II.2. LA REVUE DE LA LITTERATURE
Elle consiste à faire le point des
travaux de recherche qui se sont intéressés au rapport qui
existerait entre la compétence interculturelle et l'efficacité de
l'action didactique. Et comme une étude associant exactement ces deux
paramètres n'a pas pu être trouvée, l'essentiel du travail
dans la revue de la littérature consistera à faire le point des
méthodologies, méthodes et approches didactiques décrivant
l'enseignement des langues pour voir dans quelle mesure elles se sont
intéressées à l'interculturel.
Qu'il s'agisse de méthodes ou de
méthodologies, il est question comme le dit Puren (1988 :13) de
traiter du « discours
méthodologique, c'est-à-dire tout ce
qui traite du comment on a enseigné / on enseigne /on
doit enseigner les langues vivantes étrangères (désormais
siglées LVE) ». En effet, pour lui
(1988 : 16) comme pour nous, la méthode est définie comme
étant un « ensemble de procédés et
de techniques de classe visant à susciter chez l'élève un
comportement ou une activité déterminés» ,
tandis qu'une méthodologie, précise-t-il (1988 : 17),
est
un ensemble cohérent de procédés,
techniques et méthodes qui s'est révélé capable,
sur une certaine période historique et chez des concepteurs
différents, de générer des cours relativement originaux
par rapport aux cours antérieurs et équivalents entre eux quant
aux pratiques d'enseignement /apprentissage induites.
Ainsi, la méthode fait partie de la
méthodologie. Et c'est dire, conclut Puren que
« parmi les méthodes, les
différentes méthodologies effectuent donc des
choix, définissent des hiérarchisations, organisent des
articulations dotées d'une certaine originalité et d'une certaine
cohérence » (1988 :17). Ces ensembles de
choix constitués de méthodes spécifiques vont être
examinés à la fois sur les plans diachronique et
synchronique.
II.2.1. Les premières méthodologies
d'enseignement des langues
Les premières méthodologies d'enseignement des
langues sont pour les plus anciennes la traditionnelle, la directe, l'active et
l'audiovisuelle, chacune d'elles étant par ailleurs constituée de
méthodes spécifiques.
a). La méthodologie traditionnelle
Les caractéristiques fondamentales de
la méthodologie traditionnelle sont l'apprentissage des
règles de grammaire de la langue étrangère,
l'utilisation de la langue maternelle des apprenants
et l'étude des faits de civilisation. A cet
effet, le rôle du maîtres est de dicter les règles que les
apprenants devraient répéter et réciter jusqu'à
mémorisation complète. Pour ce qui est de l'utilisation de la
langue maternelle des apprenants, elle permettait d'une part d'expliquer les
notions et faits difficiles exprimés en langue étrangère
et d'autre part de procéder à la traduction qui devait se faire
soit en terme de thème, soit en celui de version.
Le thème est la transposition en
langue étrangère d'un texte écrit ou dit en langue
maternelle, alors que la version était la traduction
d'un texte de la langue étrangère vers la langue maternelle.
L'étude des faits de civilisation quant à elle, permettait donc
de connaître l'ensemble des caractères propres aux
sociétés ou aux peuples dont la langue était
étudiée. A ce titre, il fallait aborder les faits de civilisation
en terme de réalités formant le substrat ou la répartition
de la population en catégories active et non active, les manifestations
de cette civilisation étant vécue à travers les
comportements des membres de la collectivité, les concepts instrumentaux
dont ils se servent, leur vision du monde, bref à travers leur culture.
Au total, la méthodologie traditionnelle
s'intéressait surtout à la culture étrangère faite
de connaissances ethnographiques pures et non vécues. Par
conséquent, la critique fondamentale qui lui a été
faite consistait dans le reproche de l'enseignement des langues
étrangères en langues maternelles, la traduction
régulière d'une langue à l'autre et les explications
également données en langue maternelle. A cet effet,
l'apprenant pouvait connaître et réciter beaucoup de notions de la
langue étrangère, mais parlait difficilement ou avec des
difficultés réelles la langue même. Ce sont ces
difficultés que les autres méthodologies dont la directe vont
essayer de corriger.
b). La méthodologie directe
L'innovation apportée par la méthodologie
directe va être le rejet de l'utilisation de la langue maternelle de
l'apprenant et partant l'adoption de l'enseignement de la langue
étrangère ou seconde en langue étrangère ou
seconde, sans interférence aucune de la langue maternelle.
Ainsi, la spécificité de la méthodologie
directe relève du fait qu'elle utilise la méthode
directe, la méthode orale
et la méthode active qui
en constituent le noyau fondamental. Plus simplement
et concrètement, ces méthodes (Puren ; 1988 :18)
ne proposent plus que des exercices entièrement en
langue étrangère, limitent la partie grammaticale à des
paradigmes proposés en fin de leçons comme résumés
de ce que l'élève est censé avoir lui-même induit
à partir des textes de base, lesquels sont eux-mêmes
fabriqués sur des contenus proches de la vie quotidienne des
élèves (en commençant par la salle de classe, la cour de
récréation, l'école, la maison paternelle, le
village...).
Au regard des postulats ci-dessus énoncés, les
méthodes qui constituent la méthodologie directe ont des points
communs que sont l'utilisation intensive de la langue
étrangère et la priorité à la
langue orale. Par ailleurs, précise Puren (1988 : 16),
l'expression de méthode
directe y désignera donc tous les
procédés et techniques destinés à éviter le
recours à l'intermédiaire de la langue maternelle des
élèves, celle de méthode orale, tous ceux visant
à faire pratiquer oralement la langue étrangère en
classe.
La méthodologie directe a ainsi la
spécificité de parler de la culture étrangère en
langue étrangère et essentiellement de manière
théorique. Enfin, même si la méthode active peut
être prise en compte dans la méthodologie directe, ceci parce
qu'elle implique l'activité et la participation de l'élève
aux enseignements, il faut reconnaître qu'elle devient prioritaire au
niveau de la méthodologie active.
c). La méthodologie active
La méthodologie active,
constituée de l'ensemble des méthodes actives, doit beaucoup aux
enseignements de Piaget. Caractérisée par la mise en application
des principes et enseignements de la pédagogie et de la psychologie
modernes, elle est axée, - pour la plupart des méthodes et
approches d'enseignement des langues qui s'inspirent d'elle parmi lesquelles
les méthodes directe, orale, active, interrogative, intuitive, imitative
et répétitive -, sur le montage des réflexes
verbaux, bases de l'activité et de la participation des
élèves lors des activités d'enseignement/ apprentissage et
plus tard dans les interactions langagières en
communauté.
Par conséquent, la
méthode active qui est au centre de la méthodologie
active prône l'adaptation de l'apprentissage à l'enfant, la
pédagogie différenciée selon les aptitudes et les
caractères, l'utilisation constante de la motivation et des
activités motivantes pour intéresser et faire travailler au plus
haut point les apprenants. Au cours de l'apprentissage, les phases suivantes au
centre desquelles se trouve axée l'activité de l'apprenant sont
plus ou moins suivies : l'observation, la réflexion,
l'expérimentation, la déduction des règles à
retenir et le réinvestissement de ces règles dans des exemples
qui concernent les centres d'intérêts des apprenants.
Au total, l'apprentissage se fait par la découverte et
l'exploitation du matériel présenté, et surtout par
l'usage d'exercices qui impliquent automatiquement l'activité des sens.
Mais on peut y constater que le culturel est négligé, parce que
les réflexes cultivés concernent prioritairement les segments de
phrases constitués d'unités syntaxiques ou morphosyntaxiques. Le
caractère essentiellement grammatical des données apprises
révèle une négligence des éléments culturels
que la méthodologie audio-visuelle pourrait corriger.
d). La méthodologie audio-visuelle
La méthodologie audio-visuelle tient
son nom des auxiliaires autour desquels elle réalisera
l'intégration didactique. Centrée sur l'acquisition d'une langue
pure, homogène et monolithique, c'est-à-dire en un seul bloc, et
ceci par l'éducation de la perception auditive et de l'expression
orale, elle s'appuie sur le matériel sonore et sur l'image pour sa
mise en oeuvre psychopédagogique. Ainsi, basée sur la
compréhension et la production de phrases correctes, elle a pour
héritage les méthodes directe, orale, active, interrogative,
intuitive, imitative et répétitive qu'elle prolonge avec les
apports de la linguistique structuraliste et du behaviorisme comme
théories de référence. Elle
s'opérationnalise en deux méthodes, à savoir la
méthode audio-orale et la méthode audio-visuelle.
d.1). La méthode audio-orale
Développée aux Etats - Unis
dès 1950 par Rivers (1964) qui s'inspire des travaux de
Brooks (1960) et de Politzer
(1961), et dès 1960 en France, la méthode audio-orale
dont les théories de référence sont le distributionnalisme
postbloomfieldien et le conditionnement skinnerien est une réaction par
rapport au flou linguistique des méthodes directes. Comme c'est le cas
pour ces dernières, elle donne, précisent Galisson et Coste
(1976 : 56), « la priorité à la langue orale,
mais elle privilégie la notion de
« modèle » à imiter, dans des
exercices dits « structuraux » ». Ces
dispositions méthodologiques répondent ainsi aux
exigences de la segmentation distributionnelle de la chaîne
parlée en unités définies par leurs positions et par
leurs fonctions et à celles de l'enseignement programmé
skinnerien.
En effet, pour Skinner cité par Gaonc'h
(1987 :21),
le rôle de l'enseignement est de ménager des
contingences de renforcement susceptibles d'accroître la
probabilité d'apparition de réponses adéquates, dans un
certain contexte situationnel, sous le contrôle de renforcements
environnementaux.
Parlant toujours de cette
méthode, Williams (1990 :40) précise que :
This method emphasizes aural-oral skills. Its original
name was in fact the Aural-Oral Method. As the name implies, listening and
speaking are the primary skills. The techniques of the method rely heavily on
the use of dialogue.
The following classroom procedure illustrates the
structural aspect of the method. Lexical units are isolated for practice in
carefully controlled structures. The learning material is introduced in
dialogue form, which is then used as a basis for structural drills. Mimicry and
memorization of structural items are typical features of the method. Skills are
practised in the order of listening, speaking, reading, and writing. The
control of items is intended to minimize errors. Correct responses are
immediately reinforced.
Au total, la méthode audio-orale
stipule que le langage étant un « comportement »,
l'apprentissage de la langue consistera à pratiquer la langue sous sa
forme orale. La méthode induite doit amener l'apprenant à
produire des comportements langagiers les plus proches possible de situations
réelles, d'où l'utilisation des dialogues. De même,
l'apprentissage de la langue étant un processus mécanique de
formation d'automatismes et bien sûr d'apprentissage à faire
quelque chose et non à connaître quelque chose,
l'élève doit être conduit à produire des
réponses exactes et des comportements suivant les modèles
à lui communiqués.
d.2.). La méthode
audio-visuelle
Initiée dès les années
1950 à partir des travaux des équipes de recherche de Zagreb et
de Saint-Cloud, la méthode audio-visuelle s'appuie, sur les
considérations et principes selon lesquels le choix et la
sélection des contenus d'enseignement d'une langue sont
déterminés par les impératifs de la communication. Et la
démarche méthodologique
présentée par Galisson et Coste (1976 : 59) est la
suivante :
- présentation graduelle des divers usages
sociolinguistiques, priorité - non primauté - étant
donnée à l'oral ;
- importance accordée :
* à la situation et au contexte dans lesquels
apparaissent les formes linguistiques ;
* au locuteur et aux relations qu'il entretient avec la
situation, l'interlocuteur et son propre message ;
- établissement d'une progression fondée sur
les caractères structuraux de la langue enseignée
[...] ;
- Au plan
pédagogique :
-Refus de la traduction interlinguale (passage par la
langue maternelle)
comme moyen d'accès au sens [...] ;
-Primauté donnée à l'éducation
de la perception auditive, à une mise en situation
génératrice de comportement verbal ; à la
transposition de plus en plus libre ;
-Accent mis sur une communication véritable (dans
la présentation des dialogues, textes et documents, aussi bien que dans
les exercices et activités de classe).
- Au plan
technique :
-Utilisation de l'image comme point de départ
possible de la compréhension, comme simulacre d'une certaine
réalité culturelle ;
-Utilisation de l'enregistrement sonore comme
modèle acoustique invariant et comme réalité linguistique
étrangère qui n'est pas seulement apportée par le
maître.
-Utilisation combinée de l'image et du son comme
instrument d'une représentation audio-visuelle qui simule un acte de
communication et permet d'en produire de nouveaux.
Au total, la démarche méthodologique dans les
méthodes audio-orale et audio-visuelle était la
suivante :
- présentation du dialogue
enregistré et/ou des images,
- explication du dialogue ou des images par
séquences,
- mémorisation,
- exploitation à partir des images ou des
exercices structuraux,
- transposition avec réinvestissement des
éléments linguistiques acquis dans les phases
précédentes.
Tels sont les grands axes de la didactique des langues des
années où par leur caractère systématique, les
méthodes garantissaient l'acquisition d'une langue française
pure, homogène, correcte et étrangère avec sa norme
exogène. Et si l'acquisition mécanique d'une langue
déconnectée de toute réalité culturelle ambiante
correspond bien aux premières heures de l'apprentissage d'une langue
étrangère dans un milieu donné, il faut dire
qu'aujourd'hui, elle correspond moins à l'Afrique francophone
subsaharienne où le français est sinon presque une langue
maternelle, du moins une langue seconde.
Face donc à l'instabilité du statut du
français et au développement des théories de
référence en didactique, face à une évolution des
pratiques impliquant la sélection, la gradation et la description
linguistiques avec l'avènement des théories de
l'énonciation, de l'analyse du discours et de la pragmatique, les
méthodologies ont évolué. Ainsi, avec les apports de la
sociolinguistique, de la psycholinguistique, de la psychologie de
l'apprentissage et de la pédagogie générale, les
nouvelles orientations au centre desquelles se trouvent placés
l'apprenant et son milieu sont constituées d'une part de l'approche
communicative et d'autre part des approches et démarches
centrées sur les problématiques prioritairement interculturelles.
|