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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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2. Terminologie

Avant d'en venir à l'analyse juridique proprement dite de la question de la propagation des croyances, une clarification terminologique est nécessaire, afin de bien cerner le champ exact de ce que nous entendons traiter dans cette étude. Nous avons en effet éprouvé une certaine difficulté dans le choix de la terminologie à adopter pour décrire le phénomène qui se trouve au coeur de notre étude, d'autant plus que, comme nous le verrons par la suite, ni la Cour ni la Commission européennes des droits de l'homme n'ont tranché la question. Au premier abord, le terme « prosélytisme » pourrait sembler le plus approprié et c'est le choix qu'ont fait un certain nombre d'auteurs qui ont écrit sur le sujet.19

Dans son sens historique et religieux, le « prosélyte » est un « païen » - c'est-à-dire un non Juif - converti au judaïsme.20 Le terme ne portait alors aucune connotation négative. Par la suite « prosélytisme » est devenu le nom utilisé pour décrire le « zèle déployé pour répandre sa foi, et par extension pour faire des prosélytes, recruter des adeptes »,21 mais aujourd'hui ce terme est souvent utilisé avec une connotation péjorative. Il décrit désormais une forme de propagation des croyances considérée comme attentatoire à la liberté d'autrui, intrusive, agressive et illégitime.22 La Cour elle même n'a pas utilisé ce terme de manière neutre, mais y a toujours associé un adjectif donnant clairement une coloration négative à l'expression. La première fois qu'elle a fait usage de ce terme, ce fut pour décrire le genre d'attitude qui ne serait pas acceptable de la part d'un enseignant du fait de l'obligation de respecter les convictions religieuses et philosophiques des parents (Article 2 du Protocole n°1). Elle affirma à cet égard en l'affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark23 qu'un « prosélytisme intempestif » ne serait pas conforme aux droits des parents.

19 Par exemple GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit., pp. 7-29; STAHNKE Tad, « Proselytism and the Freedom to Change Religion in International Human Rights Law », Brigham Young University Law Review, 1999, n° 1, pp. 252-354

20 Etymologiquement, un « prosélyte » est un terme d'origine grec qui signifie « nouveau venu » dans le pays, et par extension, « nouveau venu » dans la religion.

21 Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, Dictionnaires le Robert, Paris, édition mise à jour et augmentée, 2002

22 Sur la connotation péjorative qu'a acquis avec le temps le terme « prosélytisme, » voir par exemple LERNER Nathan, « Proselytism, Change of Religion and International Human Rights », Emory International Law Review, vol. 12, 1998, pp. 495-496

23 Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71, n° 5 920/72, 5926/72, arrêt du 7 décembre 1976, série A n° 23. Le cas concernait trois couples qui s'opposaient à l'éducation sexuelle intégrée et de ce fait obligatoire dans le cadre des programmes de l'école primaire publique. La Cour a conclu à l'absence de violation de l'article 2 du Protocole n°1 - pris isolément et en combinaison avec l'article 14 de la Convention - dans la mesure où cet enseignement est diffusé « de manière objective, critique et pluraliste » et ne poursuit pas un « but d'endoctrinement » (§53). Elle ajoute que « des abus peuvent se produire dans la manière dont telle école ou tel maître applique les textes en vigueur et il incombe aux autorités compétentes de veiller avec le plus grand soin à ce que les convictions religieuses et philosophiques des parents ne soient pas heurtées à ce niveau par imprudence,

Lorsqu'elle développera davantage la question de la propagation des croyances, la Cour opposera dans l'affaire Kokkinakis le « témoignage chrétien » au « prosélytisme abusif ».24

Par conséquent on trouve dans la doctrine un certain nombre d'expressions pour tenter de contourner l'obstacle en utilisant un terme neutre. On trouve notamment les verbes diffuser,25 convaincre,26 persuader,27 convertir,28 témoigner,29 et l'on pourrait aussi penser à annoncer, disséminer, répandre...

Dans le cadre du mandat octroyé par l'ancienne Commission des droits de l'homme des Nations Unies, les Rapporteurs spéciaux successifs sur la liberté de religion ou de conviction ont privilégié généralement le terme « prosélytisme »,30 même si l'on trouve parfois aussi le terme « propagande (religieuse) »,31 sans qu'une définition précise n'ait été donnée avant 2005, année durant laquelle l'actuelle détentrice du mandat, Asma Jahangir, a dédié tout un chapitre de son rapport intérimaire à l'Assemblée Générale des Nations Unies à ce sujet.32 Elle n'a toutefois pas contribué à une clarification terminologique, en utilisant diverses expressions pour caractériser ce phénomène, sans qu'il soit touj ours évident de saisir les différentes nuances. On trouve ainsi pêlemêle les expressions « prosélytisme », « activités missionnaires », « propagation de la religion ». D'une manière générale la Rapporteuse semble avoir une préférence pour l'expression « activités missionnaires ».33

manque de discernement ou prosélytisme intempestif » (italiques rajoutées par l'auteur).

24 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §48

25 SICILIANOS Linos-Alexandre, « La Liberté de Diffusion des Convictions Religieuses », in FLAUSS Jean-François (ed.), La Protection Internationale de la Liberté Religieuse, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 205-229 ROSSI Gianfranco, « Le Droit à la Liberté de Diffuser sa Religion », Conscience et Liberté, n°59, pp. 121-129

26 ACHOUR Yadh Ben, La Cour Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté de Religion, Institut des Hautes Etudes Internationales de Paris, Cours et Travaux n°3, A. Pedone, Paris, 2005, p. 33 et suivantes. Il oppose le « droit de convaincre », légitime, au « prosélytisme », illégitime.

27 STAHNKE Tad, « The Right to Engage in Religious Persuasion », in LINDHOLM Tore, DURHAM W. Cole, Jr., TAHZIB-LIE Bahia G. (eds.), Facilitating Freedom of Religion or Belief: A Deskbook, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, 2004, pp. 619-649

28 GONZALEZ Gérard, La Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, Economica, Paris, 1997, pp. 92 et suivantes

29 Groupe Mixte de Travail, Septième Rapport, 1998, op. cit., Annexe C: Le Défi du Prosélytisme et l'Appel au Témoignage Commun (1995)

30 Par exemple A/51/542/Add.1 (rapport faisant suite à une visite en Grèce) §11-12: « Le Rapporteur spécial constate que le prosélytisme est dans la nature même des religions, ce qui explique la condition juridique du prosélytisme dans les instruments internationaux et la déclaration de 1989 »; E/CN.4/1 997/91, §22; E/CN.4/1 998/5, §63; E/CN.4/2000/65 §§ 35, 56, 88, 102... ; E/CN.4/2004/63/Add.2 (visite en Roumanie) § 48...

31 Par exemple E/CN.4/1994/79, §55 où il est question aussi de « reconversions » ou encore E/CN.4/1995/91, p. 77

32 Rapport d'Activité Etabli par Mme Asma Jahangir, Rapporteuse Spéciale de la Commission des Droits de l'Homme Chargée d'Etudier la Question de la Liberté de Religion ou de Conviction, A/60/399, 2005 (en particulier §§ 40-68)

33 Voir aussi par exemple le Rapport E/CN.4/2006/5, Annexe: « Framework for Communication », où l'on trouve une rubrique intitulée « Teaching and disseminating material, including missionary activity » (« Enseignement et dissémination de matériel, y compris les activités missionnaires »)

Pour ce qui concerne notre étude, le terme privilégié est celui de « propagation », qui nous semble le mieux adapté à décrire de façon neutre ce phénomène.34 Ce que nous entendons par la propagation de croyances pour notre étude, c'est toute expression, attitude ou conduite, par laquelle un individu (la source) tente de convaincre un autre individu (le récepteur) d'adopter certaines croyances et / ou d'adhérer à une certaine dénomination religieuse ou quasi-religieuse.35 Cette propagation peut donc se faire de manière directe, verbale, mais aussi de manière indirecte, lorsque le message est véhiculé par un comportement. La propagation peut donc prendre une infinité de formes: la discussion religieuse, l'enseignement, le « porte-à-porte », la publication, la distribution de tracts, une émission radio- ou télédiffusée, mais aussi la distribution de services sociaux, la relation d'aide et le soutien psychologique, l'octroi d'aide humanitaire ou au développement, ou encore le port de signes religieux distinctifs, ou tout simplement une manière d'aborder les relations interpersonnelles (générosité, disponibilité, bonté, ...) ou le choix d'une certaine éthique de vie (droiture, intégrité, ...) etc. L'élément essentiel est celui de l'intentionnalité de la source qui propose ou cherche volontairement à modifier les convictions d'autrui.

De quels types de croyances s'agit-il? Nous donnons dans cette étude un sens large au mot « croyance », par lequel nous entendons à la fois les croyances religieuses et les « convictions » au sens de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.36 La propagation des

A notre sens cette expression soulève plusieurs difficultés. D'une part, cette terminologie n'est pas neutre, mais fortement connotée, et souvent associée au christianisme. De plus, elle n'est pas sans rappeler le colonialisme dans l'esprit de beaucoup de personnes. D'autre part, elle ne décrit qu'une partie des phénomènes de la propagation des croyances: celle qui se fait par le biais de personnes soutenues et financées depuis l'étranger. Enfin, un activité « missionnaire » n'a pas forcément trait à la propagation des croyances. Il s'agit simplement d'une personne soutenue et envoyée depuis l'étranger pour accomplir des activités religieuses de tout type, dont, parfois, mais pas nécessairement, des activités de propagation des croyances. Pour toutes ces raisons, cette terminologie ne nous semble pas satisfaisante.

34 Dans son « Projet de Principes sur la Liberté et la Non-Discrimination en Matière de Religion et de Pratiques Religieuses », Arcot Krishnaswami a également fait le choix de cette terminologie: « Toute personne est libre d'enseigner ou de propager sa religion ou sa conviction, tant en public qu'en privé », Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Etude des Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de Religion et des Pratiques Religieuses, par Arcot Krishnaswami, Rapporteur spécial, Nations Unies, New York, 1960, p. 77 (Annexe 1, italiques rajoutées par l'auteur)

35 STAHNKE Tad, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit., p. 620, définit le « prosélytisme » comme étant une: « conduite expressive adoptée avec l'objectif d'essayer de changer les convictions, l'affiliation ou l'identité religieuses d'autrui. La personne adoptant un tel comportement est la « source », tandis que la personne recevant le message est la « cible » (target) ». (traduit de l'anglais par l'auteur)

36 Il est généralement considéré que les termes « religion » et « convictions » ont été choisis pour que le champ de cette liberté soit clairement étendu au delà des religions bien établies, et protège aussi les mouvements plus récents, moins reconnus, voire marginaux ainsi que les convictions non théistes.

Voir par exemple dans le cadre de l'interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'Observation générale No 22 du Comité des droits de l'homme: Le Droit à la Liberté de Pensées, de Conscience et de Religion (art. 18), CCPR/C/21/Rev.1/Add.4, 30 Septembre 1993, § 2: « L'article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction. Les termes "conviction" et "religion" doivent être interprétés au sens large. L'article 18 n'est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques

croyances inclut donc aussi les convictions qui ne sont pas religieuses au sens strict, comme l'athéisme, l'agnosticisme, le scepticisme... Quant à une définition plus précise de ce qu'est une religion et une conviction, il n'est pas utile pour notre étude d'entrer dans ce débat qui est loin d'être clos.37 A cet égard, nous ne saurions que souscrire à l'affirmation de Rosalyn Higgins lors de l'élaboration de l'Observation générale 22 du Comité des droits de l'homme: « Le contenu d'une religion devrait être déterminé par les croyants eux-mêmes ».38

Rappelons par ailleurs la définition que la Cour a donné dans l'affaire Campbell et Cosans c. Royaume-Uni de la notion de « conviction »: « Considéré isolément et dans son acception ordinaire, le mot « convictions » n'est pas synonyme des termes "opinion" et "idées" tels que les emploie l'article 10 (art. 10) de la Convention qui garantit la liberté d'expression; on le retrouve dans la version française de l'article 9 (art. 9) (en anglais « beliefs »), qui consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il s'applique à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance ». 39 Autrement dit, bien qu'il s'agisse de donner un champ large à cet article, ce champ ne saurait être infini.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore