La protection des logiciels en droit ivoirienpar Ariel Maixent KOUADIANE Université des Lagunes - Master 2 2024 |
Section 2 : Le respect par le logiciel de la condition d'originalitéL'unique condition de protection du programme d'ordinateur est l'originalité. Si la forme est le corps de l'oeuvre, l'originalité en constitue l'âme67(*). La paternité de cette notion est souvent attribuée à DESBOIS qui l'envisagea, pour la première fois, dans son traité de 1950. Cet intérêt tardif de la doctrine pour cette notion peut s'expliquer par ceci qu'à une époque où les oeuvres relevaient principalement des arts purs, leur originalité ne posait pas véritablement de problèmes68(*). En tout état de cause, le droit d'auteur ne s'applique qu'aux logiciels originaux ; c'est une condition à la fois nécessaire et suffisante69(*) (Paragraphe 1). En outre, il nous faut également préciser ce que renferme cette notion (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : L'originalité, condition suffisante et nécessaire de protectionD'un côté, seul le logiciel original peut se voir protégé par le droit d'auteur : l'originalité est donc une condition nécessaire (A). De l'autre côté, l'originalité, seule, garantit la protection du logiciel : elle est effectivement une condition suffisante (B). A : Une condition nécessaireToutes les législations de l'espace OAPI en général, et celle de la Côte d'Ivoire en particulier, exigent que toute oeuvre soit originale, pour bénéficier d'une protection par le droit d'auteur. Elle est un concept identitaire du droit d'auteur70(*) ; à vrai dire, elle sert de filtre. De fait, seuls les composants orignaux d'un logiciel peuvent faire l'objet de la protection par la propriété littéraire et artistique. L'exigence de l'originalité, s'agissant de la propriété littéraire et artistique, est fondamentale à plusieurs niveaux. D'abord, elle assure l'efficacité du droit d'auteur. En effet, ce dernier n'aurait aucune raison d'être, s'il devait s'appliquer à des créations dépourvues de valeur créative, car il serait malvenu d'accorder un droit privatif à un auteur qui ne se contente que de reproduire, purement et simplement, des créations préexistantes. De plus, l'originalité permet de concilier intérêt privé et intérêt général. En fait, le monopole accordé aux auteurs d'oeuvres originales stimule le monde créatif, tout en garantissant au public l'accès à une diversité d'expressions littéraires et artistiques. Elle favorise un renouveau perpétuel des auteurs ainsi que de leurs oeuvres. En outre, elle prévient la monopolisation éventuelle des idées et expressions créatives puisque si l'on accordait une protection aux oeuvres non originales, l'on assisterait à une évolution géométrique du nombre de monopoles, ce qui entraverait assurément le développement d'idées et d'expressions créatives futures. De ce fait, l'originalité est examinée avec attention par les juridictions qui ne manquent jamais de rappeler que « la protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale71(*) ». La Cour de cassation veille au respect par les juges du fond, de cette condition72(*). Il importe de préciser qu'il s'agit bien de l'originalité de la forme, et non de l'idée à la base de cette forme. Autrement dit, un concept banal peut s'incarner dans une création originale, et vice versa. D'ailleurs, bien qu'il soit vrai que le juge est tenu d'apprécier l'originalité d'une oeuvre, il ne s'agit cependant pas d'une obligation automatique. Effectivement, le juge n'a pas à rechercher d'office si une oeuvre est originale ou non. En l'absence de contestation du défendeur, chaque création est présumée originale. En conséquence, un arrêt ne peut être cassé pour insuffisance de motifs si « devant les juges du fond, le litige a exclusivement porté sur la compétence du tribunal de commerce, sur la validité d'une saisie et sur la réalité de la contrefaçon alléguée, sans qu'à aucun moment, aucune des parties ne mette en doute l'originalité du progiciel73(*) ». C'est sans doute pourquoi la démonstration de l'originalité de l'oeuvre ne conditionne pas la recevabilité d'une demande en contrefaçon74(*). Mais dès le moment où l'originalité de l'oeuvre est remise en cause par le défendeur, actori incumbit probatio75(*). Le demandeur devra, conformément au droit commun, prouver l'originalité de sa création. Les juges du fond apprécient souverainement l'originalité de la création, et la juridiction suprême ne peut effectuer de contrôle sur le bien-fondé de cette appréciation76(*). Le juge doit caractériser l'originalité ou l'absence d'originalité, et dans ce dernier cas le logiciel ne sera pas protégé. En outre, il est intéressant de préciser que ni le législateur ni la jurisprudence n'ont prévu de seuil minimum d'originalité. À vrai dire, « peu importe l'ampleur de l'empreinte que la personnalité de l'auteur a laissée dans l'oeuvre, il suffit, selon la conception subjective, que cette empreinte se manifeste dans l'oeuvre pour que le juge puisse l'apprécier77(*) ». Cela est compréhensible dans la mesure où l'originalité, fondamentalement subjective, n'est pas réellement quantifiable. * 67P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5ème édition, 2004, p.49 * 68C. CARON, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis Litec, 2006, p. 65 * 69B. SCHAMING, Le droit du logiciel, LA VILLEGUERIN Éditions, 1990, p.56 * 70C. CARON, op. cit., p. 66 * 71TGI Paris, 13 octobre, 2016, RG 15/15 617. * 72Ass. Plén, 7 mars 1986, 83-10.477, dit arrêt Pachot * 73Civ. 19 nov. 1991, n° 90-17031 * 74Civ. 1, 17 mars 2016, n° 14-27990 * 75Civ. 1, 14 nov. 2013, n° 12-20687 * 76Civ. 1, 2 mars 1999, n° 97-10179 * 77M. Rikabi, Les droits de la propriété intellectuelle et l'intérêt général (Approche en droit d'auteur et en droit des brevets), thèse, Université d'Aix-Marseille, 2019, p.152 |
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