II. Les facteurs organisationnels
1. L'approche basée sur les ressources
1.1. Historique
Différents auteurs s'accordent à faire
remonter l'origine de la théorie aux travaux de Penrose E.28
. Son questionnement de départ consistait à se demander
comment des firmes qui exercent des activités similaires au sein d'un
même environnement peuvent être différentes du point de vue
de leurs performances. Selon elle, les entreprises sont «dotées de
beaucoup plus d'attributs que ceux possédés par la firme
néo-classique, et la pertinence de ces attributs n'est
pas adéquatement représentée par les courbes
de coûts et revenus»29 .
Si toutes les entreprises avaient les mêmes
ressources alors elles développeraient et créeraient les
mêmes produits et services. La compétition ne se baserait alors
plus que sur le prix. Les entreprises auraient sensiblement les mêmes
performances, profits, investissements
et problèmes30 . L'entreprise est alors
envisagée comme une large série de ressources qui font
sa singularité. C'est l'énorme étendue de
ces ressources qui explique la différence entre les performances des
firmes.
28 Voir par exemple : Chauvet V.,
Les facteurs de l'émergence du knowledge management
: changements environnementaux, technologiques et organisationnels,
CEROG-IAE d'Aix-en-Provence, w.p. n° 626, Janvier
2002, p.5, disponible sur Internet. Simoni G.,
ibid., p.1. Mintzberg H., Alstrand B. et Lampel
J., ibid., p.280.
29 Penrose E., The theory of
growth of the firm, New York, John Wiley, 1959, cité par
Simoni G., ibid., p.1.
30 Chauvet V., ibid.,
p.5.
22
Wernerfelt B.31 développe la théorie
basée sur les ressources, mais ses idées n'ont pas eu
un grand écho à cause de la conception dominante en
stratégie qui se basait sur l'analyse de l'environnement. L'essor de
l'approche advient avec les travaux de Prahalad K. et Hamel G.
1.2. Les notions importantes
La théorie en elle-même n'est pas un ensemble
homogène de notions interdépendantes. Il convient plutôt
de parler d'un courant de pensée qui regroupe plusieurs travaux
qui se caractérisent essentiellement par l'insistance sur les
ressources internes de l'entreprise32 . Pour
les besoins de cet exposé, nous traiterons des notions les
plus importantes élaborées par ce courant.
1.2.1. Les ressources
Pour Barney J., les ressources d'une entreprise sont
«les actifs, capacités, processus organisationnels,
informations, connaissances...etc., contrôlés par l'entreprise
et qui lui permettent de concevoir et mettre en oeuvre ses
stratégies»33 . «Ce qui unit ces ressources en
un système unique, c'est un réseau
d'interprétations partagées. C'est cela qui maintient,
renouvelle et modèle les ressources»34 .
Plusieurs typologies des ressources de l'entreprise ont
été proposées. Nous avons retenu celle proposée
par Puthod D. et Thévenard C. parce qu'elle nous semble
particulièrement intéressante pour la gestion de ces
ressources.
Tableau 1: Une typologie des ressources de
l'entreprise
|
Nature des ressources
|
Tangibles
|
Intangibles
|
Séparabilité de l'organisation
|
Ressources séparables
|
Ressources physiques (terrains, équipements, machines).
|
Compétences individuelles.
|
Ressources dépendantes de
l'organisation
|
Ressources financières.
|
Réputation, marques, brevets, licences, réseau de
relations, culture d'entreprise, informations, savoir- faire technologique.
|
Source : Puthod D. et Thévenard C.,
L'avantage concurrentiel fondé sur les ressources : une illustration
avec
le groupe Salomon, Gestion 2000, n°3, Mai-Juin
1999, pp.135- 154.
31 Wernerfelt B., A
resource-based view of the firm, Strategic Management Journal, n° 5,
1984, pp. 171-180, cité par Mintzberg H., Alstrand B. et Lampel
J., ibid., p. 280-281.
32 Mintzberg H., Alstrand B. et Lampel
J. traitent séparément de la théorie
basée sur les ressources et des travaux de Prahalad et Hamel. Voir
leur note p.281, opus cité.
33 Barney J., Firm resources
and sustained competitive advantage, Journal of Management, vol. 17,
n° 1, 1991, pp. 99-120, cité par Mintzberg H., Alstrand B.
et Lampel J., ibid., p.282.
34 Mintzberg H., Alstrand B. et Lampel
J., ibid., p.282.
23
1.2.2. Les compétences35
La compétence constitue la capacité de
l'entreprise à favoriser l'utilisation et la transformation
des ressources en fonction d'objectifs prédéfinis, pour maintenir
et améliorer
sa position concurrentielle36 . Il est difficile
d'expliciter la relation exacte entre ressources et compétences.
«Cependant, on trouve chez plusieurs auteurs un consensus sur
l'idée que les compétences proviennent de la combinaison de
plusieurs ressources»37 .
1.2.3. Les compétences clefs (compétences
de base) [core competences]
Les compétences clés sont définies
comme résultant de «l'apprentissage collectif de
l'organisation, spécialement de la façon dont sont
coordonnées différentes compétences de production et
dont sont intégrées de multiples courants
technologiques»38 . Cela exige
«communication, participation et une forte
volonté de travailler en dépassant les frontières
organisationnelles. Les compétences sont l'adhésif qui
attache ensemble les activités existantes. C'est aussi le moteur
pour le développement de nouvelles activités»39
.
Comment une entreprise identifie-t-elle ses
compétences de base ? Plusieurs méthodes d'évaluation
ont été décrites. Pour Barney J. une compétence
clé doit être : évaluable, rare, inimitable et non
substituable40 . Puthod D. et Thévenard C. ne posent pas
comme condition l'évaluabilité mais rajoutent aux trois autres
critères la pertinence et la non transférabilité41
. Prahalad C K. et Fahey L. proposent trois ensembles de
questions mettant en lumière les caractéristiques des
compétences clés :
1. La compétence est-elle une source
significative de différenciation concurrentielle ?
Génère-t-elle des bénéfices et une valeur distincts
pour les clients ? Les compétences
de base se manifestent aux clients sous la forme des
produits de l'entreprise et de leurs attributs.
2. La compétence déborde-t-elle de
son seul secteur d'activité ? Couvre-t-elle un ensemble
d'activités, actuelles et nouvelles ? Une compétence de base
devrait donner accès à plusieurs marchés.
3. La compétence est-elle difficile à imiter
? Est-il difficile à des tiers d'apprendre ce que fait l'entreprise et
comment elle le fait42 .
35 Il s'agit d'aborder ce concept sous l'angle de
la stratégie, en GRH ce concept est activé différemment.
Voir
sur ce point : Cadin L., Faut-il sortir la
GRH de ses frontières ?, in Dedans, Dehors,
Coordonné par Besson P.,
Vuibert, Paris, 1997, p.72.
36 Chauvet V., ibid.
37 Simoni G., ibid., p.2,
elle cite : Tarondeau J.C., Le management des
savoirs, PUF, Collection Que sais-je ?,
1998. Puthod D., Un modèle
d'exploitation des compétences dans le contexte de l'organisation et de
la décision,
7ème Conférence de l'Association de Management
Stratégique, 27-28 Mai 1998. Wright R W., Van Wijk G. et Bouty
I., Les principes du management des ressources fondées sur
le savoir, Revue Française de Gestion, Sept- Oct 1995, pp.70-75.
Mack M., L'organisation apprenante comme système de
transformation de la connaissance
en valeur, Revue Française de Gestion, Sept-Oct
1995, pp.43-48.
38 Prahalad C K. et Hamel G.,
The core competence of the corporation, Harvard Business
Review, May-June
1990, pp.79-91, cité par Mintzberg H., Alstrand B.
et Lampel J., ibid., p.225.
39 Prahalad C K. et Hamel G.,
opus cité, cité par Mintzberg H.,
Alstrand B. et Lampel J., ibid., p.225.
40 Barney J., opus
cité, cité par Mintzberg H., Alstrand B. et Lampel
J., ibid., p.282.
41 Source : Puthod D. et Thévenard
C., L'avantage concurrentiel fondé sur les ressources : une
illustration avec le groupe Salomon, Gestion 2000, n°3, Mai-Juin
1999, pp.135-154.
42 Prahalad C K. et Fahey L.,
Une stratégie pour la croissance : le rôle des
compétences de base dans
l'entreprise, in Fahey L. et Randall R.
(dir.), les paramètres essentiels de la
gestion stratégique, MBA Séries, Nouveaux Horizons et Maxima
Laurent du Mesnil Editeur, Paris, 1997, pp.370-371. Titre original : The
portable MBA in Strategy, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par WRP
Translations, 1994, (c) by John Wiley & Sons, Inc,
24
1.3. Les connaissances et les compétences comme
actifs stratégiques
Le nouveau paradigme en stratégie voit l'entreprise comme
un portefeuille de ressources
et de compétences plutôt que comme un
portefeuille d'activités. Les ressources et compétences
de l'entreprise constituent un actif stratégique qu'il faut
gérer pour réaliser et maintenir un avantage
compétitif. En confrontant les ressources humaines aux
critères qui définissent les compétences clés,
on observe qu'elles constituent un actif stratégique par
excellence. Quinn J B. considère le capital intellectuel comme
de nouvelles ressources déterminantes43 et en cite les
plus importantes44 :
Banques de données sur les processus et les
consommateurs ;
Systèmes de conception et d'innovation ;
Systèmes et habitudes de gestion ;
Logistique et réseaux d'information ;
Réseaux de contacts spécialisés et
accès aux nouveaux acteurs ;
Systèmes de réponse organisationnelle rapide
;
Système de motivation et culture
d'entreprise.
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