3/ Le tiers défendeur à l'action : le
cocontractant fraudeur
Selon la doctrine comparée, la volonté coupable
des participants à l'acte suspect constitue la pierre angulaire de
l'action paulienne, communément connue aussi synonymie : la fraude
paulienne.
Ainsi, le droit romain exprimait cet esprit de fraude par
« OMNIA QUAE GESTA CRUNT FRAUDATIONIS CAUSA » c'est dire
que le débiteur a voulu ou su échapper à ses obligations,
ou encore que le cocontractant de ce dernier en a profité à telle
enseigne que la sanction appropriée sera constituée par
l'inopposabilité de l'acte au créancier demandeur.
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(1) IN : prévis dans la règle des
obligations (AL WAJIZ FI NADARIAT AL ILTIZAM) par Dr. MOHAMED HASSANINE -
Professeur à l'université d'Alger page 284
-62-
En ce sens, le Professeur GUILLOUARD a soutenu, lors de sa
thèse, le caractère essentiellement moraliste de l'action
« ... tout en essayant de faire progresser la moralité de
l'individu ; le pouvoir social doit aussi, faisant la part des mauvais
penchants de l'homme, prendre ses mesures pour éviter cette violation
des engagements qui, en se multipliant, serait une cause de ruine
sociale... » (1)
Force est de constater que cette citation se rapproche d'une
peine civile ayant pour conséquence, entre autre, de ne sanctionner que
ceux qui ont personnellement pris part à l'acte suspect.
Remettant en cause des actes apparemment réguliers,
l'action porte une atteinte grave à la sécurité des
transactions et ne doit donc être admise que sous certaines conditions
relatives au défendeur.
Il va donc, falloir rechercher chez quelles personnes l'esprit
de fraude doit être constaté ? car le problème ne se
pose pas dans les mêmes termes selon que l'action est exercée
contre l'ayant cause directe du débiteur fraudeur à savoir son
contractant, ou bien celui auquel il a lui-même transmis ses
droits ; en l'occurrence le sous acquéreur.
a/ Quand l'action paulienne est intentée contre le
contractant du débiteur
De prime abord il nous faudra distinguer selon que l'acte
attaqué est à titre onéreux ou à titre gratuit
mettant en cause l'acquéreur direct c'est à dire le contractant
du débiteur.
1 - Le principe :
En effet, il faut agir contre celui qui a profité de
l'acte et peut seul remettre dans le gage des créanciers la valeur qui
leur a été soustraite.
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(1) Thèse de M. GUILLOUARD sous le thème
« de l'action paulienne en droit romain et en droit
français » Caen - 1868 - page II, IN :Encyclopédie
DALLOZ - Action Paulienne - Prg « 4 »
-63-
En droit romain, l'action paulienne ne pouvait être
exercée à l'origine que si le tiers qui a passé avec le
débiteur l'acte attaqué a été complice de la
fraude, c'est ce que nous appelons le « conscius
fraudis ».
En effet, il a fini par introduire une distinction capitale
concernant les tiers, ce qui a été conservé par la
jurisprudence récente notamment marocaine et occidentale.
Ainsi, lorsque l'acte frauduleux est à titre gratuit,
l'action paulienne est recevable contre l'acquéreur qu'il soit de bonne
ou mauvaise foi.
A cet égard, la preuve de la complicité du tiers
dans la fraude paulienne n'est donc pas nécessaire. Ce dernier ne
procure aucune contrepartie au patrimoine du débiteur et peut,
éventuellement, lutter pour conserver un avantage gratuit quant bien
même il ignorait l'insolvabilité du donateur.
Par ailleurs, lorsque l'acte frauduleux est à titre
onéreux, le créancier agissant contre le contractant doit prouver
qu'il a été complice de la fraude.
Les juges du fond apprécient souverainement les
éléments qui lui sont soumis en prenant en considération
les liens de parenté, d'alliance, d'amitié, ou encore la
modicité du prix.
En matière de vente par exemple, l'action paulienne ne
peut triompher contre le tiers débiteur que s'il a été
complice de la fraude, mais si ce dernier a agit de bonne foi l'acte ainsi
établi est inattaquable.
-64-
Généralement, il faut distinguer selon que le
prix de vente est dérisoire et nous nous trouvons devant une donation
déguisée, auquel cas la mauvaise foi du tiers importera
peu ; ou bien que le prix est seulement insuffisant et le contrat
considéré lésionnaire il n'en restera pas moins
onéreux.
Néanmoins, l'application de ce principe soulève
des difficultés tant au niveau de la définition de la
complicité du tiers, mais aussi au niveau de la jurisprudence.
2/ Applications jurisprudentielles
La complicité du tiers n'est pas nécessaire,
comme nous l'avons précédemment souligné, lorsque l'acte
attaqué est un acte à titre gratuit mais si l'action
prospère contre lui, il perd seulement le bénéfice d'une
libéralité.
Cette perte demeure en fait moins digne d'intérêt
que celle du créancier.
En droit comparé, de nombreuses décisions
jurisprudentielles relèvent un « concert »
frauduleux entre le débiteur et son cocontractant, ce dernier voulant
s'associer à la fraude.
Mais d'autres arrêts se contentent de relever la
connaissance de la fraude par le tiers pour conclure à sa
complicité.
Quoiqu'il en soit, la complicité de la fraude du tiers
n'étant pas directement prouvée, nous sommes en droit de
prendre en considération d'autres motifs qui ont pu inciter le tiers
à passer l'acte.
En effet, il serait impropre d'exercer l'action paulienne
contre un acte tendant à sauvegarder les intérêts
légitimes du cocontractant, notamment en matière de constitution
de sûretés au profit d'un tiers.
-65-
Par ailleurs, certains problèmes de qualification de
l'acte attaqué n'ont pas manqué de se produire, compte tenu de la
disparité du régime.
Il en va pour s'en convaincre de traiter du cautionnement
lequel peut être gratuit à l'égard du débiteur
principal mais revêt un caractère onéreux à
l'égard du créancier cocontractant et partant la preuve de la
mauvaise foi du tiers cocontractant de la caution.
Ainsi, aux côtés de l'action intentée
contre le cocontractant du débiteur celle-ci peut être
dirigée également contre le sous acquéreur.
b/ Quand l'action paulienne est intentée contre le
sous acquéreur
Il arrive que l'objet de l'acte frauduleux ait
été aliéné auquel cas l'action paulienne doit
être exercée contre le sous acquéreur.
Mais, nous sommes en droit de se poser la question de savoir
si le créancier peut diriger son action contre l'acquéreur, quoi
que celui-ci n'ait plus le bien entre les mains ? ou bien optera-t-il pour
s'adresser directement au sous acquéreur ?
La réponse à cette problématique
mérite que nous nous penchions sur la doctrine notamment
française à travers les dispositions de l'article 1167 du code
civil français.
En effet, si l'action ne pouvait prospérer contre
l'acquéreur direct en l'occurrence le cocontractant du débiteur
à titre onéreux et de bonne foi, le sous acquéreur est, en
principe, à l'abri des poursuites.
Par ailleurs, lorsque le cocontractant du débiteur est
soumis à l'action paulienne, à savoir qu'il avait acquis le bien
à titre gratuit ou il était complice de la fraude, il faut tenir
compte de la situation personnelle du sous acquéreur, en vue de savoir
si l'action peut être intentée contre lui.
-66-
A cet égard, la doctrine s'est attardée à
mettre en exergue la recherche des conditions dans lesquelles le sous
acquéreur a, lui-même, acquis le bien frauduleux.
Elle a, en outre, admis que l'action paulienne peut être
exercée contre ce dernier s'il acquiert ledit bien à titre
gratuit, ou en complicité de fraude.
Cependant, il nous importe de mettre l'accent en droit
marocain, sur la différence entre action paulienne et action en
nullité laquelle est plus rapprochée d'une action en
responsabilité fondée sur la faute personnelle par application
des dispositions du dahir formant code des obligations et contrats du 12
Août 1913.
Relever une telle différence, revêt à
notre sens, une importance considérable car elle permettra de clarifier
toute ambiguïté sans briser tout obstacle en ce sens que certains
juristes ont admis, à tort, l'idée que l'action intentée
à l'encontre de l'acquéreur direct, doit forcément
l'être à l'égard de son acquéreur.
En droit comparé, la jurisprudence n'est pas muette car
dans un arrêt de la Cour de Cassation française, celle-ci a
relevé qu'en matière de redressement ou de liquidation judiciaire
d'une société, un donataire ne pouvait avoir transmis à un
acheteur plus de droits qu'il n'avait réellement reçus mettant
ainsi en relief, les conséquences de la nullité des actes de la
période suspecte.(1)
Quoiqu'il en soit, l'action a pour but de remettre les choses
dans l'état antérieur à l'acte, mais seulement à
l'égard du créancier agissant. Mais, elle ne produit aucun effet
sur le débiteur qui reste tenu à l'égard du tiers, ni sur
les autres créanciers s'ils interviennent.
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(1) Arrêt de la cour de cassation
française du 17/12/1985 - chambre commerciale - DALLOZ 1986 - Tome I P.
101
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De son côté, le créancier qui intente
l'action, bénéfice d'un privilège sur le bien qu'il fait
rentrer dans le patrimoine du débiteur, ce qui diffère de
l'action du créancier qui agit par voie oblique.
L'effet de l'action est claire dans la mesure où dans
les rapports du créancier et du tiers qui a passé avec le
débiteur l'acte attaqué, cet acte est inopposable au
créancier.
La jurisprudence marocaine considère, comme nous le
verrons lors de la seconde partie, la nullité de l'acte attaqué
au lieu de son inopposabilité au créancier demandeur à
l'action.
Après avoir traité des conditions d'exercice de
l'action paulienne, il nous importe lors de notre seconde partie, de souligner
ses effets.
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I Ième Partie - LES EFFETS DE L'ACTION PAULIENNE EN DROIT
MAROCAIN
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L'action paulienne est exercée par le créancier
en vertu d'un droit propre. Elle tend, en outre, à remettre les choses
en l'état mais seulement en tant qu'elle est une action en
inopposabilité à l'égard du créancier qui
l'intente.
Les effets de l'action paulienne s'ordonnent autour de deux
volets : d'abord il s'agit d'une action en inopposabilité
qui se traduit par l'inefficacité de l'acte frauduleux dans les rapports
du créancier demandeur et du tiers cocontractant du
débiteur ; ensuite, il y a lieu de préciser que c'est une
action individuelle qui ne profite qu'au poursuivant et qui n'a pas
d'incidence sur les autres créanciers et partant ne produit à
leur égard qu'un effet relatif.
Nous nous efforcerons, lors de cette partie, de mettre en
exergue, d'abord l'effet de l'inopposabilité de l'acte frauduleux au
poursuivant en s'attardant sur les différents rapports existants entre
les parties au litige d'une part, et l'inadéquation entre la doctrine et
la jurisprudence notamment pour l'admission de la nullité de l'acte
frauduleux d'autre part ; ce qui nous mènera à traiter
ensuite, de la réparation du préjudice causé, à
savoir comment rétablir l'état antérieur à
l'acte ? et comment intenter une action en responsabilité
civile ?
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