La dimension esthétique de la voix du chanteur de charme dans la musique congolaise electro-acoustique moderne( Télécharger le fichier original )par Issa ISSANTU TEMBE Faculté des Lettres et Sciences Humaines/Unikin - Licence 2001 |
Section II. LE CHANTTout au long de cette recherche, surtout dans le deuxième chapitre, nous allons parler du chant, de l'orchestre et même de la chanson. D'après Bossuet, l'origine du chant remonte à l'enfance même du monde. Depuis toujours, l'être humain choisit le chant comme un autre moyen d'expression de ses intentions. Mais dans le cadre de ce travail, nous nous sommes investis de rechercher le caractère esthétique ou charmant du chant selon les congolais. Le « chanteur de charme » dans l'entendement des congolais, est cet artiste musicien dont les caractères esthétiques de la voix crée une communication esthétique entre le « chanteur de charme » et celui qui l'écoute. Ceci a été évoqué dans l'hypothèse. Hector Berlioz a à travers la citation suivante, tenté de saisir ce concept. Il dit : « un chanteur ou une cantatrice capable de chanter seize mesures seulement de bonne musique avec une voix naturelle, bien posée, sympathique, et de chanter sans efforts, sans écarteler la phrase, sans exagérer jusqu'à la charge des accents, sans platitude, sans afféterie, sans mièvreries, sans faute de français, sans liaisons dangereuses, sans hiatus, sans insolentes modifications du texte, sans transposition, sans hoquets, sans aboiements, sans chevrotement, sans intonations fausses, sans faire boiter le rythme, sans ridicules ornements, sans nauséabondes appoggiatures, de manière à ce que la période écrite par le compositeur devienne compréhensible, et reste tout simplement ce qu'il a faite, est un oiseau rare, très rare, excessivement rare. » (31(*)) H. Berlioz n'avait pas tort de nommer celui que nous appelons ici « chanteur de charme », « oiseau très rare ». Ses propos ont été renchéris par Manuel Garcia dans son « Traité complet de l'Art du chant » paru en 1947. Il argumente en ces termes : « il ne suffit pas de prendre à la hâte quelques notions de la musique, les artistes ne s'improvisent pas ..., l'éducation du chanteur se compose de l'étude du solfège, de celle d'un instrument et enfin, de celle du chant et de l'harmonie... » Ailleurs, l'auteur du « Freischütz », avec son autorité de grand chef et directeur de théâtre l'explicite ainsi: « la voix est un présent de la nature dont je ne tiens pas compte, parce que ses qualités excellentes ou moyennes parlent assez clairement en faveur de chacun et ne suffisent pas à elles seules à faire le chanteur, quelque merveilleuse qu'elle soit, de même qu'une belle prestance ne fait pas le bon danseur. »32(*). Comme nous pouvons le voir, « bien chanter » est un art difficile dont l'exercice suppose non seulement des dons naturels, mais encore une éducation rationnelle de l'oreille, de la voix et de la musicalité. Il est indispensable de prendre très au sérieux cette dernière et elle exige un long et patient effort. Le bon chanteur procure à l'auditeur une joie très pure en lui faisant également éprouver la sensation physique de la justesse, de joie durable (Félix Raugel). Pour ce faire, il doit tenir compte de l'observation exacte des valeurs rythmiques et des silences. Ce qui se résume en un mot, d'après F. Raugel: « chanter en mesure ». C'est, affirmait Mozart: « ce qu'il y a de plus difficile, la chose capitale dans la musique ». En résumé, « savoir chanter » c'est chanter juste, chanter en mesure, bien faire entendre le texte littéraire inspirateur de la chanson. « Savoir chanter » c'est savoir phraser, c'est-à-dire, ponctuer la phrase musicale. Cela ne veut pas dire respirer partout, à chaque virgule, mais plutôt dégager la mélodie avant toute autre préoccupation extra-musicale. Au niveau du chapitre deux de ce travail, nous avons établi un échantillonnage des chansons. Mais ce concept de « chanteur de charme », doit à notre avis être cerné et précise. Des éléments de lumière peuvent à cet effet être empruntés à Denis Laborde 33(*). Il propose une définition de la chanson à la page 77 de l'ouvrage référencé en ces termes: « une chanson égale paroles plus musique ». Pour lui; « une chanson c'est toujours un texte et une mélodie ». Il poursuit: « un poème sans musique n'est pas une chanson, de même, une mélodie sans paroles n'est pas une chanson ». Plus loin dans le même ouvrage, il évoque Hugo Reimann pour qui la « chanson s'applique aux différentes formes polyphoniques artistiques, dont il fait remonter l'origine aux « chants strophiques à une voix » (mais pourvus d'un accompagnement instrumental improvisé) des trouvères et des troubadours du XI ème au XIII ème siècle ». Cette façon de voir s'oppose à celle de J.J. Rousseau qui, deux siècles avant Reimann a défini la chanson (dans son Encyclopédie) comme « une espèce de petit poème fort court auquel on joint un air, pour être chanté dans des occasions familières ». Vers les années 76, Marc Honegger 34(*) a repris le point de vue de Reimann avec sans doute un ajout. Il dit: « jusqu'à G. de Machault, la chanson est une composition pour voix seule, constituée d'une mélodie originale par principe inséparable d'un texte poétique de caractère lyrique, suscité par le même sentiment ». Saint Augustin, dans Les Confessions, au chapitre XXXIIIème s'interroge pour savoir si l'émotion qu'il trouve provient du chant qu'il écoute ou de ce que l'on chante ? Ce débat a encore son sens aujourd'hui d'autant plus qu'il est difficile pour nous de savoir si le charme de la voix réside dans la mélodie, dans le texte chanté ou dans la matérialité même de la voix. Les phrases musicales qui composent la chanson doivent être chantées sans respirer. Les virgules ou les menues ponctuations du texte littéraire ne seront pas prises en considération, si elles ne correspondent pas avec le contour de la phrase musicale. On peut marquer de césures mais sans prendre de respiration profonde ou même sans respirer du tout. Un bon chanteur-musicien doit savoir utiliser au maximum la quantité d'air inspiré. A propos, Cinthie-Damoreau (1801-1863) qui fut une des étoiles de l'Opéra et titulaire d'une classe de chant au Conservatoire de Paris, recommandait à ses élèves de « ménager la respiration assez habilement pour arriver à la fin d'une phrase ou d'un trait vocal sans fatigue apparente ». En définitive, nous anticipons ce conseil: « chaque fois qu'une voix chante, elle doit d'adoucir d'autant plus qu'elle monte davantage; et chanter avec plus de plénitude à mesure qu'elle descend afin que les sons graves qui sont plus sourds, soient égaux en force aux sons aigus. En montant et en descendant, les notes doivent être unies de telle sorte qu'on n'entende pas les degrés intermédiaires. Section III. LA MUSIQUEDans cette section, nous tenons à faire ressortir la différence qui existe entre la musique et le langage ou la parole. Le langage et la musique peuvent tous les deux être considérés comme du son organisé. Pour une telle analyse, Springer (35(*)) propose les deux paramètres suivants:
Sur l'axe syntagmatique, Springer classe les traits distinctifs, les phonèmes, les morphèmes, les mots, les propositions, les phrases, les énoncés pour le langage, les notes, les thèmes, les phrases, les sections, les mouvements et les morceaux pour la musique. Ces traits sont séparés par des jonctures (linguistiques) ou des cadences. Sur l'axe paradigmatique, il classe les faisceaux des traits distinctifs et les phonèmes segmentaux au plan linguistique, un complexe harmonique ou structure de l'accord au plan musical. L'accent, les rythmiques et le rythme, ainsi que les autres éléments prosodiques qui appartiennent à la fois aux deux domaines et aux deux axes36(*). Par ailleurs, Françoise Escale stipule: « la parole et la musique sont deux systèmes sémiotiques, deux langages, fondamentalement étrangers l'un à l'autre. Or deux langages différents ne peuvent signifier la même chose. La musique ne saurait par conséquent dire ou redire ce que dit le texte. Elle ne peut que reproduire des correspondances relevant des conventions et des pratiques codées ». * 31 Cette pensée de Berlioz met en exergue le fait que le « chanteur de charme » est un artiste musicien rare. Cette rareté est due non seulement à ses prédispositions morpho-physiologiques, mais aussi à son aptitude musicienne. C'est un « oiseau » rare. * 32 On peut donc voir que la voix seule ne suffit pas pour faire le « chanteur de charme » * 33 Denis Laborde (éd), Repérer, enquêter, analyser, conserver... Tout un monde de musiques, éd. L'harmattan, Paris, 1996. * 34 Marc Honegger, Dictionnaire de la Musique, L'harmattan, Paris, 1976. * 35 George P. Springer, Language and music : Parallel and divergencies (traduit en français) in Musique en jeu, Paris, 1971. * 36 Nettl, B., Some linguistic approaches to music analysis in The journal of international folk music council,1959(traduit par Nettl en 1971),pp 187-205 |
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