La protection des logiciels en droit ivoirienpar Ariel Maixent KOUADIANE Université des Lagunes - Master 2 2024 |
B : Le caractère préjudiciable de l'absence de protection des fonctionnalitésBien qu'à certains égards, la non-protection des fonctionnalités des logiciels informatiques soit compréhensible, elle n'en demeure pas moins préjudiciable pour les créateurs de programmes d'ordinateurs. En effet, l'intérêt du logiciel repose, pour l'essentiel, dans la palette de fonctions qu'il est à même d'effectuer. Ainsi, les programmeurs apportent-ils un soin tout particulier au codage de fonctionnalités innovantes, ce qui les démarque de leurs concurrents. Cela est d'autant plus visible s'agissant des logiciels spécifiques173(*). Ces derniers, par essence, n'ont pas vocation à être reproduits, puisqu'ils sont conçus dans l'optique de répondre à un problème spécifique et précis. Malheureusement, le droit d'auteur n'apporte aucune protection à ces fonctionnalités, de telle sorte que l'innovation des programmeurs n'est point valorisée. Concrètement, n'importe qui pourrait reproduire l'ensemble des fonctionnalités d'un programme d'ordinateur, pour peu qu'il n'ait pas eu accès à son code source ou objet. Or, « pour cela, il suffit à un informaticien d'analyser le comportement d'un logiciel puis d'en élaborer un clone [et,] dans cette hypothèse, la copie aura sensiblement les mêmes fonctionnalités que le logiciel imité tout en ayant des codes différents »174(*). C'est ce que constatait la CJUE dans un arrêt de 2012 : « WPL n'a pas eu accès au code source du programme de SAS Institute et n'a pas réalisé de décompilation du code objet de ce programme. Grâce à l'observation, à l'étude et au test du comportement du programme de SAS Institute, WPL a reproduit la fonctionnalité de celui-ci en utilisant le même langage de programmation et le même format de fichiers de données 175(*)», ce qui lui a permis de créer un produit similaire. À ce sujet, « il ne serait pas illogique de trouver opportun que des entreprises confectionnent, dans le but d'obtenir une position concurrentielle sur le marché, des produits similaires à ceux qui réussissent.176(*) » Mais l'imitation de logiciel est manifestement encouragée, puisque conformément à l'article 31 alinéa 2 de la loi ivoirienne 177(*)sur le droit d'auteur, « l'utilisateur légitime d'un programme d'ordinateur peut, sans l'autorisation de l'auteur, observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce programme afin de déterminer les idées et les principes qui sont a la base de n'importe quel élément du programme d'ordinateur, lorsqu'il effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du programme d'ordinateur qu'il est en droit d'effectuer ». Dès lors, l'auteur d'un logiciel ne peut s'opposer à ce que son logiciel soit décortiqué, selon la méthode du « clean room ». Cela crée une concurrence injuste dans la mesure où l'imitateur reprend les fonctionnalités propres à un logiciel, et ce en profitant d'un coût de réalisation nettement moindre. Une protection efficace des auteurs de logiciel exigent également la sécurisation du comportement du logiciel, car « la seule protection des codes informatiques n'est pas suffisante au regard des risques de piratage178(*) ». C'est pourquoi certains auteurs recherchent dans le brevet d'invention une protection suffisante des programmes d'ordinateur. En effet, le droit des brevets a l'avantage de protéger plus efficacement l'aspect utilitaire du logiciel179(*). A ce sujet, Le Royaume-Uni et le Japon, entre autres, admettent la brevetabilité des logiciels informatiques. Le droit européen, bien qu'opposé à la brevetabilité des logiciels en tant que tels, admet une protection exceptionnelle au profit des logiciels produisant un effet technique et industriel. Il en va de même en droit ivoirien. En effet, l'article premier de l'annexe 1 de l'ABR180(*) dispose que la brevetabilité est impossible lorsqu'elle concerne le logiciel en lui-même. A contrario, cela est possible lorsque le logiciel est intégré à une invention. Dans cette hypothèse, le brevet en recouvrant l'invention entière, protège également le logiciel. * 173 En informatique, un logiciel spécifique est un logiciel développé sur commande à l'attention d'un client donné, par opposition à un logiciel standard, qui est un développé sur initiative d'un éditeur, et vendu à de nombreux clients. Les logiciels spécifiques sont des produits créés sur commande, quand il n'existe aucun logiciel standard équivalent, dans des domaines très spécialisés * 174 J. LAOUARI, La brevetabilité des logiciels, mémoire, Université de Montréal, 2005, p.27 * 175 CJUE, 2 mai 2012, SAS Institute Inc. / World Programming Ltd. [08/02/2024]. Lien * 176 J. LAOUARI, op. cit., p.27 * 177 Op. cit. * 178 J. LAOUARI, op. cit., p.26-27 * 179 Par conséquent, on a cherché une protection plus adéquate pour ces éléments fonctionnels. On l'a trouvée dans le brevet. En effet, la protection conférée par le brevet se révèle bien supérieure à celle conférée par le droit d'auteur sur ces éléments. Avec le brevet, on protège des idées appliquées à l'industrie, des concepts, des suites d'étapes. On n'est pas limité exclusivement à un texte ou presque. * 180 Op. cit. |
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