1. Les remarques préliminaires
123. - Deux remarques préliminaires. Deux
remarques doivent être soumises à l'attention.
D'abord, il est important de rappeler que la
réglementation prudentielle est basée essentiellement sur les
fonds propres. L'objectif du ratio prudentiel est d'imposer le maintien du
montant minimum de fonds propres207 auxquels s'ajoutent pour les
opérateurs du micro-crédit en droit français les
ressources assimilées. Ils permettent de calculer les différents
ratios imposés par la réglementation prudentielle. C'est la
raison pour laquelle le droit prend soin de définir et de
préciser les éléments qui doivent être pris en
compte pour le calcul des fonds propres et ressources assimilées. Quels
sont les éléments des ressources assimilées et ceux
à inclure dans les fonds propres ? L'article 4 de l'arrêté
du 3 juillet 2002 précise que « les fonds propres et ressources
assimilées, mentionnés au quatrième alinéa 7 du
décret du 30 avril 2002 susvisé, englobent, outre le fonds de
réserve, les fonds propres, les cotisations et droits d 'entrée,
les subventions publiques et privées d 'investissement, les dons et legs
». Selon cette disposition, les ressources assimilées sont le
fonds de réserve, les cotisations et droits d'entrée, les
subventions publiques et privées d'investissement, les dons et legs.
Toutefois, cet arrêté n'a pas précisé les
éléments des fonds propres. On peut donc se demander si la notion
de fonds propres appliquée aux établissements de crédit
soit applicable de la même façon aux associations de
micro-crédit. Les fonds propres applicables aux établissements de
crédit comprennent principalement le capital, les
207 . C. DUFLOUX et M. KARLIN, La réglementation
prudentielle des banques : les travaux récentes du Comité Cooke,
Banque, n° 489, décembre 1988, p. 1246 et n° 490,
janvier 1989, p. 77.
réserves, les provisions
réglementaires208, le résultat d'exercice et les
écarts de réévaluation. Ils constituent des ressources
stables de l'établissement. Au vu de ces composants, on pourrait dire
que la notion de fonds propres applicable aux établissements de
crédit ne peut pas être entièrement applicable aux
associations du micro-crédit.
Ensuite, certaines règles prudentielles sont rendues
inutiles par l'encadrement des crédits : restriction quant au montant et
quant aux bénéficiaires du micro-crédit. Cette
règle concerne le ratio de division de risque qui est rendu, en droit
français, inutile par les plafonds imposés par l'article 6
alinéa 5 du décret de 2002. Toutefois, cette règle est
prévue par l'article 18 du Prakas de 2000. Ce ratio de division de
risque est fixé à 10% des fonds propres, ce qui est suffisamment
important puisque le montant du micro-crédit est faible. Bien que le
droit cambodgien n'ait pas limité le montant du micro-crédit, il
est probablement possible de dire que le montant doit être faible du fait
qu'il est accordé, soit à une famille pauvre, une famille qui a
des revenus modestes ou à une petite entreprise209.
D'ailleurs, bien qu'il existe un encadrement de crédit, le coefficient
de ressources et les encours du crédit210 est prévu.
L'article 7 in fine prévoit que « à tout moment, les
encours de crédit doivent être financés par des ressources
de durée au moins égale à celle des prêts
». D'après l'arrêté pris en son application,
l'association doit s'assurer, à tout moment, que la durée moyenne
des ressources est supérieure ou égale à la durée
moyenne des prêts accordés au titre du présent
décret. La durée moyenne du prêt est calculée en
divisant le montant total des prêts accordés,
pondérés chacun par leur durée restant à courir,
exprimés en nombre de jours, par le montant total des prêts
accordés. La durée moyenne des ressources est calculée en
divisant le montant total des ressources, pondérées chacune par
leur durée restant à courir, exprimées en nombre de jours,
par le montant total des ressources inscrites au passif du bilan de
l'association. Les fonds propres et ressources sans limite sont
considérés comme remboursables au bout de sept ans. Les
subventions publiques sont considérées comme ayant une
durée restant à courir de sept ans.
A part de ces règles, les autres règles
imposées aux établissements de crédit pourraient ne pas
être appliquées purement et simplement aux opérateurs du
micro-crédit.
208 . Stéphane PIEDELIEVRE, Droit bancaire,
préc., n° 1 01, p. 91.
209 . V. supra, n° 31.
210 . On comprend que ce coefficient correspond au coefficient
de fonds propres et de ressources permanentes applicable aux
établissements de crédit à partir de 1986 suite à
la suppression de l'encadrement de crédit (le coefficient
d'opération à moyen et long terme non réescomptable et le
coefficient de distribution des crédits à moyen et long terme).
Cette règle a pour objectif d'éviter que les emplois à
longue durée soient financés des ressources de durée plus
courte, par conséquent, d'éviter les conséquences trop
brutales de la suppression de l'encadrement du crédit et le financement
des prêts à long terme avec des ressources monétaires. V.
Stéphane PIEDELIEVRE, Droit bancaire, préc., n°
103, p. 93.
Leur adaptation est envisageable.
2. L'adaptation des règles prudentielles aux
opérateurs du micro-crédit
- L'analyse des textes juridiques applicables aux
opérateurs du micro-crédit dans les deux systèmes permet
de tracer quelles sont les règles qui ont été
ajustées pour répondre aux besoins des opérateurs du
micro-crédit.
124. - Le capital minimum. En droit
cambodgien, le capital minimum est fixé à 50 milliards de Riels,
soit 15 millions euros pour les établissements de crédit et
à 25 milliards de Riels, soit 7,5 millions euros pour les institutions
de microfinance211. Quelle observation peut-on émettre
à propos de cette réglementation moins restrictive au niveau du
capital minimum pour les IMF ? Le capital minimum peut être
considéré comme un facteur de sécurité. Mais,
certains théoriciens n'attachent pas une grande importance à
l'imposition d'un niveau minimum de capital comme facteur de
sécurité et y voient davantage un moyen de restreindre le nombre
des institutions. Il est considéré comme outil de limitation du
nombre des opérateurs agréés212. En effet, deux
alternatives sont à l'opposée à propos de la
réglementation du capital minimum des opérateurs de
micro-crédit au moment de l'adoption de ce texte. La première
consiste à dire qu'il est suffisamment important, pour des raisons
sociales, d'encourager les activités de microfinancement, et par
conséquent, d'appliquer aux opérateurs du micro-crédit des
normes moins exigeantes en matière de capital minimum. Toutefois, cette
doctrine se heurte à un problème important en pratique
soulevé par une autre doctrine. En réalité, une
réglementation moins restrictive au niveau du capital peut
entraîner une prolifération des institutions de micro-finance, ce
qui ne facilite pas la supervision prudentielle. Certaines institutions seront
donc sous supervisées. Il faut donc trouver un juste milieu. Le moyen
utilisé par le droit cambodgien consiste à fonder en partie la
décision d'octroi d'agrément sur une évaluation
qualitative de l'institution. Au regard de l'un des seuils imposés pour
obliger les ONG, associations ou autres entités à se transformer
en IMF agréées, ils conduisent à penser que
l'autorité compétente n'accorde l'agrément qu'à des
grandes IMF. Toutefois, la création d'une IMF nouvelle à partir
de rien n'est pas interdite. Le montant minimum est pourtant
211 . L'article 4 du Prakas de 2000.
212 . Richard ROSENBERG, Directives concertées pour la
microfinance, préc., p. 17-18.
suffisamment élevé pour cette IMF nouvellement
créée car les IMF sont en pratique à l'origine des ONG,
associations sans but lucratif qui ne sont pas en mesure de se procurer de
liquidité pour un tel montant puisque le capital minimum doit être
totalement libéré et un dépôt de garantie de 5% du
montant du capital dans un compte ouvert auprès de la BNC est
obligatoire213.
126. - La provision des prêts non garantis.
L'article 16 du Prakas de 2000 prévoit que « Les
établissements agréés doivent exercer leurs
activités conformément à des dispositions relatives
à la classification des crédits et à la limite des
provisions pour perte ». Le taux de provision est prévu par le
Prakas B 7-02-145/Prk du 07 juin 2002 sur la classification et la provision des
mauvaises dettes et les dettes douteuses, y compris l'intérêt
suspendu. Il est fixé en fonction du niveau de risque de recouvrement du
crédit : soit 10% pour les dettes en dessous de standard, soit 30% pour
les dettes douteuses, soit 100% pour les dettes perdues. La notion de dette
sous standard n'est pas précisée. Ce Prakas n'est pas propre aux
opérateurs de la micro-finance. Il est prévu pour les banques. On
peut se demander s'il est applicable aux opérateurs de la micro-finance.
Au travers de l'article 16 du Prakas de 2000, la règle relative à
la provision pour perte appliquée aux banques est applicable de la
même façon aux institutions de micro-finance.
En droit français, l'article 6 in fine du décret
précise que « les prêts consentis par l 'association
doivent bénéficier d 'une garantie apportée par un fonds
de garantie ou du cautionnement agréé ou par un
établissement de crédit ». Cette disposition nous
conduit à penser que la règle relative à la provision des
crédits non garantie est, tout de même comme le ratio de division
des risques, rendue inutile. Or, l'article 7 alinéa 1 er
impose une règle de provision de prêt contentieux à
la hauteur des pertes probables. En effet, une garantie apportée peut ne
qu'être partielle. C'est le cas notamment de la garantie apportée
par le FCS. Ainsi, si le prêt est garanti totalement par un cautionnement
agréé ou par établissement de crédit, l'association
n'a pas à créer ni la provision ni le fonds de réserve. En
revanche, si elle n'est que partielle, la fraction non provisionnée
donne lieu à la création de fonds de réserve. C'est la
raison pour laquelle l'alinéa suivant du même article
prévoit que « la fraction des encours de prêts non
provisionnés, qui n 'est pas couverte par les garanties
mentionnées ci-dessus, doit donner lieu à la constitution d'un
fonds de réserve ». A la lecture de ces deux alinéas de
l'article 7 du décret de 2002, on peut en déduire que le
213 . L'article 12 du Prakas de 2000.
décret impose une provision automatique des prêts
contentieux à hauteur de la perte probable. Toutefois, une nuance est
admise par la création d'un fonds de réserve qui se substitue
à la provision des prêts contentieux. Ainsi, deux alternatives
sont prévues. Ou bien l'association de micro-crédit doit
provisionner la fraction non garantie ou bien elle doit constituer un fonds de
réserves. Il semble que la constitution de fonds de réserve est
préférable pour deux raisons. D'abord, l'association de
micro-crédit compétente ne devrait pas être tenue
d'effectuer une provision automatique pour les créances douteuses pour
un pourcentage important de leur micro-crédit dès l'octroi de
ceux-ci. En effet, un suivi financier est obligatoire pendant la durée
du prêt214. C'est ce suivi financier qui constitue l'une des
conditions du succès du micro-crédit en France, plutôt que
l'utilisation de caution solidaire. En raison de ce suivi financier,
l'association peut intervenir rapidement en cas d'incident de paiement et prend
les mesures nécessaires pour faciliter le remboursement notamment en
accordant un nouveau délai de paiement. Ensuite, ce sont les
modalités de fixation de taux de fonds de réserve applicable
à la fraction non garantie qui se veulent et se montrent très
souples. Ce taux est fixé à partir du taux de défaut
observé en moyenne sur les crédits accordés par
l'association dans le passé. Il est propre à chaque association.
Il est fixé par l'article 2 de l'arrêté du 3 juillet 2002
à 30% en l'absence de données vérifiables sur le taux de
défaut statistique moyen, constaté sur les prêts
délivrés au cours des trois dernières années ; en
cas de données statistiques, il est de 1,5 fois de taux de
défaillance constaté sur l'exercice précédent. Ce
taux ne peut être ni inférieur à 10% ni supérieur
à 30%. Le comité d'habilitation des associations sans but
lucratif peut, le cas échéant, majorer ce taux en fonction de la
situation particulière de l'association concernée. Il est
fixé en fonction d'un bon historique de remboursement des prêts
accordés par l'association, c'est-à-dire qu'il est fondé
sur la performance de l'association. Cette disposition est conforme à la
recommandation internationale215.
127. - Le ratio d'adéquation des fonds
propres ou le ratio de solvabilité. Le ratio de
solvabilité vise à rapporter les risques de crédit pris
par les établissements de crédit aux fonds propres dont ils
disposent. L'article 7 alinéa 3 du décret de 2002 prévoit
que « à tout moment, le montant total des fonds propres et
ressources assimilées doit être au moins égal au produit de
la fraction des encours mentionnée à l 'alinéa
précédent (c 'est-à -dire la fraction non
provisionnée qui n 'est pas garantie) par un pourcentage fixé par
arrêté du
214 . L'article 6 alinéa 5 du décret de 2002.
215 . Richard ROSENBERG, Directives concertées pour la
microfinance, préc., p. 27.
ministre chargé de l 'économie
».Ce ratio qui est fixé par le comité Cooke à 8%
pour les établissements de crédit est mesuré à 12%
par l'article 3 de l'arrêté du 3 juillet 2002. Il est fixé
par l'article 15 du Prakas de 2000 à 20% (15% pour les banques
commerciales) du rapport entre le capital éligible et le risque
évalué. Deux remarques peuvent être faites. D'abord, ce
Prakas utilise la terminologie de ratio d'adéquation de capital. Or, le
capital ne constitue qu'un élément des fonds propres. Il s'agit
d'une mauvaise utilisation de la terminologie. La loi utilise improprement
comme synonyme le capital et les fonds propres. Le mot « fonds propres
» est utilisé à la place du mot « capital » pour
le calcul du ratio de division de risque216. Ensuite, pour quelle
raison le ratio d'adéquation des fonds propres imposé aux
opérateurs du micro-crédit est plus sévère que
celui appliqué aux établissements de crédit ? Le
portefeuille du micro-crédit est composé de prêts non
garantis ou garantis par des actifs d'un montant insuffisant pour couvrir le
solde du prêt si l'on prend en compte les coûts de recouvrement.
Les opérateurs du micro-crédit supportent donc des risques plus
importants que les banques. Or, le taux d'impayés du micro-crédit
est en général inférieur à celui des banques
commerciales, ce qui montre la performance des opérateurs du
micro-crédit. Ce ratio aurait du être moins sévère
que celui des établissements de crédit. Cependant, d'aucuns
avancent que le fait d'imposer un niveau d'adéquation des fonds propres
plus élevé pour les IMF, ou une obligation similaire
reflétant le risque spécifique du portefeuille de
micro-crédits d'une institution diversifiée, aura pour effet de
diminuer le rendement des fonds propres, rendant ainsi l'activité de
micro-crédit moins attractive.
128. - Le ratio de liquidité. Le ratio
de liquidité, qui vise à ce que les établissements de
crédit réalisent de façon normale un équilibre
entre leurs liquidités et leurs exigibilités, n'a pas besoin
d'être imposé en droit français. L'association de
micro-crédit n'a pas donc à s'assurer de la possibilité de
faire face à des retraits de fonds puisqu'il n'existe pas des
dépôts du public. Toutefois, le ratio de liquidité doit
être réglementé en droit cambodgien. En matière de
ratio de liquidité, il n'existe pas de raison qui vise à obtenir
une réglementation moins lourde que celle applicable aux banques. En
effet, les actifs des opérateurs du micro-crédit se composent des
prêts non garantis. Le risque est plus grand. Il serait donc
légitime d'imposer aux IMF de ratio de liquidité assez
élevé. L'article 16 du Prakas de 2001 impose un ratio de
liquidité qui est égal au moins à 100% (50% pour les
216. V. supra, n° 123.
banques commerciales), c'est-à-dire le rapport entre
les actifs liquides ou rapidement réalisables et le passif exigible
à court terme doit être au moins de 1 00%217. Le
même raisonnement est valable pour justifier l'absence de la
réglementation de la réserve obligatoire en droit français
puisque le montant de réserve obligatoire est calculé à
partir des dépôts. En droit cambodgien, elle est fixée
à 5% (8% pour les banques commerciales) du montant des
dépôts du public218. Le montant de la réserve
obligatoire est calculé en fonction du montant des dépôts
inscrit dans le bilan de l'établissement. Pour ce calcul, le montant de
l'épargne obligatoire, comme condition d'octroi du crédit, n'est
pas pris en compte219. La réserve obligatoire constitue un
moyen de régler ou contrôler indirectement le volume de
crédits distribués. Si le micro-crédit vise à
favoriser l'accès au crédit, il n'existe pas de raison qui
justifie l'imposition du montant de réserve obligatoire plus forte aux
opérateurs du micro-crédit. Il suffit de renforcer la
règle de ratio de liquidité.
129. - Le contrôle des règles
prudentielles. Pour pouvoir contrôler la conformité
à ces règles, deux moyens sont créés : l'obligation
de communiquer régulièrement les documents comptables à la
BNC et l'obligation de créer un contrôle interne. Ces mesures sont
prévues à l'article 5 du décret de 2002 et à
l'article 43 de la loi sur les institutions bancaires et financières.
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