La répression de la criminalité transnationale organiséepar Méa David Romaric ASSALÉ Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Unité Universitaire à Abidjan - Master Recherche en Droit Privé Option Professions Judiciaires 2023 |
Chapitre 2 : Une procédure classique inadaptée en matière de criminalité transnationale organiséeL'expansion de la criminalité organisée sur le plan international est source de bien de maux pour les Etats qui essaient de veiller du mieux que possible au bien-être de leurs citoyens et au maintien de l'équilibre social sur leurs territoires respectifs. Progressivement, des mesures ont été pensées à l'effet de lutter contre le crime organisé au sein des Etats mais aussi pour freiner son expansion géographique qui en décuple la dangerosité. Cette expansion géographique qui lui donne la connotation « transnationale » s'est donc heurtée aux mesures procédurales utilisées par les Etats depuis l'avènement des systèmes répressifs généraux126(*) établies pour la répression des infractions ordinaires ou classiques127(*) encore appelée par Pierre-Henri BOLLE « formes classiques de la criminalité »128(*). Ces procédures que l'on dira « classiques » le sont en raison de leur finalité qui est de réprimer la criminalité dans son aspect général en ne s'attardant nullement sur les considérations spécifiques de certaines infractions parmi lesquelles la criminalité transnationale organisée qui en plus d'être « organisée » transcende les frontières des Etats. En outre, il ressort d'éléments factuels que cette forme de criminalité revêtue de spécificité échappe au cloisonnement défini par ces procédures classiques d'où leur inadaptation (Section 1) à cette menace devenue mondiale au fil des années et contre laquelle un recours à des procédures dérogatoires (Section 2) s'est progressivement institué. Section 1 : L'inadaptation des procédures classiquesSe pencher sut l'inadaptation des procédures classiques opérant en matière de répression de la criminalité transnationale organisée revientà confronter les mesures actuelles àleurs effets sur la répression et l'expansion de la criminalité transnationale organisée. Considérer comme étant réellement mise à l'épreuve en matière de détection des infractions (Paragraphe 1), la procédure classique admettrait des limites observées dans l'appréhension des responsables présumés de l'infraction (Paragraphe 2) dont les causes ne demeurent pas tout à fait évidentes. Paragraphe 1 : Une procédure éprouvée en matière de déclenchement de l'action de répressionLa criminalité transnationale organisée est un phénomène à expansion rapide, considération prise des gains engendrés mais aussi de la vitesse à laquelle elle attaque toutes les couches de la société lorsque la menace n'est pas contenue. S'impose alors une nécessaire réactivité des entités répressives qui se voient enlisées dans des procédures lourdes et insuffisamment productives. Ceci est notamment dû à un déclenchement restrictif de la procédure de répression (A) et un décalage procédural flagrant au niveau régional (B) entachant de facto une lutte organisée. A. Un déclenchement restrictif de la procédureLe déclenchement de la procédure de répression permet de toucher du doigt la stratégie mise en place pour entamer le processus de répression. Dans la conception classique, la procédure pénale est démarrée par une constatation de l'infraction, une plainte déposée par une ou un quidam, ou encore par une dénonciation. En Côte d'Ivoire, la procédure pénale est portée par loi n°2018-975 du 27 décembre 2018 telle que modifiée par la loi n°2022-192 du 11 mars 2022 portant code de procédure pénale. Cette présente loi décrit le processus de déclenchement de la procédure pénal en mettant l'accent sur ces acteurs essentiels que sont les membres de la police judiciaire129(*) en particuliers ses officiers. Ainsi, il leur ait reconnu, selon ce texte, la mission « de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs »130(*) sans distinction particulièrement faite de du type d'officier de police judiciaire. D'où une ouverture de la compétence à eux tous car il est interdit de distinguer où la loi ne distingue pas131(*). Plus loin le défaut de spécification tendrait à traiter les infractions constatées presque à la même enseigne du droit commun. Toutefois, dans un ordre plus spécifique et en particulier en matière la criminalité organisée transnationale, le décret 2014-675 du 05 novembre 2014 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de l'Unité de lutte contre la Criminalité Transnationale Organisée, abrégée UCT donne compétence à une branche spéciale des forces de sécurité pour mener les diligences nécessaires à la mise en mouvement de l'action en répression de la CTO132(*). Cette exclusivité de compétence est d'autant plus confortée par les articles 11 et 12 de la loi n°2022-193 du 11 mars 2022 portant création, compétence, organisation et fonctionnement du Pôle Pénal Economique et Financier, juridiction spéciale compétente en matière de criminalité transnationale organisée133(*). Ce qui équivaut à dire que le déclenchement de la procédure pénale en matière de CTO n'est sujette qu'à la constatation des infractions faites par ces unités spécialisées qui seulement après avoir recueilli ``suffisamment'' d'éléments factuels et de preuve démontrant la présence ou l'existence de l'activité criminelle seront enclines à la mettre en mouvement. Ce qui se pose souvent tard pour prévenir le crime ou le délit en laissant par ailleurs la possibilité aux acteurs de firmes criminelles de s'évanouir dans la nature. En ce sens, cette exclusivité, bien que soigneusement organisée ne se révèle pas être des plus efficacesdans la mesure où elle ne permet pas de jouer de célérité dans la reconstitution du puzzle de l'infraction et l'établissement de son lien avec une hypothétique firme criminelle nationale ou transnationale. En outre, cette anomalie pourrait faire tomber certaines infractions qui pourraient révéler l'existence d'un circuit criminel dans le droit commun134(*) en étant traitées isolément. Face à ce risque, l'éventualité d'une meilleure réadaptation des textes en la matière mérite d'être explorer. En effet, en essayant surement de se départir de la conception classique octroyant à l'ensemble des officiers de police judiciaire l'opportunité de déclencher la procédure pénale135(*), le législateur a fait preuve d'audace en matérialisant l'idée de création entités spécialisées commis à la tâche en matière de CTO. Bien que cela reste des plus opportuns, une meilleure synergie mériterait d'être dressée dans l'action de police judiciaire afin de ne laisser aucune chance aux acteurs du crime organisé tant au niveau national qu'au niveau international. Par synergie d'action il faut comprendre une approche commune et participative en amont par la réunion des informations, des analyses et de données indispensables pour découvrir l'activité criminelle mais également pour comprendre comment fonctionne l'ensemble du marché criminel et en aval pour répondre au plutôt à la menace. Par ailleurs, une extension du régime de dénonciation à toute la population serait d'un avantage certain, même si la restriction dans le déclenchement de la procédure ne reste pas l'unique mal dont il souffre. A cela s'ajoute un décalage flagrant dans la spontanéité et la synergie d'action entre les pays de la région ouest-africaine en matière de répression de la criminalité transnationale organisée. * 126 Il mérite d'être entendu par-là l'ensemble des règles et dispositions légales et juridictionnelles générales conçues pour réprimer les infractions généralement connues et qui ne recèle pas de spécificité particulière ou qui mérite une dérogation spéciale. En gros, il s'agit du droit pénal général. * 127 Il s'agit des infractions de droit commun * 128BOLLE Pierre-Henri, « De quelques aspects de la criminalité organisée et de la lutte contre icelle », in :EGUZKILORE Numéro 11, Décembre 1997, San Sebastiàn, p. 237 * 129 Cf. Article 25 du code pénal ivoirien * 130 Ibidem * 131 Opinion traduite par l'expression latine « ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus » * 132 Cf. Article 1 et 2 du décret 2014-675 du 05 novembre 2014 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de l'Unité de lutte contre la Criminalité Transnationale Organisée, abrégée UCT * 133 Cf. Articles 2 à 5 de la loi n°2022-193 du 11 mars 2022 portant création, compétence, organisation et fonctionnement du Pôle Pénal Economique et Financier * 134 Catégorie d'infractions relevant du droit pénal général sans receler de particularité majeure. * 135 Cf. Article 29 du code de procédure pénale ivoirien |
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