Le micro-crédit en droit français et en droit cambodgien( Télécharger le fichier original )par Vannak NHEAN Université Jean Moulin Lyon 3 - DEA de Droit des affaires 2006 |
§2. - L'influence du micro-crédit sur le droit français en matière de taux d'intérêt- Plan. La suppression du taux d'usure pour favoriser le développement du microcrédit, plus précisément du micro-crédit professionnel est évidente. Toutefois, on peut s'interroger sur l'opportunité de la même mesure en cas de micro-crédit social. Le même clivage entre micro-crédit professionnel (A) et micro-crédit social (B) est donc retrouvé ici. A. Le cas du micro-crédit professionnel
166 . L'article 32 de la loi du 1er août 2003 sur l'initiative économique. 167 . L'article 7 de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises. 168 . Bernard BOULOC, « La réforme de l'usure », RD bancaire et financier, n° 6 - Novembre/décembre 2003, p. 387. NOWAK, seul 20% des créateurs d'entreprises bénéficiait d'un prêt professionnel169. Ce faible accès des créateurs d'entreprise à l'emprunt est l'un des principaux obstacles à la création d'entreprise en France. Les règles sur l'usure étaient la cause de ce faible recours à l'emprunt car elles empêcheraient les banques de proposer aux entreprises en création des solutions de financement à des taux qui tiendraient compte du risque pris170. Mieux vaudrait donc leur accorder des prêts à des taux élevés plutôt que de les exclure de l'accès au crédit. Ainsi, afin de faciliter le financement171 des activités économiques nouvelles, l'article 32 de la loi du 1 er août 2003 a exclu, en principe, les personnes morales se livrant à des activités commerciales, industrielles du champ de l'usure. Malgré des critiques selon lesquelles il n'est pas certain que le nouveau dispositif facilite les distributions des crédits destinés à accompagner les projets des jeunes entrepreneurs172, cette loi est diversement appréciée, et cette mesure est prolongée par la loi de 2005 qui supprime l'usure pour les entreprises individuelles. 99. - Les difficultés de l'association du micro-crédit face à la législation relative aux taux d'usure. L'article L. 313-3 du Code de la consommation prévoyait que « les dispositions du présent article et celles des articles L. 313-4 à L. 313-6 ne sont pas applicable aux prêts accordés à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale ». Le domaine d'application de ce texte est imprécis173. On peut donc se demander si toutes les associations, peu importe l'objectif qui les anime, n'exercent pas une activité professionnelle, ce qui conduirait à les exclure systématiquement du champ d'application de la législation sur l'usure. De même, lorsqu'une association exerce occasionnellement l'une des activités mentionnées, les prêts qui lui sont accordés devraient échapper à la prohibition de l'usure. Quelle était la difficulté pour les opérateurs du micro-crédit, l'entreprise individuelle ? On pouvait imaginer une hypothèse suivante. L'ADIE était le client institutionnel du prêt bancaire destiné finalement à financer le chômeur créateur d'entreprise. Elle est 169 . Maria NOWAK, « Taux d'usure et création d'entreprise », in La Tribune, 10 février 2003. 170 . Philipe POTIER, « Réforme du régime de l'usure », RD bancaire et Financier, n°2 - Mars/avril 2003, p. 113. 171 . Philipe POTIER, « Aménagement du régime de l'usure pour les personnes morales », RD bancaire et financier, n°2 - mars/avril 2004, p. 126. 172 . Stéphane PIEDELIEVRE, « Le déplafonnement de certains taux d'intérêts », JCP E 2003, n° 42, p. 1658. 173 . Anne-Valérie Le Fur, « Faut-il modifier la législation sur l'usure ? », Droit bancaire et financier, in Mélanges AEDBF-France, sous la dir. Jean-Jacque Diagre, Rev. Banque édition, 2004, p. 118. bien sûre un professionnel du micro-crédit. Il importe peu qu'elle soit professionnelle commerciale ou non commerciale. La loi prévoit que dès lors qu'elle est un professionnel se livrant à une activité professionnelle non commerciale, elle ne peut plus se prévaloir des dispositions sur l'usure. Dans ce cas, la banque pouvait lui accorder un prêt qui n'est plus soumis à l'usure, alors qu'elle prêtait à sa clientèle, personne physique (entrepreneur individuelle), avec la prohibition de l'usure. Ainsi, la Banque, exerçant une activité purement spéculative, n'est pas assujettie au délit d'usure, alors que l'ADIE, association à but non lucratif, doit respecter les dispositions punissant l'usure. Si dans une hypothèse où la banque lui prête avec un taux assez élevé qui dépasse normalement le taux usuraire, l'ADIE doit supporter les pertes puisqu'elle ne peut pas accorder le prêt à sa clientèle avec un taux usuraire. Une autre difficulté que l'on a pu exposer précédemment est que l'accès au financement est bloqué par le taux d'usure appliqué aux entreprises individuelles. C'est une des causes principales de la frilosité des banques sur les petits prêts à la création d'entreprise174. On s'est donc interrogé sur l'opportunité de maintenir l'usure pour l'entrepreneur individuel. Pourquoi le législateur n'a-t-il pas fait bénéficier les entrepreneurs individuels, les commerçants, les artisans de la suppression de l'usure ? 100. - La réforme de 2005 en faveur du développement du micro-crédit. Pour prolonger l'idée de faciliter l'accès aux crédits des jeunes entrepreneurs, le législateur a accepté un nouvel assouplissement à la prohibition de l'usure. L'article 7 de la loi qui modifie l'article L. 3 13-3 du Code de la consommation prévoit que « les prêts consentis aux personnes physiques agissant pour leurs besoins professionnels ne relèvent plus de la législation sur les taux usuraires ». Toutes les entreprises sont concernées, quelle que soit la structure individuelle ou sociétaire adoptée. Suite à des réformes successives, les établissements de crédit sont prêts à accorder des financements à des chômeurs créateurs d'entreprises à la condition de pouvoir fixer un taux qui correspond au risque élevé. Ce nouvel assouplissement est énoncé comme étant un outil qui favorise la création d'entreprise et le développement du micro-crédit175. C'est grâce à cette loi que l'on peut expliquer facilement l'influence décisive du micro-crédit sur le changement du droit 174 . Cécile JOLY, entretien avec Maria NOWAK « Le micro-crédit : un gisement d'activité encore peu exploité », Rev. Banque Magazine, Décembre 2004, n° 664, p. 13-15. 175 . Exposé des motifs de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises ; Dominique LEGEAIS, Usure (loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises), RTD.com, Octobre/Décembre 2005, p. 815. positif. En effet, au cours des débats parlementaires sur l'adoption de ce texte, un député a critiqué que cette mesure consistant à la suppression de la législation sur l'usure aux prêts consentis pour leur seule activité professionnelle, aux entrepreneurs individuels, peut être dangereuse en terme de surendettement. En plus, l'augmentation des coûts - les charges de la dette - pèsera aussi sur le bilan de l'entreprise et accroîtra les risques de faillites des nouvelles entreprises. Lorsque l'on sait que la majorité d'entre elles ne réussissent pas à passer le cap des trois ans, on peut légitimement douter de l'efficacité d'une telle mesure. Toutes ces critiques ne persistaient pas longtemps grâce à l'argument du Monsieur Renaud Dutreil qui a expliqué que « aujourd'hui nous vous proposons de franchir un pas de plus dans cette simplification, à la demande des associations très engagées dans le financement de l'économie sociale notamment l'ADIE.... C'est une mesure typiquement du microcrédit. Nous souhaitons développer ce type de financement pour des créateurs à l'heure actuelle exclus du système bancaire176 ». Le micro-crédit, qui s'incorpore dans les dispositions applicables au crédit en général, exerce une influence très forte sur le cadre juridique du crédit surtout en matière de taux d'intérêt. 101. - En résumé, la suppression du taux d'usure pour les sociétés élargies aux entrepreneurs individuels facilite, d'une part, l'accès aux crédits des jeunes, des chômeurs créateurs d'entreprise, et d'autre part, le développement du micro-crédit professionnel. En plus, elle évitera à certains entrepreneurs d'avoir recours aux crédits à la consommation, lesquels sont plus onéreux177, pour financer leurs besoins professionnels. Ainsi, l'interdiction de l'usure qui est un principe longtemps incontournable en droit bancaire est devenu une règle résiduelle. L'objectif de la protection de l'emprunteur est passé au second plan. L'idée de faciliter le crédit à des jeunes entreprises est privilégiée à l'époque contemporaine. Le législateur a pris en considération des données économiques en admettant que l'intérêt peut être fixé en fonction du risque pris par l'établissement de crédit. Plus le risque est important, plus le taux doit être élevé. Si un emprunteur dont la situation financière est précaire veut avoir accès au crédit, il doit également accepter d'en payer le prix élevé. En raison du niveau élevé des taux d'intérêt, on pourrait considérer que les opérateurs du micro-crédit sont des « usuriers des temps modernes ». Enfin, s'il paraît acceptable de libérer le taux d'intérêt pour le micro-crédit accordé à des porteurs de projet économique, qu'en est-il pour le micro-crédit social ? 176 . Séance du lundi 13 juin 2005. 177 . Bernad BOULOC, préc., p. 388. |
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