2. Exemples
2.1. La mémoire à base de
cas2
Le raisonnement à partir de cas peut être
utile pour la construction d'une mémoire collective. En effet,
chaque organisation dispose d'un ensemble d'expériences
antérieures
(succès ou échecs) qui peuvent être
représentés explicitement dans un même formalisme afin
de les comparer. Chaque expérience pourra alors être
décrite dans un cas. Cependant, s'il est souhaitable que l'organisme se
remémore ses échecs antérieurs afin d'éviter de les
reproduire,
les problèmes humains et organisationnels
rendent souvent difficile et peu réaliste l'explicitation des
erreurs passées de l'organisation3 .
Une mémoire à base des cas est
intéressante pour éviter les difficultés de
modélisation du savoir-faire en se concentrant sur l'acquisition
des cas et également pour permettre une évolution continue
de la mémoire d'entreprise grâce à l'ajout progressif de
nouveaux cas. Le raisonnement à partir de cas vise à trouver,
pour un problème présent, une solution construite
en réutilisant une solution mémorisée d'un
problème similaire au problème actuel. Le raisonnement à
partir de cas repose sur un cycle :
Rechercher dans la base de cas un problème similaire
au problème actuel ;
Adapter la solution trouvée du problème
antérieur au cas présent ;
Mémoriser éventuellement le problème
présent et sa solution sous forme d'un nouveau cas dans la base
de cas.
Moussavi M. propose un système à base de cas
comprenant :
Une bibliothèque de cas
comprenant des cas concrets de développement de
projets. A cette bibliothèque est associée un
vocabulaire d'indexation qui capture les caractéristiques
importantes des cas de développement et les distingue les uns
des autres ;
Une base de connaissances
contenant des connaissances générales du
domaine. Cette base de connaissances permet au système de fournir
des avis prescriptifs sur les
2 Adapté de : Van Wassenhove
W., ibid., pp.118-119.
3 Dieng R., Corby O., Giboin A., Golebiowska
J., Matta N et Ribière M., Méthodes et outils pour
la gestion des connaissances. Dunod, 2000, cité par Van
Wassenhove W., ibid., pp.118.
51
méthodes à utiliser dans telles ou telles
conditions ;
Une interface utilisateur d'évaluation de
situation, qui dérive les caractéristiques les
plus significatives avant de tenter de retrouver un cas utile. Par rapport aux
systèmes
de recherche d'information classiques ou par rapport
aux moteurs de recherche du web, ce composant est capable d'utiliser le
vocabulaire sémantique relatif à un projet, pour aider
l'utilisateur à formuler une requête4 .
2.2. L'US Army After Action Review
(AAR)5
Le retour d'expérience est dans le domaine
militaire une méthode d'apprentissage très importante et
l'armée américaine est l'une des rares organisations qui ait
institutionnalisé ses retours d'expérience et plus
particulièrement à un niveau d'équipe. Les retours
d'expérience sont désormais des procédures
standardisées6 . Ces revues d'après action sont
structurées autour de quatre questions :
Qu'est ce qu'on a voulu faire ? (What did we set out to
do?)
Qu'est ce qui s'est passé ? (What actually happened
?)
Pourquoi cela s'est il passé ainsi ? (Why did it
happen ?)
Qu'est ce qu'on va faire la prochaine fois ? (What are we
going to do next time?)
La méthode propose une liste de directives pour
conduire ce retour d'expérience dans l'équipe après
une action :
Planifier les AAR peu après une action.
Faire des retours d'expériences une routine
(après chaque action).
Collecter des données objectives.
Utiliser des personnes neutres et entraînées
pour mener le débat.
Mettre en place des règles du jeu claires :
franchise, ouverture, confidentialité.
Procéder de façon systématique : les
quatre questions.
Impliquer tous les participants dans les
discussions.
Sonder pour des rapports fondamentaux de cause
à effet, éviter de critiquer des comportements
individuels.
Identifier des actions à favoriser et des erreurs
à éviter.
Il existe également dans l'armée
américaine et canadienne un centre de retour
d'expérience qui s'appelle : Center for Army Lessons
Learned (CALL). Ce centre rassemble et analyse des
données d'une variété de sources courantes et historiques
et produit des leçons, des apprentissages, des enseignements et
des données pour les officiers, les personnels et les
étudiants militaires. Ces données sont disponibles sous
différents supports, y compris un site web. Le centre canadien
définit sa mission ainsi : «Notre mission est de rassembler
et d'analyser les expériences canadiennes et alliées en
matière d'opérations et d'instruction en vue de les
disséminer sous forme de leçons dans le but d'améliorer la
capacité opérationnelle de l'Armée7 ».
4 Moussavi M., A
case-based approach to Knowledge Management. Proc. Of the AAAI'99
workshop on
«Exploring Synergies of Knowledge Management and Case-based
Reasoning», July 1999, Orlando, AAAI Press
Technical Report WS-99-10, cité par: Van
Wassenhove W., ibid., pp.119.
5 Adapté de Van Wassenhove
W., ibid., pp.115-116.
6 Garvin D.A., Learning in
Action. Harvard Business School Press, 2000, cité par: Van
Wassenhove W., ibid.,
pp.115.
7 http://www.armyapp.dnd.ca/allc/main/asp
cité par: Van Wassenhove W., ibid., pp.116.
52
®
2.3. La méthode REX
du Commissariat à l'Energie Atomique
(CEA)8
La méthode REX9 a
été développée par le CEA à la direction des
Réacteurs Nucléaires pour capitaliser le retour
d'expérience sur le démarrage de Super Phénix. De cet
objectif est née une méthode et un logiciel. Le retour
d'expérience se présente comme une description
structurée, sous forme de «fiches
d'expériences». Ces fiches sont rédigées
à partir d'interviews des personnes qui ont vécu
ces expériences. Elles sont ensuite mises à
disposition dans un outil informatique avec un système de recherche par
mots clés, agrémenté d'un graphe de concepts
construits, qui permet de naviguer dans les concepts du domaine pour
mieux formuler sa requête10 . L'outil REX est
diffusé par la société Euriware et utilise actuellement
la technologie Intranet. Plusieurs organisations utilisent l'application
: CEA
(projet ACCORE), DCN/Toulon, EDF, RATP, SNCF.
®
2.3.1. L'objectif du REX
L'objectif d'une application REX est de
mettre en place l'organisation et les outils
permettant la maîtrise du cycle de retour
d'expérience. Dans la méthode REX il s'agit de
deux processus, l'un destiné à capter l'expérience,
l'autre destiné à fournir à bon escient, les
éléments d'expérience.
2.3.2. Les sources d'expérience et leur
manipulation
Il existe différentes sources d'expérience.
L'étude, pour la méthode REX, des documents
et des bases de données contenant de l'expérience
conduit à deux observations11 :
L'expérience doit être exprimée sous
forme d'éléments d'expérience décrits de
manière atomique ;
Chaque élément de l'expérience doit
respecter une forme de base stable :
1. Un en-tête décrivant le
contexte ;
2. Un texte relativement court,
typiquement de la taille d'un paragraphe, c'est à dire rarement plus
d'une page. Il est composé de trois parties : la
première partie, toujours présente décrit
objectivement les faits (description d'une anomalie ou d'un accident par
exemple) ; la deuxième partie est constituée de commentaires
ou
de remarques de l'observateur ; la
troisième partie (facultative) est une recommandation,
véritable proposition pour faire évoluer le savoir-faire.
La présence de cette dernière partie suppose que
l'élément d'expérience ait déjà fait l'objet
d'un processus de réflexion ;
3. Des références.
Pour répondre aux spécifications fonctionnelles
générales décrites, la méthode
REX
8 Adapté de Van Wassenhove
W., ibid., pp.120-123.
9 Malvache P., Eichenbaum C., Prieur
P., La maîtrise du retour d'expérience avec la
méthode REX. Performances humaines et Techniques. N°
69, Mars-Avril, 1994, p.6-13, cité par : Van Wassenhove
W.,
ibid., pp.120.
10 Ermine J.L., Les
systèmes de connaissances. Ed Hermès, Paris 1996,
cité par : Van Wassenhove W., ibid.,
pp.120.
11 Malvache P., Eichenbaum C., Prieur P.,
opus cité, in Van Wassenhove W.,
ibid., pp.121.
53
propose une série de procédures pour
constituer les Eléments d'Expérience (EEx)
et une série de procédures pour structurer le domaine
de l'expérience mémorisée appelé :
Mémoire
de l'Expérience (MemEx).
L'application de ces procédures conduit à la
réalisation d'un système informatique qui peut être
interrogé en langage libre et qui affiche les EEx
retrouvés sous forme d'un dossier d'informations
ordonnées par pertinence décroissante. Chaque
élément de ce dossier peut être examiné en
même temps que la documentation associée, disponible sous
n'importe quel système de stockage.
La constitution des EEx est un point
clé dans la gestion de l'expérience par la méthode
REX. Il s'agit de la matérialisation de
l'expérience, qu'elle qu'en soit l'origine. Ce sont les plus petites
unités de connaissance manipulées par REX,
et elles déterminent la finesse de résolution d'une
application. Tout en pouvant être de types différents, en fonction
des finalités
de l'application, ces unités
élémentaires se présentent toutes sous la même
forme décrite précédemment : en-tête, texte court,
références.
Les différentes sources d'expérience sont
prises en compte dans la procédure de constitution :
l'information peut être contenue dans un ou plusieurs manuels
utilisés dans l'entreprise, et qui représentent un
savoir-faire reconnu et clairement structuré, ceci peut
correspondre à des réglementations, un code de calcul, un
document technique de référence,
un ensemble de standards, des procédures...etc.
La méthode REX va considérer chaque
paragraphe important comme un EEx. De façon
similaire on fera intervenir une correspondance
enregistrement/EEx lors de l'intégration de bases
textuelles existantes.
L'information peut être constituée de
l'expérience accumulée par l'entreprise tout au long
de son activité, qu'elle s'efforce de formaliser et
d'organiser. Ce peut être typiquement des notes ou formulaires
établis pour mémoriser les tenants et les aboutissants des
activités (fiches d'expérimentation, fiches d'écart,
notes de retour d'expérience, jurisprudences, procédures
exceptionnelles...etc.) ; les faits sont déjà
présentés sous une forme réutilisable
ultérieurement, pour permettre un raisonnement par analogie.
L'information peut correspondre à l'expérience
accumulée par les individus tout au long
de leur activité dans l'entreprise ; la nature de
l'information est proche de celle du type précédent, mais
elle n'est pas formulée de la même manière : dans le
meilleur des cas elle a
été relevée dans des carnets, dans
le pire des cas elle ne se trouve que dans la tête des
individus. La méthode de REX propose alors une
technique d'interview pour construire des EEx à partir
des connaissances et du savoir-faire des individus.
2.4. La méthode MEREX de
Renault12
La méthode de Mise En
Règle de l'EXpérience
(MEREX), est une méthode de capitali- sation de
l'expérience mise au point par Corbel J-C en 199513 ,
à la suite d'un benchmark avec l'Aérospatiale, pour
l'amélioration des processus de l'ingénierie des véhicules
de Renault.
Ce qui a poussé Renault à mettre au point un
système de capitalisation de l'expérience, c'est la constatation
d'erreurs récurrentes pendant les phases de conception ; ces erreurs
étaient principalement dues à la non application d'un
savoir-faire, pourtant maîtrisé dans la maison, qui engendrent des
surcoûts considérables.
12 Adapté de : Prax J-Y.,
Le manuel du Knowledge Management, Dunod, Paris, 2003,
pp.242-249.
13 Corbel J.C.,
Méthodologie de retour d'expérience :
démarche MEREX de RENAULT, chapitre 4 dans
Fouet
J.M., Connaissance et savoir-faire en
entreprise, intégration et capitalisation. Hermès, Paris,
1997.
54
MEREX s'est donné pour
maîtres mots la simplicité et la réponse aux
attentes des utilisateurs : il y a en effet un risque bureaucratique à
vouloir tout capitaliser ; le principe de MEREX est de partir
des attentes des «clients» afin d'extraire les connaissances
requises, en respectant quatre principes de base :
Chaque expérience est limitée à une
fiche A4 ;
Les détails sont capitalisés ;
On se limite à des faits simples et précis
;
La méthode est utilisable par tous.
L'objectif est de capitaliser des standards de solutions
produits et process, régulièrement remis à jour en
fonction des problèmes rencontrés, des bonnes pratiques
mondiales et des innovations.
2.4.1. Les fiches d'expérience MEREX
En une page, les fiches doivent apporter une réponse
concrète et rapide à un problème. Les rubriques
principales sont :
Le titre, signifiant car il sert ultérieurement
à la réalisation des check-lists ;
Un énoncé en une quinzaine de lignes ou
un croquis, opérationnel (non théorique), applicable et
validé ;
Le jalon, qui indique les dates ou points de repères
auxquels ce savoir-faire doit être éventuellement
intégré dans le process ;
Le contexte qui précise le champ d'application de la
solution proposée (ou à l'inverse ses limites) ;
La solution de retouche qui propose une solution
opérationnelle et éventuellement une deuxième solution, en
cas d'échec de la première.
Trois rubriques complémentaires témoignent de la
validité et la valeur de la fiche :
Les conséquences du non-respect indiquent les
enjeux économiques (coût, délai, qualité)
liés à la solution ;
Le support pour vérifier la règle,
explique comment la solution a été trouvée
(prototype, laboratoire, essai... etc.) ;
Les éléments de validation apportent des
preuves de l'efficacité de la solution
(expériences réussies, paramètres
physiques, exemples de pratiques de la concurrence... etc.).
Enfin, la fiche respecte les règles de rédaction
des démarches ISO 900l, avec l'indication :
Des sources ;
Des informations complémentaires ;
Du nom des acteurs ayant participé à son
élaboration (rédigé par, validé par,
géré par, exploité par).
2.4.2. Les acteurs
La rédaction de ces fiches implique la participation de
trois principaux acteurs :
55
Les rédacteurs, qui sont des opérationnels
de chaque métier (chefs d'équipes) et non des experts. La
rédaction des fiches est en principe laissée à
l'initiative personnelle ; toutefois, Renault a mis au point une
procédure institutionnalisée de réunions de
résolution de problèmes, au cours desquelles les invités
sont incités à capitaliser ; la rédaction est dès
lors plutôt une démarche concertée et collective.
Les validateurs, qui appartiennent au réseau des 70
experts métiers de Renault ; une fiche peut être validée si
elle fait l'objet d'un consensus d'au moins 3 experts.
Les gestionnaires, qui ont la charge de l'administration
de la base MEREX, métier par métier.
Aujourd'hui, une vingtaine de gestionnaires veille à la cohérence
et à la mise à jour des fiches, au respect du nombre limite de
100 fiches, et à la diffusion de ces fiches aux chefs de projet et
à toute personne intéressée (soit un potentiel
d'environ 5 000 utilisateurs). Le gestionnaire est un véritable
père technique dans son domaine, un animateur de la
transversalité. Il recherche en permanence l'addition des
compétences détenues dans l'entreprise et chez les fournisseurs,
puis rend visible ce savoir-faire collectif sous forme de solutions
produit/process, pour «faire bon du premier coup».
2.4.3. Le rôle de la réunion de
capitalisation
On note l'importance de la réunion de capitalisation :
un technicien est invité à exposer son idée, sa
suggestion, sa résolution d'un problème aux autres ; ceux-ci
challengent son idée par un feu nourri de questions, ce qui enrichit
considérablement le sujet et en même temps lui confère un
premier niveau de validation. En même temps, si l'idée tient la
route, son porteur
en tire une vraie reconnaissance : celle de ses pairs et de
son chef. Une fois l'idée validée, alors on peut rédiger,
collectivement, la fiche de capitalisation, et sa rédaction n'en est
que meilleure.
|