A - L'inopposabilité de l'acte frauduleux au
poursuivant :
1 - Effets à l'égard du créancier
demandeur à l'action
Il nous est opportun de relever de prime abord que la doctrine
marocaine admet l'effet de l'inopposabilité dans les relations du
créancier poursuivant et du cocontractant débiteur (1)
En effet, l'action est dirigée contre le cocontractant
et frappe l'acte qu'il a conclu avec le débiteur.
Il en découle que le créancier obtient la
révocation de l'acte frauduleux et le retour du bien ou de la valeur du
bien aliéné dans le patrimoine du débiteur.
L'action paulienne se traduit par une reconstitution de
l'actif sans que le créancier puisse obtenir, dans l'immédiat, le
paiement de sa créance.
Quoiqu'il en soit, le créancier demande la
réparation du préjudice
qu'il a subi du fait de l'acte frauduleux.
Cet acte sera donc révoqué, comme nous l'avons
précédemment souligné, et lui sera déclaré
inopposable auquel cas le créancier sus visé pourra exiger du
cocontractant soit la restitution du bien aliéné ou des valeurs
sorties du patrimoine du débiteur ce qui lui permettra d'en entreprendre
la saisie, soit le versement de dommages intérêts.(2)
En droit européen la doctrine belge reconnaît que
le droit prive certaines conventions de leurs effets externes soit de plein
droit, soit au terme d'une procédure offerte aux tiers
intéressés.
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(1) IN « théorie
générale des obligations » (NADARIA AL AAMA LIL
ILTIZAM) P. 156 par Docteur TAIEB EL FSSAILI professeur à
l'université CADI AYAD - MARRAKECH
(2) IN « les effets du contrat
à l'égard des tiers » comparaison Franco Belge par J.
GHESTIN & H. SOLUS
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Il en est ainsi des actes accomplis par un débiteur en
fraude des droits de ses créanciers, actes jugés
vulnérables à l'action paulienne et partant l'acte attaqué
sera inopposable et privé de ses effets externes à l'égard
du seul créancier agissant (1)
La doctrine constante n'a pas manqué de mettre en
relief l'apport des effets de l'action paulienne à savoir une action par
laquelle le créancier demande l'inopposabilité de l'acte à
l'encontre du débiteur et naturellement, à l'encontre de toute
autre personne ayant participé à cet acte.
Si le cocontractant du débiteur aliène le bien
à un sous acquéreur, il faut exercer l'action paulienne à
l'encontre de ce dernier, à travers l'appel en cause.
Ceci étant, du moment que le débiteur ne demande
que l'inopposabilité de l'acte frauduleux à son encontre, cela
signifie vraisemblablement que l'acte du débiteur n'est pas
déclaré nul et non avenu, mais demeure établi pour ce
dernier et son cocontractant. Le créancier, pour se peut, supporte
l'effet de l'acte frauduleux jusqu'au sort du litige par voie judiciaire ou
amiable.
Il a, en outre, la possibilité d'exercer l'action
paulienne tant que celle-ci n'est pas prescrite ; toutefois il peut
renoncer à sa demande mais cette renonciation doit être expresse
(2)
Par ailleurs, si la jurisprudence marocaine opère toute
confusion entre l'inopposabilité de l'acte frauduleux à
l'encontre du créancier qui intente l'action paulienne et la
nullité absolue de cet acte dans le rapport entre le débiteur et
le tiers cocontractant, la doctrine tunisienne admet l'inopposabilité de
l'acte au créancier qui l'intente (3) c'est donc une action individuelle
contrairement à l'action oblique, qui ne profite qu'au poursuivant et
n'a pas d'incidence sur les autres créanciers.
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(1) IN : l'essentiel sur le droit civil
des obligations par LUC MAYAUX - P. 245 - HERMES
(2) IN « Précis dans le droit des
obligations » par Dr. A. SANHOURI - Op. Supra. P. 1055 et suiv.
(3) A contrario, les droits Syrien & Egyptien estiment
que parmi les effets de l'acte frauduleux : la nullité qui profite
à tous les créanciers, ce qui demeure logique car le contrat fait
partie intégrante du patrimoine du débiteur, et partant constitue
le gage général des créanciers.
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Toutefois, le Professeur Mohamed SALAH EL IYARI a tenté
de relever la distinction entre l'action en nullité et l'action en
déclaration de simulation et l'action en inopposabilité.
A titre d'exemple, si un débiteur aliène
frauduleusement un bien figurant dans son patrimoine, à titre
onéreux et de manière fictive et ce afin de le faire
échapper aux poursuites judiciaires, les créanciers ou leurs
ayants droits qui estiment avoir été lésés par
l'acte frauduleux de leur débiteur, peuvent intenter aux
côtés de l'action en inopposabilité à leur
égard, une action en simulation contre le « concilium
fraudis » en produisant tout mode de preuve sans pour autant prouver
l'insolvabilité du débiteur ou encore la fraude commise en
connivence avec le cocontractant.(1)
Pour sa part, la jurisprudence marocaine, inspirée de
l'expérience notamment française, adopte le principe de
l'inopposabilité de l'acte frauduleux au poursuivant (créancier)
mais prononce la nullité de cet acte entre les parties, avec mention
à Monsieur le conservateur des propriétés
immobilières de rétablir l'état antérieur en
rendant le débiteur principal ou sa caution à nouveau
propriétaire du bien aliéné.
Il en va ainsi, sans toutefois prétendre à
l'exhaustivité, pour un arrêt rendu par la Cour d'Appel de
Rabat du 25 Février 1997 ayant confirmé le jugement du
tribunal de première instance : « que la demande de
l'appelant vise à annuler le jugement attaqué et par
conséquent, rejeter la demande en nullité de la donation
consentie par l'appelant concernant le titre foncier sus indiqué ;
alors que l'intimé a argué de la nullité de cet acte par
application des dispositions de l'article 22 du dahir formant code des
obligations et contrats, car cette donation a lésé le
créancier et partant lui a causé un préjudice.
(1) IN « Action paulienne en droit
Tunisien : publié à la revue des obligations et contrats
à la lumière des développements modernes année
1997 » par Maître MOHAMED SALAH EL IYARI ex Ministre de la
justice et 1er Président de la Cour d'Appel de Tunis
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« Qu'au vu des pièces versées au
dossier, l'appelant a conclu un acte de donation à sa fille
appelée... correspondant au titre foncier n°... du 15/7/1992 alors
qu'il est caution personnelle et solidaire de la Société..., et
par déduction garant de sa créance envers la Banque W..., et ce
en vertu du contrat signé le ... et du protocole d'accord établi
entre les parties, à savoir la caution -appelante au présent
litige - et les autres parties au procès.
« Qu'en vertu de l'article 1241 du D.O.C., les biens
du débiteur sont le gage commun de tous ses créanciers.
« Que du moment que l'appelant a, frauduleusement,
aliéné son titre foncier sus visé alors qu'il est
débiteur de l'intimée selon sa caution personnelle, cet acte de
donation a causé un préjudice au créancier ce qui le rend
légitimement apte à demander la nullité de tout acte
susceptible de léser ses droits.
« Que cet acte est inopposable au créancier
selon les dispositions de l'article 22 du dahir précité. De
surcroît, la liberté contractuelle et la liberté de
disposition d'un propriétaire de ses biens est inopposable aux tiers
sauf ceux qui ont été lésés par le comportement du
débiteur : à savoir le créancier -
considéré comme tiers dans le rapport régissant le
débiteur et son cocontractant -) ; de ce fait, en admettant la
nullité de l'acte de donation sus visé avec mention de rayer
ledit acte du titre foncier, le jugement attaqué a légalement
justifié sa décision.
« Que la cour d'appel confirme le jugement
attaqué (1) .
Par ailleurs, la caution joue un rôle
prépondérant dans le cadre de l'exercice de l'action paulienne.
C'est dire que la jurisprudence marocaine, pour palier à tout risque de
fraude, a considéré la caution comme débiteur dès
la signature de l'acte de caution ;
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(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat n° 1247 DU
25/2/1997 dans le dossier immobilier n° 6088/95 - jurisprudence non
publiée - copie en annexe 12 - traduction personnelle (jugement
confirmé du T.P.I. de Rabat n° 276 du 2/8/1995 - aff. WBK C/
K.A)
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C'est le cas notamment d'une décision rendue par le
tribunal d'Agadir le 6 Juin 1996 :
« ... Que l'article 1241 du D.O.C. dispose que les
biens du débiteur sont le gage général des
créanciers.
« ... Qu'en vertu de la doctrine et de la
jurisprudence, il n'est pas permis au débiteur de dilapider ses
biens.... Que le défendeur est considéré
débiteur de la demanderesse dès la date de la signature de l'acte
de caution c'est-à-dire le 25/2/1983.
« Que le contrat de donation a été
établi à posteriori à savoir le 21/10/1986.
« Qu'il convient, par conséquent de prononcer
la nullité de l'acte de donation du 21/10/1986 objet du titre foncier
n° ... ordonnant Monsieur le conservateur de rayer le dit acte de
donation... » (1)
En résumé, si les décisions
jurisprudentielles non publiées évoquées dans le
présent travail, démontrent de manière effective la
confusion établie les juges du fond entre la nullité de l'acte et
son inopposabilité, elles auront, néanmoins, eu le mérite
de prouver le développement de ce genre d'action suivant ainsi
l'expérience notamment française, en dépit de l'absence
d'une réglementation spéciale de l'action paulienne sauf certains
article notamment 22, 228, et 1241 du D.O.C. précité.
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