§ 2. - Les caractéristiques du
micro-crédit
28. - Les caractéristiques communes.
Il existe deux modèles de micro-crédit : l'un vaut
pour les pays industrialisés et est centré sur la création
d'entreprise, avec des prêts individuels à taux
d'intérêt bas, voire bonifié par l'Etat compris entre 2000
et 15.000 euros ; l'autre, en vigueur dans les pays du Sud, met en place des
crédits de moindre montant, plus courts et plus chers, souvent
collectifs et servant la plupart de temps à financer des
activités existantes. Même si les méthodes doivent
être adaptées chaque fois au contexte local, les principes restent
toujours les mêmes. Les caractéristiques principales du
micro-crédit sont donc communes. Monsieur Jean-Michel SERVET a retenu
trois critères. Le micro-crédit est caractérisé
aussi bien par une relation de proximité, sa population cible que par le
montant du crédit. Toutefois, le droit cambodgien met l'accent
principalement sur la population cible et la destination du crédit.
À la différence du droit français, il n'a pas
plafonné le montant et la durée du micro-crédit. Il faut
comprendre que c'est la technique de proximité qui montre
l'originalité du micro-crédit.
29. - La clientèle. Le
micro-crédit est né dans la problématique de l'absence
d'accès au crédit des personnes défavorisées qui
sont normalement exclues de la sphère commerciale
40 . Michel LECOMTE, « Perspective nouvelle pour les exclus
du crédit », in Le Rapport moral sur l'argent dans le monde,
éd. Association d'économie financière, 2005, p.
419-426.
des banques classiques. Il ne s'agit donc pas de viser une
clientèle qui peut normalement avoir accès aux banques, ni celle
qui, à un moment donné, se trouve dans une situation de
détresse qui ne lui permet pas de s'engager dans des activités
économiques. Au Cambodge, et généralement dans les pays en
développement, le micro-crédit est ciblé sur «
les pauvres41 actifs », alors qu'en France, comme les
autres pays industriels, il est ciblé sur les chômeurs, les
Rmistes, qui souhaitent se réinsérer dans l'économie.
29-1. - La clientèle du micro-crédit
en droit français. L'article L.51 1-6 alinéa 5 du
Code monétaire et financier traite des « associations sans but
lucratif faisant des prêts pour la création et le
développement d'entreprises par des chômeurs ou titulaires des
minima sociaux... ». Cette disposition consacre l'utilité du
micro-crédit par le droit français. Les populations visées
par les produits de micro-crédit sont donc les
bénéficiaires des minima sociaux, les demandeurs
d'emploi42. Cette reconnaissance résulte de la constatation
suivante. La montée de chômage encourage le recours à des
micro-initiatives pour créer sa propre activité. La question du
financement des activités se pose alors. La lutte contre la
précarité économique passe de nos jours par l'octroi de
crédits à des petites entreprises en création. Il s'agit
de considérer le chômeur non plus comme « un inutile du
monde43 », mais comme une personne susceptible de
posséder un projet professionnel, projet de vie pouvant être mis
en oeuvre par la création de son entreprise. De nombreuses initiatives
à instrumenter le crédit pour lutter contre le chômage
voient le jour. Le micro-crédit vise donc à promouvoir l'esprit
d'entreprise et permet à ces clients de sortir d'une trappe
d'inactivité, conséquence de l'Etat providence. Ainsi, pour ces
personnes, le micro-crédit leur permet de retrouver sa
citoyenneté économique. Partant de cette idée,
l'ex-président de la République a récemment, lors d'une
table ronde en février 2006, souligné le rôle du
micro-crédit « qui constitue une voie prometteuse, et un instrument
essentiel pour permettre aux personnes sans emploi de prendre en main leur
destin, en se réinsérant sur le marché du travail ou en
créant leur propre activité ». Le micro-crédit fait
donc partie de la
41 . Mais comment définir la pauvreté ? Quels
sont les indicateurs de la pauvreté ? Ce point dépasse notre
connaissance. On peut tout simplement dire un mot que la pauvreté est
généralement définie par rapport aux critères de
revenus. La Banque mondiale retient le seuil de 30% de PIB.
42 . La clientèle de l'ADIE composée aux trois
quarts de chômeurs de longue durée et d'allocataires du revenu
minimum d'insertion, se distingue par une volonté de s'en sortir.
Près de 15% sont quasiment illettrés ou savent à peine
lire et écrire, mais 21% ont fait des études universitaires.
Source : Maria NOWAK, « Le micro-crédit en France et en Europe
», in Le rapport moral sur l'argent dans le monde, éd. Association
d'économie financière, 2003-2004, p. 430.
43. David VALLAT, « La finance solidaire : un champ
d'application varié », in Le Rapport moral sur l'argent dans le
monde, éd. Association d'économie financière, 1998, p.
499-519.
politique de lutte contre le chômage. Désormais,
il s'inscrit dans la politique d'insertion sociale. La clientèle
visée n'est plus simplement des porteurs de petits projets
professionnels, mais également ceux de projets personnels d'insertion
sociale. C'est une avancée de la loi Borloo du 18 janvier 2005 qui a
créé le fameux FCS. Il a été créé par
l'article 80-III de cette loi afin de « garantir, à des fins
sociales, des prêts à des personnes physiques ou morales et des
prêts à des chômeurs ou titulaires de minima sociaux
créant leur entreprise ». L'explication de cet article sera
postérieurement reprise44.
29-2. - La clientèle du micro-crédit
en droit cambodgien. Revenons à la clientèle du
micro-crédit en droit cambodgien. L'article 74 alinéa 3 de la loi
bancaire de 1999 prévoit que « les entités qui pratiquent
les opérations de banque en vue notamment de promouvoir
l'intermédiation bancaire dans les secteurs de l'agriculture, de
l'artisanat, du petit commerce et des services aux particuliers...
» Toutefois, l'article 2 du Prakas (règlement)
n°7-01-49 Prorkror du 25 février 2002 sur l'agrément et
l'enregistrement des institutions de micro-finance, pris en son application,
dispose que « la microfinance signifie la distribution des services
financiers notamment le crédit et les épargnes aux familles
pauvres, familles ayant des revenus modestes et aux petites entreprises
». Deux remarques peuvent être faites. D'abord, l'article
de base vise uniquement les particuliers, alors que le texte d'application vise
également des petites entreprises. On peut donc s'interroger sur la
légalité de ce Prakas. Mais jusqu'alors, personne n'en parlait.
Toutefois, conformément à des explications énoncées
à propos de la clientèle du micro-crédit en droit
français, il est souhaitable de retenir la disposition de ce Prarkas.
L'article 74 alinéa 3 de cette loi devra être modifiée pour
rendre légitime ce Prarkas. Ensuite, les clients du microcrédit
sont, selon ces dispositions, les pauvres. Certains contestent
l'opportunité de prêter à des pauvres qui ne
répondent pas aux critères ordinaires de solvabilité. Le
coeur du débat porte sur la capacité des plus pauvres à
rembourser leurs prêts pour éviter de nouveaux cycles de
paupérisation. C'est la raison pour laquelle des opérateurs du
micro-crédit ne s'intéressent pas aux pauvres les plus pauvres,
ce qui n'est pas sans incidence sur l'effet de levier du
micro-crédit45. Les critiques sur les clients cibles
résultent des constatations suivant lesquelles les pauvres ne peuvent
pas échapper à la pauvreté par l'emprunt et cela risque
même d'aggraver leur sort. Ce sont les services sociaux qui sont les
mieux placés pour répondre aux besoins réels de cette
population. Mais, aucun service social n'avait été
44. V. infra, n° 52.
45. V. infra, n° 70-71.
mis en place. En plus, les études montrent que le taux
de remboursement des pauvres est aussi bon ou meilleur que celui des
emprunteurs plus prospères. Les tenants de cette thèse veulent
invoquer que le niveau de revenus des bénéficiaires n'est pas une
garantie de solvabilité, ce qui rejoint l'idée des tenants de la
thèse contraire que c'est le critère de compétence qui
doit être privilégié et non pas nécessairement le
critère de pauvreté. Il faut rappeler que la clientèle du
micro-crédit est dans la majorité des femmes.
30. - La destination du crédit.
Il s'agit de crédit de dépannage ou de projet.
Originairement, le micro-crédit est accordé, dans les pays en
développement, aux pauvres qui veulent entreprendre « une
activité génératrice de revenus ». Tandis qu'en
France, les bénéficiaires du micro-crédit créent
des entreprises nouvelles, ce qui nécessite un minimum de fonds propres
et un service d'appui pour pénétrer dans un univers
particulièrement complexe. C'est la raison pour laquelle la politique de
renforcement des Fonds qui contribuent à l'octroi des fonds propres aux
créateurs d'entreprise a été renforcée. Cette
tentation va être abordée plus précisément plus loin
quand on aborde l'étude sur le micro-crédit professionnel. La
finalité du prêt est donc bien précisée par la loi.
Celle-ci constitue un critère permettant de retenir une qualification du
crédit affecté. C'est une affectation prévue par la loi.
Il s'agit de prêt ayant pour finalité de créer ou
développer une entreprise (L.51 1-6 al. 5 C. monét. fin.) ou
à des fins sociaux (art. 80-III de la loi du 18 janvier 2005). Le
micro-crédit peut donc être, soit un crédit professionnel,
soit un crédit à la consommation. Si l'on peut retenir facilement
le caractère professionnel du prêt accordé selon l'article
L. 511-6 alinéa 5 du Code monétaire et financier, quelle est la
qualification du prêt accordé conformément à
l'article 80-III qui prévoit que « garantir, à des fins
sociales, des prêts à des personnes physiques ou morales et des
prêts à des chômeurs ou titulaires de minima sociaux
créant leur entreprise » ?
30-1. - Certains pensent qu'il s'agit d'un
crédit à la consommation. Cette qualification a été
retenue pour refuser le droit à la Banque postale de distribuer le
micro-crédit social prévu par l'article 80-III. Celle-ci ne pose
pas de difficulté lorsqu'il s'agit de micro-crédit social
accordé à des personnes physiques. En revanche, on peut se
demander s'il est touj ours convenable de retenir cette qualification lorsque
le micro-crédit social est accordé à des personnes morales
qui sont en effet des associations ou sociétés financières
qui interviennent dans le domaine du micro-crédit. C'est une question
qui a été très
controversée en doctrine et en jurisprudence et
soulevée à propos de la détermination du champ
d'application du Code de la consommation. L'article 3, alinéa 3 de loi
du 10 janvier 1978, devenu l'article L. 311-3-3° du Code de la
consommation exclut du champ d'application de cette loi les prêts «
destinés à financer les besoins d'une activité
professionnelle ». Selon cette disposition, la qualification du
crédit professionnel ou à la consommation dépend de la
destination du crédit46. La jurisprudence s'est
positionnée à plusieurs reprises en faveur de cette
interprétation. La qualification est déduite du but poursuivi. Le
caractère professionnel d'une opération de crédit ne
dépend pas de la qualité de l'emprunteur mais de la destination
de cette opération47. Ainsi, le problème s'articule
autour de la question de savoir ce que recouvre une activité
professionnelle ou si l'association à but non lucratif peut exercer une
activité professionnelle48. Le débat est
controversé du fait de l'absence de définition légale de
la profession. Deux thèses s'affrontent. La première thèse
pense que l'activité professionnelle est entendue comme une
activité lucrative49, ce qui exclut en principe celle d'une
association. L'activité professionnelle suppose donc un but
intéressé c'est-à-dire une rémunération.
Certaines décisions des juges du fond ont été
prononcées en ce sens50. Une autre thèse estime que le
but lucratif ou non ne doit pas être pris en compte pour définir
une activité professionnelle51. Selon cette thèse,
l'association à but non lucratif peut parfaitement exercer une
activité professionnelle. Pour lever cette ambiguïté, la
Cour de cassation a décidé qu'une association est exclue du
bénéfice des dispositions du droit de la consommation non parce
qu'elle est personne morale, mais parce qu'elle exerce une activité
professionnelle52. Cette jurisprudence va dans le sens de la
dernière thèse. Les
46 . Civ 1er, 4 mai 1999 : CCC,
1999, comm. n° 165, obs. G. RAYMOND ; Civ 1er,
18 décembre 2001 : CCC, 2002, n° 100, obs. G.
RAYMOND ; Civ 1er, 22 mai 2002 : CCC, 2002,
comm. n° 147, obs. G. RAYMOND. 47. Yannick DAGORNE-LABBE, « La
détermination du caractère professionnel du crédit
à la consommation », Petites Affiches, 2004, n° 126,
p. 20 ; Civ 1er, 8 juillet 1997 : RD bancaire et
financier, n° 62, p. 163.
48 . Janick ROCHE-DAHAN, « Le domaine d'application des
lois Scrivener », RTD Com. 1996, n° 49, p. 20- 21.
49. En ce sens : Yves GUYON, Droit des affaires,
Economica, 12e édition, 2003, n° 72, p. 67 ;
Barthélemy MERCADAL, Droit commercial, Francis Lefebvre,
15e édition, 2006, n° 11200, p. 223 ; G. Riper et R.
Roblot, Traité de droit commercial, sous la direction de Michel
GERMIN, LGDJ, 1 8e édition, 2001, n° 118, p.1 05.
50 . CA Paris, 22 octobre 1991 : CCC, 1992, n°
63, note G. RAYMOND (à propos d'une activité politique) ; CA
Paris, 5 juillet 1991, CCC, 1992, n° 950, note G. RAYMOND.
51. En ce sens : J. CALAIS-AULOY et F. STENINMETZ, Droit
de la consommation, Dalloz, 2006, 7e édition, n°
4.
52 . Civ 1er , 23 mars 1999 : CCC, 1999, comm. 166,
obs. G. RAYMOND ; D. 2000, somm. n° 4, p. 39, note JP Pizzio.
Dans le même sens V. Civ 1er, 10 juin 1997 :
CCC, 1997, n° 157, note G. RAYMONDE « attendu, cependant,
que sont exclus des dispositions applicables en matière de crédit
à la consommation, les prêts qui sont destinés à
financier les besoins d'une activité professionnelle ; qu'en s'abstenant
de préciser en quoi consistait l'activité de l'association, la
cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son
juges du fond ne peuvent donc pas s'en tenir uniquement
à l'absence de but lucratif de l'association pour en conclure que
l'activité qu'elle exerce n'est pas de nature professionnelle. Cette
décision mérite d'être félicitée puisqu'elle
est conforme à la finalité recherchée par le droit de la
consommation. En plus, l'activité professionnelle n'a pas besoin
d'être intéressée. La question qui se pose ensuite est de
savoir à partir de quel moment, l'activité d'une association peut
être qualifiée d'activité professionnelle. La Cour de
cassation a décidé dans la même décision du 23 mars
1999 que l'association dont le statut prévoit la
rémunération de ses activités doit être
considérée comme un professionnel au regard des règles du
crédit à la consommation. Elle retient uniquement le
critère de la rémunération. On peut se demander s'il
existe d'autres critères. En effet, une profession implique seulement
une certaine organisation et une certaine expérience. Elle implique donc
une habitude.
30-2. - Cette analyse permet de
comprendre que le micro-crédit social accordé à des
personnes morales visées ne peut pas être qualifié de
crédit à la consommation. En effet, les personnes morales
prévues par l'article 80-III sont des associations ou des
sociétés financières53 qui interviennent dans
le domaine du micro-crédit. Il vise donc les personnes morales dont
l'objet est de permettre l'insertion de personnes en situation d'exclusion
financière. Selon cette disposition, le législateur
français veut développer le micro-crédit au travers du
partenariat entre les banques et ces opérateurs du micro-crédit.
Cette disposition renforce donc la volonté du législateur
inscrite dans l'article 19 de la loi NRE du 15 mai 2001 qui permet à
l'association du micro-crédit de pouvoir emprunter pour reprêter
à ses clients. Il vise donc à encourager les banques à
accorder les prêts à ces associations. Ces prêts leur
permettent de développer leur activité dans le domaine de
l'insertion des exclus financiers. Elles sont des professionnels du
micro-crédit puisque leur activité est organisée et
habituelle. En plus, elle est rémunérée par
l'intérêt du crédit. Ainsi, on peut dire avec clarté
que le micro-crédit social a une double nature juridique : un
crédit à des fins professionnels lorsqu'il est accordé
à une personne morale ou un crédit à la consommation
dès lors qu'il est accordé à une personne physique. Cet
article constitue un exemple qui montre l'importance de la qualité de
l'emprunteur dans la qualification du crédit bien qu'en droit positif
elle n'ait pas été prise en compte.
contrôle ».
53. Le Fonds France Active et La Nouvelle Economie Fraternelle et
La Caisse solidaire du Nord-Pas-deCalais sont des sociétés
financières qui exercent des activités de micro-crédit.
31. - Le montant et la durée de
crédit. Le montant constitue également l'une des
caractéristiques du micro-crédit. Il s'agit d'un crédit
d'un petit montant. Ce petit montant de crédit54 est une
cause de non implication de la banque classique. L'importance est de
déterminer ce qu'est un « petit montant ». Si dans
les pays en développement, il s'agit d'un prêt d'une vingtaine
d'euros, dans les pays industriels, le montant de prêt peut
s'élever à des milliers euros. A la différence du droit
français, le droit cambodgien n'a pas plafonné le montant du
micro-crédit qui peut être accordé. L'article 6
alinéa 5 du décret n° 2002-652 du 30 avril 2002 portant
application du 5° de l'article L.51 1-6 du Code monétaire et
financier relatif aux associations habilitées à faire certaines
opérations de prêts plafonne le montant de prêt à 6
000 euros par participant à un projet, sans pouvoir excéder 10
000 euros pour une même entreprise. En droit cambodgien, malgré
l'absence de plafond, on peut dire facilement que le montant du prêt est
petit puisqu'il est accordé à une famille pauvre, de revenu
modeste ou à une petite entreprise. Il est clair qu'au Cambodge, les
sommes prêtées sont très faibles55, à
l'image des revenus des habitants, tandis qu'en France le montant du
prêt, en pratique, de 2.500 euros, est plus élevé, mais le
rapport avec les produits intérieurs bruts (PIB) par tête de
22.000 euros est du même ordre56. En ce qui concerne le
délai du prêt, il est fixé à cinq ans maximum
(prêt de l'article L.51 1-6 al. 5 C. monét. fin) et entre deux
à quatre ans pour le prêt de l'article 80-III. Aucun délai
n'est prévu en droit cambodgien. L'absence de plafonnement du montant et
du délai ne facilite pas la distinction entre le micro-crédit et
les prêts bancaires.
Il ne fait aucun doute que le montant du crédit est
l'une des caractéristiques du micro-crédit. Toutefois, il ne
s'agit pas de critère décisif puisque personne ne pourrait
contester que les banques classiques puissent accorder des crédits,
également d'un très petit montant, à leurs clients. En
effet, ce qui fait que le micro-crédit a connu depuis des années
un succès considérable à tel point qu'on ne peut nier ou
ignorer son rôle très grand dans l'économie, ce sont des
techniques de crédit entreprises par les opérateurs du
microcrédit, techniques qui jouent plutôt sur la mentalité,
la capacité des clients, que de privilégier des critères
statistiques que pratiquaient les banques traditionnelles.
32. - Les techniques de garantie du
micro-crédit. C'est finalement sur ce point que
54. Le prêt accordé par la Grameen Bank est
mesuré d'un montant de 100 dollars en moyenne et il peut aller
jusqu'à 10 dollars. V. Jaques ATTALI, préc., p. 155.
55. Le montant de prêt accordé au groupe
d'emprunteurs par l'ACLEDA peut atteindre un plafond de 400 dollars sur une
période de 3 à 12 mois.
56. Les chiffres sont cités par Maria NOWAK dans son
manuel de « on ne prête pas que (aux) riches ».
l'étude du micro-crédit paraît plus
importante puisqu'il permet de mieux comprendre la réponse à la
question précédemment posée, question qui vise à
savoir pourquoi le microcrédit peut surmonter avec succès les
obstacles liées à la décision d'octroi de crédit.
En effet, l'opérateur de micro-crédit gère le risque de
crédit non par la pratique de sûreté réelle mais par
la création de groupe solidaire. Il s'agit d'une technique de «
crédit de groupe solidaire ». Le critère de
proximité est pris en compte pour l'évaluation de crédit.
Enfin, le succès du micro-crédit est lié à la
technique qui donne des motivations à l'emprunteur de rembourser les
crédits, ce qui montre que la probabilité de remboursement de
crédit par les clients des opérateurs du micro-crédit est
beaucoup plus grande que celle des clients de banques classiques. C'est une
technique dite de « crédit progressif ».
33. - 1. La technique de crédit de groupe
solidaire. Cette technique propose de substituer des garanties
morales à des garanties matérielles. La caractéristique
principale et la plus importante du crédit de groupe solidaire est la
caution solidaire. C'est une technique de « peer monitoring ».
Pour pouvoir emprunter, les emprunteurs doivent se constituer en groupe.
Au Bengladesh, les femmes doivent se constituer en groupe de cinq personnes,
représentatif des cinq doigts de la maine. Ce groupe solidaire
présente trois avantages incontestables.
Il s'agit, tout d'abord, de permettre de réduire le
problème de l'asymétrie d'information pour les prêteurs.
Pour remédier à ce problème d'asymétrie
d'information, le secteur bancaire exige un bon antécédent en
matière de crédit, un revenu régulier souvent avec une
clause de domiciliation de revenus et une caution ou une sûreté
réelle. Mais, ces conditions ne peuvent pas être utilisées
avec les emprunteurs visés par le micro-crédit. Ainsi, par le
biais de groupe, on parvient à surmonter les difficultés
liées à l'information puisque les membres du groupe se
connaissent bien, et souvent ils ont tendance à exclure du groupe la
personne qui ne se trouve pas dans leur milieu. Une préférence
est donnée aux gens dans la communauté57.
Ensuite, le groupe solidaire permet de réduire les
coûts d'opération en remplaçant les petits crédits
par un crédit unique à un groupe plus large. Il permet d'assurer
le suivi plus rapproché qui ne serait pas possible en cas de prêt
individuel. Ce suivi est assuré par les membres de groupe
eux-mêmes puisque la défaillance de chacun d'entre eux
entraîne
57. Hervé ERNARD, Philippe DUQUAIRE, « L'impact
des opérations de microcrédit développées par
Action Nord Sud (ANS) à Battambang, Cambodge », in Exclusion et
liens financiers/Rapport du Centre Walras 1999-2000, Economica, 1999, p.
116.
leur solidarité. En plus, ils vont perdre l'avantage de
technique de crédit progressif.
Enfin, elle permet de réduire l'obstacle de la garantie
classique pour les petits emprunteurs qui n'ont pas d'actifs et donc de leur
permettre de prendre part dans les services financiers. C'est la pression
exercée par les membres du groupe qui sert de garantie et de
mécanisme de contrôle des comportements opportunistes des membres
du groupe. On peut citer l'expérience de la Grameen Bank pour
servir de référence. Dans le crédit de groupe solidaire
pratiqué par cette dernière, l'emprunt d'un membre doit
être approuvé par les autres qui se portent solidairement caution.
Le groupe constitue une pression sociale très importante. Un emprunteur
défaillant va être interdit par exemple de participer à une
fête religieuse. C'est une forme de sanction religieuse qui se montre
efficace dans un pays où la religion est très importante. Le
crédit de groupe solidaire propose donc de substituer des garanties
morales à des garanties matérielles.
33-1. - La transposition de technique du
crédit de groupe solidaire : Le modèle du
micro-crédit. Il est à noter que ce modèle
de crédit de groupe solidaire a été importé dans
les autres pays. Au Cambodge, cette technique est pratiquée par
l'ensemble des opérateurs de micro-crédit. On peut dire
facilement que dans les pays en voies de développement, cette
méthode de solidarité de groupe est tout à fait possible.
L'ACLEDA pratique le prêt solidaire en utilisant la méthodologie
de la garantie du groupe de 3 à 10 personnes. Mais, il faut
reconnaître que le sentiment d'appartenance en milieu urbain commence
à se détériorer fortement, de sorte que la pratique de
groupe solidaire s'avère de plus en plus difficile. D'ailleurs, elle est
difficile à appliquer dans les sociétés industrielles
à cause de la dispersion de la clientèle et de la rupture des
solidarités traditionnelles. C'est la raison pour laquelle le droit
positif admet deux formes du micro-crédit : le micro-crédit
solidaire et le micro-crédit individuel. En France, la densité
des clients est faible, la solidarité avait été
irrémédiablement perdue avec l'urbanisation et il n'était
guère possible, à l'exception, selon Madame Maria NOWAK, des
communautés de femmes africaines ou des gens de voyages, qui avaient
préservé le lien social, d'utiliser la méthode de groupe.
Devant l'impossibilité de créer des groupes solidaires, l'ADIE
pratique l'approche individuelle avec la caution de l'entourage pour la
moitié au moins du montant du crédit solidaire. Cette caution
pratiquée par l'ADIE a un double rôle incontestable58.
D'une part, elle permet de vérifier que les emprunteurs sont
honorablement connus dans leur milieu et que des amis
58. Maria NOWAK, On ne prête pas (que) aux riches,
préc., p. 147.
ou voisins sont prêts, le cas échéant,
à les aider dans la réalisation de leur projet. D'autre part,
elle sert de moyen de pression en cas de non remboursement de crédit. En
effet, en cas de défaillance, les procédures de recouvrement sont
très rares puisque du fait des faibles montants des prêts,
chercher à se faire rembourser peut occasionner des coûts
équivalents à la somme due59. C'est la raison pour
laquelle l'ADIE pratique également une sorte de mutualité entre
les emprunteurs puisqu'elle prélève un montant de 5% du montant
de chaque prêt pour la mutualité des clients60. C'est
une cotisation au Fonds de solidarité de l'ADIE. Cette pratique est
également exercée par l'ACLEDA. On pourrait imaginer que cela
illustre bien la possibilité de solidarité de emprunteurs.
Toutefois, cela n'est pas une approche qui a été pratiquée
au Bengladesh. Bien que la mutualité soit possible, l'approche
exercée en France demeure touj ours une approche individuelle. Tout ceci
nous conduit à penser logiquement que l'idée du
micro-crédit est universelle, mais aucun modèle du
micro-crédit n'est universel. Le modèle du micro-crédit
doit s'adapter au contexte du pays. C'est la raison pour laquelle on peut se
prononcer clairement que reproduire la Grameen Bank ne consiste pas à
imiter le modèle, mais de pouvoir l'adapter à l'environnement
social et culturel du pays. Un exemple intéressant est le modèle
du micro-crédit en Europe. Bien que l'approche sociale et culturelle des
pays européens ne soit pas très loin l'une de l'autre, il n'y a
pas de modèle européen unique de
micro-crédit61. La seule chose qui est la même c'est la
pratique de l'accompagnement du micro-crédit.
33-2. - Les critiques de la pratique du groupe
solidaire. Malgré ces avantages considérables, la
pratique du groupe solidaire n'est pas à l'abri de toutes les
critiques62. L'idée de groupe solidaire est idéale,
mais la pratique montre que la chose n'est pas aussi simple. Dès lors
que le groupe est constitué de manière artificielle, la pression
sociale ne peut plus jouer son rôle. Les risques sont
généralement plus marqués en milieu urbain. Il faut donc
nécessairement différencier les approches selon que l'on est en
milieu urbain ou rural. C'est la pratique au Cambodge où les
opérateurs ont été amenés à adopter des
démarches différentes. En milieu urbain, il n'y a pas
suffisamment de sentiment
59. David VALLAT, « La finance solidaire : un champ
d'application varié », in Le rapport moral sur l'argent dans le
monde, éd. Association d'économie financière, 1998, p.
510.
60 . Ce montant de 5% constitue une contribution symbolique des
emprunteurs au Fonds de garantie pour les structures d'insertion par
l'économique. Ce fonds est destiné à garantir les
micro-prêts accordés.
61 . Maria NOWAK, « Le modèle européen de
micro-crédit », in Le rapport moral sur l'argent dans le monde,
éd. Association d'économie financière, 2006, p.
417-421.
62 . I. GUERIN, « Microfinance dans les pays du Sud : quelle
comptabilité entre solidarité et pérennité ?
», Rev. Eco. Fin, 2001, p. 148-149.
d'appartenance et de solidarité locale. Les
opérateurs ont du mal à impliquer les emprunteurs dans la gestion
du dispositif, ceux-ci évoluent plutôt vers une logique bancaire.
En revanche, en milieu rural, l'approche mutualiste reste pour l'instant
privilégiée. La cohésion sociale est très forte.
S'il y a place pour l'honneur et le souci de préserver la
dignité, s'appuyer sur la pression sociale est possible. Toutefois, en
l'absence de sentiment d'appartenance à une communauté, il est
difficile de s'appuyer sur cette pression sociale. C'est également
l'interprétation des notions de « solidarité » et
« de caution solidaire » qui provoque des malentendus. Il arrive que
les membres qui se portent caution comprennent mal leur rôle. Il pourrait
arriver qu'ils comprennent que le remboursement des défaillants incombe
uniquement au chef du groupe.
Malgré ces critiques, les études montrent que le
succès du micro-crédit est très grand. Pour éviter
le risque de l'absence d'appartenance à une communauté, une autre
technique qui peut également expliquer le succès du
micro-crédit est la technique de garantie de crédit qui se base
sur la proximité.
33-3. - La relation de proximité :
substitution à la garantie matérielle. Cette
technique s'inspire de celle utilisée dans le secteur du financement
informel. C'est pour cela que la formule est souple et qu'elle peut être
adaptée aux besoins. La principale caractéristique du
micro-crédit est la proximité. En pratique, l'absence de garantie
est le principal facteur qui freine l'accès des ménages pauvres
et des micro-entrepreneurs au financement par le secteur formel. La
proximité63, l'un des piliers du micro-crédit, fait
naître une confiance qui remplace le manque de garantie réelle. La
proximité est une notion qui est fondée sur les relations qui
sont déterminées par l'appartenance à un même espace
qui peut être non seulement géographique, mais aussi
éthique, religieux ou professionnel. Elle peut être définie
socialement comme la confiance, la réputation, la
crédibilité, la garantie64. On sait très bien
que la confiance est une notion même du crédit. Elle est
essentielle dans les rapports des acteurs de crédit. Elle joue
également un très grand rôle dans le rapport entre les
acteurs du micro-crédit. Elle entretient une relation dialectique avec
la proximité65.
Dans ce rapport de proximité, la personnalité de
l'emprunteur est très importante. L'évaluation du crédit
dans le système de micro-crédit est basée sur la
personnalité par
63 . Pour une étude d'ensemble : V. OULD NEMINE Ahmed,
Le rôle des micro-crédits dans le financement du
développement, thèse de l'Université de Nice, 15
décembre 2004.
64. P. HUGON, « incertitude et financement de
proximité », Communication en colloque de Lyon, décembre
1993, p. 17.
65. J-M SERVET, « le financement de proximité
», Communication au colloque de Lyon, décembre 1993.
opposition à celle dans le cadre d'activité
bancaire qui s'accompagne d'une analyse financière de demandeur et des
garanties. Cette caractéristique de proximité est
empruntée au système informel qui repose essentiellement sur la
proximité entre le prêteur et l'emprunteur. C'est une
proximité relationnelle qui est alimentée par la proximité
géographique et sociale66.
Au plan géographique, la proximité est
liée au processus de décentralisation des activités.
Chaque organisme de micro-crédit met à la disposition des clients
des agences ou des antennes locales67. L'ACLEDA a mis en place ses
agences dans toutes les provinces du pays. Ils connaissent les demandeurs et
ils peuvent donc être à l'écoute et à la disposition
des clients. C'est ce qu'a réclamé Diderot dans son Jacques Le
FATALISTE « c 'est un man que d'écoute, d'attention qui est
essentiel le plus durement comme une injustice, comme une atteinte à la
dignité68 ». C'est l'instauration d'un dialogue
avec l'emprunteur qui permettra de déterminer la cause de ses
difficultés, l'ampleur de son insolvabilité et le
caractère provisoire ou définitif de celle-ci afin de prendre les
mesures les plus rapides et les plus appropriées69. Pour les
membres du groupe solidaire, cette proximité est un critère de
choix des membres. Ils ont tendance à exclure les gens qui ne se
trouvent pas dans leur communauté. Cette relation personnelle de
voisinage des membres de groupe solidaire constitue une garantie morale
très importante.
Au plan social, la proximité renvoie à la
subjectivité des acteurs. C'est une proximité qui procède
d'une approche fondée sur des comportements d'apprentissage
défini comme le processus d'accumulation, de mémorisation. Cet
apprentissage fournit un savoir sur le milieu social et permet d'évaluer
un degré de confiance.
Au plan relationnel, la proximité est basée sur
la confiance. Celle-ci est à la fois la source et la conséquence
des relations de proximités. Cette confiance est importante. Lorsqu'un
agent de crédit d'une institution de micro-crédit prête de
l'argent à un client ou un groupe de clients sans aucune garantie
matérielle, c'est parce qu'une certaine confiance existe entre eux.
Ainsi, par exemple, l'inspection directe du milieu par les agents de
crédit et le contact personnel avec les clients permettent de
développer un espace de proximité
66 . Alain BERNARD, « Le Fataliste et le Candide :
éradiquer l'exclusion financière, une utopie réaliste ?
», In Le rapport moral sur l'argent dans le monde, éd. Association
d'économie financière, 2006, p. 4O8 ; David VALLAT, «
Très petites entreprises et exclusion bancaire en France : les
partenaires associations-banques », Rev. Eco. Fin, 2000, p.
155.
67 . En 2005, l'Adie comptait 110 antennes et 380 permanences en
France. Plus de 1000 bénévoles offrent leurs services de conseil
dans divers domaines (gestion, comptabilité, droit...).
68. Alain BERNARD, préc., p. 410.
69. Michel LECOMTE, préc., p. 420.
relationnelle. Elle permet un apprentissage sur le
comportement de l'emprunteur et sur son environnement. C'est la pratique
qu'exerce l'agent de crédit de l'ACLEDA avant la décision
d'octroi de crédit.
34. - 2. La technique du crédit
progressif. Le succès du micro-crédit est enfin
lié à la technique qui donne aux emprunteurs une motivation de
rembourser le crédit. C'est une simple procédure d'approbation et
de renouvellement de crédit. Cette caractéristique a
été considérée comme
l'élément-clé qui explique le succès du programme
du micro-crédit dans la mesure où les emprunteurs estiment qu'ils
ont intérêt à rembourser les prêts afin d'obtenir de
nouveaux crédits. C'est une technique dite « de crédit
progressif » suivant laquelle les prêts successifs plus
important sont fournis si le prêt initial a été
dûment remboursé. Le remboursement de crédit doit
être régulier. Toutefois, la pratique de crédit progressif
n'est pas toujours possible en France dans le cas de la création
d'entreprise qui exige souvent un investissement initial70.
35. - L'étude sur les
caractéristiques du micro-crédit permet de voir la situation des
bénéficiaires et le succès du micro-crédit. Bien
que le terme micro-crédit n'ait pas acquis une reconnaissance juridique,
ce dernier ne manque pas d'attirer l'attention du législateur. La place
du micro-crédit en droit peut être expliquée
précisément à travers l'étude cette fois de la
typologie du micro-crédit.
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