La répression de la criminalité transnationale organiséepar Méa David Romaric ASSALÉ Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023 |
Section 2 : Des moyens d'action spécifiques des organisations criminellesLes groupes criminels organisés conservent ou accroissent leurs richesses, leur pouvoir et leur influence en essayant de porter atteinte aux systèmes de justice de sorte à s'assurer de la pérennité de leur organisation et des activités qu'ils mènent. Les groupes criminels organisés sont amenés à faire usage de moyens d'action qui cadrent avec leur politique ou leur stratégie de fonctionnement. En effet, le degré d'organisation des groupes criminels organisés ne se limite pas seulement qu'à une association d'individus liés par l'intérêt pécuniaire ou matériel, il en va notamment de la stratégie de gestion des activités menées en s'assurant de la subsistance constante et sure de l'organisation et de son fonctionnement harmonieux. Ainsi, les moyens d'action dont le groupe criminel organisé dispose sont aussi divers qu'ingénieux et permettent de garantir la sécurité des membres qui composent le groupement d'où le renforcement de la sécurité du groupement en lui-même pris en son ensemble et par ricochet des activités qu'il mène ainsi que des revenus et gains illicites générés. Ces moyens d'actions sont pour la plupart exécutés dans l'optique d'altérer le cours de la justice, d'imposer l'hégémonie du groupe criminel dans sa zone d'implantation ou garantir la sécurité de leurs actifs. Parmi ceux-ci, les menaces, la contrainte et la violence sont souvent employées pour altérer le cours de la justice, par exemple en créant ou en présentant de faux éléments de preuve, en faisant un faux témoignage ou en influençant ou intimidant les témoins. La justice ne peut pas être rendue si les acteurs des processus de justice pénale sont intimidés, menacés ou corrompus. A ceux-ci s'ajoutent le chantage et les techniques de sécurisation des actifs269(*). En les réunissant, se distinguent deux catégories de moyens d'actions en l'occurrence ceux mis en oeuvre pour la protection des acteurs qui compose le groupement criminel et de l'activité en général (Paragraphe 1) et ceux intervenant pour la protection du produit illicite (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : pour la protection des acteurs et de l'activité globaleIl est de mise que l'activité criminelle ne peut s'opérer sans ses acteurs que sont les membres des organisations criminelles qui en sont la cheville ouvrière et représentent le cerveau du crime organisé. Ainsi, assurer la protection des membres semble être plus que primordiale pour la sécurisation de l'activité illicite globale bien que celle-ci soit renforcée par diverses stratégies propres à la sécurisation de ses produits270(*). C'est dans cette optique que ces organisations cherchent d'ailleurs à concurrencer l'État qu'elles gangrènent en offrant des alternatives à ses défaillances en adoptant, pour parvenir à ses objectifs la violence et la corruption271(*).Incorporés au sens juridique, ces moyens d'action dont disposent les groupes criminels organisés rangés en de diverses catégories surtout ceux dédiés à la protection des membres du groupement criminel et de l'activité globale et constituent des entraves au bon fonctionnement de la justice comme prescrit par les dispositions de la convention de Palerme272(*). Dès lors, selon leur utilisation, ces divers moyens peuvent être scindés en deux groupes dont le premier est composé des moyens violents (A) et le second, de moyens alternatifs ou complémentaires, selon le cas, mais non-violents (B). A. Les moyens d'action violentsLe premier groupe de moyens d'action du groupe criminel organisé est constitué de diverses actions violentes diligentées contre les individus pouvant servir la cause de la procédure de répression de la criminalité transnationale organisée. Par « action violente », l'on désigne toute opération, action ou acte mené dans l'optique de contraindre, de déterminer ou de forcer physiquement ou moralement un individu à accomplir ou à ne pas accomplir une action, une opération ou un acte qu'il aurait volontaire effectué. En ce sens, entre en ligne de compte dans cette définition les actions de violence physique et morale dirigées contre des tiers à l'activité criminelle, les criminels devenus informateurs ou dénonciateurs reconnus comme collaborateurs de procédures et les agents intervenant dans le processus de répression. Ces moyens d'action sont entre autres : les menaces, les contraintes, les intimidations, le chantage et les violences physiques. Considérés par Pierre-Henri BOLLE comme les moyens d'action naturels du groupe criminel organisé273(*) car intrinsèquement liés à la nature profonde des organisations criminelles qui ne lésinent pas sur les moyens pour assurer la pérennité de leurs opérations, les moyens d'action violents assurent au groupement criminel le silence des personnes qui seraient susceptibles d'être une pierre d'achoppement au bon déroulement de leur activité sur ces dernières. Ces moyens d'action se posent, en outre, comme des entraves au bon fonctionnement de la justice dans la mesure où ils complexifient les procédures en limitant les pistes qui pourraient conduire à l'appréhension des membres des groupes criminels et à la cessation des activités illicites qui leur sont lucratives ainsi qu'au renforcement de la sécurité dans la zone géographique considérée et à l'exécution des diligences nécessaires au démantèlement des réseaux criminels. De plus, les moyens d'action violents seraient l'un des outils suffisamment efficaces des groupements criminels organisés pour asseoir leur hégémonie sur une zone qui leur est favorable. On en veut pour preuve, les déductions de Davin O'REGAN dans son étude portant sur les rapports entre le trafic de cocaïne et l'instabilité en Afrique où il cite : « si la cooptation et la corruption échouent, les trafiquants auront alors recours à la violence pour dissuader ou contrecarrer les efforts des autorités publiques pour entraver la circulation des stupéfiants et pour arrêter les trafiquants (...) L'assassinat du Président de la Guinée Bissau et du chef de l'armée de terre, début 2009, sont sans doute liés aux transbordements de cocaïne(...)274(*) ». Ainsi, pour permettre à leur activité illicite de perdurer les groupes criminels organisés, désigné ici par le vocable « trafiquants » vont jusqu'à recourir à la violence. Cette analyse est d'autant plus imprégnées de vérité car elle rejoint l'analyse de l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime sur la situation du crime organisé dans la zone ouest-africaine et notamment en Guinée-Bissau où les enquêtes ont permis de déterminer que la cause sous-jacente de l'assassinat du Président João Bernardo `Nino' Vieira, était le trafic de drogue dans cette zone très prolifique275(*) démontrant l'usage fait des moyens d'action violents dans le cadre de la protection des activités illicites par les groupes criminels organisés. Par ailleurs, ces moyens d'action s'inscrivent dans la modélisation d'une infraction particulière, la subornation de témoins, qui, selon les pays, a donné naissance à un régime juridique novateur dédié : celui de la protection des témoins, dénonciateurs et personnes impliquées dans le processus de répression. La subornation de témoins est admis par les dispositions pénales de différents pays comme une entrave au bon fonctionnement de la justice qui « consiste dans le fait d'utiliser, au cours d'une procédure (ou en vue d'une demande en justice), un moyen de pression pour déterminer une personne à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir certains actes.276(*) ». Plus précisément, la subornation de témoins désigne les actions diverses exercées sur autrui, au cours d'une procédure ou en vue d'une demande ou défense en justice, pour le déterminer, soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s'abstenir de tout témoignage. La subornation est une infraction pénale qu'elle soit ou non suivie d'effet277(*). Transposés dans le cadre de la criminalité transnationale organisées, les moyens d'actions violents servent aux groupes criminels pour déterminer des individus à garder le silence sur leur existence et leurs activités ainsi qu'à donner de mauvaises indications pour fausser les déductions des autorités répressives d'où la nécessité de l'insertion du régime juridique de la protection des témoins. En effet, le régime de la protection des témoins, dénonciateurs et personnes impliquées dans la procédure de répression vient renforcer le lien de confiance entre les individus et le système judiciaire tout en favorisant la répression des infractions de la criminalité organisée. Il fait son introduction progressive dans les législations nationales notamment en Côte d'Ivoire278(*) et dans certains autres pays de la sous-région afin de permettre aux individus susceptibles d'aider à la lutte contre la criminalité en général et la criminalité transnationale organisée en particulier de se sentir en confiance et d'aider au processus de répression des infractions. Porté, en Côte d'Ivoire, par la loi n°2018-570 du 13 juin 2018 relative à la protection des témoins, victimes, dénonciateurs, experts et autres personnes concernées renforçant les dispositions de l'alinéa final de l'article 203 du code pénal ivoirien279(*), le régime de la protection des personnes impliquées dans le processus de répression de l'infraction en général vient encourager toutes les personnes susceptibles de faciliter le processus de répression à saisir les autorités compétentes sans crainte. Cet élan s'inscrit résolument comme une stratégie adéquate et une solution à la dissimulation et à la prolifération des groupes criminels organisés. En plus d'être un obstacle à la réalisation de la répression de la criminalité organisée, la violence contribue à la baisse de la sécurité et des investissements dans certaines zones clés du crime organisé notamment en Afrique de l'Ouest. Cet avis est illustré par le rapport de l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime280(*) en Afrique de l'Ouest lorsqu'il énonce que : « la violence et l'instabilité politique liées au trafic transnational font souvent obstacle aux investissements licites susceptibles d'être réalisés dans des secteurs autres que les industries extractives. Les groupes armés qui ont tiré profit du trafic pourraient aisément se livrer à des exactions dès que se tarira cette source d'argent facile.281(*) ». Ainsi, la violence et ses subdivisions, par leur usage dédié à la protection des membres des groupements criminels organisés et de leurs activités, représentent aussi un obstacle au développement économique des Etats qui y sont confrontés. Bien que les moyens d'action violents semblent être les moyens de prédilection des groupes criminels organisés car favorisant la dissimulation et la protection de leur activité et du groupement, ils n'en demeurent pas moins trop « voyants ». Pour répondre au souci de délicatesse de l'opération de dissimulation de l'activité criminelle et de ses acteurs, les groupes criminels optent souvent pour des moyens d'action alternatifs non-violents ou pacifiques (B) dont la plus efficace reste la corruption. * 269 ONUDC, Application de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et des Protocoles s'y rapportant : outils d'évaluation des besoins, Nations Unies, Vienne, 2017, pp. 20-21 * 270 Voir infra. * 271CATINO Maurizio, Le organizzazioni criminali, Bologna, II Mulino; 2020, p.79. Pour une vue panoramique sur l'étendue du phénomène du crime organisé et globalisé, on peut aussi consulter ANTONOPOULOS Georgios A. et PAPANICOLAOU Georgio, Organized Crime : A Very Short Introduction, Oxford University Press, Oxford, 2018, PAOLI Letizia (dir.), The Handbook of the Organized Crime, Oxford University Press, Oxford, 2014. * 272 Cf. article 23 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée : Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres qui sont nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale, lorsque les actes ont été commis intentionnellement : a) Au fait de recourir à la force physique, à des menaces ou à l'intimidation ou de promettre, d'offrir ou d'accorder un avantage indu pour obtenir un faux témoignage ou empêcher un témoignage ou la présentation d'éléments de preuve dans une procédure en rapport avec la commission d'infractions visées par la présente Convention; b) Au fait de recourir à la force physique, à des menaces ou à l'intimidation pour empêcher un agent de la justice ou un agent des services de détection et de répression d'exercer les devoirs de leur charge lors de la commission d'infractions visées par la présente Convention. Rien dans le présent alinéa ne porte atteinte au droit des États Parties de disposer d'une législation destinée à protéger d'autres catégories d'agents publics. * 273BOLLE Pierre-Henri, « De quelques aspects de la criminalité organisée et de la lutte contre icelle », in : EGUZKILORE Numéro 11, Décembre 1997, San Sebastiàn, p. 239 * 274O'REGAN Davin, « Cocaïne et instabilité en Afrique: Enseignements tirés de l'Amérique latine et de la Caraïbe » in Bulletin de la sécurité africaine N° 5, une publication du Centre d'Études Stratégiques de l'Afrique, Washington, juillet 2010 * 275 ONUDC, Criminalité transnationale organisée en Afrique de l'Ouest : Une Evaluation des Menaces, Vienne, Février 2013, p. 9 * 276 Définition de la subornation de témoins selon Antonin Y., Subornation de témoin : de quoi s'agit-il précisément ? [En ligne] disponible sur : https://www.ekie.co/fiches-pratiques/subornation-temoin-de-quoi-s-agit-il-precisement consulté le 12 mai 2023 à 03h15 * 277GUNICHARD Serge, DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, DALLOZ, 25e Edition, 2017, p. 1951 * 278Loi n° 2018-570 du 13 juin 2018 relative à la protection des témoins, victimes, dénonciateurs, experts et autres personnes concernées * 279 Article 203 alinéa 4 de la loi n°2019-574 du 26 juin 2019 portant code pénal ivoirien modifié par la loi n°2021-893 du 21 décembre 2021 : « Bénéfice de l'excuse absolutoire l'auteur qui, avant toute poursuite, révèle aux Autorités l'entente établie ou l'existence de l'association. » * 280ONUDC, Criminalité transnationale organisée en Afrique de l'Ouest : Une Evaluation des Menaces, Vienne, Février 2013 * 281ONUDC, Criminalité transnationale organisée en Afrique de l'Ouest : Une Evaluation des Menaces, Vienne, Février 2013, p. 5 |
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