La répression de la criminalité transnationale organiséepar Méa David Romaric ASSALÉ Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023 |
Paragraphe 1 : L'origine d'un conflit apparent de compétenceLe conflit de compétence des juridictions étatiques en matière de criminalité transnationale organisée trouve sa source dans la reconnaissance succincte et simultanée de la compétence des différents pays impactés par l'infraction ou la série d'infractions considérée. Cette reconnaissance se voulant législative se perçoit tant au plan international (A) qu'au plan national (B). A. La reconnaissanced'une compétence étatique étendue par les normes internationalesBien que la collégialité soit facteur à discorde sur nombre de points, il est important de signifier que le sain équilibre sécuritaire, égalitaire et juridique mondial est maintenu par une organisation qui réunit en son sein près de 193 pays43(*) sur 195 valablement reconnus soit 99% des pays de la planète. En effet, dans l'optique de répondre au mieux au quatrième but de son existence44(*), l'Organisation des Nations Unies au cours de ses assemblée générales thématiques met en place des conventions et des résolutions pour réglementer des matières ou des situations communes aux Etats du monde. C'est à la lumière de l'une des sessions de l'assemblée générale, que naquit l'une des plus importantes conventions qui retint l'attention du monde sur une menace d'envergure internationale qui n'avait que trop perduré sans que les Etats n'aient conjointement penser à endiguer sa progression. Naquit alors, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. La convention relative à la lutte contre la criminalité transnationale organisée a été adoptée par la résolution A/RES/55/25 du 15 novembre 2000 à la cinquante-cinquième session de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies et signée au Palazzi di Guistizia à Palerme en Italie puis est entrée en vigueur en septembre 2003. Elle constitue, par ailleurs, le principal instrument juridique international contre la criminalité transnationale45(*) et fonde les prémices de la répression de la criminalité transnationale au niveau mondial car il est important de noter que la criminalité organisée n'était pas un concept totalement inconnu des pays industrialisés et développés qui s'y frottaient depuis plusieurs années46(*). Annonçant de grands changements dans la stratégie de lutte, la convention de Palerme a pour objet « de promouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale organisée. »47(*). Elle a donc pour mission de jeter les jalons de la répression en établissant une coopération solide et saine des Etats pour lutter contre la criminalité transnationale organisée tant en amont qu'en aval s'arrogeant « indubitablement comme le symbole éclatant de l'affirmationsolennelle de la lutte universelle contre la criminalité organisée. »48(*).Elle a permis : de mettre au jourle facteur expansionniste du crime organisé ainsi que des avancées notoires en terme d'arsenal juridique encadrant la répression de (la lutte contre) la criminalité transnationale organisée. Elle a, à outrance, permis par son corpus et ses protocoles additionnels aux pays avancés dans la lutte de partager leur expérience avec ceux qui en était novices. Quoiqu'étant un pas considérable pour la lutte contre la criminalité transnationale organisée, la convention de Palerme ne se profile qu'en tant que recommandation impérieuse c'est-à-dire que les Etats qui en sont signataires s'y conforment au mieux en introduisant ses dispositions répressives dans leurs textes nationaux. En effet, dans l'optique de conforter les Etats dans leur autonomie de lutte, la convention leur a dédié un régime élargi de compétence de sorte que ceux-ci soient à même d'exercer les mesures répressives de toutes les infractions visées par la convention selon leurs réalités et appréhensions. Cette reconnaissance de compétence s'est faite au moyen de trois (03) principes : le principe du territoire, le principe du pavillon (extension du territoire) et le principe de population. Le principe de territorialité, s'entend de la reconnaissance de la compétence d'un Etat vis-à-vis des infractions commises sur son territoire49(*). Ce principe permet à tout Etat partie à la convention de Palerme d'admettre sa compétence sur l'étendue de son territoire qu'il soit terrestre, maritime ou aérien vis-à-vis des infractions visées par la convention. Le principe de pavillon, admet quant à lui la compétence des Etats pour des infractions commises à bord d'aéronefs et de navires immatriculés conformément à leur droit interne ou battant leur pavillon50(*). Ici, le pavillon est reconnu comme une forme d'extension du territoire de l'Etat considéré. Le principe de protection de population, comme son nom l'indique est un principe protectionniste visant à admettre la compétence d'un Etat pour toute infraction touchant à ses ressortissants soit en tant que victimes, soit en tant qu'acteurs.51(*) Ces trois principes établis visent à permettre à chaque Etat de défendre l'ensemble de ces intérêts territoriaux et de ses populations contre la criminalité organisée. Une telle reconnaissance de la compétence des Etats face la criminalité organisée et des infractions qui y sont rattachées présente comme avantage certain d'éviter le risque de conflit négatif de juridiction susceptible de permettre aux auteurs d'infraction d'échapper à la justice en s'inscrivant résolument dans la lutte contre l'impunité. Toutefois, revêtue de son caractère transnational, la criminalité organisée pose la difficulté selon laquelle pour des infractions commises ou prévues se commettre à l'égard de plusieurs nations les compétences de ces Etats auront tendance à entrer en concours de telle sorte que s'impose la nécessité de déterminer la compétence d'un seul Etat pour connaitre de la coercition de l'acte anti social. C'est d'ailleurs cette difficulté que relève José Luis de La Cuesta dans son rapport général52(*) paru dans la Revue de Droit Pénal en parlant de la concurrence entre juridictions pénales. Il admet que la question de la concurrence entre juridictions pénales, traditionnellement traitée en tant que problème purement national, constitue de façon croissante un problème transnational. Pour lui, loin de ne se limiter qu'à la simple conception nationale de concurrence de juridictions opposant les ordres administratif et judiciaire, la concurrence de juridictions est aussi matérialisée au plan transnational en ce que les juridictions de différents pays touchés par le même phénomène ou la même infraction se voient reconnaitre leur compétence à l'effet de mettre en route leur pouvoir de coercition. Il pousse plus loin sa réflexion en catégorisant « la concurrence de juridictions » en trois (03) niveaux principaux d'un point de vue pénal transnational et international qui sont : la « concurrence horizontale (transnationale) » incluant les cas de concurrence de juridictions nationales, la « concurrence verticale » qui est la concurrence entre les juridictions nationales et les institutions internationales compétentes pour la poursuite et enfin les cas de concurrence entre juridictions internationales qu'il nomme « concurrence horizontale inter(supra)nationale »53(*), du fait de l'existence des cours pénales internationales ad hoc (TPIY et TPIR) et de l'émergence de la Cour Pénale Internationale (CPI). Se prêtant donc au décor, « la concurrence horizontale » opposera entre elles les juridictions des différents Etats concernés par la commission d'une infraction ou d'une série d'infractions revêtue du caractère transnational, aiguisant ainsi le degré de dangerosité de la criminalité transnationale organisée dont les acteurs seront enclins à se servir de ces failles perceptibles qui n'ont pas été définitivement résolues par la convention de Palerme. Ne se limitant aucunement qu'à une reconnaissance par les instruments juridiques internationaux, le problèmede compétence des Etats en matière de criminalité transnationale organisée est renforcé par leurs normes nationales respectives variant d'un Etat à un autre ainsi que leur perception diverses du mécanisme de répression. Une diversité pas forcément utile à la cause répressive. * 43 Cf. Liste des Etats membres de l'Organisation des Nations Unies consultable sur https://www.un.org/fr/about-us/member-states * 44 Les buts de l'Organisation des Nations Unies selon l'article premier de la Charte des Nations Unies : 1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ; 2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde; 3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion; 4. Être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes. * 45 Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), Crime organisé, index consultable https://www.unodc.org/unodc/fr/organized-crime/index.html * 46 QUELOZ Nicolas, « Criminalité économique et criminalité organisée », dans L'Economie Politique 2002/3 (n°15), 2002 p. 58 * 47 Cf. Article premier de la Convention des Nations unies contre la Criminalité transnationale organisée * 48 DEBACQ Michel, Les vingt ans de la convention de Palerme, Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Décembre 2020, p. 1 * 49 Cf. Article 15 paragraphe 1 a) de la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationale Organisée * 50 Cf. Article 15 paragraphe 1 b) de la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationale Organisée * 51 Cf. Article 15 paragraphe 2 de la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationale Organisée * 52 DE LA CUESTA José Luis, Les compétences criminelles concurrentes nationales et internationales et le principe `Ne bis in idem', Revue Général de Droit Pénal, Vol. 73, 2002, p. 673 * 53 DE LA CUESTA José Luis, « Les compétences criminelles concurrentes nationales et internationales et le principe `Ne bis in idem' », Revue Général de Droit Pénal, Vol. 73, 2002, p. 674 |
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