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La répression de la criminalité transnationale organisée


par Méa David Romaric ASSALÉ
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023
  

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B. Le blanchiment de capitaux et ses variantes

Le blanchiment de capitaux est une tendance qui s'est vue introduite comme une réelle menace à partir des années 80 aux États-Unis avec la recrudescence des groupes criminels organisés locaux notamment les mafias et en particulier la mafia italienne qui s'y est implantée vers la fin des années 1800 et qui s'est faite plus virulente avec les années avec l'avènement de grands dirigeants tel que Al Capone.

Au plan définitionnel, le blanchiment de capitaux est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect, ainsi que d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit de l'une de ces infractions385(*).Il peut être aussi perçu comme le processus par lequel une personne dissimule ou déguise la nature ou l'origine du produit d'activités illicites de manière à ce qu'il apparaisse provenir de sources licites386(*). En des termes plus simples, il s'agit de l'opération qui consiste à faire passer pour légaux des fonds d'origine illégale. Ainsi, le blanchiment de capitaux essaie de donner l'apparence que l'argent acquis illégalement, ou les flux illicites, proviennent de sources légales et licites. En agissant ainsi, les auteurs de délits criminels transnationaux conservent l'accès aux vastes profits réalisés grâce à leurs activités387(*).

Cette pratique, correspondant, en des termes courants, au passage de l'argent sale à la machine à laver pour en ressortir blanc c'est-à-dire dénué de tout soupçon quant à son origine illicite, est devenue très répandues dans certaines zones du globe notamment en Afrique comme l'énonce INTERPOL dans son rapport d'analyse dressé dans le cadre du projet ENACT388(*). Elle obéit à un mécanisme ingénieux revêtu d'une certaine technicité car comprenant différentes phases que sont notamment le prélavage, le lavage et l'essorage. L'argent blanchi donne aux trafiquants de drogue, aux groupes criminels organisés, aux marchands d'armes et à d'autres criminels les moyens nécessaires pour poursuivre leurs activités et développer leurs entreprises. À défaut de mesures efficaces pour y parer et y faire obstacle, le blanchiment de capitaux peut porter atteinte à l'intégrité des institutions financières d'un pays avec la soustraction de milliards de dollars par an aux activités économiques licites qui constitue une menace réelle pour la santé financière des pays et compromet la stabilité des marchés mondiaux.

En outre, Le blanchiment de capitaux mine les efforts internationaux visant à établir des marchés libres et concurrentiels et entrave le développement des économies nationales. Il fausse le fonctionnement des marchés et peut faire croître la demande de numéraire, compromettre la stabilité des taux d'intérêt et de change, susciter une concurrence déloyale et exacerber considérablement l'inflation dans les pays où les criminels exercent leurs activités. Les petits pays sont particulièrement vulnérables au blanchiment de capitaux. Les gains provenant d'activités illicites peuvent donner aux organisations criminelles une énorme puissance économique, ce qui leur fournit un moyen de pression sur les petits pays. Dans tout pays, le manque de mécanismes adaptés pour contrer cette menace, ou le manque d'aptitude à les appliquer, donne aux criminels la possibilité de poursuivre leurs activités illicites. Le blanchiment du produit d'activités illicites dans les pays qui n'ont pas de système efficace de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) n'a qu'un seul but : tirer parti des faiblesses structurelles ou exploiter les lacunes de l'appareil institutionnel et judiciaire afin de jouir impunément du produit de leurs activités criminelles.

« Le blanchiment de capitaux est un aspect essentiel de toute activité criminelle rentable et un corollaire inévitable du crime organisé. Les agissements des organisations criminelles, visant l'accumulation de profits illicites, créent un besoin de blanchiment directement proportionnel au degré de développement de leurs activités et à leur concentration dans les mains d'un petit groupe d'individus. Les sommes colossales que produisent certaines sortes d'activités criminelles, tels que les trafics de stupéfiants, laissent des traces qui sont plus difficiles à dissimuler que celles que laissent les crimes eux-mêmes »389(*).

Le blanchiment de capitaux a vu son utilisation doubler en raison des profits importants générés par les activités du marché criminel notamment en Afrique qui est devenu et vivier lucratif pour le marché mondial du crime organisé. Face à la menace qu'il représente des mécanismes adaptés méritent d'être pensés à l'instar de la Convention contre la criminalité organisée qui élargit la portée du blanchiment du produit du crime à un large éventail d'infractions principales en prenant en compte dans le cadre de l'incrimination de cette pratique l'acquisition, la détention et l'utilisation du produit du crime390(*) en plus de participation et la contribution à sa réalisation391(*).

Le blanchiment de capitaux dans son aboutissement est pavé de variantes que sont le « blanchiment moral » et le noircissement de capitaux. Le « blanchiment moral »392(*) encore perçu par certains auteurs comme une « hybridation » des organisations criminelles l'admette comme la capacité pour les groupes criminels organisés de présenter différents visages393(*) en ne se limitant pas seulement à ses activités criminelles, mais en s'investissant dans les actions plus légales et légitimes, telles que des activités financières, commerciales, politiques, sociales, caritatives ou humanitaires. En clair, il s'agit pour se faire bonne presse auprès des populations et pour fausser les déductions et hypothèses des structures de détection et de répression de la criminalité transnationale organisée. Illustrant au mieux cette hybridation, Pablo Escobar s'en était servi en mélangeant le trafic de drogues avec le développement de plan sociaux à Medellín et l'intégration de la vie politique colombienne394(*). En Afrique cela se perçoit aussi par le sponsoring d'activités sportives notamment le soutien aux Equipes de football, la construction d'école etc.395(*)

Le « noircissement de capitaux » traduit une expression utilisée par les médias d'information américains au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 pour parler des masses financières destinées à financer le terrorisme et à la laideur des actes commis. Si l'on définit le noircissement de capitaux comme le fait d'utiliser de l'argent gagné dans le cadre d'opérations honnêtes ou criminelles pour financer des actes criminels, alors ce syntagme nominal trouve tout son sens396(*). Pendant qu'en matière de blanchissement de capitaux l'accent est mis sur l'origine des fonds, en matière de noircissement de capitaux l'accent est mis sur leur destination. En effet, le noircissement de capitaux est l'opération par laquelle des fonds d'origine licite ou illicite sont utilisés pour la commission d'infractions variables dont le terrorisme demeure la finalité la plus virulente d'où l'établissement progressif de mesure pour une lutte accrue contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme auquel on l'affilie le plus souvent tant au plan international que national.

En somme, les infractions secondaires sont une composante essentielle de la criminalité transnationale organisée, permettant aux criminels de mener à bien leurs activités illégales en évitant la détection et en échappant à la justice. Il est donc crucial de s'attaquer à ces infractions pour lutter efficacement contre ce fléau notamment par une réaction étatique à la hauteur de la menace que représente la criminalité transnationale organisée.

Comme le résume au mieux, le juriste espagnol Juan Carlos Ferré OLIVE, « la diversité des activités criminelles liées à la criminalité transnationale organisée rend difficile la définition et la répression de ces crimes. »397(*). Il convient alors de se pencher sur l'impact qu'à cette diversité criminelle (Section2) notamment sur la réception globale de la CTO et sur la réponse que l'Etat a mis et met en oeuvre pour juguler la menace matérialisé par la complexité de sa répression.

* 385 GUNICHARD Serge, DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, DALLOZ, 25e Edition, 2017, p. 293

* 386 ONUDC, Modèle de loi sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Nations Unies, 1er décembre 2005, p. 1

* 387Centre d'Etudes Stratégiques de l'Afrique, Séminaire sur la lutte contre la criminalité transnationale organisée, Niamey, du 13 au 17 janvier 2020, p. 13

* 388INTERPOL, Overview of Serious and Organized Crime in Africa, 29 septembre 2018, p. 5

* 389 ONUDC, Modèle de loi sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Nations Unies, 1er décembre 2005, p. 2

* 390 Cf. Article 6 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée

* 391 Cf. Article 7 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée

* 392 MOULAYE Zeïni, La problématique de la criminalité transnationale et le contrôle démocratique du secteur de la sécurité, FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, Février 2014, p. 10

* 393 GANOR Boaz, The changing form of incitement to terror and violence the need for a new international response, Jerusalem Center for public Affairs, 2011, p.14

* 394 VILLEGAS Diana, « le pouvoir de la mafia colombienne des années 1980 à 1990 », Pouvoirs, janvier 2010, n°132, pp. 77-90

* 395 MOULAYE Zeïni, La problématique de la criminalité transnationale et le contrôle démocratique du secteur de la sécurité, FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, Février 2014, p. 10 ; O'REGAN Davin, « Cocaïne et instabilité en Afrique: Enseignements tirés de l'Amérique latine et de la Caraïbe » in Bulletin de la sécurité africaine N° 5, une publication du Centre d'Études Stratégiques de l'Afrique, Washington, juillet 2010

* 396COMPIN Frédéric, Financement du terrorisme et blanchiment de capitaux : liaisons dangereuses ou manipulations d'État ? in L'Homme & la Société 2016/1 (n° 199), Éditions Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH), p. 161 disponible sur https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2016-1-page-159.htm

* 397 OLIVE Juan Carlos Ferré, "El crimen organizado transnacional," in Derecho Penal Internacional, Editorial Marcial Pons, 2009, p. 537

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