Murphy c. Irlande
En 2003, c'est une affaire opposant un pasteur protestant
à l'Irlande, que la Cour a préféré traiter sous
l'angle de l'article 10 plutôt que de l'article 9. Les faits du cas
d'espèce sont les suivants: le pasteur s'est vu refuser la
possibilité de diffuser une annonce sur une station radiophonique
indépendante. Cette annonce, qui devait être diffusée peu
avant Pâques, appelait à s'interroger sur l'identité du
Christ, et faisait la publicité d'une projection de film concernant les
preuves de la résurrection. La High Court irlandaise a
justifié cette interdiction par la protection de l'intérêt
général: « Les croyants irlandais appartiennent pour la
plupart à des confessions spécifiques et des annonces à
caractère religieux provenant d'une confession différente
pourraient donc offenser de nombreuses personnes et être
interprétées comme du prosélytisme
».101
La Cour a analysé le cas en contrebalançant la
liberté d'expression du pasteur avec la liberté religieuse des
auditeurs de la radio, qui ont un droit d'être à l'abri de
l'audition de propos offensants leurs sentiments religieux, estimant que cette
ingérence était en l'espèce
justifiée.102
Bien que le requérant alléguait ses griefs tant
au titre de l'article 9 que de l'article 10, la Cour a
préféré une nouvelle fois se placer dans le cadre de la
liberté d'expression, nonobstant le fait que le contenu des idées
exprimées était clairement religieux, et pouvait être
regardé comme une forme de manifestation de la religion du
requérant.
On décèle à nouveau un certain malaise de la
Cour dans cette fuite devant l'article 9,103 ainsi que
peut-être un choix de s'insérer dans la logique d'une
jurisprudence antérieure bien fournie,
101 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt
du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), § 12
102 Il est dommage que la Cour n'ait pas relevé que
cette argumentation de la High Court semble vouloir protéger la
paix religieuse en s'opposant à une annonce qui dérangerait la
majorité catholique. On peut se demander en effet dans quelle mesure
cette attitude ne reflète pas un éventuel problème dans la
protection des droits des minorités religieuses.
103 Cette fuite face à l'article 9 est également
constatée par Renucci à la lumière de l'ensemble de la
jurisprudence de la Cour et de la Commission relative à la
liberté religieuse. Il relève en effet que lorsque l'article 9 se
trouve en concurrence avec d'autres droits protégés par la
Convention, le choix des juges s'est souvent opéré à son
détriment. RENUCCI, L'Article 9 de la Convention Européenne
des Droits de l'Homme, op. cit., pp. 37-38
Cette attitude semble être en contradiction avec
l'affirmation de la Commission dans son rapport sur l'affaire Kokkinakis:
« [l]orsque l'exercice du droit à la liberté de
manifester sa religion ou sa conviction par le culte, l'enseignement, les
pratiques ou l'accomplissement des rites, c'est le droit garanti à
l'article 9 de la Convention qui est visé au premier chef. »
Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport du 3
décembre 1991, HUDOC, §79
traitant de l'atteinte aux sentiments religieux sous l'angle de
l'opposition « article 10 vs. article 9 ».104
Le choix de se porter sur l'article 10 plutôt que 9 pour
les affaires de propagation des croyances ne nous semble pas en
conformité avec l'architecture de la Convention.105 L'article
9 introduit et pose les droits de l'être pensant dans la première
partie du paragraphe 1, en énonçant la liberté de
pensée, de conscience et de religion. La suite de l'article 9
énonce les droits concernant la réalisation de ce principe dans
sa dimension religieuse - au sens large -, tandis que l'article 10 et 11
donnent les moyens de sa réalisation sur le plan
non-religieux.106 Par conséquent, il nous semble que la
propagation des croyances, même si elle est une forme d'expression
couverte par l'article 10, doit être traitée, en raison de sa
composante religieuse, dans le cadre de l'article 9, conformément au
principe de la lex specialis.
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