La protection des logiciels en droit ivoirienpar Ariel Maixent KOUADIANE Université des Lagunes - Master 2 2024 |
B : Une transmission désavantageuse pour l'auteur de logiciel salariéAurélien Bamdé déclarait : « Ab initio, la propriété intellectuelle était destinée à protéger, tant les auteurs, que leurs oeuvres en leur reconnaissant un statut juridique. Aujourd'hui, on a le sentiment que celle-ci passe d'un droit d'auteur à un droit du promoteur. On ne cherche plus à protéger l'auteur en tant que tel, mais un investissement financier.190(*) » Ce sentiment est confirmé par la dévolution automatique des droits patrimoniaux de l'auteur à l'employeur, mécanisme étranger au domaine de la propriété littéraire et artistique. En effet, le droit d'auteur est axé autour de la personnalité du créateur, de sorte que les droits d'auteur ne devraient appartenir qu'à lui. Et s'il est possible qu'un tiers puisse acquérir les droits patrimoniaux appartenant au créateur, cela ne saurait résulter que de la volonté de ce dernier191(*), l'idée étant toujours de lui assurer une protection. Mais, les auteurs de logiciel ont été exclus de cette protection. De prime abord, « l'argument que le programmeur soit salarié d'une structure et que ladite dévolution automatique en soit la conséquence souffre de la comparaison avec d'autres régimes soumis au droit commun où le salariat n'a pas pour conséquence juridique la transmission des droits automatiquement l'employeur192(*).» Par exemple, les écrivains employés par une société en vue d'écrire des livres, ne perdent pas de plein droit leurs droits patrimoniaux. Cette dérogation ne vaut que pour les auteurs de programme d'ordinateur. À la vérité, « la doctrine est unanime sur le fait que la dévolution automatique des droits d'auteurs du salarié auteur d'un logiciel à son employeur était une concession faite par le législateur à l'industrie informatique193(*) ». Ce qui nous paraît d'autant plus crédible que cette dérogation ne concerne pas les fonctionnaires qui sont auteurs de logiciels. On comprend donc que le législateur ivoirien place les intérêts des investisseurs au dessus de ceux de salariés. Or, ces derniers, parties à un contrat d'adhésion, le contrat de travail, ne peuvent discuter librement les modalités de la dévolution de leur droit. On se rappelle la formule de LACORDAIRE : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Mais, paradoxalement, la loi ivoirienne 194(*)sur le droit d'auteur « opprime » le développeur salarié. L'effort intellectuel de ce dernier n'est point valorisé, car, compte tenu de la valeur économique d'un logiciel, « l'auteur ne saurait bénéficier des fruits de sa création qu'au travers de la rémunération découlant de son contrat de travail. 195(*)» L'employeur se retrouve inévitablement « affranchit », puisqu'il décide de manière potestative d'accorder une rémunération supplémentaire ou non à son salarié. L'idéal eût été, si l'on tient à maintenir la dévolution automatique des droits du salarié à son employeur, de prévoir, au profit du travailleur, le droit à une rémunération spéciale, distincte du salaire. C'est ce qu'a institué le législateur sénégalais196(*) : « l'employeur qui exploite les droits ainsi cédés doit verser une rémunération distincte du salaire. A défaut d'accord entre les parties, le montant de cette rémunération sera fixé par le tribunal compétent. » Un tel mécanisme a l'avantage d'accorder une rémunération juste et proportionnelle à l'effort intellectuel du salarié, tout en laissant au patron le droit d'exploiter le logiciel. Nous pensons donc qu'il saurait opportun d'instaurer ce droit à rémunération spéciale, dans la loi ivoirienne 197(*)sur le droit d'auteur. En outre, il est également possible d'instituer un régime de répartition des droits patrimoniaux sur le logiciel entre le salarié et le patron. * 190 A. BAMDE, La protection juridique du logiciel créé au sein d'une entreprise, [16 avr. 2024]. Lien * 191 J. LAOUARI, op. cit., p.33 * 192Jonathan Keller. La notion d'auteur dans le monde des logiciels. Droit. Université de Nanterre-Paris X, 2017. Français. NNT : 2017PA100195.tel-01896051, p.258 * 193 Jonathan Keller. La notion d'auteur dans le monde des logiciels. Droit. Université de Nanterre-Paris X, 2017. Français. NNT : 2017PA100195.tel-01896051, p.257 * 194 Op. cit. * 195 J. LAOUARI, op. cit., p.33 * 196 Article 18, Loi n°2008-09 du 25 janvier 2008 portant loi sur le droit d'auteur et les droits voisins (Sénégal). * 197 Op. cit. |
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