2.1.3 La fuite vers l'article 10: les affaires Pitkevitch c.
Russie et Murphy c. Irlande
Dans les affaires les plus récentes où la Cour a
eu à faire à des cas de propagation de croyances, elle a
préféré se placer directement sous l'article 10, sans
prendre la peine d'examiner les cas sous l'angle de la liberté de
religion et de conviction, modifiant ainsi son approche de celle
développée dans les affaires grecques.
Pitkevitch c. Russie
C'est en fait une véritable fuite de la Cour à
laquelle on assiste dans l'affaire Pitkevitch c. Russie. L'affaire
concerne une juge, engagée politiquement dans le camp de l'opposition
à la mairie en place, qui s'est faite congédier, sur demande de
la maire. Il lui fut reproché d'avoir poursuivi des
98 VALTICOS Nicolas, « Interprétation juridique et
idéologies », in MAHONEY Paul, MATSCHER Franz, PETZOLD Herbert,
WILDHABER Luzius (eds.) Protection des Droits de l'Homme: la Perspective
Européenne. Mélanges à la Mémoire de Rolv Ryssdal,
Carl Heymans Verlag KG., Köln, 2000, pp. 1476 et 1481
activités religieuses, dans l'intérêt de
son église,99 sur son lieu de travail. Elle a notamment
tenté, sans succès, d'enrôler des personnes au sein de sa
dénomination religieuse, prié au cours de certaines audiences, et
elle aurait également promis à certaines parties une issue
favorable à leur procès si elles rejoignaient son église.
De part ces agissements, la requérante a, d'après les
juridictions russes, nui à sa réputation en tant que juge et a
affaibli l'autorité du pouvoir judiciaire.
La Cour dans sa décision, s'adonne à un
véritable tour de passe-passe pour éviter l'article 9. En effet,
elle constate tout d'abord que cette situation constitue bel et bien une
ingérence à la liberté de religion et à la
liberté d'expression, protégées par les articles 9 et 10
de la Convention. Puis elle poursuit en affirmant, qu'elle examinerait dans un
premier temps si l'ingérence est justifiée dans le cadre de
l'article 10. Après avoir constaté que l'ingérence en
question ne violait pas la liberté d'expression de la requérante,
elle ajoute simplement que « pour des raisons similaires », la
plainte est également mal fondée au regard de l'article 9.
Pourtant les faits en question, à savoir la manifestation de ses
convictions religieuses sur son lieu de travail, semblent clairement être
bien plus une ingérence à sa liberté religieuse
qu'à sa liberté d'expression. Par ailleurs, le malaise de la Cour
est également visible dans son usage de périphrases, pour
éviter absolument l'usage du terme « prosélytisme
».100
Sous l'angle de l'article 10, la Cour accepte que
l'ingérence poursuivait deux buts légitimes, à savoir
d'une part la garantie de l'autorité et de l'impartialité du
pouvoir judiciaire, et la protection des droits d'autrui, mais dans l'analyse
de la nécessité d'une telle ingérence, la Cour se contente
d'examiner en quoi elle était justifiée par la protection du
pouvoir judiciaire. Elle évite ainsi la limitation qui se baserait sur
le droit des individus à ne pas être soumis à une forme de
prosélytisme qui violerait leur liberté de pensée, de
conscience et de religion. De plus, le but légitime de la protection du
pouvoir judiciaire ne figure pas parmi les raisons justifiant une
ingérence à l'article 9, ce qui fait encore davantage regretter
que la Cour se permette de rejeter la requête au regard de l'article 9
« pour des raisons similaires ».
La Cour s'est visiblement trouvée embarrassée par
cette affaire, et plutôt que de se pencher sur la question du
prosélytisme de la requérante, qui aurait peut-être
suscité un débat inconfortable
99 La requérante est membre d'une église
évangélique.
100 « Elle exprima ses opinions religieuses »
(« She expressed her religious views »); « elle avait
essayé sans succès d'enrôler un certain nombre de personnes
» (« she had unsuccessfully attempted to enrol a number of persons
»); « elle avait essayé de recruter plusieurs collègues
ou tierces personnes pour en faire des membres de son église »
(« she had recruited several colleagues and third persons as members of
the Church »).
parmi les juges, la Cour s'est débinée en refusant
d'entrer véritablement en matière.
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