La répression de la criminalité transnationale organiséepar Méa David Romaric ASSALÉ Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023 |
Section 2 : Les perspectives de résolution du conflit de compétencePour résoudre efficacement les conflits de compétences, diverses approches se prêtent au jeu. Certaines constituent des mesures qui méritent d'être prises en amont c'est-à-dire avant la survenance de tout conflit de compétence juridictionnel de sorte à les prévenir et afin qu'ils soient évités ou au pire des cas solutionnés au plus tôt que l'on dénommera « solutions préventives » (Paragraphe 1). D'autres, quant à elles, constituent des approches qui trouvent leur sens dans la résolution du conflit déjà survenu et se posent comme « solutions curatives » (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : les solutions préventivesS'il est nécessaire de régler dans les conflits de juridictions dans des délais brefs, il l'est d'autant plus de les éviter en mettant sur pieds des stratégies adaptées de prévention de ces conflits, considération prise des enjeux de sécurité mondiale et régionale. De ce fait explorer les solutions préventives dans la résolution des conflits de compétence et se veut de nature cruciale. Parmi ces solutions préventives, deux aspects clés émergent : la création d'une juridiction supérieure ou suprême au niveau communautaire (A) dans l'optique de lever tout équivoque sur la persistance d'un conflit entre les juridictions de différents pays et l'utilisation de la règle de conflit (B)afin de déterminer la juridiction la plus à même de connaitre d'une affaire clé. A. La création d'une juridiction supérieure / suprême au niveau communautaireLa création d'une juridiction supérieure ou suprême au niveau communautaire pourrait sans équivoque être bénéfique à la résolution des conflits de compétence juridictionnelle dans la mesure où une telle juridiction jouerait un rôle essentiel dans la garantie de l'État de droit89(*), de la justice et de la protection des droits fondamentaux au sein de la communauté notamment par résolution rapide et précise des conflits de juridiction. De plus, un intérêt d'une telle juridiction réside dans le réalisme et l'objectivité de ses décisionsdans la mesure où sa réaction prendrait en compte les réalités étatiques de la région considérée. Cette juridiction aura la lourde charge d'établir, en amont, des règles de compétence applicables aux Etats présents dans la communauté sur laquelle elle est établie, de régler, à leur survenance, les litiges en matière de compétence entre Etats et assurer le contrôle, l'exécution et le respect de ses décisions90(*). La mise en place d'une juridiction supérieure au niveau communautaire pourrait offrir plusieurs avantages significatifs. Tout d'abord, cela renforcerait la crédibilité et l'indépendance du système judiciaire, en établissant une instance impartiale et supérieure qui garantit l'uniformité de l'interprétation et de l'application du droit notamment de textes établissant des règles de compétences clairement définies. Cela contribuerait à la prévisibilité, à la cohérence et à la confiance dans le système judiciaire. De plus, une telle juridiction serait un outil favorable à l'intégration régionale et la coopération entre les États membres de la même communauté. Elle permettrait de résoudre les différends juridiques entre les États et de renforcer la sécurité juridique dans la région. La création d'une juridiction supérieure serait un pas important vers l'harmonisation des normes juridiques et des pratiques judiciaires, facilitant ainsi les échanges commerciaux, l'investissement et le développement régional. La création d'une juridiction supérieure pourrait également renforcer la protection des droits fondamentaux des citoyens ivoiriens et des résidents de la communauté. En tant qu'instance suprême, elle pourrait garantir le respect des droits de l'homme, de l'égalité devant la loi et des principes démocratiques dans tous les États enclin à en reconnaitre la compétence. Cela constituerait une protection juridique supplémentaire pour les individus et contribuerait à renforcer la stabilité juridique, politique et même sociale. Cependant, la création d'une juridiction supérieure au niveau communautaire pose également des défis et des questions à considérer. L'un des défis majeurs est de trouver un équilibre entre l'indépendance de cette juridiction et le respect de la souveraineté des États membres. Il est essentiel de préserver les compétences nationales tout en établissant une autorité supérieure qui assure l'harmonisation et la cohérence juridique. En effet, la création d'une telle juridiction revêt d'une approche perfectionniste en admettant la difficulté pour une juridiction internationale ou communautaire de se revêtir d'attributions pénales qui, de prime abord, relèvent de droits nationaux. Ainsi, la mise en place de cette juridiction tendrait à permettre à celle-ci d'intervenir sur une matière propre aux Etats d'où la nécessité d'aborder la question avec des pincettes. De plus, la mise en place d'une telle juridiction nécessite une coopération et une coordination étroites entre les États membres. Cela implique une volonté politique de la part de chaque État d'accepter une autorité supérieure et de mettre en place les mécanismes nécessaires pour sa mise en oeuvre. Des accords et des protocoles d'adhésion clairs devraient être élaborés pour définir les droits et les obligations des États membres par rapport à cette juridiction supérieure. A côté de tels défis, la question des ressources financières et humaines nécessaires pour la mise en place et le fonctionnement d'une telle institution restent dérisoires. Par ailleurs, une stratégie positive tendrait à admettre la possibilité d'une extension ou un meilleur aménagement de la compétence et des attributions des certaines juridictions communautaires ou régionales préexistantes telle que lacour de Justice de la CEDEAO91(*) etcelle de l'Union Africaine92(*). En clair, cette extension permettra d'accorder une plus grande popularité à ces cours tant au plan sous-régional qu'au plan régional et mondial. La légitimité de l'extension des attributions de la cour de justice de la CEDEAO se perçoit par la convergence des défis monétaires, économiques et sécuritaires dans la zone ouest-africaine comme le mentionne Boubacar DIARISO dans son article consacré aux défis sécuritaires communs et l'approche démocratique de gouvernance pour y faire face93(*). Ainsi, ne se limitant plus qu'à la simple interprétation des dispositions du traité de la CEDEAO et à la résolution des différends qui y sont liés94(*)la cour de justice aura l'opportunité de se prononcer sur les litiges liés au concours de compétences étatiques. Le cas de la cour de justice de l'Union Africaine est tout autre en raison du fait qu'elle tombe progressivement en décrépitude bien que les dispositions du protocole qui la régi lui donne compétence sur tous les différends sur tout question relative au droit international95(*). En effet, depuis son adoption en juillet 2003 et son entrée vigueur en février 2009 seuls 19 pays sur les 45 signataires ont daigné ratifier le protocole de la cour témoignant ainsi de la désaffection pour des Etats pour cette juridiction pour des raisons restes jusque-là assez floues96(*). Ainsi, la vulgarisation et le toilettage des textes de l'union africaine et de la cour pourraient permettre leur une mise à niveau et permettre à celle-ci de se réaffirmer comme organe judiciaire important de la sécurité judiciaire communautaire africaine. Face aux avantages que présente la création d'une juridiction communautaire supérieure pour la résolution des conflits de juridictions, cette perception mérite d'être prise en considération pour l'établissement d'une stratégie commune adaptée à sa mise en place et à son fonctionnement. * 89 Commission des Communautés Européennes, La réforme de la juridiction communautaire, Bruxelles, 2000, p. 2 * 90 AKPO Euloge, La cour de justice de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) : Contribution de la Cour de Justice de l'UEMOA à l'enracinement de l'intégration économique et monétaire, 18 octobre 2018, Ouagadougou, Burkina Faso, p.3 (Communication) * 91 Prévue par les dispositions de l'article 6 du traité de la CEDEAO de 1993 révisé, la cour de justice de la CEDEAO est le principal organe judiciaire de la communauté. * 92 Intégrée comme organe de l'Union Africaine par les dispositions de l'article 5 de l'acte constitutif de l'Union Africaine, la cour de justice est le principal organe judiciaire de l'union. * 93 DIARISO Boubacar, « L'économie criminelle dans les menaces sécuritaires en Afrique de l'Ouest : la solution par la gouvernance démocratique », Afrique et développement, Volume XLIV, N°3, Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique, 2019, p. 31 * 94 Cf. article 9 du protocole additionnel (A/SP.1/01/05) portant amendement du préambule, des articles 1, 2, 9, 22 et 30 du protocole A/P1/7/91 relatif à la cour de justice de la communauté, ainsi que de l'article 4 paragraphe 1 de la version de la version anglaise dudit protocole. * 95 Cf. article 19 alinéa 1(c) du protocole de la cour de justice de l'union africaine * 96 Pour certains auteurs, la désaffection des Etats pour le Protocole de la cour de justice de l'Union Africaine a été motivée par la fusion entre la cour de justice et la cour africaine des droits humains en 2004. |
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