La protection des logiciels en droit ivoirienpar Ariel Maixent KOUADIANE Université des Lagunes - Master 2 2024 |
PARTIE 2 : UNE PROTECTION PERFECTIBLE DES LOGICIELSLa protection du droit d'auteur ne s'étend qu'à la forme d'expression de la création. À ce titre, elle est suffisante s'agissant des oeuvres de l'esprit qui se caractérisent par leur esthétisme. Cependant, elle ne suffit pas à assurer une protection efficace aux oeuvres de nature utilitaire et fonctionnelle (Chapitre 1). C'est pourquoi nous mettrons en exergue des moyens de protection complémentaires, afin de renforcer les droits et intérêts des auteurs de logiciels (Chapitre 2). Chapitre 1 : Les insuffisances de la protection du logiciel par le droit d'auteurLes insuffisances de la protection du logiciel par le droit d'auteur se manifestent de plusieurs manières. D'un côté, le système du droit d'auteur ne permet pas, en lui-même, une protection efficace des logiciels. Effectivement, les limites internes du droit d'auteur réduisent l'efficacité de la protection des auteurs de logiciels (Section 1). De l'autre côté, certaines exceptions aux droits d'exploitation ont comme effet de fragiliser les droits des auteurs de programmes informatiques (Section 2). Section 1 : Les limites internes du droit d'auteur et la protection des logicielsOn parle de limite interne lorsqu'un droit est borné par sa définition elle-même, ou dans certains cas par la nature des choses. En d'autres termes, les limites internes sont consubstantielles au droit lui-même ou bien à l'objet auquel il s'applique, contrairement aux limites externes qui résultent de l'intervention d'un autre droit149(*). Le droit d'auteur, bien qu'aboutissant à l'attribution d'un droit privatif au créateur, diffère cependant des autres modes de protection privative. En effet, contrairement à ces derniers dont l'existence est attestée par un titre, le droit d'auteur n'est soumis à aucune condition de forme. D'où il découle que le créateur a l'obligation de prouver ses droits. L'on est alors fondé à douter de l'existence d'une réelle protection a priori des auteurs de logiciels (Paragraphe 1). En plus, le droit d'auteur, s'agissant des logiciels, ne protège que leur aspect littéraire, excluant de fait leur aspect fonctionnel (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : L'inexistence d'une réelle protection a priori des auteurs de logicielPar protection a priori, nous entendons un système de protection dont l'existence et la portée sont certaines. Cela implique que tous connaissent l'existence de cette protection, en conséquence de quoi le bénéficiaire n'a pas l'obligation de prouver son existence devant les magistrats. La charge de la preuve pèse dès lors sur celui qui entend contester l'existence de ce droit, comme c'est le cas en droit des brevets. Cependant, le droit d'auteur est réputé exister sans formalités de publication, donc sans que son existence soit communiquée au tiers (A). De ce fait, il doit être prouvé judiciairement par le créateur lors d'une action en contrefaçon (B). A : L'absence de publicité du droit de l'auteur de logiciel« Contrairement à une idée solidement implantée chez le profane, l'oeuvre de l'esprit n'a pas à être déposée pour être protégée150(*) ». En effet, conformément à l'article 5.2 de la convention de Berne, la jouissance et l'exercice du droit d'auteur ne sont subordonnés à aucune formalité. Ces droits naissent au profit de l'auteur dès la création du logiciel. Ce que rappelle la loi ivoirienne 151(*)sur le droit d'auteur. Il s'agit là d'une « différence irréductible152(*) » entre le droit d'auteur et le copyright. En matière de copyright, l'auteur qui souhaite défendre son logiciel doit l'avoir déposé au préalable auprès de l'US Copyright Office153(*). Mais, en matière de droit d'auteur, le créateur peut exercer une action en contrefaçon, quand bien même il n'aurait pas déposé son logiciel auprès du BURIDA. De fait, l'auteur ne se retrouve point pénalisé si, d'aventure, il élude ces formalités154(*). Inversement, aucune formalité ne peut attribuer le droit d'auteur. En conséquence, l'apposition des mentions « (c) » ou « tous droits réservés » est sans incidence sur l'existence ou non des droits d'auteur sur le logiciel. D'un côté, l'absence de formalités obligatoires, comme c'est le cas en matière de brevet, présente l'avantage de faciliter l'accès d'un plus grand nombre de logiciels à la protection, en épargnant les auteurs des obligations pécuniaires et non pécuniaires qui découleraient d'une demande de protection. D'un autre côté, le fait que le droit d'auteur existe et soit opposable à tous sans aucune formalité de dépôt ou de publicité n'est pas dépourvu d'inconvénients pour les programmeurs. L'absence d'exigence formelle rend aléatoire la preuve de la qualité de créateur ainsi que de la date de création. En premier lieu, l'exercice des droits sur le logiciel est fondamentalement lié à la qualité d'auteur. De ce fait, il est impérieux pour le créateur d'apporter la preuve de cette qualité, surtout lorsque l'oeuvre n'est pas divulguée sous son nom. Dans pareil cas, l'auteur sera tenu de fournir au juge des preuves de la qualité qu'il revendique. Mais, dans bien des cas, celles-ci ne suffisent point à fonder la conviction du juge. « Ces dernières années, de plus en plus de décisions de justice ont débouté des demandeurs de leurs actions en contrefaçon au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve de leur qualité de titulaire des droits. Les magistrats ont également été de plus en plus stricts dans l'application des dispositions légales et des présomptions issues de la jurisprudence lorsqu'il s'agissait d'établir la titularité des droits. 155(*) » À titre illustratif, les preuves constituées à soi-même ne suffisent point à établir la qualité d'auteur ; de même, des factures ne comportant aucun renseignement sur les caractéristiques de l'oeuvre n'établissement nullement la qualité d'auteur ; aussi, une attestation, dès lors qu'elle est contestée, n'est pas suffisante à démontrer qu'une personne est bien l'auteur d'une oeuvre156(*). En second lieu, cette situation pose des difficultés en ce qui concerne la détermination de la date de création ou, du moins, d'existence157(*) du logiciel. Pour diverses raisons, il peut être nécessaire d'imputer une date certaine à la réalisation d'un logiciel. Substantiellement, dans une instance en contrefaçon, la question de l'antériorité est toujours sous-entendue, puisque la contrefaçon implique, au préalable, une oeuvre antérieure à contrefaire. Dès lors, que ce soit pour le calcul de la durée de protection de ses droits patrimoniaux ou surtout pour examiner l'antériorité de sa création par rapport à une autre158(*), l'auteur a un intérêt immense à accorder une date d'existence certaine à son logiciel. Or, cela ne peut se faire que par un dépôt159(*) . Mais, le droit d'auteur étant attribué sans formalisme, il peut être « parfois délicat d'apporter la preuve du moment exact de la création160(*). » En cas de copie, l'auteur aura du mal à prouver l'antériorité de son logiciel. * 149 M. VIVANT, J.-M. BRUGUIERE, op. cit., P369. * 150 C. CARON, op. cit., p. 85. * 151 Op. cit. * 152 C. CARON, op. cit., p. 86. * 153 E. GAILLARD, La protection des programmes d'ordinateurs : comparaison des systèmes européens et étasuniens, mémoire, Université Toulouse I Capitole, 2018, p.20. * 154 B. SCHAMING, op. cit., p.52. * 155[21/03/2024] Prouver l'originalité d'un logiciel. * 156 CA Bordeaux, 20 septembre 2022,19/05913. * 157 B. SCHAMING, op. cit., p.53. * 158 Par exemple, prouver que son logiciel ne peut être une reproduction d'un autre, puisqu'il lui est antérieur. * 159 « La nécessité des conditions de forme notamment pour établir l'antériorité des droits, qui ne peut se faire que par un dépôt ayant une date certaine. » B. SCHAMING, op. cit., p.52. * 160 C. CARON, op. cit.,p. 87. |
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