La répression de la criminalité transnationale organiséepar Méa David Romaric ASSALÉ Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023 |
B. L'utilisation d'autres stratégies de dissimulation de financesPour la sécurisation de leurs gains, les groupes criminels organisés à la recherche de stratégies adéquates pour la dissimulation de leurs actifs ont le choix entre divers moyens de dissimulation qui se proposent à eux allant de moyens techniques aux moyens technologiques. Les moyens techniques sont ceux qui exploitent des domaines économiquement et juridiquement favorables. Ils sont de diverses natures et concernent la plupart du temps des mouvements du produit du crime vers l'étranger. En effet, comme le constate INTERPOL, la criminalité organisée en Afrique génère d'énormes profits pour tous ses acteurs, et l'on constate d'importants flux financiers illicites interrégionaux ainsi que des transferts de profits illicites considérables sur tout le continent, souvent à destination de l'étranger301(*). En effet, les criminels mettent à profit la mondialisation économique et financière et les progrès de la technologie et des communications afin de dissimuler l'origine des fonds qu'ils ont acquis par des activités illicites. Ils ont largement recours à toute une gamme de techniques, telle que le transfert rapide d'argent d'un pays à un autre302(*) (...)303(*) et stratégies techniques comme le blanchiment de capitaux et ses variantes304(*) mais aussi de stratégies de fuite de capitaux vers des auspices plus favorables à leur dissimulation notamment vers des pays étrangers. Les analyses du GAFI et de l'ONUDC démontrent que ces importants flux financiers en destination de l'étranger sont faits au profit de comptes privés d'hommes politiques influents africains et étrangers305(*) en direction de pays avec des systèmes fiscaux et bancaires de moindres exigences. C'est dans cette optique que RABEARIVELO Hobivola relève dans l'une de ces contributions que « L'insertion de cet argent a, entre autres, été facilité par la concurrence fiscale et réglementaire entre les États pour attirer les investissements, avec la constitution de paradis fiscaux et réglementaires, grâce à l'octroi de facilités administratives ou tout simplement l'absence de réglementation » 306(*) vers lesquels est redirigé le produit des activités illicites. Tel est le cas de la Suisse reconnu comme la « banque de tous » car aucune distinction n'y est faite par rapport à ceux qui font recours aux services de leurs banques privées. La Suisse, en effet, est un pays un peu particulier qui constitue une localité financière indépendante ne dépendant d'aucune autre, avec ses propres règles et sa propre monnaie et suffisamment attractif sur le plan fiscal307(*). De telles zones avec des structures fiscales et règlementaires favorables à la dissimulation des capitaux sont appelées des paradis fiscaux qui sont utilisés souvent par les trafiquants et acteurs du crime organisé sans qu'ils soient inquiétés. Les activités des puissantes organisations criminelles peuvent avoir de graves conséquences pour la société notamment si ces organisations disposent des financements nécessaires à la continuation de leur activité et qui leur sont utiles pour exploiter les lacunes de l'appareil institutionnel et judiciaire afin de jouir impunément du produit de leurs activités criminelles en échappant au filet de la justice. Au niveau technologique, en ayant recours aux technologies modernes de communications qui leur permettent d'interagir rapidement sans laisser de trace, les trafiquants peuvent mener leurs activités avec efficacité308(*). Les groupes criminels organisés font recours à la monnaie virtuelle encore appelée crypto-monnaie qui leur offre certaines garanties parmi lesquelles l'anonymat et la discrétion. En effet, la monnaie virtuelle est directement distribuée entre les utilisateurs sans intermédiaire, elle combine la cryptographie et l'architecture peer-to-peerpour éviter la surveillance des autorités financières. Ainsi, les transactions utilisant la monnaie virtuelle ne laissent pas de trace car il n'est pas nécessaire de passer par des institutions intermédiaires telles que les banques309(*). Bien que certaines technologie telle que la technologie blockchain enregistre toutes les transactions financières effectuées dans un registre numérique (digitalledger) distribué publiquement et géré par des milliers d'ordinateurs dans le monde en même temps, de sorte que tout le monde peut savoir qu'une transaction a eu lieu et que personne ne peut s'y opposer, les opérations ne sont pas gérées par une organisation. Même si toutes les transactions sont enregistrées dans un registre public, l'identité des acheteurs et des vendeurs n'est jamais révélée, et seule l'identification de leurs portefeuilles est visible. La monnaie virtuelle garantit la discrétion et l'anonymat dans la mesure où les monnaies virtuelles peuvent permettre un plus grand anonymat que les méthodes traditionnelles de paiement grâce au principe du pair-à-pair (P2P), ce principe est basé sur la participation de ses utilisateurs pour valider les transactions qui sont faites d'un portefeuille virtuel à un autre. La raison de cet anonymat est que les adresses crypto ne sont pas enregistrées sur la base du nom d'un individu, contrairement aux comptes bancaires. L'adresse bitcoin par exemple pour cette crypto, elle-même, fait office d'identifiant unique et le compte n'est accessible qu'au propriétaire qui dispose des données de connexion au portefeuille bitcoin et le protocole Bitcoin n'exige pas et ne fournit pas d'identification et de vérification des participants et il n'existe pas non plus d'organisme central de surveillance. L'absence d'anonymat total et d'intraçabilité dans la technologie blockchain publique a poussé à la création de crypto-monnaies basées sur un anonymat beaucoup plus solide. C'est par exemple le cas qui de Monero reposant sur la technologie CryptoNote ou Zcash sur celle de la signature par cercles, ou encore Zerocoin qui a donné la priorité à l'intraçabilité, par un chiffrement permettant d'éviter tout recoupement des transactions effectuées, et Darkcoin qui couple un réseau de transactions cryptées avec une chaine de blocs anonymes. En outre, les monnaies virtuelles ont également pour caractéristiques l'extraterritorialité et la mobilité ce qui complexifie l'opération de retraçage de la chaine des transactions310(*). Les caractéristiques des monnaies virtuelles font d'elles un outil intéressant et un moyen de transaction exceptionnel mais aussi attirant pour les criminels et les réseaux criminels ce qui la rend vulnérable aux utilisations illicites et plus particulièrement au risque de blanchiment d'argent et de dissimilation des avoirs illicites.311(*) Au vu de tout ce qui précède, les groupes criminels organisés ont une dimension à la fois locale et transfrontière et qui par leur composition et leur mode opératoire pavés de moyens d'action innovants leur permet de se présenter comme une menace de taille pour les systèmes juridiques et économiques des Etats, mais également du fait des activités qu'ils exercent et leurs conséquences312(*) (Chapitre 2). * 301INTERPOL, Overview of Serious and Organized Crime in Africa, 29 septembre 2018, p. 4 * 302 Voir Supra : l'usage des systèmes de transfert informels * 303 ONUDC, Modèle de loi sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Nations Unies, 1er décembre 2005, p. 2 * 304 Voir Infra : le blanchiment de capitaux et ses variantes * 305 Centre Africain d'Etudes Stratégiques, La mondialisation : une aubaine pour les organisations criminelles, décembre 2019,p. 3 * 306RABEARIVELO Hobivola A., Du groupe criminel domestique à l'organisation criminelle transnationale : Comment la mondialisation a-t-elle restructuré le crime transnational organisé, intervention à l'occasion de la Table ronde sur la mondialisation, Activité de la Société des relations internationales de Québec (SORIQ)24 janvier 2013, pp. 4-5 * 307 SILVERIS Gestion Privée, Pourquoi place votre argent en Suisse ?[En ligne] consultable sur https://www.silveris.fr/gestion-privee/placement-financier/assurance-vie/contrats-techniques/suisse/#:~:text=L'avantage%20en%20Suisse%2C%20c,pour%20ce%20type%20d'op%C3ùA9ration%20! Consulté le 19/05/2023 à 01h31 minutes * 308 MOSSELI Carlo, GABOR Thomas, KIEDROWSKI John, Les facteurs qui façonnent le crime organisé, Rapport n°007 de la Division de Recherche et de la coordination nationale sur le crime organisé, 2010, p. 44 * 309SERHROUCHNI Inas,La cryptomonnaie et le blanchiment d'argent, 20 septembre 2022 [En ligne] consulté le 19/05/2023 à 16 h 47 minutes disponible sur : https://www.village-justice.com/articles/cryptomonnaie-blanchiment-argent,43693.html * 310SERHROUCHNI Inas,La cryptomonnaie et le blanchiment d'argent, 20 septembre 2022 [En ligne] consulté le 19/05/2023 à 16 h 47 minutes disponible sur : https://www.village-justice.com/articles/cryptomonnaie-blanchiment-argent,43693.html * 311Ibid * 312 Conseil de l'Europe, Livre blanc sur le crime organisé transnational, Jouve, Paris, décembre 2014, p. 18 |
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