B - CONDITIONS RELATIVES AUX PARTIES AU
LITIGE :
L'action paulienne est, généralement,
exercée par un créancier (demandeur à l'action) contre un
débiteur (défendeur à l'action) voire même un
cocontractant de ce dernier appelé : tiers défendeur.
La particularité de l'exercice de cette action
réside dans l'exigence d'une fraude et ce,
à la différence de l'action oblique ou encore de l'action en
déclaration de simulation, bien que cette dernière puisse servir
d'instrument à la fraude.
_____________________________________________________________________________________________________
(1) IN : « Droit des Obligations au
Sénégal » les exceptions aux conditions
d'opposabilité- page 325 par : Jean Pierre TOSI
-47-
1/ Le créancier demandeur à l'action agissant
par voie paulienne :
Pour agir par l'action paulienne, il faut avoir la
qualité de créancier (chirographaire, hypothécaire ou
privilégié).
Aussi, le demandeur à l'action doit être un
créancier ayant un intérêt, en
l'occurrence il doit se prévaloir d'une créance présentant
certains caractères substantiels.
a/ Quels sont les créanciers admis à exercer
l'action paulienne ?
Tout créancier privilégié ou
chirographaire peut agir par le biais de l'action paulienne, qu'il le soit
devenu à titre onéreux ou gratuit, l'essentiel est de pouvoir
exciper de la qualité de créancier.
Néanmoins, le débiteur auteur de la fraude, ne
peut pas agir évidemment pas plus que ses ayants cause universels
à moins d'intervenir à la procédure.
Toutefois, l'action paulienne est susceptible de transmission
par voie de subrogation à celui qui a payé le créancier
originaire.
En droit comparé, la doctrine française estime
que le créancier doit avoir un intérêt à agir.
Ainsi, un créancier chirographaire n'a pas d'intérêt
à faire révoquer la vente d'un immeuble de son débiteur
car si le passif hypothécaire est supérieur à la valeur de
l'immeuble, la somme que produira la saisie de ce dernier sera absorbée
par le créancier hypothécaire (1).
C'est dire que le créancier doit avoir un
intérêt manifeste pour agir par voie paulienne.
_____________________________________________________________________________________________________
(1) IN : leçons de droit civil - les obligations
par Henri MAZEAUD & C0 prg. 988, p. 1027
-48-
Le professeur MIGUET considère
que « .... Si l'intérêt doit exister... au moment
de l'introduction de la demande ...., il doit soutenir cette demande pendant
tout le litige » (1)
Par ailleurs, faut-il qu'au moment où il exerce
l'action, le créancier puisse se prévaloir d'une créance
certaine, liquide et exigible ?
Selon la jurisprudence tant marocaine
qu'étrangère, l'évolution de l'action paulienne d'un
préalable à l'exécution vers une mesure conservatoire en
présence de fraude, a conduit à assouplir les exigences.
b / Les éléments de la
créance :
La doctrine française a admis qu'auparavant, l'action
n'était ouverte qu'au créancier antérieur à l'acte
attaqué ; disposant d'une créance certaine, liquide et
exigible.
Actuellement, l'action paulienne a vu ses conditions
d'exercice notamment concernant les éléments de la
créance, notablement assouplies.
En premier lieu, alors que l'exigibilité de la
créance n'est pas requise pour exercer l'action en paiement tant que le
droit est né antérieurement à l'acte incriminé, la
liquidité quant à elle, n'est exigée qu'au moment
où le tribunal statue sur l'action surtout lorsqu'elle a pour objet une
somme d'argent.
En second lieu, la jurisprudence marocaine, rapprochant
l'action paulienne d'une action conservatoire, met en exergue « un
principe certain de créance » sur la base de la doctrine
française.
_____________________________________________________________________________________________________
(1) IN :« Immutabilité
et évolution du litige », L.G.D.J. 1977, préface
HEBRAUD, P. 318, par professeur MIGUET.
-49-
A cet égard, la Cour d'Appel d'Agadir a, dans son
arrêt confirmatif, considéré que la créance devient
certaine dès la conclusion de l'acte de cautionnement et non au moment
où le jugement acquiert l'autorité de la chose jugée,
dès lors qu'il s'agit d'une donation fictive consentie par une caution
solidaire en fraude des droits des créanciers (1)
En droit comparé, la jurisprudence française a
considéré au même titre que la décision
précitée, que l'obligation de la caution née le jour de
son engagement, de sorte que le créancier qui exerce l'action paulienne
contre un acte de la caution a un principe certain de créance dès
cette date (2)
Néanmoins, il importe de préciser que l'acte de
caution sus visé fut critiqué par de nombreuses décisions
jurisprudentielles étrangères car l'obligation de
règlement de la caution même solidaire, n'est certaine que lorsque
la dette principale est exigible.
Quoiqu'il en soit, en pratique, il suffit que le
créancier ait, au moment de l'acte, un principe de créance,
même si elle n'est pas encore certaine, ou liquide ou exigible, et
même si elle n'est pas encore reconnue « il n'est pas
nécessaire, pour que l'action paulienne puisse être
exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait
été ni certaine ni exigible au moment de l'acte argué de
fraude, et il suffit que le principe de la créance ait
existé » (3).
Ainsi, le principe précité nous permet de
s'accorder à considérer, au nom des principes
généraux du droit, qu'un créancier doit pouvoir obtenir le
secours de la justice afin de déjouer, voire faire échec, aux
actes frauduleux de son débiteur.
_____________________________________________________________________________________________________
(1) Arrêt confirmatif n° 2910 du
4/10/1999 dans le dossier civil n° 871/98 rendu par la cour d'appel
d'Agadir - affaire WKF C/ FBA (Ste. E.) - Jurisprudence non publiée
copie en annexe 10
(2) Arrêt de la 1ère
chambre près la cour de cassation française du 13/1/1993.
IN : collection Legisoft - CD ROM « Intégral
cassation » année 1993 - bulletin n° 5. - annexe 11
(3) Arrêt de la chambre commerciale
près la cour de cassation française du 25/3/1991 n° 119 -
IN : Droit civil - les obligations par : Alain BENABENT - collection
MONTCHRETIEN - page 423.
-50-
En dernier lieu, l'antériorité de la
créance par rapport à l'acte frauduleux est exigée car ce
dernier ne peut, en aucun cas, nuire aux créanciers dont le droit est
né postérieurement à cet acte puisqu'au moment où
les parties au litige ont traité leur transaction, le bien
aliéné par le débiteur ne faisait plus partie de son
patrimoine et partant, le créancier ne peut invoquer aucun
préjudice subi, à moins qu'il puisse prouver l'existence d'une
fraude anticipée visant à porter un dommage au créancier
futur.
Par ailleurs, le principe selon lequel la créance doit
être antérieure à l'acte frauduleux, est constant en
jurisprudence marocaine.
Il en va pour s'en convaincre, de citer à titre
indicatif, sans toutefois prétendre à l'exhaustivité, une
décision jurisprudentielle marocaine annulant l'acte de donation
simulé de deux immeubles et de parts sociales constituant le capital
d'une société à responsabilité limité,
consenti par une caution personnelle et solidaire en fraude des droits des
créanciers, et dont la créance est antérieure à
l'acte frauduleux de dessaisissement des deux immeubles outre le défaut
d'établissement du montant des actions transférées.
C'est donc, à bon droit, que les juges du fond ont
ordonné la réinscription des parts constituant le capital de la
société « A.D. » au nom de la caution
personnelle et solidaire et ce, au registre du commerce de la dite
société (1)
Toutefois, il appartient au créancier demandeur
à l'action de prouver l'antériorité de la créance
et ce par tous les moyens légaux : dés lors, il devra
produire un titre ayant date certaine.
A cet égard, la Cour d'Appel n'avait pas retenu la
fraude du débiteur ayant établi une reconnaissance de dette
auprès d'un bénéficiaire solvable, de surcroît la
demande du créancier en rescision de la donation
considérée déguisée a été
rejetée. La Cour a jugé que : « il n'est pas
établi qu'une reconnaissance de
_____________________________________________________________________________________________________
(1) Tribunal de première instance de Mohammedia -
jugement du 1/6/1998 - dossier civil n° 1141/97 - affaire Ste. C. c/ Sieur
B.M. & STE. A.D. - jurisprudence non publiée copie en annexe 12 non
traduite
-51-
dette constitue une donation déguisée lorsque
son bénéficiaire a eu les fonds nécessaires pour consentir
le prêt d'argent et que l'auteur de la reconnaissance a eu la
possibilité d'utiliser les fonds prêtés qui ne se
retrouvent pas dans sa succession (1)
Par conséquent, force est de constater que, outre
l'antériorité de la créance par rapport à l'acte
frauduleux, la réunion des autres éléments demeure
facultative à l'exercice de l'action paulienne ce qui empêche la
lenteur de la procédure et partant, la bonne marche de la justice.
Ceci étant, dans le cadre de l'exercice de l'action par
les parties au litige, le débiteur dont les actes sont attaqués
par voie paulienne, doit être insolvable et avoir agit
frauduleusement.
|