Section II : La typologie du micro-crédit
36. - Une variété du
micro-crédit. Il serait difficile d'imaginer une
différente typologie du micro-crédit puisqu'en pratique lorsqu'on
parle de micro-crédit on se réfère directement au
micro-crédit de type Grameen Bank. Toutefois, plusieurs types
de micro-crédit existent. Monsieur Yunus ne nie pas l'existence d'une
variété de micro-crédit. Il peut aller jusqu'à dire
qu'il faut bien comprendre de quel micro-crédit on parle pour pouvoir
mener un débat compréhensible71. De ce premier constat
on voit très bien qu'en pratique on a une vision très restrictive
de cette nouvelle conception de la distribution de crédit. Cette
habitude doit,
70. ADIE, Document de travail, Novembre 1999, p. 9.
71 . Muhamed YUNUS, what is microcrédit ?, Janvier
2003.
au moins en France, être changée du fait que
récemment le législateur français a adopté un
nouvel article 80-III de la loi du 18 janvier 2005, disposition
consacrée au micro-crédit social. Ainsi, la conception
restrictive du micro-crédit (§1) doit
être abandonnée au profit d'une conception plus large qui permet
d'envisager à la fois le micro-crédit professionnel et le
micro-crédit social dont l'apparition est peut-être nouvelle en
France (§2). Or, cette tendance demeure
inopérante au Cambodge où cette nouvelle typologie du
micro-crédit est très loin à l'esprit tant des
professionnels que de la BNC, autorité habilitée à
réglementer les opérateurs de la micro-finance.
§ 1. - La conception restrictive du
micro-crédit : le micro-crédit professionnel
37. - Plan. Il est ici
intéressant de tracer brièvement l'origine (A)
du micro-crédit professionnel avant d'évoquer
l'implantation de cette conception en France et au Cambodge. Cette histoire
permet de comprendre le micro-crédit mis en place dans ces deux pays. Il
faut ensuite noter que le développement du micro-crédit
professionnel est encouragé par la création de Fonds de
Cohésion sociale (B)
A. L'origine du micro-crédit professionnel
38. - La naissance du micro-crédit
professionnel. Beaucoup de personnes ont mal compris que le
micro-crédit est né, en première fois, au Bangladesh en
même temps que la Grameen Bank. En effet, le micro-crédit
est né en 1971 en Colombie à travers l'Organisation à but
non lucratif Opportunity International, et au Brésil en 1973
avec l'ONG Accion International. Il a vu ensuite le jour au Bangladesh
en 1976 et s'est rapidement étendu partout dans le monde grâce aux
effets positifs72 qui ont été engendrés par le
micro-crédit de type Grameen Bank. La méthode de
micro-crédit développée par la Grameen Bank est
originale puisque pour pouvoir emprunter les demandeurs de crédit
doivent constituer un groupe de cinq personnes qui s'épaulent dans les
remboursements. Aucune autre garantie n'est demandée. Cette
originalité permet de comprendre le discours du professeur YUNUS qui dit
que « ce n 'est pas l 'argent qui sauve, mais la confiance, la
solidarité et la fraternité ». La destination des
crédits empruntés doit obligatoirement
72 . V. infra, n° 62-75.
permettre la création d'une activité
économique génératrice de revenus et donc de permettre aux
emprunteurs de subvenir leur famille. Par exemple, un prêt peut
être accordé afin d'acheter une ou plusieurs poule(s). En vendant
les oeufs, l'emprunteur rentre dans un cycle économique et
génère ainsi des revenus, grâce auxquels il va rembourser
le prêt. Cette idée d'octroi de crédit aux pauvres,
modestes ont été rapidement transposée dans les autres
pays en développement, le Cambodge notamment, et même industriel,
c'est la cas par exemple de la France.
39. - Le micro-crédit professionnel en
France et au Cambodge. L'idée répandue en France
est que la création d'entreprise est une affaire d'élite et que
la vaste majorité des citoyens ne pense qu'à la
sécurité d'un emploi salarié appartenant, si possible,
à la fonction publique. Cette idée ignore la
réalité. En effet, la vérité est qu'il existe en
France un vrai désir de « se mettre à son
compte73 ». En plus, la montée du chômage depuis
le début des années quatre-vingt encourage le recours à
des micro-initiatives pour créer son propre emploi. Mais la question de
financement de ces activités se pose. C'est bien dans ce contexte que
l'ADIE a été créée pour promouvoir « l
'esprit d'entreprise qui est la chose du monde la mieux
partagée74 » en mettant en place le
produit de micro-crédit inspiré des expériences du
micro-crédit de la Grameen Bank.
Il s'agit du micro-crédit professionnel puisqu'il
permet, aux pauvres, aux chômeurs ou aux Rmistes de se lancer dans
l'économie ou de se retrouver leur citoyenneté économique
au moyen de la création de leur propre emploi. La finalité de
crédit doit être de créer ou de développer une
entreprise ou d'entreprendre une activité génératrice de
revenus. L'article 74 al. 3 de la loi sur les institutions bancaires et
financières prévoit que « les entités qui pratiquent
les opérations de banque en vue notamment de promouvoir
l'intermédiation bancaire dans les secteurs de l 'agriculture, de l
'artisanat, du petit commerce et des services aux particuliers... »
Il peut donc concerner divers secteurs d'activités : l'agriculture,
l'artisanat, le petit commerce et les services. Le domaine d'intervention du
micro-crédit en droit cambodgien est aussi large que celui du droit
français. L'alinéa 5 de l'article L. 511-6 du Code
monétaire et financier est ainsi compris que l'interdiction d'exercer
des opérations de crédit à titre de profession habituelle
ne s'applique pas « aux associations sans but lucratif faisant des
prêts pour la création et le
73. Maria NOWAK, « Le crédit solidaire : une voie
nouvelle vers l'association du travail et du capital », in Le rapport
moral sur l'argent dans le monde, éd. Association d'économie
financière, 1998, p. 483-487.
74. Idem. p. 484.
développement d'entreprises par des chômeurs
ou titulaires des minima sociaux sur ressources propres et sur emprunts
contractés auprès d'établissements de crédit ou des
institutions ou services mentionnés à l'article L. 518-1,
habilitées et contrôlées dans des conditions
définies par décret en Conseil d'Etat ». Il concerne
aussi bien la création que le développement d'entreprises, quel
que soit leur objet social. Il s'agit en pratique des entreprises individuelles
qui interviennent surtout dans le domaine de petits commerces et de
services75. En effet, la création de son propre emploi exige
un minimum de fonds propres et l'accès au crédit. C'est
exactement sur ce point que le micro-crédit imaginé en France est
différent de celui pratiqué dans les pays en développement
notamment le Cambodge. Le micro-crédit est accordé dans ce
dernier pays en vue d'entreprendre des activités
génératrices de revenus. Il s'agit des activités
traditionnelles qui n'exigent pas un minimum de fonds propres. Pour financer
les fonds propres ou quasi-fonds propres d'autres dispositifs ont
été mis en place : le prêt d'honneur, le prêt
à la création d'entreprise.
40. - Le micro-crédit, le prêt d'honneur
et le prêt à la création d'entreprise. En France,
l'intervention des pouvoirs publics à la création ou
développement d'entreprises par les chômeurs, les Rmistes sous
forme de fonds propres qui correspondent à une prime de démarrage
est indispensable et aurait dû être pleinement justifiée
sans qu'on puisse dire que cette intervention contrevient à la libre
concurrence. Le dispositif d'ACCRE (Aide aux Chômeurs Créateurs et
Repreneurs d'Entreprise) mise en place montait un rôle précurseur
de la France dans le domaine des fonds propres. L'ACCRE comprenait une prime et
l'exonération des charges sociales pendant un an. Cette prime a
été malheureusement supprimée en 1996 à la faveur
des économies budgétaires et sous la pression des artisans et
commerçants établis, qui considéraient qu'elle leur
créait une concurrence déloyale.
D'autres inventions des collectivités locales dans le
soutien de financement à la création d'entreprise peuvent
être revêtues sous forme de prêt d'honneur qui permet de
former un quasi-fonds propre. Ce prêt d'honneur doit être
distingué du micro-crédit qui est couramment appelé en
France le crédit solidaire. Ce dernier doit aussi être
distingué du prêt à la création d'entreprise.
Certes, ces formes de financement visent les mêmes
bénéficiaires et ont la même finalité. Toutefois,
l'une doit être clairement distinguée de l'autre. La confusion
entraîne une mauvaise compréhension du concept de
micro-crédit
75. Maria NOWAK, « Pour un droit à l'initiative
économique », in La micro-finance n'est plus une utopie !,
Autrement, 2007, p. 80.
professionnel. Il faut remarquer que l'ADIE offre à ces
clients non seulement du crédit mais un financement complet de leur
projet comprenant prêt et fonds propres ou quasi-fonds propre. Le premier
prêt, sous forme de micro-crédit, accordé par l'ADIE
constitue un capital de départ.
41. - Le micro-crédit et le prêt
d'honneur. Bien que le prêt d'honneur et le
micro-crédit soient gérés par les organismes d'insertion
notamment l'ADIE, tous les deux ne doivent pas se confondre. Un auteur, Sylvain
ALLEMAND, a écrit que le prêt d'honneur est le micro-crédit
lorsqu'il est accordé à titre gratuit. Toutefois, Madame Maria
NOWAK affirme que cela entretient une certaine confusion dans les esprits.
Selon elle, « ce n'est pas du micro-crédit au sens strict,
même si certains appellent cela ainsi76 ». Le
système de prêt d'honneur, sans intérêt et sans
garantie prise sur les biens du porteur des projets, développé
par des associations locales et octroyé au créateur d'entreprise,
constitue une réponse efficace à la constitution des quasi-fonds
propres de la future entreprise. Il s'agit d'une autre forme d'intervention
plus simple du pouvoir public, des collectivités locales. La Caisse des
Dépôts a investi, aux côtés des collectivités
territoriales, de l'Etat et des acteurs économiques, 44 millions d'euros
dans plus de 260 fonds locaux de prêts d'honneur qui, en 2003, ont
financé plus de 8000 entreprises et permis de créer 15 000
nouveaux emplois77. Il permet un effet de levier financier et
s'inscrit bien dans le développement économique local. Selon un
exemple expliqué par Monsieur Francis MAYER, pour 1 euro de prêt
d'honneur accordé, les créateurs obtiennent en moyenne 4,75 euros
de prêts bancaires78. Il doit être complémentaire
et subordonné par rapport au prêt bancaire. Il est important que
ces deux conditions soient remplies pour que le prêt d'honneur ne soit
pas en concurrence avec le prêt bancaire. Cette concurrence n'est pas
finalement avantageuse pour le créateur qui a besoin non seulement de
quasi-fonds propres, mais aussi d'accès permanent au crédit. Elle
augmente en plus inutilement les dépenses publiques si le crédit
peut être assuré par les banques. Le financement du prêt
d'honneur peut intervenir sous forme de prêt participatif dont les
intérêts et les modalités de remboursement seront
déterminés en fonction des résultats de l'entreprise. Il
s'agit en effet d'une forme hybride entre le prêt et la subvention.
76 . Sylvain ALLEMAND, préc., p. 82.
77. Francis MAYER, préc., p. 385-386.
78. Francis MAYER, préc., p. 385.
42. - Le micro-crédit et le prêt
à la création d'entreprise. Le micro-crédit
professionnel doit également être distingué d'une autre
forme de financement à la création d'entreprise qui est le
prêt à la création d'entreprise. Le dispositif du PCE a
été mis en place en 2000. Le prêt à la
création d'entreprise constitue une forme de partenariat
public-privé dans le domaine du financement. Comme le prêt
d'honneur, le prêt mis en place par la Banque du développement des
petites et moyennes entreprises (BDPME), pour lequel la Caisse des
Dépôts assume une partie du risque, est obligatoirement
accompagné d'un prêt bancaire. Il a bénéficié
à plus de 50 000 entreprises à ce jour. Il s'agit en fait d'une
forme de garantie apportée par le pouvoir public, mais c'est une
garantie sous forme d'un partage de l'encours de crédit79.
43. - Contrairement au prêt
d'honneur et au PCE, le micro-crédit peut être accordé par
l'ADIE sans qu'il soit subordonné au prêt bancaire. Mais, il peut
être aussi directement financé par les banques dans le cadre du
partenariat banques-ADIE. Ce financement direct par les banques, mais
subordonné à l'accompagnement du projet, est encouragé par
la création de Fonds de garantie dit de Fonds de cohésion
sociale. Ce dernier, ayant pour but de garantir le micro-crédit
professionnel, constitue un nouvel instrument du développement du
micro-crédit professionnel.
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