2.1.2 L'affaire Kokkinakis et la propagation des croyances
en tant qu'enseignement
La Cour, confrontée à la question de la
propagation des idées religieuses à deux reprises au sujet de
citoyens grecs condamnés sur la base de la loi grecque sur le
prosélytisme, a pris une approche très différente de celle
de la Commission dans les affaires susmentionnées, en tendant à
placer la propagation des croyances dans le champ de l'« enseignement
», plutôt que celui des « pratiques ».
Le code pénal grec contient traditionnellement une
interdiction du prosélytisme. Historiquement, cette interdiction visait
explicitement à protéger la religion dominante, l'église
orthodoxe orientale du Christ, contre toute forme de propagation religieuse qui
pourrait menacer sa position privilégiée. Dès la
Constitution de 1844, le « prosélytisme et toute autre intervention
contre la religion dominante » sont interdits. Ce n'est qu'en 1975 que la
nouvelle Constitution grecque a opté pour une interdiction
générale du prosélytisme - et plus uniquement lorsqu'il
est exercé contre la religion dominante. La loi pertinente dans le droit
pénal grec en ce qui concerne cette prohibition remonte à
1938-39, du temps de la dictature de Metaxas. La loi n°1363/1938,
modifiée par la loi n° 1672/1939, donne la définition
suivante du prosélytisme:
« Par prosélytisme, il faut entendre, notamment,
toute tentative directe ou indirecte de pénétrer dans la
conscience religieuse d'une personne de confession différente
(heterodoxos) dans le but d'en modifier le contenu, soit par toute sorte de
prestation ou promesse de prestation ou de secours moral ou matériel,
soit par des moyens frauduleux, soit en abusant de son inexpérience ou
de sa confiance,
81 Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 22838/93,
décision du 22 février 1995, D. R. 80, p. 150, §1
soit en profitant de son besoin, sa faiblesse intellectuelle ou
sa naïveté. »82 Kokkinakis c.
Grèce
Sur la base de condamnations effectuées à partir de
cette loi, deux affaires sont parvenues devant la Commission puis devant la
Cour européenne des droits de l'homme.
Il y a eu tout d'abord l'affaire Kokkinakis qui
allait marquer l'histoire de la Cour, puisqu'elle lui a donné l'occasion
de prononcer la première condamnation pour violation de la
liberté de pensée, de conscience et de religion. Le
requérant, M. Minos Kokkinakis, membre de l'église des
Témoins de Jéhovah et retraité, a été
arrêté plus d'une soixantaine de fois au cours de sa vie, pour
prosélytisme. Cette fois-ci c'est pour s'être rendu, avec sa
femme, au domicile de l'épouse du chantre d'une église orthodoxe
de la ville, pour y avoir entamé avec elle une discussion religieuse
qu'il s'est vu condamné. D'après le tribunal correctionnel,
« ils lui ont annoncé qu'ils étaient porteurs de bonnes
nouvelles; après avoir pénétré, avec insistance et
pression, dans sa maison, ils ont commencé à donner lecture d'un
livre relatif aux Ecritures qu'ils interprétaient en se
référant à un roi des cieux, à des
événements qui n'étaient pas encore survenus mais qui
surviendraient, etc., et en l'incitant par leurs explications pertinentes et
habiles (...) à modifier le contenu de sa conscience religieuse de
chrétienne orthodoxe. » Mais la discussion n'a finalement pas eu
d'influence sur les croyances de Mme Kyriakaki. Au terme de l'ensemble de la
procédure judiciaire, le requérant s'est vu infliger une peine
d'emprisonnement de trois mois, convertie en une sanction pécuniaire.
Quand la Commission s'est penchée sur la question de
savoir s'il y avait eu ingérence à la liberté de
Kokkinakis, de manifester sa religion, elle y a répondu par
l'affirmative sans autres explications, et surtout sans aucune
référence à la jurisprudence antérieure, et
notamment l'affaire Arrowsmith, considérant visiblement que les
faits étaient d'une nature différente. Elle s'est
contentée de constater que ce point n'était pas contesté
par les parties.83 Elle ne précise pas non plus quelle forme
de manifestation cette propagation représente - une pratique?
un enseignement? -, se débarrassant ainsi d'une
éventuelle application du test développé dans l'affaire
Arrowsmith. Elle suit de la sorte une approche similaire à
celle adoptée dans l'affaire W. H. v. Sweden - sans toutefois
citer cette décision. Cela est d'autant plus étonnant quand on
sait que la Commission reviendra à l'argumentation
développée dans l'affaire Arrowsmith, dans l'affaire
Van Den Dungen.
82 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §17
A partir de 1975, les juridictions grecques ont limité
le champ de cette définition, en attribuant un caractère
exhaustif à l'énumération des types d'activités
prohibées, annulant ainsi l'effet de la présence de l'adverbe
« notamment » dans la définition.
83 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport
du 3 décembre 1991, HUDOC, §56
La Cour quant à elle, a eu une argumentation à
peine plus développée sur cette question:
« Telle que la protège l'article 9 (art. 9), la
liberté de pensée, de conscience et de religion représente
l'une des assises d'une "société démocratique" au sens de
la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les
éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et
de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour
les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents.
Il y va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles -
consubstantiel à pareille société.
Si la liberté religieuse relève d'abord du for
intérieur, elle "implique" de surcroît, notamment, celle de
"manifester sa religion". Le témoignage, en paroles et en actes, se
trouve lié à l'existence de convictions religieuses.
Aux termes de l'article 9 (art. 9), la liberté de
manifester sa religion ne s'exerce pas uniquement de manière collective,
"en public" et dans le cercle de ceux dont on partage la foi: on peut aussi
s'en prévaloir "individuellement" et "en privé"; en outre, elle
comporte en principe84 le droit d'essayer de convaincre son
prochain, par exemple au moyen d'un "enseignement", sans quoi du reste "la
liberté de changer de religion ou de conviction", consacrée par
l'article 9 (art. 9), risquerait de demeurer lettre morte.
»85
Contrairement à la jurisprudence de la Commission, la
Cour rapproche ici la propagation à une forme d'enseignement,
mais sans être catégorique (« par exemple »),
sous-entendant que la propagation pourrait s'inscrire aussi dans le cadre
d'autres formes de manifestations. Cette position ne fait pas
l'unanimité parmi les juges de la Cour.86
On constate d'une part un flou terminologique dans le
vocabulaire de la Cour, pour décrire le
84 Ce « en principe » est perçu par Renucci
comme une marque de prudence dont il se félicite. RENUCCI
JeanFrançois, L 'Article 9 de la Convention Européenne des
Droits de l'Homme: La Liberté de Pensée, de Conscience et de
Religion, Editions du Conseil de l'Europe, Dossiers sur les droits de
l'homme, n° 20, Strasbourg, 2004, p. 22 et 58. Selon nous cette expression
signifie davantage que la propagation est permise, sous réserve de ne
pas être exercée d'une façon qui porte atteinte aux droits
d'autrui, ce que la Cour qualifiera par la suite de « prosélytisme
abusif ».
85 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. Nous
relevons qu'ici aussi la Cour fait usage de manière surprenante d'un
langage christianisé quand elle affirme que l'article 9 comporte «
le droit d'essayer de convaincre son prochain » (ou quand elle
utilise l'expression « témoigner », comme nous l'avons
déjà relevé précédemment). Il aurait sans
doute été préférable de parler du droit d'essayer
de convaincre « autrui », terme plus neutre et qui figure par
ailleurs dans la Convention.
86 Le jugement de la Cour a finalement abouti à la
conclusion que l'ingérence à la liberté de religion de
Kokkinakis n'était pas légitimée au regard du second
paragraphe de l'article 9 et partant, que cet article avait été
violé.
phénomène de la propagation des croyances. La
Cour mentionne successivement la notion de « témoignage »
(§3 1), de « droit d'essayer de convaincre son prochain »
(§3 1), au sein duquel elle distinguera le « témoignage
chrétien » ou la « vraie évangélisation »
du « prosélytisme abusif » (§ 48). Si certains juges
auraient souhaité l'utilisation du terme « prosélytisme
» dans un sens neutre, et comme manifestation légitime de ses
croyances,87 d'autres y étaient farouchement opposés,
considérant le « prosélytisme » comme
intrinsèquement illégitime et, partant, incompatible avec
l'article 9.88 Pour le juge Valticos, seules les «
conversations anodines » sauraient être tolérées, mais
en aucun cas le prosélytisme, où l'individu « cherche
à convertir autrui [en] ne se limitant pas à sa foi, [mais en
cherchant] à modifier celle des autres en faveur de la sienne
».89
La question de savoir si la propagation de sa croyance
pourrait être considérée comme une forme d'enseignement
a également été débattue, et surtout remise en
cause par les juges Valticos, Foighel et Loizou. Pour le premier, ce type de
manifestation peut se produire dans le cadre de programmes scolaires ou dans
les institutions religieuses, mais ne couvre pas ce genre de démarchage
individuel. Pour les deux autres, c'est surtout la manière dont le
contenu est présenté qui pose problème: « Le terme
d'"enseignement" implique franchise et probité, et exclut le recours
à des moyens détournés ou irréguliers
».90
Dans son commentaire sur cette affaire, le professeur Peter
Edge fait un constat intéressant: il lie les positions des uns et des
autres sur la question, à leur conception réciproque de ce qui
constitue selon eux l'essence, la raison d'être de cet article 9. En
effet, on trouve deux bases de
87 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion concordante
de M. le juge De Meyer: « Le prosélytisme, étant le «
zèle déployé pour répandre la foi », ne peut
être punissable en tant que tel: c'est une manière, parfaitement
légitime en elle-même, de « manifester sa religion ».
Ibidem, opinion partiellement concordante de M. le juge
Pettiti: « Le prosélytisme est lié à la
liberté de religion; le croyant doit pouvoir communiquer sa foi et sa
conviction dans le domaine religieux comme dans le domaine philosophique. (...)
C'est un droit pour le croyant ou le philosophe agnostique d'exposer ses
convictions, de tenter de les faire partager et même de tenter de
convertir son interlocuteur. »
Ibidem, opinion partiellement dissidente de M. le juge
Martens
88 Ibidem, opinion dissidente de M. le juge Valticos; opinion
dissidente commune à MM. les juges Foighel et Loizou.
89 A ceci, Gonzalez oppose la question suivante: «
l'enseignement comme manifestation de sa religion peut-il se limiter à
une sorte de présentation désincarnée de sa foi, sans
passion, sans désir de la faire partager? ». GONZALEZ, La
Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des
Religions, op. cit., p. 116. (En revanche il nous semble plus difficile de
suivre ce même auteur lorsqu'il explique que le comportement de
Kokkinakis n'était pas un « enseignement » mais une «
prédication », qui doit être considéré comme
une forme de pratique au sens de l'article 9§1).
90 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion dissidente
commune à MM. les juges Foighel et Loizou. « Le terme
d'"enseignement" implique franchise et probité, et exclut le recours
à des moyens détournés ou irréguliers, ou à
de faux prétextes, comme ceux utilisés en l'espèce pour
pouvoir pénétrer au domicile de quelqu'un et, une fois introduit,
en abusant de la courtoisie et de l'hospitalité
témoignées, tirer avantage de l'ignorance ou de
l'inexpérience en matière de dogme d'une personne n'ayant pas de
formation dans ce domaine, et chercher à l'amener à changer de
religion. »
justifications différentes dans l'énoncé
de la Cour: « Telle que la protège l'article 9 (art. 9), la
liberté de pensée, de conscience et de religion représente
l'une des assises d'une "société démocratique" au sens de
la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les
éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et
de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux
pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les
indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement con quis au
cours des siècles - consubstantiel à pareille
société. »91
Ces deux bases justificatives de l'existence de la
liberté religieuse sont d'une part l'importance de la liberté
individuelle pour chaque croyant, et d'autre part la protection du pluralisme,
et de la paix religieuse. Or les juges Pettiti, De Meyer et Martens, qui ont
une conception de la liberté religieuse semblant se baser avant tout sur
l'importance de cette liberté individuelle pour l'épanouissement
personnel de chacun, considèrent le prosélytisme comme
étant une manifestation légitime de ses convictions. En revanche,
les juges Valticos, Foighel et Loizou, ainsi que le gouvernement grec
(§33) mettent davantage l'accent sur la notion de paix religieuse et de
tolérance, s'inscrivant ainsi dans une approche plus
utilitariste92 et ont tendance à refuser toute
légitimité à une quelconque activité de propagation
de ses croyances. Dans cette seconde perspective, l'enjeu du
prosélytisme, consiste avant tout à protéger la personne
réceptrice des « attaques » de la personne
source.93 Peter Edge qualifie une telle lecture des faits et une
telle approche de la protection à accorder au titre de l'article 9, de
« paradigme du prédateur », tant les circonstances sont
dépeintes comme s'il s'agissait de l'affrontement opposant une proie
vulnérable, sans défense, incapable de résister aux
idées qui lui sont insidieusement imposées, à un
prédateur sans vergogne94. Un tel raisonnement favorise le
statu quo sur le plan religieux, et par conséquent les religions
établies au détriment des groupes minoritaires.
91 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31, italiques
rajoutées par l'auteur
92 EDGE, « The Missionary's Position after Kokkinakis v
Greece », op. cit.
93 Voici comment le juge Valticos lit les faits du cas
d'espèce dans son opinion dissidente: « Voyons maintenant les faits
de l'espèce. Voici, d'une part, un adepte militant des témoins de
Jéhovah, un dur à cuire du prosélytisme, un
spécialiste de la conversion, un martyr des correctionnelles, que les
condamnations antérieures n'ont fait qu'endurcir dans son militantisme,
et, d'autre part, une victime rêvée, une femme naïve,
épouse d'un chantre de l'Eglise orthodoxe (s'il réussit à
la convertir, quel succès!). Il se précipite sur elle, claironne
qu'il lui apporte une bonne nouvelle (le jeu de mots est transparent, mais sans
doute pas pour elle), parvient à se faire recevoir et, commis voyageur
expérimenté et démarcheur habile d'une foi qu'il veut
répandre, lui expose sa marchandise intellectuelle habilement
enrobée dans un emballage de paix universelle et de bonheur radieux.
Certes, qui ne voudrait la paix et le bonheur? Mais est-ce là le simple
exposé des convictions de M. Kokkinakis ou plutôt la tentative de
séduire l'âme simple de l'épouse du chantre? Est-ce de
telles opérations que protège la Convention? Certainement pas.
»
94 EDGE, Peter W, « The Missionary's Position after
Kokkinakis v Greece », op. cit.
Larissis et autres c. Grèce
La Cour s'est penchée sur une seconde affaire de
condamnation pour prosélytisme en Grèce, dans une affaire
impliquant trois officiers de l'armée de l'air grecque, membres d'une
église pentecôtiste, « confession chrétienne
protestante qui adhère au principe selon lequel tous les croyants
doivent évangéliser ».9 5 Les trois officiers ont
été condamnés sur la base de la même loi grecque,
pour avoir propagé leur foi auprès de trois soldats - parmi
lesquels il y eut un converti - mais aussi auprès de particuliers, en
dehors du cadre de leur profession. La Cour - et encore moins la Commission
avant elle96 -, ne s'attardent sur la question de savoir si la
propagation de ces croyances est ou non protégée par l'article 9:
elles constatent qu'il n'est pas contesté que les sanctions des
requérants à 12 à 14 mois de prison avec sursis soient une
ingérence à leur liberté de religion.
Comment expliquer ces divergences, ces contradictions ces
incohérences et ces divisions au sein de la Commission et de la Cour,
manifestes à la lecture de cette jurisprudence? Carolyn Evans nous
apporte sans doute un élément de réponse en constatant que
d'une manière générale, la Commission et la Cour ont
accordé plus facilement la protection sous l'article 9 aux pratiques se
rapprochant de celles du christianisme. Du coup les minorités
religieuses n'ont été protégées que lorsque les
manifestations étaient analogues à celle existantes au sein du
christianisme.97 Ce constat semble bien être valable en ce qui
concerne la jurisprudence décousue de la Commission. L'on peut penser
aussi, à la lecture des opinions dissidentes de l'affaire
Kokkinakis, que les opinions et les convictions personnelles des juges
elles-mêmes ne sont sans doute pas pour rien dans leur approche de la
question. C'est aussi ce qu'allègue le juge Valticos, auteur d'une
opinion dissidente très forte dans cette affaire et qui reconnaît
le rôle clef que joue dans ce genre de délibérations la
conception personnelle de chaque juge, en matière de religion. Il a
notamment cette phrase étonnante de sincérité - mais
choquante à plus d'un égard - face aux diverses opinions qu'a
générées l'affaire Kokkinakis: « il serait
malaisé de se prononcer en droit sur l'une ou l'autre de ces opinions.
C'est que le problème n'est pas principalement juridique, mais largement
une question de conscience et d'idéologie. La liberté de religion
est conçue et vécue différemment par chacun selon sa
formation et sa sensibilité. A côté des analyses juridiques
des différents juges on ne saurait écarter une
95 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94,
n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998,
Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §7
96 Larissis, Mandalaridis and Sarandis v. Greece,
n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, report, 12 september
1996, HUDOC, §46
97 EVANS C., Freedom of Religion under the European
Convention on Human Rights, op. cit., p. 115
conception philosophique et morale qui colore et oriente leur
raisonnement. (...) C'est en définitive la voix irréductible du
for intérieur (si l'on me passe l'expression) et de la conscience
individuelle qui l'emportera chez chaque juge. Ce sont ses convictions
profondes, son expérience individuelle et son échelle de valeurs
qui l'amèneront à la position qu'il adoptera dans le cas
considéré. »98
Quant à la question de savoir s'il est
préférable de traiter de la propagation des croyances sous
l'angle des « pratiques » ou d'un « enseignement », nous
pensons que cela a finalement peu d'importance. En effet, ces catégories
ne sont pas à prendre de manière figée. Cette
énumération que l'on trouve à l'article 9 vise surtout
à embrasser l'ensemble des formes de manifestations religieuses. Il nous
semble donc préférable, tout comme pour la définition du
contenu d'une religion ou d'une croyance, d'adopter une approche souple, en
reconnaissant la manifestation revendiquée de bonne foi par le
requérant comme étant protégée au titre de
l'article 9, afin de privilégier une analyse de la
légitimité d'une telle manifestation sous l'angle du second
paragraphe de l'article 9 (les restrictions). L'organe judiciaire pourrait
alors examiner l'affaire sur un terrain où il dispose d'outils
juridiques plus solides, moins arbitraires et donnerait plus de
légitimité à ses raisonnements. Ce n'est malheureusement
pas l'approche que la Cour a suivi dans les affaires ultérieures. Au
contraire, sa difficulté à traiter de cette question est apparue
encore plus manifestement.
|
|