3 / Les effets de l'action paulienne à
l'égard du débiteur
Etant une action en inopposabilité et non une action en
nullité, l'action paulienne n'anéantit pas les effets de l'acte
frauduleux dans les rapports du débiteur et son cocontractant.
En effet, le débiteur reste tenu à
l'égard du tiers avec lequel il a passé l'acte attaqué.
En d'autres termes, le débiteur ne peut se
prévaloir de la révocation de l'acte car après paiement
des créanciers, le reliquat qui pourra exister appartiendra au tiers
acquéreur et non au débiteur.
Il en résulte aussi que le tiers dispose d'une action
récursoire contre le débiteur en raison du préjudice qu'il
aurait subi par la perte du droit acquis ou le versement d'une
indemnité ; ce recours risque d'être illusoire au vu de
l'insolvabilité du débiteur mais le tiers acquéreur ne
peut s'en plaindre étant par hypothèse complice de la fraude.
(1).
Nous remarquons que le fondement de cette action recensoire a
été controversée en doctrine occidentale, et le dilemme
intervient entre un recours fondé sur la subrogation car le tiers
acquéreur a payé pour autrui ou bien, au contraire, l'application
de la garantie d'éviction dans la mesure où un acheteur
évincé par le créancier a le droit d'agir en garantie
contre le vendeur pour se faire restituer le prix et obtenir les
réparations du dommage que lui a causé l'éviction.
C'est ce qui ressort d'une décision émanant du
tribunal de première instance de Sidi Slimane du 19/4/1999 où un
acheteur s'est retourné contre la caution solidaire d'une
société pour obtenir
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(1) IN « L'essentiel sur le
droit civil : les obligations » de LUC MAYAUX - P. 245 et
suivantes - collection l'HERMES
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la réparation du dommage qu'il a subi, cette
dernière avait procédé à la vente d'un immeuble
frappé d'une saisie conservatoire immobilière, en fraude des
droits des créanciers pour faire échapper ses biens des
poursuites judiciaires (1).
Les effets de l'action paulienne ont une incidence,
également, sur le tiers défendeur et ses créanciers.
4 / Les effets de l'action paulienne à
l'égard du tiers défendeur et ses créanciers
Dans le cadre de l'exercice de l'action paulienne, le tiers
défendeur ne peut opposer l'acte attaqué au créancier
poursuivant. Toutefois, entre ce dernier et le tiers, l'action paulienne
équivaut à une nullité (2) car le jugement rendu sera
opéré rétroactivement.
En d'autres termes, le tiers défendeur sus visé
sera censé n'avoir jamais reçu le bien et ses propres
créanciers - notamment chirographaires - ne pourront pas se
prévaloir d'un droit de gage général, en vertu des
dispositions de l'article 1241 du dahir formant code des obligations et
contrats, sur un patrimoine où le bien n'aura jamais figuré.
Néanmoins, le créancier ayant intenté
l'action paulienne peut entrer en conflit avec les créanciers personnels
du tiers car ils entendent comprendre dans leur gage les biens figurant dans le
patrimoine du débiteur (c'est-à-dire le tiers défendeur
dans le rapport initial) et ce, par l'effet de l'acte révoqué.
Cette solution a été admise par la jurisprudence
comparée, notamment, lorsque l'action du créancier aboutit
à la restitution d'un corps certain.
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(1) jugement du TPI de Sidi Slimane n°
45 du 19/4/1999 dossier civil n° 40/98 jurisprudence non publiée (
aff. W. C/ H.A.M.) copie en annexe 17
(2) A ce propos : les effets à
l'égard du tiers défendeur et de ces créanciers -
IN : droit civil - les obligations par A. WAILL & F. TERRE - Prg. 882
- op. supra précité
-77-
Par contre, lorsqu'il s'agit d'une créance liquide, ce
dernier ne peut prétendre qu'à une indemnisation
pécuniaire. (1)
Toujours est-il que, si le droit français admet
l'inopposabilité de l'acte frauduleux à l'encontre du
créancier poursuivant sans pour autant que cet effet ne profite aux
autres créanciers il leur demeure opposable. A contrario, la
doctrine Egyptienne opte pour une autre conception selon laquelle tous les
créanciers peuvent bénéficier de l'action paulienne,
même lorsqu'ils ne sont pas parties à l'instance, à
condition que leur droit ait été établi avant l'acte
attaqué afin de pouvoir exercer la dite action.
En effet, l'article 240 du nouveau code civil Egyptien dispose
que « si l'inopposabilité est prononcée, elle profite
à tous les créanciers ayant été lésés
par l'acte attaqué ».
Il en découle, selon cette même doctrine, que si
l'action du créancier poursuivant prospère, le droit consenti
frauduleusement par le débiteur devient le gage général de
tous les créanciers et partant, leur profite en même temps.
Néanmoins, si l'un de ces créanciers ayant
obtenu un jugement en matière paulienne, entame la procédure
d'exécution sur les droits appartenant au gage général de
tous les créanciers, comme nous l'avons souligné, tout autre
créancier ayant satisfait aux conditions de l'action paulienne, peut
participer à l'exécution dudit jugement et même devancer
certains créanciers dits chirographaires.
Ce qui constitue une égalité entre les
créanciers qui demeurent sur le même piédestal sans pouvoir
prétendre à l'exercice de cette action avant tel ou tel autre
créancier (2).
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(1) A titre d'exemple, un bien
frauduleusement aliéné a péri par la faute de
l'acquéreur ou ayant été transmis à un sous
acquéreur de bonne foi - IN : MAZEAUD H.L. & J. - op. supra -
prg. 1007
(2) Sur la question, la législation
Portugaise admet l'égalité entre tous les créanciers et
l'action paulienne intentée par l'un d'eux demeure. Si elle
prospère, le gage général de tous les créanciers
article 1044 du code civil Portugais.
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Comme nous l'avons précédemment souligné,
l'action est exercée individuellement par les créanciers - en
leur nom personnel - contre qui la fraude a été
dirigée.
Auparavant, les créanciers pouvaient agir, à la
fois contre le débiteur et contre le tiers, même s'il était
sans intérêt de poursuivre le débiteur insolvable par
définition.
En droit Marocain, l'action paulienne est dirigée
contre le tiers et également, le cas échéant, le sous
acquéreur.
Toutefois l'appel en cause du débiteur n'est pas
indispensable si nous tenons compte de son insolvabilité, mais il est
prudent de le faire afin d'éviter les difficultés qui
naîtraient du principe de la relativité de la chose jugée,
prévu par le code de procédure civile Marocain.
Cette assignation du débiteur indélicat, - car
à l'origine de la fraude aux côtés du tiers cocontractant -
lui permettra de défendre son patrimoine et éventuellement faire
échec à une demande qui aura sans aucun doute des
répercussions sur sa situation. Dans le cas contraire, si l'action n'est
dirigée qu'à l'encontre du tiers cocontractant, outre les risques
d'insolvabilité, ce dernier devra personnellement défendre son
intervention forcée.
Force est de constater également que le
débiteur, partie à l'instance, est censé
représenter ses créanciers car la modification de son
patrimoine produit corrélativement, effet sur leurs droits puisque
celui-ci est le gage général de ces derniers.
Par voie de conséquence, les autres créanciers
du débiteur devront être considérés comme partie
à l'instance et devraient entrer en concours avec le créancier
poursuivant, mais le courant doctrinal et jurisprudentiel ne l'admet
certainement pas.
En définitive, l'action paulienne a pour but de
remettre les choses en l'état, mais seulement parce qu'elle est une
action en inopposabilité à l'égard du créancier
agissant.
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Le créancier demandera le rétablissement de
l'état antérieur chaque fois qu'il pourra l'obtenir ; dans
le cas contraire, il réclamera une réparation du préjudice
causé dont le caractère doit être précisé.
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