Section II : La politique législative des taux
d'intérêt du microcrédit
94. - L'application du droit commun au
micro-crédit. Les analyses précédemment
évoquées permettent de comprendre clairement la politique
législative en matière de taux d'intérêt. Il faut
rappeler que le micro-crédit est une notion purement économique
qui n'avait pas d'acception juridique. La loi ne parle que du prêt (droit
français) ou de crédit (droit cambodgien). Ainsi, la
législation des taux d'intérêt du droit positif doit
être purement et simplement appliquée au micro-crédit.
Aucune volonté d'adopter une réglementation spéciale
propre pour ce type de financement n'a été trouvée dans
les deux systèmes juridiques. Il faut donc, en premier lieu,
s'interroger sur l'applicabilité du Prakas libéralisant le taux
d'intérêt pour les crédits accordés par les banques
commerciales aux opérateurs du micro-crédit en droit cambodgien
(§1) avant de regarder, en second lieu, une influence
décisive du micro-crédit sur le changement du droit positif
français dans ce domaine (§2).
§1. - L'inapplicabilité du Prakas du 16
mars 1995 au micro-crédit accordé par les IMF
95. - Inapplicabiité du Prakas du 16 mars 1995.
En droit cambodgien, on croyait que la fixation de taux
d'intérêt par les opérateurs du micro-crédit est
libre. La plupart des opérateurs de micro-crédit pouvaient
pratiquer dès le début des taux d'intérêt de 5% par
mois, permettant d'envisager à terme leur viabilité. Le taux
d'intérêt pouvait atteindre 60% par an. De ce fait, près de
90 ONG offrant du micro-crédit existent aujourd'hui. Aucune instance
gouvernementale, même informelle, n'a discuté ou remis en cause la
libre fixation des taux ou mis en place précocement une
réglementation contraignante. Toutefois, on peut s'interroger sur la
légitimité de cette liberté de fixation de taux
d'intérêt du micro-crédit. En droit commun, l'article 59 du
décret-loi de 1988 prévoit que « le prêt à
intérêt n 'est admis que s 'il a été accepté
dans un écrit constatant le consentement des parties. Le taux
d'intérêt est fixé à 5% par an, sauf si une
disposition contraire prévoit autrement161 ». Selon
cette disposition, le taux d'intérêt conventionnel est
plafonné à 5% par an. Les prêteurs doivent respecter le
plafond de 5% par an. En cas de non respect, une sanction civile et
pénale est prévue. Civilement, le prêteur doit imputer les
intérêts perçus en dépassement du taux légal
sur le montant du capital, et les sommes trop perçues après cette
imputation produisent les intérêts à compter de la date de
son remboursement et doivent être restituées à
l'emprunteur. En plus, le prêteur peut être condamné
pénalement. Mais quelle infraction pénale ? Aucune
précision n'a été donnée162. On pourrait
penser à la condamnation pour le délit d'usure. Toutefois, une
exception est admise. Une loi ou un texte réglementaire spécial
peut admettre un taux plus élevé. Conformément à
cette disposition, l'article 2 du Prakas du 16 mars 1995 sur la
libéralisation de la fixation de taux d'intérêt
prévoit que « toutes les ban ques commerciales ont droit de
fixer librement
l 'intérêt des dépôts et des
prêts à intérêt qu 'elles accordent163
». La liberté de fixation de l'intérêt de
prêt est uniquement réservée aux banques commerciales. Il a
été adopté avant l'adoption des Prakas réglementant
des institutions de microfinance (IMF). On peut alors s'interroger sur
l'applicabilité de ce texte au micro-crédit accordé par
les institutions de micro-finance.
161 . Décret-loi n° 38/Kch du 28 octobre 1988 sur le
contrat et la responsabilité extra-contractuelle.
162 . L'article 60 du même décret-loi de 1988.
163 . Prakas n° B - 595 - 47/PrK du 16 mars 1995 sur la
libération de la fixation de taux d'intérêt.
95-1. - A la lecture de deux
dispositions, l'article 2 du Prakas de 2002 et l'article 74 alinéa 3 de
la loi sur les institutions bancaires et financières, on saurait
confirmer cette applicabilité. L'article 2 du Prakas de 2002
définissant la micro-finance prévoit que « la micro-finance
signifie la fourniture des services financiers tels que le crédit, et
les dépôts aux familles pauvres, familles qui ont des revenus
modestes et aux petites entreprises ». Cette disposition illustre
clairement que le micro-crédit n'est pas autre chose que le
crédit en droit commun. Le micro-crédit n'est pas une
terminologie juridique prévue par le texte. Le droit positif utilise
simplement le mot « crédit » pour désigner l'une des
composantes de la micro-finance. Ainsi, toute disposition applicable au
crédit l'est également au microcrédit. En plus, l'article
74 alinéa 3 de la loi bancaire précise limitativement des
règles applicables aux institutions de micro-finance qui sont
dérogatoires à la loi bancaire. Selon cet article, « les
entités qui pratiquent les opérations de banque en vue notamment
de promouvoir l'intermédiation bancaire dans les secteurs de
l'agriculture, de l'artisanat, du petit commerce et des services aux
particuliers, pourront exercer leur activité dans des conditions
dérogatoires à la présente loi (loi sur les institutions
bancaires et financières), fixées par une réglementation
spécifique édictée par la Banque Nationale du Cambodge et
concernant : leur capital minimum, leur agrément et les modalités
pratiques de celui-ci, les règles prudentielles qui leur sont
applicables, les conditions de leur implantation ». La fixation de taux
d'intérêt n'y est pas incluse. Aucune dérogation en la
matière n'est donc possible. A part des règles
dérogatoires fixées par la BNC, les IMF sont soumises à la
loi sur les institutions bancaires et financières. Ainsi, elles sont
soumises à toutes les dispositions applicables aux banques au sens de
l'article 1 de la présente loi.
95-2. - Toutefois, cette confirmation est
renversée par la lecture des autres dispositions. Le système
bancaire du Cambodge se compose des banques commerciales, des banques
spécialisées et les IMF164. L'article 1er
de la loi sur les institutions bancaires et financières du 18
novembre 1999 prévoit que les banques sont des personnes morales
spécialement habilitées à pratiquer, à titre de
profession habituelle, des opérations de banque. L'alinéa 3 de
l'article 2 de la même loi dispose qu'une entité qui ne pratique
qu'une seule de ces trois
164. A la fin de 2005, le système bancaire du Cambodge est
composé de
- 15 banques commerciales dont 12 sont des banques locales et 3
sont des filiales des banques étrangères
- 4 banques spécialisées dont une appartient
à l'Etat
- 16 IMF agrées et 24 opérateurs du
micro-crédit enregistrées qui exercent des opérations dans
les zones rurales. (Source : National Bank of Cambodia, Micro finance of
Cambodia, 2005)
activités de base est qualifiée de banque
spécialisée. En revanche, les institutions de micro-finance
constituent une autre catégorie de banques puisqu'elles peuvent exercer,
à l'exception de la mise à la disposition de la clientèle
et le traitement des moyens de paiement en monnaie nationale ou en devises
(art. 2 al. 2 b du Prakas du 11 janvier 2000), des opérations de
banques165. Si l'article 1 er du Prakas du 16 mars 1995
limite la libre fixation de taux d'intérêt aux crédits
accordés par les banques commerciales, on peut se demander si les IMF
sont des banques commerciales. Selon le droit positif, les banques commerciales
sont les banques qui peuvent exercer pleinement toutes les opérations de
banque. Or, les IMF n'ont pas un objectif purement commercial. Leur vocation
principale est de pouvoir fournir les services financiers dans les zones
rurales. En plus, leur activité est limitativement encadrée par
la loi. Elles ne sont pas des banques commerciales au sens du Prakas de 1995.
En plus, sachant que le taux d'intérêt demandé par les IMF
est plus élevé que celui des banques commerciales,
l'autorité de tutelle cherche des mesures afin de pouvoir réduire
le taux d'intérêt demandé par les IMF. Au lieu de fixer un
plafonnement de taux d'intérêt, la BNC a adopté un Prakas
du 14 août 2001 sur le calcul de taux d'intérêt du
micro-crédit. Ce Prakas est propre, selon son article premier, aux IMF,
banques spécialisées du crédit rural et ONG et
associations assujetties à la loi sur les institutions bancaires et
financières. Il ne concerne pas les banques commerciales puisque le taux
d'intérêt est libre pour ces dernières, ce qui ne
nécessite pas de leur imposer une méthode de calcul de taux
d'intérêt. En plus, comme on a vu précédemment, la
méthode de calcul prévue par ce Prakas conduit à conclure
que le crédit accordé doit être un crédit
amortissable. Il ne serait pas possible d'imposer aux banques commerciales
uniquement cette méthode de crédit amortissable. Le Prakas de
1995 ne peut donc pas être étendu au micro-crédit.
96. - Les raisons de l'absence d'action en justice
contre la pratique de taux d'intérêt illégal.
Cette analyse du droit cambodgien sur l'applicabilité du Prakas
du 16 mars 1995 au micro-crédit permet d'avertir les professionnels du
micro-crédit sur l'illégalité de leur pratique. Si la
pratique des taux d'intérêt actuellement de l'ordre de 40,90% en
moyenne
165 . L'article 2 de la loi sur les institutions bancaires et
financières prévoit que « les opérations
constitutives de l'activité bancaire comprennent :
1. L'octroi de crédits, de toute nature, accordés
à titre onéreux au profit du public, y compris le
crédit-bail et les engagements par signature,
2. La réception de dépôts non
affectés en provenance du public,
3. la mise à la disposition de la clientèle et le
traitement des moyens de paiement en monnaie nationale ou en devises.
par an est illégale, pourquoi il n'existait pas
d'action en justice introduite par l'emprunteur afin de contester cette
pratique et de condamner civilement et pénalement le prêteur ?
Trois raisons peuvent expliquer cette situation. D'abord, c'est en raison de
l'habitude des praticiens. On croyait depuis longtemps que le Prakas de 1995
est applicable aux microcrédits, et l'autorité de tutelle ne veut
pas remettre en cause cette pratique puisqu'elle ne voulait pas que les
opérateurs se retirent du marché. Ensuite, les populations qui
habitent dans les zones rurales ont des connaissances limitées. Enfin,
la justice est difficilement accessible. On a toujours une hésitation
pour introduire une action en justice. Les frais de justices sont en pratique
largement élevés, ce qui ne permet pas aux pauvres d'y avoir
accès librement. En plus, en raison du faible montant de prêt et
donc de taux d'intérêt, le fait d'introduire une action en justice
peut générer des frais plus importants que le montant de taux
d'intérêt. Ce contexte n'existe pas en droit français qui
est changé au fur et à mesure en faveur du développement
du micro-crédit professionnel.
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