La répression de la criminalité transnationale organiséepar Méa David Romaric ASSALÉ Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023 |
B. Le moyen d'action pacifique par excellence : la corruptionLe vocable « corruption » désigne au sens du vocabulaire juridique le détournement ou le trafic de fonction ; elle est dite passive lorsqu'un individu (corrompu) se laisse acheter au moyen d'offres, promesses, dons, présents ou un avantage quelconque en vue d'accomplir un acte de sa fonction ou de s'en abstenir ; elle est dite active lorsqu'un individu (corrupteur) rémunère par les mêmes moyens la complaisance d'un professionnel (corrompu)282(*). De cette approche définitionnelle de la corruption, se distinguent deux types de corruption bien que sensiblement similaires : la corruption passive et la corruption active. La différence notoire se trouvant entre ces deux formes de corruption réside en l'activité du corrompu283(*). En effet, dans la corruption active, le corrompu est un sujet actif au même titre que le corrupteur de sorte qu'il est celui qui suggère ou propose l'initiative. Dans le cas de la corruption passive, le corrompu est un sujet passif qui se laisse soudoyer / dévoyer par le corrupteur de sorte qu'une fois « surpris dans sa religion » il cède à l'initiative du corrupteur. Se référant à la corruption comme moyen d'action du groupe criminel organisé, la corruption passive s'avère être la forme la plus étroitement liée tout en étant admise comme une passerelle habituelle incorporée au fonctionnement du groupement criminel et de ses activités illicites. Considérée par Mark SHAW comme le second couteau des réseaux criminels organisés284(*) après la violence, cette forme de corruption se prête au décor et elle se perçoit comme une condition sine quanon à la protection totale des membres des organisations criminelles et de leurs activités notamment leur exécution. C'est par exemple le cas de la corruption passive qui prévaut aux frontières de certains Etats d'Afrique en matière de trafic dans la mesure où dans certains pays d'Afrique de l'Ouest, les frontières sont extrêmement poreuses, notamment en raison de la corruption omniprésente des agents des frontières285(*) ferment les yeux sur des entrées illicites sur le territoire des Etats qu'ils ont juré de protéger moyennant de quelconques avantages. Aussi, les documents de stratégie de l'UA indiquent que la corruption « joue également un rôle essentiel dans l'obtention de permis illégitimes ou falsifiés pour le transport de produits issus du bois ou d'animaux ou de plantes sauvages acquis illégalement, ou pour le blanchiment de tels produits dans les chaînes d'approvisionnement légales »286(*). Selon ces conclusions, la corruption se perçoit, sous un angle opérationnel, comme un moyen d'action permettant aux activités illicites de se réaliser. Ici, l'on ne se conforme pas tout particulièrement à la simple infraction récriminée dans la totalité des législations mondiales mais plutôt à la stratégie ou la tactique permettant aux groupes criminels organisés de passer sous les radars de la justice. Poussée plus loin dans ce raisonnement, la corruption en tant que moyen d'action du groupe criminel organisé se veut un élément nécessaire, intrinsèquement lié à l'existence de l'activité criminelle en se trouvant comme un processus habilitant à la commission des infractions de la criminalité transnationale organisée. Ce moyen d'action, à la différence de la violence et de ses subdivisions bien que ces deux moyens d'actions ne sont souvent pas très loin l'un de l'autre, ne vise pas particulièrement à contraindre la réaction de l'individu mais, plutôt, à s'assurer le concours de l'individu en échange d'un avantage quelconque. Comme l'énonce Jérémie VALLOTTON à la quatrième page dans son article intitulé : Les enjeux de la lutte contre les organisations criminelles transnationales : des mafias au terrorisme : « Là où la violence programmée existe, la corruption n'est pas loin. » traduisant ainsi de la possibilité pour les groupes criminels organisés de choisir l'un ou l'autre des moyens d'action selon la situation qui se présente pour faire prospérer leurs objectifs ou de les cumuler. Tel était le cas du célèbre trafiquant de drogue, Pablo Escobar, qui proposait toujours un « marché » à ses victimes qui devaient choisir « l'argent ou le plomb » selon la célèbre expression Plata o plomo287(*). Même si les dangers que représentent les moyens d'action pacifiques des organisations criminels soient réels et souvent prévisibles, il n'en demeure pas moins que la corruption se veut un moyen plutôt efficace en Afrique et surtout en Afrique de l'ouest où des mesures sont progressivement insérées dans l'optique d'endiguer ce mal qui représente une réelle gangrène. En Côte des mesures tant législatives qu'institutionnelles et juridictionnelles ont été prises pour faire face à ce problème qui touche plusieurs secteurs et différentes couches sociales et étatiques allant des membres des forces de l'ordre aux membres hautement placés dans les structures étatiques en passant par les personnalités influentes de divers domaines. Parmi l'arsenal juridique mis en place, il est permis de citer sans trop s'étaler la loi n°2018-572 du 13 juin 2018 portant ratification de l'ordonnance n°2018-25 du 17 janvier 2018 portant modification de l'ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées telle que modifiée par l'ordonnance 2015-176 du 24 mars 2015 dont l'objectif est clair : barrer la voie à la corruption. En outre, bien des structures institutionnelles ont été mise en place pour veiller à la saine application des dispositions légales en matière de lutte contre la corruption dont évocation mérite d'être faite plus bas de manière plus détaillée288(*). Pour l'heure, il est à noter que la criminalité transnationale organisée est alimentée par la corruption d'autant plus que les réseaux criminels s'en servent pour faciliter la traite des personnes, le trafic de drogues, d'espèces en voie de disparition et d'armes. D'ailleurs, les exploitations illégales des forêts sont souvent rendus possibles grâce à la corruption des fonctionnaires concernés pour garantir leur collaboration289(*). Toutefois, la violence et ses subdivisions ainsi que la corruption demeurent de loin des parties visibles de l'iceberg, de sorte que de manière sous-jacente les organisations criminelles se servent de moyens d'action particulièrement spécifiques pour sécuriser leurs actifs (Paragraphe 2). * 282CORNU Gérard, Vocabulaire Juridique, PUF, 12e édition, janvier 2018, Paris, p. 613 (version numérique) * 283 Corrompu : Terme utilisé pour désigner le professionnel ou l'individu ayant reçu la promesse ou la réalisation de dons ou tout autre avantage en échange d'actions ou d'inactions en violation de certains principes. * 284 SHAW Mark, « Africa's Changing Place in the Global Criminal Economy / L'évolution de la place de l'Afrique dans l'économie criminelle mondiale », ENACT Continental Report 1, septembre 2017, p. x * 285 ENACT, Indice du crime organisé en Afrique 2021 : Evolution de la criminalité dans le contexte de la Covid-19, Rapport ENACT, Novembre 2021, p. 56 ; MOULAYE Zeïni, La problématique de la criminalité transnationale et le contrôle démocratique du secteur de la sécurité, FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, Février 2014, p. 9 * 286 Union africaine, « African Strategy on Combating Illegal Exploitation and Illegal Trade in Wild Flora and Fauna in Africa / Stratégie africaine sur la lutte contre l'Exploitation Illégale et le Commerce Illicite de la Faune et de la Flore Sauvages en Afrique », mai 2015, https://au.int/sites/default/files/documents/33796-doc-african_strategy_strategy_africaine_au.pdf * 287VALLOTTON Jérémie, Les enjeux de la lutte contre les organisations criminelles transnationales : des mafias au terrorisme, Université de Haute-Alsace, pp. 3-4 * 288 Cf. Infra.; Chapitre 2 : Section 2 : Paragraphe 2 : B * 289 UNCAC Coalition, Addressing the links between corruption and organized crime, UNODC, Vienne, October 8th, 2014 |
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