La répression de la criminalité transnationale organiséepar Méa David Romaric ASSALÉ Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023 |
Section 2 : L'émergence des procédures dérogatoiresLa spécificité de la criminalité transnationale organisée fonde la nécessité d'y appliquer des règles particulières à l'effet de la combattre à armes égales et même supérieures. Ces ``armes supérieures'' constituent, dans leur approche juridique, des règles spécifiques dérogatoires élaborées spécifiquement pour remédier au mal de la criminalité transnationale organisée. Ces procédures dérogatoires tirant leur origine des failles des règles procédurales classiques se perçoivent autant en matière d'enquête (Paragraphe 1) qu'en matière de jugement (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : En matière d'enquêteL'adaptation de la procédure répressive de la criminalité transnationale en matière d'enquête passe par l'instauration stratégies plus innovantes qui ont fait leur introduction à la suite de la prise de conscience commune des Etats sur l'intérêt d'une lutte organisée pour faire face à une criminalité organisée transnationale qui n'a de cesse muter à l'effet de s'étendre de plus en plus au détriment de l'Etat de droit. C'est dans cette optique qu'ne matière d'enquête des mécanismes innovant ont été entrevus et codifiés pour permettre une exécution pleine et efficace de cette étape d'importance capitale pour la répression de toute infraction. Ces éléments dérogatoires vont des stratégies participatives comme l'extension de la responsabilité d'enquête (A) à l'instauration de techniques spéciales applicables en matière d'enquête (B). A. L'extension de la responsabilité de l'enquêteL'enquête est l'une des phases les plus importantes et les plus déterminantes dans la démonstration de la vérité des faits afin que les responsabilités vis-à-vis de la commission d'une infraction soient situées et les coupables appréhendés et juger comme il se doit d'où il est décisif qu'elle soit menée de la meilleure des manières à l'effet de garantir la justice et l'équilibre judiciaire au sein des Etats. Initialement prévue comme une attribution purement nationale des représentants de la loi à savoir les membres des forces de l'ordre et les magistrats d'un même pays, l'enquête a vu son statut se muer progressivement face à l'essor d'une criminalité organisée endémique. En effet, au regard du caractère transnational des infractions commises dans le cadre de la CTO, l'enquête est devenue chose commune de sorte à pousser les Etats à faire cause commune à l'effet de mener les diligences nécessaires à la manifestation de la vérité. C'est ce que prévoient les dispositions de l'article 15, paragraphe 5 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée168(*). Au sens de ce paragraphe, dans le cas où des enquêtes sont menées pour la répression d'une infraction ou d'une série d'infractions transnationales par différents pays, il incombe à ses pays de se concerter, se consulter pour coordonner leurs actions. Selon ces dispositions, la convention demande à ce que l'intérêt de répression passe avant tout le reste de sorte que les Etats touchés par la situation criminelle organisée agissent de concert pour produire une réponse adaptée et idoine à cette situation notamment par la réunion de leurs efforts. C'est par ailleurs, ce que requiert Pierre-Henri BOLLE, Professeur de législations pénales à l'Université de Neuchâtel en Suisse, en soulignant l'idéal d'une police organisée agissant en matière d'enquête définie sous le sceau de la spécialité dans le cadre de la CTO et pas non dans ses attributions traditionnelles et générales lorsqu'il énonce : « Qu'on nous comprenne bien: nous ne prétendons pas que la police n'est pas organisée; elle l'est surtout pour lutter contre les formes traditionnelles de la criminalité: infractions d'ordre, mais aussi criminalité de violence et atteintes classiques au patrimoine. Par «police organisée», nous entendons ici, un peu par boutade, une police organisée sous forme de forces de riposte à la criminalité organisée, c'est-à-dire, d'un ou des corps de police animés d'une mentalité particulière, disposant d'une formation ad hoc, dotés de moyens, de structures et d'infrastructures spécifiques, fonctionnant en réseau (on-line) autant que selon le mode vertical (on-staff, selon une voie hiérarchique et un échelon de compétences), tant au plan national qu'international. »169(*). Selon lui la forme des entités actuelles de police ne permet pas de faire à la menace spécifique que représente la CTO mais plus aux menaces traditionnelles et qu'il serait judicieux d'opter pour une police organisée travaillant en réseau. En outre, une différence mérite d'être faite entre l'entraide judiciaire et l'extension de la responsabilité vers une responsabilité commune des Etats qui sont deux valeurs nominales en matière de coopération quant à la répression de la criminalité transnationale organisée. En ce sens, l'entraide judiciaire désigne une coopération policière ou judiciaire, une aide demandée d'un Etat requérant à un Etat requis afin de bénéficier de son soutien quant à l'exécution des mesures d'enquêtes, de poursuites, d'extradition, de sanction ou d'exécution d'acte dans le cadre d'une action répressive menée par l'Etat requérant. Tandis que l'extension de la responsabilité est basée sur l'action commune de plusieurs pays ou entités répressives pour la répression d'une infraction ou d'une série d'infraction qui les concerne en raison de la transversalité de son exécution. Ainsi, les pays entrants dans cette extension de responsabilité sont impliqués dans de facto dans la réalisation de l'ensemble de la procédure en raison de l'obligation participative à laquelle ils sont astreints. L'extension de la responsabilité face à la situation de la CTO est une de réelle importance vis-à-vis de l'inclusion régional de chaque pays permettant d'éviter des conflits d'intérêts mais aussi dans la mesure où elle vise assoir permettre une meilleure réponse des entités répressives au sein et par-delà les frontières nationales. Au regard des enjeux sécuritaires, économiques et sociaux nationaux et internationaux, la criminalité transnationale doit être vigoureusement combattue dans toutes ses ramifications tant au niveau national qu'international. Elle impose aux Etats non pas des combats singuliers qu'aucun d'entre eux ne pourrait emporter mais une action commune, une stratégie de sécurité collective170(*). Illustrant au mieux les avantages indéniables de la communauté d'effort des Etats en matière de répression par la conjugaison d'objectifs de répressifs et préventifs, les affaires SER 3 et UKG 3171(*) sont des exemples significatifs. Dans ces espèces, des mesures préventives et répressives ont été mises en oeuvre par une incorporation à la procédure des différents pays impliqués et qui pourraient être impliqués dans la chaine de préparation et d'exécution des infractions transnationales organisées ce qui a abouti au démantèlement de réseaux criminels. En Afrique de l'Ouest et en particulier en Côte d'Ivoire, la collaboration inclusive entre la France, le Brésil, l'Italie et la Côte d'Ivoire a permis, en 2019, de mettre fin aux agissements d'une firme criminelle de trafic de drogues entre le Brésil, zone de production, la Côte d'Ivoire , zone de transit, la France, zone de consommation et l'Italie, pays dont les ressortissants étaient à la tête du trafic172(*). Ces exemples traduises la force et l'entrain que revêt la procédure répressive lorsqu'elle présente une participation inclusive des plusieurs Etats pour une action concertée contre la criminalité transnationale organisée. Par ailleurs, à côté de l'extension de la responsabilité classique se trouve les mesures de coopération et d'entraide en matière d'enquête. En effet, dans l'optique de répondre à la fois à l'objectif premier de la convention de Palerme qui est de promouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale organisée173(*) et à celui de sécurisation judiciaire et économique mondiale, les Etats sont amenés à s'entraider pour la réalisation des investigations et l'appréhension des auteurs présumés des actes et actions constituant des infractions de criminalité transnationale organisée. Prévue par l'article 18 de la convention de Palerme, l'entraide vise à faciliter la répression de la criminalité transnationale organisée en favorisant la collecte d'informations, de preuves et la mise à disposition des acteurs de l'infraction considérée par une entente formulée entre un Etat requérant et un ou plusieurs Etats requis. En jetant les jalons de cette coopération entre acteurs répressifs, le législateur des nations unies entend constituer un bloc solide pour endiguer l'essor de la criminalité transnationale organisée. Une telle synergie d'action ne peut être possible que par l'adoption d'une méthode adaptée aux besoins d'investigations. Cette méthode se voulant spécifique à la répression de la criminalité transnationale organisée se compose de diverses techniques dites « spéciales » (B). * 168 Article 15 paragraphe 5 de la Convention de Palerme : Si un État Partie qui exerce sa compétence en vertu du paragraphe 1 ou 2 du présent article a été avisé, ou a appris de toute autre façon, qu'un ou plusieurs autres États Parties mènent une enquête ou ont engagé des poursuites ou une procédure judiciaire concernant le même acte, les autorités compétentes de ces États Parties se consultent, selon qu'il convient, pour coordonner leurs actions. * 169BOLLE Pierre-Henri, « De quelques aspects de la criminalité organisée et de la lutte contre icelle », in :EGUZKILORE Numéro 11, Décembre 1997, San Sebastiàn, p. 237 * 170 MOULAYE Zeïni, La problématique de la criminalité transnationale et le contrôle démocratique du secteur de la sécurité, FRIEDRICH EBERT STIFTUNG, Février 2014, p. 15 * 171 ONUDC, Recueil d'affaires de criminalité organisée, ONUDC, 2012, p.37 * 172Le Figaro et AFP, Côte d'Ivoire : un réseau de trafic international de drogue démantelé, Le Figaro, 07 juin 2019 à 21 h 25 [En ligne] disponible via https://www.lefigaro.fr/flash-actu/cote-d-ivoire-un-reseau-de-trafic-international-de-drogue-demantele-20190607 consulté le 09 mai 2023 à 01 h 25 minutes * 173 Cf. Article premier de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée |
|