La liberté fiscale sur Internet( Télécharger le fichier original )par Romain-Jean Pichardie Université de Rouen - Master Droit des Affaires et Fiscalité 2006 |
Titre 2. Le choix de la localisation déclarée:une souplesse technique avantageuse ?Chapitre 1. Les intermédiaires en création de sociétés sur InternetIl suffit de taper « société offshore » ou « société Delaware » dans un moteur de recherche sur Internet comme Google pour voir l'étendue de l'offre dans le domaine de la création et domiciliation de société à l'étranger. Par exemple, pour « delaware société », on obtient 968.000 réponses. Mais ces prestataires ne se contentent pas de proposer la création d'une société (section 1). Ils proposent pour la plupart des solutions d'évasion fiscale globale (section 2). Section 1. La création d'une société à l'étrangerSous réserve que le prestataire de création de société existe réellement, le recours à une telle société permet la création d'une entité juridique à l'étranger (1). Nous verrons, en guise d'illustration, les services proposés par un prestataire spécifique du Delaware (2). 1. Une immatriculation existant juridiquement La majorité des sites proposant une immatriculation sont en anglais. Systématiquement, les textes sont précédés de la mise en garde suivante : « Les informations suivantes ne sont données qu'à titre indicatif. Nous ne fournissons aucun conseil fiscal ni juridique. Les personnes désirant un tel conseil doivent contacter un avocat diplômé dans l'État où la création d'une société est envisagée. » Ces sociétés informent les clients, auxquels il appartient ensuite de faire un choix éclairé. Pourtant, les sites regorgent d'informations juridiques et pratiques sur l'évasion fiscale. S'il est possible, en cherchant bien, de trouver un prestataire dans tous les pays du monde, nous nous limiterons cependant ici aux sociétés américaines. En particulier, seront étudiés les États de Californie, Nevada, Wyoming et Delaware. En effet, les sites traitant des paradis fiscaux ne semblent pas sérieux. Ils semblent plus relever de l'escroquerie que de la création de société. D'ailleurs, les agents américains, pour dissuader les clients de créer une société dans un paradis fiscal, insistent sur le fait que les futurs clients et fournisseurs seront séduits par une société américaine. Ces intermédiaires agissent comme des mandataires pour déposer dans les greffes locaux les statuts des sociétés. Ceux-ci sont appelés, en anglais «articles of organization » ou « corporate charter ». A titre d'exemple, en Californie, les filing fees, frais de dépôt et d'enregistrement des statuts auprès du secrétaire d'État s'élèvent à 70 $. Toutefois, au lieu de créer une société, il est possible d'acquérir une aged company, c'est à dire une coquille vide préexistante. Le recours à ces agents est obligatoire, pour les non-résidents. Ils sont appelés « registered agent » (agent agréé) ou « agent for service of process » (mandataire pour l'acte de signification) selon l'État. Un agent est une personne physique résidant dans l'État, ou une personne morale enregistrée comme agent auprès du secrétaire d'État. Cet agent est le représentant légal de la société. Il joue le rôle d'intermédiaire. Il la représente auprès de l'administration, et auprès des tiers en cas de poursuites contre la société. Des frais annuels sont perçus par l'agent pour cette mission. Ces frais, de 100 $ au minimum, s'ajoutent aux frais initiaux de création de la société. L'opération de création est totalement électronique, pour le client. Le paiement est fait en ligne, puis l'équivalent local du « K bis », appelé apostille, est transmis par la poste. Un EIN, Employer Identification Number18(*), ainsi qu'un federal tax identification number sont attribués à la société. La création d'une société entraîne la délocalisation fictive de l'activité à l'étranger. En option pour 100 $ environ, on peut bénéficier d'une domiciliation postale. Les clients correspondent alors vers une adresse aux États-Unis, et il est possible de faire expédier son courrier, et donc ses factures, depuis les États-Unis. A ce sujet, il est intéressant de préciser qu'un agent, appelé Axefirm Inc se targue d'avoir un partenaire à Nantes pour réexpédier le courrier reçu par ses clients. En apparence, et juridiquement, l'activité est alors exercée depuis le territoire américain. Fiscalement, elle relève du droit de l'État d'enregistrement. Aux États-Unis, deux formes sociales principales sont proposées : la LLC (limited liability company)19(*) et la C-Corporation. Les règles de création et de fonctionnement varient d'un État à l'autre. Pour ces deux formes sociales, on peut adopter la forme closed (fermée) qui soumet les transferts de titres à l'unanimité des votes des associés. Autrement, la société est open et les transferts de titres sont libres. La LLC est la forme la plus simple. Elle a été introduite au Wyoming en 1977, et existe à présent dans tous les États américains. Il n'y a aucun formalisme pour sa gestion : pas d'assemblée générale, ni de rapport de gestion. La LLC est par défaut fiscalement transparente. Les profits et les pertes sont directement imposés entre les mains des détenteurs de parts, dans les proportions fixées par eux dans les statuts. Les plus ou moins-values réalisées par la société sont également imposées au niveau des associés. De ce fait, chaque associé est imposé en fonction des règles fiscales du pays où il réside. Cependant, un droit annuel fixe de 200 $ doit être versé par la société. C'est la seule obligation fiscale. Toutefois, il est possible d'exercer une option afin que les bénéfices soient taxés directement au niveau de la société. La C-corporation, quand à elle, est une société par actions. Elle peut faire appel public à l'épargne, en émettant des actions ou des obligations. Les dividendes éventuels sont répartis selon le nombre et le type d'actions détenues. Il faut ici rappeler qu'aux États-Unis comme en Angleterre, on peut créer différentes classes d'actions. Un conseil d'administration est élu par l'assemblée générale des actionnaires, et choisit les directeurs. Selon les États, les bénéfices de la société sont imposés à un taux de maximum de 39%.20(*) Les détenteurs de parts et les directeurs sont anonymes, dans le Delaware par exemple. Toutefois, dans les États ou l'identité des associés est publiée, comme par exemple le Wyoming, les agents proposent les services d'un « homme de paille ». Sous le nom de nominee21(*), cette personne physique est alors juridiquement le directeur de la société. Seul son nom est publié et non ceux des associés et directeurs de fait. Les prix varient selon le degré d'anonymat désiré, et donc selon l'implication de cette personne. Cependant, un contrat est signé avec le nominee afin de le protéger en le faisant échapper à toute responsabilité. 2. L'exemple d'un agent du Delaware «Delaware Business Incorporators Inc.» est un agent agréé qui propose ses services sur Internet. Son adresse est www.DBIGlobal.com. Cette société a été créée en 1986, par son Président actuel, Douglas R. Murray. Si cette société est spécialisée en création de sociétés au Delaware, elle peut créer des sociétés dans les cinquante États américains. Elle propose aussi des coquilles vides. Elle se charge en outre de la domiciliation postale, téléphonique, et de télécopie. Enfin, elle propose l'immatriculation de bateaux et d'avions. Cette société a édité un ouvrage, le Delaware Incorporation Handbook, dont la dernière et 10e édition date de 2004. Cet ouvrage d'une quarantaine de pages contient toutes les informations nécessaires pour celui qui souhaite s'immatriculer dans cet État. On y apprend qu'une société sur trois de la bourse de New York est immatriculée au Delaware. C'est par exemple le cas de la société du Pont de Nemours et Co. Les deux principales raisons de l'attractivité de cet État sont l'anonymat et sa fiscalité. Il faut ajouter à cela une très grande souplesse. Les statuts d'une société peuvent mentionner comme objet : « s'engager dans tout acte ou activité légaux, partout dans le monde, dans les seules limites édictées par le droit général des société du Delaware. » Par ailleurs, le formalisme est minime : les assemblées générales d'associés peuvent avoir lieu sous toute forme. Leur enregistrement est comme nous allons le voir faiblement taxé : 25 $. Au Delaware, pour les sociétés, l'impôt de franchise fiscale est lié non aux résultats mais aux nombres de titres représentatifs du capital. L'impôt est plafonné à hauteur de 165.000 $. Montant de l'impôt sur les sociétés au Delaware
A ceci s'ajoutent 25 $ de frais de dépôt des comptes, ce qui fait un total de 60 $ au minimum, et de 165.025 $ au maximum. Il n'y a donc qu'un très faible impôt sur les bénéfices réalisés par les sociétés immatriculées au Delaware. De plus, il n'y a pas de « sales tax », taxe à la vente dûe par le consommateur final, ni de TVA. De plus, l'État du Delaware ne prélève pas d'impôts locaux, ni de droits de succession. Enfin, l'impôt sur le revenu du Delaware n'est pas dû par les actionnaires non résidents. Toutefois, il faut lire le manuel avec une très grande attention, pour remarquer que l'impôt fédéral sur les sociétés est dû, pour les C-Corporations. En effet, aux États-Unis, les États fédérés et l'État fédéral prélèvent chacun leurs propres impôts. Ainsi, l'impôt fédéral sur les sociétés est de 34% jusqu'à 10.000.000 de dollars, et de 35 % au delà. De ce fait, l'intérêt fiscal du Delaware est nul. Seul l'anonymat est avantageux. * 18 EIN : numéro d'identification d'employeur * 19 LLC : société à responsabilité limitée * 20 On peut à ce sujet consulter la publication 542 de l'IRS (Internal revenue service), administration fiscale américaine. * 21 Nominee signifie en français « personne désignée » |
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