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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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1.1.2 Quelques critères pour une détermination objective du prosélytisme « abusif »

Déterminer dans quelles conditions la propagation de croyance porte atteinte à la liberté de pensée de conscience et de religion d'autrui n'est assurément pas une tâche facile. On l'a vu, la Cour a eu bien du mal à s'en acquitter de façon convaincante. Nous nous proposons donc de passer en revue cinq indicateurs qui pourraient guider la Cour à cet effet, à savoir d'une part la nature de l'acte de propagation lui-même, le lieu de son déroulement, la nature de la relation entre la source et le récepteur, la situation personnelle du récepteur, ainsi que la possibilité pour le récepteur, de quitter le mouvement duquel il se serait rapproché.141 En dehors du lieu de l'action, les quatre autres critères ont déjà été utilisés implicitement par la Cour ou la Commission, comme nous l'avons relevé précédemment. C'est en illustrant et en appliquant ces critères aux faits des cas traités par la Cour que nous tenterons d'en démontrer la pertinence.

141 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit., pp. 642-648, qui propose « quatre variables » » pour identifier la ligne de démarcation entre prosélytisme légitime et abusif. Ces quatre variables sont: les caractéristiques de la source, les caractéristiques de la cible, le lieu où le prosélytisme s'est déroulé, et la nature de l'acte lui-même. Plutôt que d'aborder les caractéristiques de la source, nous avons préféré un indicateur qui tienne compte de la relativité de la position de la source en fonction de celle du récepteur (relation source - récepteur), et qui a été le critère déterminant dans l'argumentation de la Cour et de la Commission en l'affaire Larissis.

1.1.2.1 La nature de l'acte de propagation des croyances

C'est par la nature de l'acte de propagation en tant que tel qu'il faut sans doute commencer pour déterminer si ce comportement tend à menacer la liberté d'autrui en matière de religion ou de conviction. A cet égard, la distribution de tracts comme c'est le cas dans l'affaire Arrowsmith, la discussion - ou plutôt le monologue - de Kokkinakis, les déclarations tonitruantes de H. W. et même la distribution de photos et les interpellations de Van Den Dungen sont des actes relativement « inoffensifs », dont le degré de contrainte est par nature très faible, et qui ne représentent pas à priori un danger pour la liberté religieuse d'autrui.

Il en va déjà autrement dans l'affaire Larissis, eu égard à l'insistance et la répétition des discussions qui auraient été engagées par les requérants à l'égard de certains soldats,142 et qui s'apparenteraient à du harcèlement. Ni la Cour ni la Commission n'ont donné d'importance particulière à ces circonstances.

Le type de communication émis par le pasteur Murphy se trouve sans doute en bas de l'échelle mesurant le degré de contrainte en ce qui concerne son contenu (un appel à réfléchir à l'identité du Christ et une invitation à assister à la projection d'un film). En revanche, le moyen de communication de l'annonce - la radiodiffusion - porte une dimension contraignante plus forte: en effet, comme le relève la High Court irlandaise, « l'auditeur d'une station de radio privée est en pratique obligé d'écouter la publicité ».143 Autrement dit, l'auditeur peut se trouver confronté à un message qu'il ne souhaitait pas forcément entendre. Dans ce genre de cas il faut donc tenir compte non seulement du contenu, mais aussi du contenant, pour déterminer le degré de contrainte d'une telle annonce.

Nous avons mentionné déjà l'affaire Pitkevitch, affaire pour laquelle la Cour a malencontreusement écarté une analyse substantielle sous l'angle de l'article 9. Les faits reprochés à la requérante atteignent un degré de contrainte sérieux, puisqu'elle aurait proposé un chantage à certains prévenus, leur promettant une issue plus favorable s'ils se convertissaient.144 La Cour n'a pas analysé ces faits dans sa décision.

142 L'un des soldats aurait été abordé une trentaine de fois par l'un des requérants et une cinquantaine par un autre des requérants. Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §9

143 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), § 12

144 Pitkevitch v. Russia, n° 4793 6/99, decision, 8 February 2001, HUDOC, facts

Il est à la fois symptomatique et regrettable que la Cour, lorsque confrontée au cas de contrainte le plus grave, ait refusé d'entrer en matière sur cette question. L'affaire en question concernait sept personnes qui contestaient le traitement dont elles ont été l'objet du fait de leur appartenance à une « secte » dangereuse.145 Suite à la plainte déposée par leurs familles, ces membres de ladite secte ont en effet été mis en détention alors que la secte était investiguée, avant que la police ne les remette aux mains de leurs familles et de l'association Pro Juventud. L'association, en collaboration avec les familles, et avec le consentement de la police, a détenu les requérants dans un hôtel pendant neuf jours afin de les soumettre à un processus de « déprogrammation ».146 Lorsqu'ils portèrent plainte pour détention illégale, les juridictions espagnoles relaxèrent les accusés, du fait que leur mobile était légitime, philanthropique et bien intentionné de sorte que le délit de détention illégale n'était pas constitué.147

Lors de l'examen de l'affaire, la Cour conclut à juste titre que l'article 5§1 de la Convention (droit à la liberté et à la sûreté) a été violé, mais elle n'estime pas nécessaire d'entrer en matière pour ce qui concerne une éventuelle violation de l'article 9, jugeant que c'est « la détention des requérants [qui] se trouve au coeur des griefs sous examen ».148

La « déprogrammation », effectuée en l'occurrence par un psychologue et un psychiatre, et contre la volonté des requérants est une méthode dont la compatibilité avec l'article 9 mériterait d'être questionnée.149 Hors du contexte européen en revanche, le Comité des droits de l'homme a jugé contraire à l'article 18 du Pacte relatif aux droits civils et politiques « le système de conversion idéologique » qui vise à changer les opinions politiques d'un prisonnier en échange d'avantages et d'un traitement favorable en prison.150

145 Riera Blume et autres c. Espagne, n° 37680/97, arrêt du 14 octobre 1999, CEDH 1999-VII. Les adeptes y étaient exploités, incités à la prostitution et séparés de leur proches et de leur famille (§13).

146 Ibidem, §14

147 Ibidem, § 16

148 Ibidem, §38

Voir aussi à ce sujet MCBRIDE Jeremy, « Autonomy of Will and Religious Freedom », in FLAUSS Jean-François (ed.), La Protection Internationale de la Liberté Religieuse, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 128

149 Voir à cet égard cette remarque de GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit., p. 27: « Le risque est grand de voir se constituer en Europe une croisade, entreprise au nom de la sauvegarde des intérêts des individus, qui bafouerait à son tour les droits élémentaires de la personne humaine »

Ce qu'ont soutenu les juridictions espagnoles en substance, à savoir que la fin justifierait les moyens et que le « deprogramming », effectué pour le « bien » des personnes visées est par conséquent légitime, nous semble être un raisonnement très contestable.

150 Kang c. République de Corée, Communication n° 878/1999, constatations du 23 juillet 2003 (CCPR/C/78/D/878/1999), §7.2. L'affaire concernait un citoyen coréen emprisonné pour avoir travailler en tant qu'espion à la solde du régime de Pyongyong (Corée du Nord). « Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle le «système de conversion idéologique» constitue une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 18, 19 et 26 du Pacte, le Comité note le caractère contraignant d'un tel système, qui est maintenu par le biais du «système de serment d'obéissance à la loi» et qui est appliqué d'une manière discriminatoire en vue de modifier les opinions politiques d'un prisonnier en lui offrant des incitations sous la forme d'un traitement préférentiel et de meilleures chances d'obtenir une libération conditionnelle. Le Comité considère qu'un tel système, dont l'État partie

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault