2. L'impact sur les revenus
69. - L'accroissement de revenus. Le but
essentiel des programmes de micro-crédit est de lutter contre la
pauvreté en accroissant les revenus des emprunteurs pauvres. Il est
important de noter que les programmes de micro-crédit permettent de
diversifier leurs revenus. En effet, la possibilité de diversifier les
revenus est importante, en particulier pour les ruraux pauvres, qui sont
tributaires de l'agriculture et exposés aux variations climatiques et
aux cycles agricoles. La diversification des revenus peut provenir de
l'introduction de nouvelles activités agricoles ou de l'introduction ou
du développement d'activités non agricoles.
Ce processus peut avoir aussi des effets secondaires notamment
sur la scolarisation et la planification familiale. Toutefois, il est difficile
de déterminer avec précision les effets du micro-crédit en
raison de la fongibilité des prêts. Il faut noter qu'une partie de
microprêt sert directement à accroître la consommation. Les
effets sur la consommation peuvent être immédiats, tandis que les
autres effets ne se manifestent parfois qu'à long terme. Comme les
clients de micro-crédit sont pauvres, ils emploient souvent leurs
revenus additionnels pour améliorer leur alimentation et leur logement
et se procurer d'autres biens essentiels, ce qui montre le détournement
de la destination des fonds prêtés et donc l'échec de
programme du micro-crédit pour une partie des emprunteurs du
micro-crédit au Cambodge et le risque du surendettement124.
En plus, dans les cas des pauvres urbains et ruraux en particulier, on peut
difficilement faire la part des dépenses de consommation et des
dépenses de production, car le travail est le principal facteur de
production et celui qui ne mange pas à sa faim ne peut pas travailler
efficacement. Les études montrent donc que les effets ne seront durables
que si le micro-crédit est ciblé sur des zones où les
activités économiques sont à fort potentiel de croissance
puisque les pauvres ont tendance à employer les crédits
essentiellement pour financer leur consommation, ce qui à terme devrait
entraîner une évolution de la production et des revenus. En raison
de ces difficultés constatées, on peut se demander si le
micro-crédit est vraiment un outil de lutte contre la pauvreté.
C'est une question qui est au coeur des discussions actuelles125 sur
le rôle du micro-crédit.
124 . V. infra, n° 76-77.
125 . Une présentation complète sur toutes les
discussions relatives à l'effet de micro-crédit sur la
réduction de pauvreté : V. Norman Macisaac, Société
asiatique des partenaires, Le rôle du micro-crédit pour
réduire la pauvreté et favoriser l'égalité des
sexes, Document de travail, le 12 juin 1997 ; Adrien de TROCORNOT, « Le
micro-crédit fait-il baisser la pauvreté ? », in Le monde,
Mardi, 14 Novembre 2006.
70. - Le micro-crédit, outil de lutte contre
la pauvreté ? La plupart des études, qui ont
été faites ces dernières années sur les effets du
micro-crédit, ont mis en exergue son impact positif126 sur
les revenus, l'emploi, la productivité, la capacité
d'organisation et la formation des pauvres. Des programmes de
micro-crédit ont eu des résultats positifs, plus
précisément pour un grand nombre de pauvres et surtout pour les
femmes. Les résultats obtenus avec le micro-crédit traduisent une
mutation profonde dans le domaine du microfinancement qui va à
l'encontre de l'idée que les personnes défavorisées sur le
plan économique représentent un mauvais risque et qu'elles ne
soient pas solvables. Mais d'autres études ont contesté l'effet
de levier de la réduction de la pauvreté du micro-crédit.
Il y a une forte croissance de la micro-finance au Cambodge, en raison de
l'absence d'autres alternatives puisque les banques ne s'implantent pas dans
les zones rurales. Malgré cette croissance très
considérable, certains l'accusent d'appauvrir encore plus des
ménages par manque de capacité d'investir des prêts de
manière productive. Les institutions de micro-finance sont trop
centrées sur les simples services financiers. Une étude sur la
situation des ménages sans terre commandée en 2000 par une ONG
britannique OXFAM s'installant au Cambodge a montré que 20% des familles
avaient vendu leurs terres pour rembourser les prêts. Presque la
moitié de ces ménages ont affirmé qu'ils n'auraient pas
vendu leurs terres s'ils n'avaient pas été obligés de
rembourser les crédits127. On se demande souvent si le
crédit est vraiment une méthode appropriée à la
réduction de la pauvreté ou s'il aboutit ainsi à
accroître la vulnérabilité des populations. Toutefois,
force est de constater que les critiques n'ont pas spécifié
quelle forme de crédit était responsable de ce
phénomène (Banques, IMF ou usuriers) puisque malgré la
forte croissance de la micro-finance, le secteur informel occupe touj ours une
place importante en raison de la proximité plus forte qui existe entre
le prêteur et l'emprunteur. Pour pouvoir identifier quel crédit
est la cause de ce phénomène, il est recommandé à
la BNC de plafonner précisément le montant et la durée
maximums du micro-crédit.
71. - Le micro-crédit n'est pas en soi un
outil de réduction de la pauvreté. Se posant la
même question, Monsieur Jean-Michel SERVET128 a soulevé
un point intéressant relatif aux bénéficiaires du
micro-crédit dans les pays du Sud129. Il explique que dans
ces pays il
126 . OULD NEMINE Ahmed, préc., p. 127.
127 . David LEEGE, thèse préc., p. 344.
128 Anthropologue et économiste, fondateur du programme de
recherche sur la microfinance à l'institut français de
Pondichéry (Inde).
129. J-M SERVET, « Les limites du microcrédit
», in Alternatives économiques, Décembre 2006, n°253,
p.
existe trois types de population : une minorité
aisée, une classe moyenne regroupant les petits producteurs,
commerçants et salariés modestes, et les populations les plus
pauvres. Pour lui, le micro-crédit ne bénéficie pas aux
populations les plus pauvres, comme ce devrait être le cas, mais
plutôt à la classe moyenne qui est exclue du système
bancaire classique, et il ne s'adresse qu'exceptionnellement aux plus pauvres.
Dans le bilan tiré dans le cadre de ses recherches, monsieur J.M SERVET
a relevé que « 25% des clients en profitent vraiment car ils en ont
la capacité entrepreneuriale. 50% améliorent simplement par cet
outil la gestion du budget familial. Pour les 25% restants, la situation
s'aggrave car ils échouent130 ». De par cette
constatation, cela explique que le micro-crédit est très
faiblement implanté dans les zones rurales et ne finance que très
peu de paysans. Ainsi, les hommes et les femmes qui vivent dans la
pauvreté n'en retirent pas automatiquement des avantages. Dans certains
cas, les incidences sur les plus pauvres peuvent même être
néfastes. De nombreuses études en sont venues à la
conclusion que la plupart des emprunteurs et les emprunteuses n'obtiennent que
des gains marginaux et que par ailleurs seul un faible pourcentage
d'emprunteurs et d'emprunteuses suscite un accroissement de revenus. Les
emprunteurs et les emprunteuses les plus pauvres sont ceux qui retirent le
moins d'avantages. Il est constaté que « plus la personne qui
emprunte était riche, plus grande était l 'amélioration de
son revenu grâce au crédit ». Toutefois, les emprunteurs
qui se situaient sous le seuil de pauvreté se retrouvaient avec un
revenu inférieur à ce qu'il était avant d'adhérer
au programme. C'est donc dire que concrètement le micro-crédit
les appauvrissait. Les raisons sont qu'il se peut que les pauvres utilisent les
prêts différemment en les consacrant notamment à des biens
de consommation ou à des activités à faible risque qui
sont habituellement moins rentables, ce qui justifie l'importance du rôle
de l'accompagnement.
Il importe donc de reconnaître que le
micro-crédit ne constitue pas forcément une intervention
adéquate dans toutes les circonstances. S'il est vrai que très
peu de programmes ont vraiment aidé les plus pauvres, il y a lieu de se
demander si c'est parce que le programme est un échec ou parce que le
crédit ne constitue pas toujours l'instrument le plus convenable pour
soutenir les efforts des pauvres. Un chercheur peut jusqu'à dire que
« l 'incapacité apparente des institutions de micro-financement
de venir en aide aux pauvres n 'est peut-être pas du tout
révélatrice d'un échec, mais plutôt une
confirmation
70-71.
130 . Adrien de TRICORNOT, « Développement : Le
microcrédit fait-il baisser la pauvreté ? », in Le monde,
Mardi, 14 novembre 2006.
que le microcrédit ne constitue pas pour tous les
pauvres le moyen de s 'en sortir131 ».
Enfin, il faut souligner que cet instrument n'est pas une
panacée, et certaines études montrent qu'il ne peut pas à
lui seul prétendre éliminer la pauvreté. Il est tout
à fait évident puisqu' « on ne tombe pas dans la trappe de
la pauvreté seulement pour des raisons financières, mais aussi
liées à l'éducation, la santé, l'accès au
marché, les infrastructures, etc132 ». Le
micro-crédit ne peut donner de meilleurs résultats que lorsqu'il
est combiné à d'autres interventions. Les emprunteurs ont besoin
d'aides complémentaires sur d'autres plans notamment la formation, la
commercialisation, l'alphabétisation, la mobilisation sociale et les
autres types de services financiers. En vérité, il est difficile
de dissocier les incidences du micro-crédit de celles des autres
interventions. Le micro-crédit donne de meilleurs résultats
lorsqu'il est combiné à d'autres interventions. Il faut remarquer
que 20% des bénéficiaires du micro-crédit de l'ADIE savent
à peine lire. Les aides supplémentaires de montage du projet, de
suivi régulier du projet doivent être accomplis avec une
très grande prudence. Tout cela pour montrer que le micro-crédit
tout seul ne constitue pas un outil efficace quant à l'accomplissement
du rôle qui lui est confié. Cependant, on ne peut pas nier les
effets positifs du micro-crédit. Il permet de renforcer les liens
sociaux entre les emprunteurs. S'il est originellement un outil de
développement économique, le micro-crédit est aussi un
facteur de socialisation. Ces effets peuvent être montrés à
travers l'étude sur les impacts sociaux du micro-crédit.
|