Chapitre II : Les notions de base
Introduction
L'objet de ce présent chapitre est de
traiter des notions de base du KM. Nous essayerons d'expliciter les
principales notions connexes au KM pour une meilleure
compréhension des enjeux des démarches de gestion des
connaissances.
Nous aborderons l'objet du KM qui s'avérera
être difficile à circonscrire. De cette première analyse
émergera le premier concept important qu'est «la
connaissance». Ensuite les différentes notions relatives à
la pratique du KM seront abordées.
Il convient de signaler que le KM est un
champ de recherche foisonnant et éclaté entre des
disciplines qui n'ont a priori rien en commun. Vouloir tout
exposer est utopique, sans parler de l'inutilité d'un travail qui
s'attellerait à énumérer des concepts
et des pratiques sans prendre en compte une
finalité pratique bien déterminée. C'est pour cela que
nous nous limiterons aux notions les plus opératoires et les plus aptes
à éclairer la pratique managériale
quotidienne.
Nous exposerons dans un premier temps les
éléments relatifs à la connaissance en nous limitant aux
définitions de la connaissance (I.1). Dans un deuxième
temps nous aborderons les notions relatives au KM en commençant par une
approche de définition
(II.1), puis par les enjeux du KM (II.2),
ensuite nous aborderons deux dimensions importantes qui sont la dimension
cognitive (II.3) et la dimension sociale à travers une approche des
communautés professionnelles (II.4).
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Pour illustrer l'ambiguïté que pose le concept
du Knowledge Management (KM) pour les acteurs de l'entreprise, Prax J-Y.
écrivait :
«Lorsqu'on explique ce qu'est le Knowledge
Management dans les conférences ou séminaires, on
entend parfois une réaction violente : «mais, nous, cela
fait depuis toujours qu'on en fait, on ne l'appelait simplement pas comme
cela !»»1
Prusak L. répondait à ces septiques (selon son
terme) dont il jugeait la position comme n'étant pas non naturelle,
ainsi :
«Je voudrais leur dire que le KM, comme tout système
de pensée qui a de la valeur, est en même temps ancien et nouveau
et sa combinaison de nouvelles idées avec des idées que
«tous
le monde connaît depuis toujours» doit rassurer
les praticiens plus que ça ne doit les
déstabiliser»2 .
Pour y voir plus clair, on ne peut faire l'économie d'un
examen approfondi des notions mises
en jeu dans l'approche KM. C'est l'objet de ce présent
chapitre.
I. La connaissance
1. Les définitions de la connaissance
Quel est l'objet de la gestion des connaissances ? On serait
tenté de répondre que c'est les connaissances, évidemment.
Cela n'est pas si évident. L'analyse de la littérature fait
ressortir une multitude d'objets se rattachant aux concepts de Knowledge
Management : connaissance, connaissances, savoir, compétences,
informations, capital intellectuel...etc.
Nous pensons pour notre part qu'il s'agit d'une
confusion inhérente aux premières tentatives de structurer
un champ de recherche éclaté. La constitution d'un
vocabulaire commun a permis d'atténuer les divergences au profit
d'une acception des connaissances comme objet du KM. En
contrepartie, le débat s'est déplacé vers la
définition des connaissances.
Nous essayerons dans ce qui suit d'examiner cette notion et les
notions connexes pour y voir plus clair dans ce débat.
1.1. Typologie des définitions de la
connaissance
Plusieurs typologies des définitions des
connaissances ont été proposées. Alavi M. et Leidner
D E. relèvent dans la littérature six
perspectives pour la définition des connaissances3
:
1 Prax J-Y., Le manuel du
Knowledge Management, Dunod, Paris, 2003, p.21.
2 Prusak L., Where did
Knowledge Management come from?, IBM Systems Journal, vol. 40, n°4,
2001, p.1002, http://www.research.ibm.com/journal/sj/404/tocpdf.html
3 Alavi M. et Leidner D.E.,
Knowledge Management and Knowledge Management Systems : conceptual
foundations and research issues, MIS Quarterly, vol.25, n°1,
p.107-136, Mars 2001, cité par Dudezert A.,
La
valeur des connaissances en entreprise : recherche sur la
conception de méthodes opératoires d'évaluation des
connaissances en organisation, Thèse de doctorat en science de
gestion, Ecole Centrale, Paris, 2003, pp.160-
161, dirigée par Bocquet J C.
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La vue hiérarchique : les connaissances
comme éléments situés par rapport aux données
et aux informations. La connaissance est alors positionnée dans une
optique hiérarchique allant de la donnée (fait brut),
à la connaissance (information à forte valeur ajoutée
et interprétée) en passant par l'information (donnée
traitée) ;
La connaissance vue comme un état d'esprit : La
connaissance est définie comme un état d'esprit qui permet de
comprendre et de connaître ;
La connaissance vue comme un objet : la connaissance
peut être manipulée et stockée ;
La connaissance vue comme un processus d'application d'une
expertise acquise ;
La connaissance vue comme une condition d'accès
à l'information : elle est ce qui permet de comprendre et
d'accéder à l'information ;
La connaissance vue comme la capacité d'un individu
à influencer l'action.
Il est clair que chaque perspective de
définition implique une méthodologie différente pour
aborder la question de la gestion des connaissances. La première
implication se retrouve dans la division des connaissances en catégories
distinctes.
1.2. Les différentes catégories de
connaissances
Les distinctions majeures généralement admises sont
de deux ordres4 :
Il existe des connaissances explicites et
des connaissances tacites. Les connaissances explicites
renvoient à ce que nous pouvons énoncer et communiquer, tandis
que les connaissances tacites sont ce que nous connaissons sans avoir
conscience de le connaître5 . Grundstein M. reprend la
même distinction avec un vocabulaire différent, pour lui
«les connaissances de l'entreprise se présentent en deux
grandes catégories
(...) : les connaissances explicites et
formalisées qui constituent ce que l'on peut appeler «les
savoirs de l'entreprise» et les connaissances tacites
explicitables ou non qui constituent ce que l'on peut appeler «les
savoir-faire de l'entreprise»». (Voir figure 3 :
les deux catégories des connaissances de l'entreprise) ;
4 Simoni G., Capitaliser les
connaissances générées dans les projets R&D,
document de travail, LEST-CNRS, UMR 6123, p.7, disponible sur Internet.
5 Polanyi M., The Tacit
Dimension, Doubleday, Garden City, NY, 1966, cité par
Simoni G., ibid., p.7.
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Figure 3: Les deux catégories de connaissances de
l'entreprise
Connaissances
de l'entreprise
Savoir de l'entreprise
Eléments tangibles
Savoir-faire de l'entreprise
Eléments intangibles
Connaissances explicites,
formalisées, spécialisées
Connaissances tacites,
explicitables ou non, adaptatives
Données, procédures, modèles,
algorithmes, plans...
Connaissance des contextes
décisionnels, talents, habileté...
Hétérogènes, incomplètes ou
redondantes, fortement marquées par les circonstances de
leur création, n'expriment pas le non-dit de ceux qui les ont
formalisé
Acquises par la pratique,
souvent transmises par apprentissage collectif implicite ou
selon une logique maître- apprenti
Réparties Localisées
Représentatives de l'expérience et de la culture de
l'entreprise. Emmagasinées dans les archives,
les armoires, les systèmes informatisés et les
têtes des personnes. Encapsulées dans les procédés,
les produits et les services. Caractérisent les capacités
d'études, de réalisation, de vente, de support
des produits et des services. Constituent et produisent la valeur
ajoutée de ses processus
organisationnels et de production.
Source : Grundstein M., GAMETH : un
cadre directeur pour repérer les connaissances cruciales
de
l'entreprise, MG Conseil, rapport de recherche
réf : RR090202.doc, 2002, p.5, disponible sur internet.
Il existe des connaissances déclaratives
et des connaissances procédurales. Les
connaissances déclaratives «donnent des informations sur
les objets (réels ou hypothétiques) du monde» ; les
connaissances procédurales «donnent des indications
sur les procédures et les conditions d'utilisation de ces
procédures»6 . (Voir figure 4 : Les
caractéristiques distinctives des connaissances déclaratives et
procédurales)
6 Weil-Barais A., L'homme
cognitif, Puf, Paris, 1994, cité par Simoni G.,
ibid., p.7.
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Figure 4 : Les caractéristiques distinctives des
connaissances déclaratives et
procédurales
Connaissances déclaratives
|
Connaissances procédurales
|
Savoir "quoi"
|
Savoir "comment"
|
Indépendantes des actions susceptibles de les mettre en
jeu
|
Inscrites dans l'action
|
Décontextualisées et statiques
|
Dépendantes de leur contexte et constituant un savoir plus
opérationnel
|
exemple : les connaissances scientifiques
|
exemple : savoir conduire
|
Source : Simoni G., Capitaliser les
connaissances générées dans les projets R&D,
document de travail, LEST-
CNRS, UMR 6123, p.7, disponible sur Internet.
Dans la littérature, la distinction le plus
fréquemment utilisée est celle entre connaissances
tacites et connaissances explicites. Nonaka I. et Takeuchi H.
assimilent les deux distinctions (tacite/explicite,
procédural/déclaratif), comme rendant compte d'une même
réalité7 . Nous retiendrons donc cette
distinction comme cadre d'analyse dans le présent travail.
1.3. Les modes de conversion des connaissances : la
spirale du savoir
Pour Simoni G., la théorie de Nonaka I. et
Takeuchi H. est enracinée dans les deux éléments
suivants8 :
«La pierre angulaire de notre
épistémologie se trouve dans la distinction entre
connaissances tacites et connaissances explicites» ;
«La connaissance est créée par l'interaction
entre connaissance tacite et explicite». Un autre élément
nous semble aussi d'une importance capital :
«L'activité primordiale d'une entreprise
créatrice de savoir est de rendre le savoir individuel accessible
aux autres»9 .
De ces trois considérations découlent quatre
schémas de base pour la création du savoir
en entreprise10 :
1. La socialisation (de tacite à tacite)
est définie comme «un processus de partage
d'expériences créant de ce fait des connaissances tacites
telles que les modèles mentaux partagés et les aptitudes
techniques» ;
7 Nonaka I., Takeuchi H.,
La connaissance créatrice. La dynamique de
l'entreprise apprenante, De Boeck
Université, 1997, cité par Simoni
G., ibid., p.8.
8 Nonaka I., Takeuchi H., opus
cité, in Simoni G., ibid.,
p.8.
9 Nonaka I., L'entreprise
créatrice de savoir, Harvard Business Review : Le
Knowledge Management, Ed. d'Organisation, Paris, 1999, p.41,
première publication Novembre-Décembre 1991.
10 Nonaka I., Takeuchi H., opus
cité, in Simoni G., ibid.,
pp.8-9.
33
2. L'extériorisation (de tacite
à explicite) est définie comme «un
processus d'articulation des connaissances tacites en concepts explicites.
C'est un processus qui est la quintessence de la création de
connaissances parce que la connaissance tacite devient explicite sous
la forme de métaphores, analogies, concepts, hypothèses ou
modèles» ;
3. La combinaison (d'explicite à explicite)
est définie comme «un processus de
systématisation de concepts en un système de connaissances»
;
4. L'intériorisation (d'explicite à
tacite) est définie comme «un processus d'incorporation de
la connaissance explicite en connaissance tacite».
Malgré son aspect théorique, susceptible de
provoquer les réticences des manager, ce cadre nous semble
extrêmement fécond sur deux plans :
Il montre les multiples interactions possibles et
replace la communication de connaissances explicites, qui occupe une
place de choix dans le fonctionnement des entreprises, dans un cadre plus
général où elle est plutôt marginale. Pour Nonaka
I.,
«La grande force de la démarche japonaise c'est
d'avoir compris que la création des nouveaux savoirs n'est pas juste
une question de «traitement de l'information» objective. Elle
dépend également de la capacité à capter les
points de vue, les intuitions et les pressentiments tacites et
éminemment subjectifs des salariés pris individuellement et
à les mettre à la disposition de l'ensemble de
l'entreprise pour qu'elle les teste et les utilise. Au coeur du
processus, se trouvent l'engagement personnel et le sens de
l'identité de l'entreprise et de sa mission chez les
salariés»11 .
Il permet de faire une typologie des outils et technologies
pour le KM. Ce cadre est particulièrement pertinent puise qu'il met en
évidence la façon dont chaque outil ou technologie permet de
créer et de partager les connaissances.12
1.4. La notion de
compétence13
Une première observation conduit à
différencier la notion de compétence de la notion de
savoir-faire. En effet, parler des savoirs et des savoir-faire utilisés
et produits par l'entreprise
ne préjuge pas de la façon dont ces
connaissances sont mises en oeuvre au quotidien, dans des situations
opérationnelles soumises à des contraintes techniques,
économiques et psychosociologiques. De ce point de vue, on peut
évoquer la notion de compétence comme la capacité des
personnes à mettre en oeuvre les savoirs et les savoir-faire
constitutifs des connaissances de l'entreprise dans des conditions de
travail et des contraintes données : le poste de travail, un
rôle déterminé, une mission spécifique. Ainsi
la compétence se réalise dans l'action : c'est un
processus qui, au-delà des savoirs et des savoir-faire, fait
appel aux comportements des personnes, à leur savoir être,
à leurs attitudes éthiques.
La deuxième observation porte sur les connaissances
individuelles. Si l'on considère les
«savoir-faire de l'entreprise», on peut penser qu'ils
reposent strictement sur des connaissances
11 Nonaka I., ibid.,
p.39.
12 Voir sur ce point: Marwick A D.,
Knowledge management technology, IBM Systems Journal, vol.
40, n°4,
2001, pp.814-830.
13 D'après Grundstein
M., GAMETH : un cadre directeur pour repérer les
connaissances cruciales de l'entreprise, MG Conseil, rapport de
recherche réf : RR090202.doc, 2002, p.5, disponible sur Internet
34
individuelles. Néanmoins, certaines connaissances
individuelles ont une dimension collective qui se traduit par des
compétences et des logiques d'action spécifiques de
l'entreprise.
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