comme action, comme
moyen d'action sur l'autre. Pour Austin (1970), ces actes dont la
catégorisation part de la réflexion sur les verbes
performatifs (l'énonciation réalise l'action qu'ils
expriment : je te baptise, je te déclare, ...) par
opposition aux verbes constatifs, sont :
- les actes locutoires,
caractérisés par l'articulation et la combinaison de sons, et la
liaison syntaxique des mots ;
- les actes illocutoires, actes dont
l'énonciation constitue en elle même un acte qui transforme les
rapports entre les interlocuteurs ;
- les actes perlocutoires, actes dont
l'énonciation produit des effets plus ou moins lointains sur les
interlocuteurs (convaincre, rassurer, étonner, embarrasser, contrarier,
impressionner, ...).
Pour Searle, les actes de langage peuvent
être classés en cinq grands types :
- les représentatifs (assertion,
information, description d'un état de fait, ...) ;
- les directifs (ordre, requête,
question, permission, l'obligation de l'interlocuteur de réaliser une
action future, ...) ;
- les commissifs (promesse, offre, obligation
contractée par le locuteur...,) ;
- les expressifs (félicitations,
excuses, salutations : exprimer un état psychologique) ;
- les déclaratifs (déclaration,
condamnation, baptême,...pour leur effectivité).
Le dernier apport de l'approche communicative (Moirand, 1982)
est la prise en compte des sciences du langage,
c'est-à-dire de la sociolinguistique (Labov,
1976 ; Hymes, 1964 ; Berstein, 1975), de la sémantique
(Fillmore, 1975) et de la pragmatique (Austin,
1970 ; Searle, 1972) dans l'analyse du
discours à partir de documents authentiques et à des fins
d'hétérogénéité théorique des outils
descriptifs de référence.
* Les principes
méthodologiques
Partant de l'analyse des besoins
langagiers pour définir les contenus d'enseignement,
l'approche communicative retient les principes ci-dessous
cités :
- Enseigner la compétence de
communication ( compétence linguistique ou connaissance
minimale de la langue comme système et observation des marques
linguistiques (Charaudeau, 1980 :7) ; compétence
sociolinguistique ou maîtrise des règles sociales pour une
utilisation adéquate des énoncés en situation ;
compétence discursive ou maîtrise des différents types de
discours (récit, lettre, poème,...) ; compétence
référentielle ou connaissance d'éléments de
l'environnement et enfin compétence stratégique). Charaudeau
intègre la dernière dans la compétence discursive dont
le rôle est de combler les manques au niveau des autres
compétences.
- Travailler les composantes de la compétence
de communication de manière simultanée ;
- Travailler sur le discours pour
prendre en compte plusieurs niveaux d'analyse et plusieurs composantes de la
compétence de communication ;
- Privilégier le sens dans la mise en
relation du sens et de la syntaxe ;
- Enseigner la langue dans sa dimension
sociale à travers la prise en compte de toute la richesse
des variétés qui la constituent dans son fonctionnement effectif.
Voilà les principes qui, participant d'un mouvement de
centration de l'apprentissage sur l'apprenant et
procédant par une progression cumulative (acquisition
progressive des structures avec rajout de structures les unes sur les
autres), ou en spirale (avec des avancées et des
retours sur des structures déjà présentées),
définissent la démarche méthodologique de l'approche
communicative.
* La méthodologie
Elle est constituée d'étapes
suivantes :
- La compréhension (négociation);
- L'acquisition de la pratique de la langue par la
communication, la phonétique, la grammaire, le lexique ;
- L'expression guidée ;
- L'expression libre (évaluation /
négociation).
Les deuxième et troisième étapes de cette
méthodologie pourraient permettre d'apprécier la
compétence culturelle et interculturelle des interlocuteurs et des
apprenants. Pourtant, une telle démarche ne correspondrait pas de
manière systématique à l'enseignement de la langue
française en francophonie africaine. Et c'est la raison pour laquelle
Coste (1980 :244) relève qu'
en gros, le constat sera que dans ses
développements récents, la didactique s'est
révélée plus sensible à ce que pouvait lui apporter
l'étude des actes de parole qu'au parti à tirer de l'analyse du
discours.
De ce constat, il dégage la dichotomie qui montre
que
- l'approche communicative correspond à un public
de débutants, donne la priorité à l'oral et traite
l'aspect communicatif de la langue à travers les actes de
parole ;
- Pour un public d'apprenants avancés, le travail
sera surtout centré sur l'écrit, et on aura recours à
l'analyse de discours (Bérard, 1991 : 30).
Voilà les raisons fondamentales qui orientent les
recherches en didactique des langues (linguistique appliquée d'avant)
vers les problématiques interculturelles.
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