SECTION 2 : DEGAGER DE NOUVEAUX MOYENS FINANCIERS
Nous avons dit tantôt que pour assurer
effectivement la mise en oeuvre du droit international de l'environnement, il
fallait nécessairement d'énormes moyens financiers. Or, les
moyens mobilisés actuellement semblent ne pas permettre d'atteindre les
objectifs fixés par la communauté internationale
(Sous-section 1).D'où la nécessité pour
le droit international de l'environnement d'en dégager de nouveaux
(Sous-section 2)
SOUS-SECTION 1 : Les moyens financiers actuels
Paragraphe 1 : les moyens financiers de portée
mondiale
A-le Fonds pour l'environnement mondial
A titre de rappel, le Fonds pour l'environnement
mondial a été crée en 1991.Les quatre domaines
d'intervention du Fonds pour l'environnement mondial sont : la
diversité biologique, le changement climatique, les eaux
internationales,et la protection de la couche d'ozone(* 65).En 1992, le FEM a
été choisi pour être le mécanisme financier de la
Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. L'article 21
de la Convention prévoit que le FEM « fonctionne sous
l'autorité et l'orientation, et est responsable devant la
conférence des parties de la Convention ».Les projets du Fonds
pour l'environnement mondial sont par ailleurs exécutés par la
Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et
le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
La Banque mondiale quant à elle a un
rôle prédominant en tant qu'administrateur de la caisse du FEM
(*66).Le FEM en tant qu'instrument de financement d'une convention
négociée dans le cadre des Nations Unies devrait suivre le mode
de décision de cette institution avec une répartition
égalitaire des voix, selon le principe classique 1 pays = 1 voix. Or, ce
n'est pas encore le cas aujourd'hui. La répartition du pouvoir suit au
contraire celle en vigueur à la Banque mondiale. Les voix sont
attribuées proportionnellement à la contribution
financière (*67).Ainsi, le Fonds mondial pour l'environnement est
assimilée, notamment par les Organisations non gouvernementales,
à une institution de Bretton Woods (*68).
Par conséquent, la Banque mondiale
s'approprie ainsi progressivement la gestion du FEM pour la mise en oeuvre des
Accords multilatéraux sur l'environnement, à l'instar de la
convention sur la diversité biologique, le Protocole de Montréal
relatif aux substances qui appauvrissent la couche d'ozone, le Protocole de
Kyoto à la Convention sur les changements climatiques (*69).
(65)- Pour de amples détails, consulter le site
Internet : www.gefweb.org
(66)- Article 8 de l'Instrument pour la restructuration du
Fonds pour l'environnement mondial.
(67)- Article 25 de l'Instrument pour la restructuration
du Fonds pour l'environnement mondial
(68)- Korinna Horta, Marcus Colchester, The World Bank
and world's forest: a lost decade, 2000.
(69)- Ce fonds représente 9%
L'expérience du Fonds pour l'environnement mondial et
nous le verrons aussi pour le Fonds prototype carbone confirment cependant
certaines inquiétudes des ONG. L'ambition de la Banque mondiale reste
d'accroître toujours plus la quantité d'argent qu'elle
gère et de rester la référence incontournable pour toute
intervention dans les pays en développement au détriment de
l'environnement. Il résulte d'une stratégie des pays
développés de prendre de court la création par la CNUCED
(*70) d'un mécanisme de financement qui serait contrôlé
par les pays en voie de développement.
Depuis sa création le Fonds pour
l'environnement mondial a participé à plus de 700 projets dans
150 pays en développement pour un montant de 3 milliards de dollars. La
procédure d'instruction et de préparation des projets en vigueur
à la Banque mondiale s'applique aux projets du Fonds pour
l'environnement mondial. Des experts travaillant pour le FEM ont indiqué
avoir ressenti une pression pour préparer les projets rapidement et en
présenter plus pour le financement, ce qui conduirait à en
bâcler la préparation (*71).L'efficacité du FEM n'a pas
fait l'objet d'études systématiques. Le manque de crédits
pour l'évaluation des projets dans les budgets du FEM a conduit à
des autoévaluations par les opérateurs des projets. En Afrique
par exemple plusieurs projets du FEM se sont soldés par des
échecs. Au Cameroun, le FEM a mis fin au financement de la
réserve de la biodiversité de Campo Ma `an près de la
localité de Kribi suite à l'octroi par le gouvernement
camerounais d'une concession forestière à une filiale du groupe
français Bolloré en plein coeur de la zone
protégée.Au Congo Brazzaville , le projet de gestion et de
conservation des aires protégées (PROGECAP GEF /Congo) a
également été arrêté lorsqu'un permis
d'exploitation forestière a été accordé sur une
zone de 25000ha dans les limites du parc.
Catalysant des sommes importantes pour
répondre aux défis posés par l'environnement mondial, la
Banque mondiale n'a pourtant pas réussi à faire rentrer les
objectifs du FEM dans ses pratiques générales. Entre 1995 et
1999, le groupe de la banque mondiale a investi 5,95 millions de dollars dans
les énergies fossiles, soit 100 fois plus que ce qui est alloué
aux énergies renouvelables et mille fois plus que les
décaissements du Fonds pour la lutte contre l'effet de serre. Le FEM a
décaissé 327,1 millions de dollars pour lutter contre le
changement climatique (*72). Nombre de projets de la Banque mondiale ont
également été financés sans accorder une attention
particulière aux projets du FEM. Ainsi, Elf avait reçu un
prêt important de la Société financière
internationale (SFI) pour la plate- forme pétrolière de N'kossa
au large de la réserve de Conkouati au Congo Brazzaville malgré
une conclusion négative de l'étude d'impact.
(70)- Il s'agit de la Conférence des Nations Unies pour
l'environnement et le développement, inaugurée en 1972 à
Stockholm en Suède.
(71)-Voir l'article d'Hellène Ballande, Avocate en
droit international, Coordonnatrice de la campagne pour les institutions
financières, Les Amis de la Terre : La Banque mondiale et le
développement durable
(72)-Source: GEF projects allocations and disbursements,
meeting of the 3rd replenishment of GEF Trust; voir aussi: Phasing Out Public
Financing For Fossil Fuel and Mining Projects, Friends of the Earth
International Position Paper, September 25, 2000.
La motivation des Pays industrialisés s'est
également quelque peu émoussée vis-à-vis du Fonds
pour l'environnement mondial. Ainsi, jusqu'à la fin de l'année
dernière, les Etats-Unis n'avaient payé que 2,5% d e la
contribution annoncée au FEM. Afin de faire pression sur les Etats-Unis,
l'Allemagne et la France avaient suspendu leurs versements. Le droit
international de l'environnement futur doit donc tenir compte de cette
réalité et changer la donne afin que le Fonds pour
l'environnement mondial servent les véritables objectifs pour lesquels
il a été institué. En octobre 2002, des
représentants de 173 pays, appartenant à des organisations
internationales et non gouvernementales, se sont réunis à Beijing
en chine. Au cours de cette Seconde Assemblée du Fonds pour
l'environnement mondial, ils ont passé en revue les politiques
fondamentales du fonds. Malgré quelques progrès
réalisés dans la recherche de solutions, les problèmes
environnementaux demeurent.
Par ailleurs, le soutien de la Banque mondiale aux
multinationales pétrolières, en particulier Exxon pour
l'oléoduc Tchad-Cameroun (*73) et Chevron pour un gazoduc Nigeria Ghana,
sont des exemples patents de cette contradiction. La participation de la Banque
mondiale à la mise en oeuvre de la Convention de lutte contre l'effet de
serre soulève donc un grave problème de conflit
d'intérêts puisqu'elle finance amplement le développement
des énergies fossiles que les mécanismes du Protocole de Kyoto
tentent de combattre.
B- Le Fonds Prototype Carbone
La Banque mondiale, dont la raison d'exister est
de gérer des capitaux, a anticipé la mise sur le marché
des droits à polluer prévus par les mécanismes de
développement propre du Protocole de Kyoto (*74). En effet, afin d'aider
les pays industrialisés à atteindre leurs objectifs de
réduction d'émissions de gaz à effet de serre et pour
soutenir financièrement le développement durable, ceux-ci sont
autorisés au terme de la Convention à échanger des
crédits d'émission. Une liste préétablie
d'activités ou de projets se traduisant par la réduction
d'émissions certifiées donne droit à des crédits
qui pourront être revendus soit à des gouvernements, soit des
entreprises polluantes dans le cadre d'une bourse. La Convention
prévoit qu'une instance tierce détermine les activités
ouvrant droit à des permis d'émission et en contrôler la
réalisation .Le pays industrialiser peut ainsi acheter le droit de
dépasser les quotas d'émissions fixés par le Protocole. Le
Conseil d'administration de la Banque mondiale n'a pas résisté
à l'opportunité de gagner environ 100 millions de dollars par an
(*75).
(73)- Voir Agir ici, Amis de la Terre, « Banque
mondiale : Pomp'Afrique des compagnies
pétrolières », 1997.
(74)- L'article 12.2 du Protocole de Kyoto à la
Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.
(75)- L'agence internationale de l'énergie a
évalué le chiffre d'affaire annuel du marché des permis
d'émission à environ 40 milliards de dollars in Le Monde,
supplément économie ,21 mars 2000)
La Banque mondiale a ainsi lancé, en avril 1999, le
Fonds Prototype Carbone. Une fois de plus, la Banque mondiale, dont la
présence est remarquée dans les négociations sur le
changement climatique, cherche à s'engager dans la brèche qui
permettrait, selon de nombreux observateurs, de réduire les exigences
posées par un accord multilatéral sur l'environnement sur les
multinationales les plus polluantes. Ce type d'activité est de plus en
totale cohérence avec ses efforts de privatisation des ressources
en « faisant de l'air, une valeur universelle, une valeur
marchande » (*76).
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