2/ Le préjudice causé au créancier par
l'appauvrissement du débiteur :
Selon l'adage procédural « pas
d'intérêt, pas d'action » les créanciers ne
peuvent attaquer que les actes qui leur cause un préjudice.
La doctrine comparée est unanime quant à la
qualification octroyée au préjudice : il doit s'agir d'un
acte d'appauvrissement ; considéré comme
préjudiciable aux créanciers lorsqu'il crée ou aggrave
l'insolvabilité du débiteur.
En effet, il faut entendre par « l'acte
d'appauvrissement » celui qui fait sortir du patrimoine du
débiteur des biens sans contrepartie suffisante.
En revanche, l'acte qui crée ou aggrave
l'insolvabilité du débiteur peut être révoqué
par le biais de l'action paulienne. Mais, le fardeau de la preuve
incombe au créancier demandeur qui peut l'établir par tous les
moyens.(1)
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(1) Sur la question la Cour de Cassation
française a estimé que « le créancier, qui n'est
pas investi de droits particuliers sur certains biens de son débiteur,
ne peut faire révoquer les actes faits par ce dernier en fraude de ses
droits que s'il établit, au jour de l'acte litigieux, son
insolvabilité, au moins apparente, outre sa conscience de causer un
préjudice au créancier en appauvrissant son
patrimoine » Arrêt de la 1ère chambre
près la Cour de Cassation du 5/12/1995, dossier n° 94-12-266,
IN : collection Legisoft, CD-ROM « Intégral
cassation » bulletin n° 443 - en annexe 7
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A cet égard, la doctrine arabe n'a pas omis de mettre
l'accent sur le préjudice causé par l'acte frauduleux du
débiteur à l'encontre du créancier.
Il s'agit notamment du professeur MAMOUN EL KOUZBARI ou encore
du Docteur A. SANHOURI. Ce dernier considère « qu'un
débiteur qui sollicite un crédit pour augmenter ses obligations
et partant son appauvrissement, cause un préjudice aussi important,
à ses créanciers, que s'il aurait vendu un bien figurant dans son
patrimoine en vue de diminuer ses droits voire créer son
insolvabilité..... donc, la logique démontre qu'aussi bien
l'augmentation des obligations du débiteur que la diminution de ses
droits constituent un acte d'appauvrissement susceptible d'être
évoqué par l'action paulienne » (1)
La jurisprudence marocaine a toutefois considéré
le rejet de l'action si les biens appartenant encore au débiteur sont
suffisants pour désintéresser le créancier agissant.
C'est le cas notamment d'un arrêt confirmatif de la Cour
d'Appel de Rabat du 23/11/1999 qui considère qu'en dehors du fait que le
bien du débiteur est le gage général de ses
créanciers par application des dispositions de l'article 1241 du D.O.C.,
l'accord du débiteur à donner en hypothèque deux immeubles
distincts est une preuve de sa conviction que la réalisation de
l'hypothèque permettra le recouvrement de ses créances.
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(1) Doctrine développée par le Dr A. SANHOURI -
IN : »précis dans le droit civil annoté - les
effets de l'obligation » Tome II, page 1014, prg. 577 sur l'acte
d'appauvrissement.
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Les juges du fond ont estimés qu'il n'a pas
été prouvé que le montant du legs des deux immeubles est
inférieur à la créance due au débiteur afin que
l'on puisse arguer d'un préjudice causé au créancier suite
à une dilapidation du patrimoine, notamment par la
donation »(1)
Par ailleurs, la jurisprudence marocaine assez récente,
tend à élargir la notion de préjudice en permettant
l'exercice de l'action paulienne même à l'encontre d'actes,
n'entraînant pas, par eux-mêmes, un appauvrissement du
débiteur.
Il a ainsi été jugé, à bon droit,
que la donation consentie par une caution solidaire peut être
attaquée par l'action paulienne dès lors que, accomplie dans le
but de nuire au créancier, elle a pour effet de faire échapper un
bien aux poursuites judiciaires (2).
Dans une optique similaire, un arrêt de la Cour d'Appel
de RABAT a jugé qu'un créancier ayant un intérêt
légitime a le droit d'attaquer pour fraude la vente d'un immeuble
susceptible de compromettre ses droits.
La Cour a motivé sa décision sur ce qui
suit :
« Il ressort des articles 419 et 424 du D.O.C. que
les parties en cause ou un tiers ayant un intérêt légitime,
peuvent attaquer un acte authentique ou sous seing privé pour cause de
violence, de fraude, de dol et de simulation ou d'erreur
matérielle ; la preuve peut être rapportée par
témoins, ou même à l'aide de présomptions graves,
précises et concordantes.
Un créancier ayant cause du vendeur d'un immeuble, peut
être considéré comme un tiers ayant un intérêt
légitime à attaquer la vente comme entachée de fraude et
destinée à faire échec à ses droits »
(3)
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(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat
du 23.11.1999 dans le dossier civil n° 3320/98 (jugement au TPI du
10/12/1997 - dossier n° 139/97/7 copie en annexe 8) conseiller
rapporteur : BIKRI - Jurisprudence non publiée
(2) Arrêt n° 1588 du 29/5/1997 -
dossier civil n° 108/97 cour d'appel d'Agadir - jurisprudence non
publiée copie en annexe 9
(3) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat
du 21/12/1929 - R.A.C.A.R. - tome 5 - P. 373 - IN : Code Annoté des
Obligations et Contrats par le Doyen François-Paul BLANC éd. AL
MADARISS - 1981
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En droit comparé, la doctrine Sénégalaise
a réglementé l'action paulienne aux articles 205 et suivants du
code civil en exigeant comme condition sine qua none à l'exercice de
l'action précitée, l'existence d'un
« dommage » causé à un créancier en
fraude de ses droits. La réparation de ce dernier peut
être obtenue grâce à une voie de recours extraordinaire
intentée par le créancier lésé : la tierce
opposition.(1)
Par voie de conséquence, l'exercice de l'action
paulienne repose, de manière substantielle, sur des conditions relatives
à l'acte attaqué, mais aussi sur des conditions relatives aux
parties au litige.
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