INTRODUCTION
Les océans et les mers sont par essence, des espaces
physiques variés et caractérisés par leur étendue
qui représente environ 72% de la surface terrestre. La mer est depuis
toujours un lieu de rencontre entre les hommes, permettant le transport et la
réalisation du commerce mais également le travail, la guerre, la
découverte et les loisirs. Si l'espace océanique renvoie à
la notion de liberté, il reste l'occasion de tous les dangers en raison
de son imprévisibilité. Lors d'une sortie en mer, que ce soit
à la nage ou avec une embarcation, il est hélas probable de se
retrouver dans une situation de détresse, il est alors nécessaire
de mettre en place des secours adaptés pour épargner l'homme et
les biens, des éventuels dangers rencontrés en mer et d'encadrer
juridiquement les espaces d'intervention ainsi que les attributions et les
responsabilités des sauveteurs. Le sauvetage est par définition
une action destinée à récupérer des personnes en
urgence ou en détresse, à leur dispenser les soins et à
les mettre en lieu sûr (Cf.1). L'espace
maritime est en revanche plus difficile à définir puisque la
question des frontières implique que l'océan dispose de limites
bien précises or, en mer on ne peut pas réellement parler de
frontières en raison de l'impossibilité de matérialiser
les océans.
Les modes de sauvetages maritimes ont alors connu une
évolution juridique en raison des volontés d'acquisition de
l'espace maritime qui ne sont pas récentes et qui ont toujours fait
l'objet de convoitises et donc d'importants conflits, car c'est l'idée
même de liberté qu'il s'agit de restreindre ou d'obtenir. Le droit
de la mer s'est en effet construit principalement autour de la notion de
liberté. Les océans ont longtemps été soumis
à la doctrine de la liberté de la mer qui limitait les droits
nationaux sur les océans car n'appartenant à personne
(Cf.2). De fait, les compétences d'un
État côtier sont variées en mer et bien souvent
conditionnées par le respect des droits des États tiers. Cette
situation a eu un réel impact sur le sauvetage en mer qui est
resté longtemps une discipline dévolue soit aux marins
eux-mêmes, soit aux autorités côtières locales. En
raison de l'hétérogénéité des environnements
et des situations, le sauvetage en mer, est une activité plurielle qui
couvre divers domaines : le sauvetage à la nage qui s'effectue en
surface, le sauvetage en plongée réalisé en profondeur, le
sauvetage côtier déclenché à partir du littoral et
le sauvetage en haute mer qui peut être assuré par des
embarcations déjà engagées sur l'eau ou par les airs. Il
n'existe cependant pas d'organisme international dédié au
sauvetage maritime, en dehors de deux Fédérations (la
Fédération internationale de sauvetage maritime - IMRF
qui est une organisation non gouvernementale datant de 1924 et la
Fédération internationale de sauvetage aquatique - ILSF
qui est un regroupement d'associations sportives et d'organismes de
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prévention de la noyade) et jusqu'à la
conclusion de la convention de Bruxelles en 1910, aucun dispositif
international relatif aux opérations de recherche et de sauvetage en mer
n'était prévu, il faudra ensuite attendre l'adoption des
conventions dites `SOLAS' en 1974 et `SAR' en 1979. Un cadre
juridique international devenant alors impératif, l'ONU a
facilité les efforts internationaux qui ont abouti à la
conclusion d'un traité international unique pouvant régir toutes
les affaires maritimes. Les États se sont dotés d'une convention
internationale précisant leurs droits, dans les divers espaces maritimes
: il s'agit de la `Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer'
du 10 décembre 1982 à Montego, en Jamaïque. Plus
communément appelée Convention de Montego Bay (= CMB),
dont le champ d'application est vaste et définit différentes
zones sur lesquelles les États exercent leur souveraineté en
distinguant notamment les eaux intérieures, la mer dite "territoriale"
sur laquelle les États côtiers jouissent d'une souveraineté
et qui s'étend jusqu'à 12 milles marins du littoral et enfin la
haute mer.
Pour protéger la vie humaine en mer, milieu de plus en
plus fréquenté, la France assume sur de vastes étendues
maritimes la responsabilité du sauvetage en mer en coordination avec
d'autres administrations ou organismes, nationaux et étrangers. Au
regard de leurs complexités et de leurs diversités, les
méthodes de récupération des personnes et des biens
reviennent à plusieurs autorités qu'elles soient militaires,
civiles ou parfois même associatives. Le sauvetage maritime est donc une
discipline qui a connu une lente évolution juridique en France. Une
règlementation, d'abord approximative, émergea progressivement
pour le sauvetage des marchandises et des victimes, avant de devenir plus
claire et applicable.
La disparité des pratiques et des sources de droit
inhérentes au sauvetage en mer, nécessite de qualifier ce qu'est
le sauvetage en mer dans sa dimension générale, tout en
s'adaptant aux spécificités géographiques du lieu
d'intervention. Une harmonisation à l'échelle nationale serait
alors utile avec la création de garde-côtes en France à qui
reviendrait l'ensemble des missions en mer. Il apparaît alors
nécessaire de comprendre la diversité des rapports et des
pratiques de sauvetage maritimes par les différents acteurs (I)
pour ensuite appréhender les approches réglementaires
évolutives et envisager quelles seraient les harmonisations possibles
(II).
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I / HISTOIRE COMPARÉE DES RAPPORTS ET DES
PRATIQUES DES SAUVETAGES
La mer est souvent associée à l'idée
d'évasion puisque son immensité est propice aux voyages et son
étendue amoindrie la notion de limites, elle reste cependant un lieu de
dangers pour l'homme. Si historiquement les populations primitives
considéraient le naufrage comme un châtiment divin, la
multiplication des expéditions et des échanges marchands à
travers les océans permit aux premières civilisations
côtières d'évoluer sur ce point (A) et de
développer des modes de sauvetage adaptés aux besoins
(B)
A/ LA DIVERSITE DES RAPPORTS
A.1 L'EVOLUTION DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC
L'OCÉAN Mythes antiques et bibliques / Créatures et
monstres marins / Lecture de la nature
Si désormais la conquête spatiale est un
indicateur de puissance d'un État, il s'agissait autrefois de la
conquête maritime, la puissance navale était en effet un important
facteur de développement d'un empire ou d'un royaume. Le rapport de
l'homme à la mer et aux océans, résumé par le
géographe thalassocrate Halford Mackinder dans sa devise `Qui tient
la mer, tient le monde', a permis à plusieurs civilisations de se
développer bien au-delà des frontières terrestres. La
proximité avec la mer est un cadeau géographique qui a
brisé l'isolement de certains peuples dès lors qu'une flotte
était créée. En revanche, certaines civilisations peu
portées sur la mer sont longtemps restées éloignées
des autres populations et n'entretenaient que très peu de relations
extérieures, comme les Aborigènes d'Australie ou bien les
habitants de l'Amérique car personne ne soupçonnait l'existence
de ce continent, de même pendant près de 6 000 ans, la
moitié sud du continent africain fut coupée du monde par le
Sahara. Par ailleurs, jadis, la science n'apportait pas encore d'explications
rationnelles aux phénomènes naturels et certaines civilisations
furent effrayées, durant de longues périodes, par les
légendes et les récits imaginaires liés à la mer
(croyance en des monstres imaginaires ou créatures dangereuses etc.).
D'autres civilisations, notamment côtières, ont bravé les
superstitions qui se retrouvent dans les mythes antiques et bibliques car
l'accès à la mer permettait de mieux la connaître et aussi
d'amoindrir les craintes.
Mythes antiques et bibliques
Dans l'histoire de l'Humanité, toutes les
sociétés, qu'elles soient structurées en civilisations ou
qu'il s'agisse de groupes humains restreints, ont créé des
mythes, des récits indissociables de l'imaginaire humain, qui utilisent
un ensemble de métaphores et de symboles et contribuent à former
le discours d'une communauté sur ses origines et son histoire. Le mythe
est une histoire constituée d'allusions et de codes qui sert à
transmettre un système de valeurs par-delà les
générations. Les mythes portant sur la mer sont très
nombreux. A partir de l'apparition du christianisme et avant la
généralisation de la scolarisation vers la fin du XIXème
siècle, la source de connaissances la plus longtemps diffusée en
Europe et au Moyen-Orient a longtemps été la Bible, qui regroupe
un ensemble de textes sacrés compilant des histoires à
portée morale. Beaucoup de thèmes sont évoqués dans
les textes bibliques et parmi eux, la mer est très souvent citée.
C'est parce-qu'elle peut être mortelle que la mer est sujette à
des récits dans la Bible, puisqu'elle révèle la
fragilité de l'existence humaine et soulève des interrogations
sur le sens de la vie. A travers les textes bibliques, la mer est
présentée comme une réalité dont l'homme ne peut se
passer et est perçue comme le cadre symbolique de la lutte contre le
mal. La mer étant souvent le théâtre de grandes
tempêtes, Dieu dompte l'agitation de la mer qui est mise à son
service. Le fait d'être sauvé des eaux serait alors une
bénédiction divine et permet surtout de souligner la
toute-puissance de Dieu et ainsi de le glorifier et donc de multiplier le
nombre de croyants.
Si presque tous les livres de la Bible mentionnent la mer, ce
sont les récits de Noé, Moïse, Jonas puis Jésus, les
principaux épisodes qui s'y réfèrent. La Genèse, le
premier livre de la Bible, raconte de façon poétique les
débuts de l'humanité. Après la création du monde,
puis celle d'Adam et Eve, les êtres humains prennent possession de la
terre mais la violence apparaît du fait de leur nombre croissant. Dieu
prend alors la décision radicale de débarrasser la terre de tous
les hommes qui sont devenus mauvais, en déclenchant une pluie
torrentielle afin de provoquer un déluge qui noiera tous les êtres
qui peuplent la planète, les hommes et les animaux. Le seul homme qui
sera épargné en raison de sa bonté et sa droiture est
Noé, qui pourra également protéger sa famille et des
couples d'animaux de chaque espèce du déluge. En matière
de navigation, Noé est le seul constructeur naval mentionné dans
la Bible. Il reçoit des instructions divines préconisant la
conception d'une arche en bois résineux enduite de bitume car Dieu
détecte en Noé une qualité de marin. Le récit
biblique évoque le rôle des oiseaux dans l'usage de la navigation,
en effet Noé lâcha une colombe pour déterminer si les eaux
avaient baissé et lorsque
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la colombe revint tenant dans son bec un rameau d'olivier,
Noé compris que la terre ferme était à proximité de
son arche ; cette pratique était effectivement une
référence pour les marchands de l'Antiquité. Durant les
voyages, ils embarquèrent plusieurs oiseaux d'observation pour
détecter la terre la plus proche. En somme, Dieu retrouve confiance en
l'humanité et lui permet de croître à nouveau. L'histoire
de Noé s'apparente donc également à une mission de
sauvetage en mer.
Dans l'ancien Testament, après le récit des
origines du monde par la Genèse, les quatre autres livres relatent
l'histoire du prophète Moïse qui apparaît comme le sauveur de
son peuple. C'est en effet sous sa conduite que les hébreux
échappèrent aux troupes du Pharaon Ramsès II
(Cf.3) et surtout grâce à l'intervention
de Dieu, qui ouvre la mer afin de les laisser passer, pour ensuite la renfermer
sur les armées égyptiennes qui les pourchassent. Le peuple
sauvé sort vivant et libre de la mer où se noient les soldats. La
mer devenant à la fois le symbole de la liberté et de la mort.
Les origines de Moïse sont d'ailleurs associées à l'eau
puisque dès son plus jeune âge, il fut déposé par sa
mère biologique, dans un panier flottant sur le Nil. La mère de
Moïse préférant confier l'avenir de son enfant à la
nature plutôt que de l'exposer à la mort. Le terme hébreu
désignant la mer : « Yam » s'étend d'ailleurs à
toutes les étendues d'eau : rivières, lacs, oasis ou fleuves. Le
fleuve étant alors assimilé à un paisible chemin vers un
destin meilleur, car durant le périple fluvial du bébé,
les récits ne mentionnent aucun danger lié à la
présence de crocodiles ou d'hippopotames, pourtant nombreux dans le Nil.
Moïse fut ainsi sauvé des eaux et sauvé par l'eau. Le second
épisode de la vie de Moïse au cours duquel il sera confronté
au milieu aquatique, se déroule lors de la fuite d'Égypte. Les
hébreux qui souhaitent quitter les terres du Pharaon afin de ne pas
être rattrapés par son armée, se lancent à pied et
acceptent de suivre les prophéties de Moïse mais doivent faire face
à un obstacle naturel : la mer.
Enfin, dans l'Ancien Testament, le livre de Jonas raconte les
aventures du prophète éponyme. Il évolue à la cour
de Jéroboam II, roi d'Israël vers 750 av. J.C. Au XIXe
siècle et est envoyé par Dieu dans la ville de Ninive, il veut
s'échapper en prenant la mer et embarque sur un bateau qui va affronter
une violente tempête et se retrouve projeté à l'eau. Pour
sauver Jonas, Dieu fait intervenir un gros poisson qui l'avale et il se
retrouve enfermé durant trois jours dans le ventre de cette
créature marine en implorant le tout puissant avant d'être
rejeté sain et sauf. Cette histoire se place entre le miraculeux et le
récit animalier. Avec la multiplication des traversées en mer et
le développement des sciences, qui s'accentuèrent au XVIe
siècle, les descriptions de l'animal se rapprochèrent de la
représentation d'une
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baleine, d'ailleurs au fil des époques, les
représentations bibliques de la créature marine
ressemblèrent de plus en plus à une baleine. Le récit de
Jonas reste surtout emblématique puisque cet épisode est une
allégorie de l'homme à l'épreuve de sa fragilité et
la mer est le théâtre de son désarroi. Son histoire
évoque également une créature des mers. La peur des
créatures et des monstres marins a souvent été
diffusée par la littérature et trouve en partie son origine dans
le récit de Jonas. Son aventure garda une influence qui se retrouve dans
la littérature, notamment dans « Les aventures de Pinocchio
» de Carlo Collodi ou dans « Moby Dick » d'Herman
Melville.
Créatures et monstres
marins
Les légendes autour de la mer comprenaient auparavant,
systématiquement des monstres imaginaires ou supposés.
Étymologiquement, le terme `monstre' conserve l'empreinte du
mot latin `monstrare' qui signifie "montrer" et fait écho
à un autre mot latin `monre' qui signifie `avertir'
car ce sont des créatures révélatrices. Les monstres
symbolisent la mort puis naturellement la notion de bravoure, aussi bien dans
les mythes babyloniens ou bibliques ou encore dans la mythologie grecque avec
notamment l'oeuvre d'Apollodore, la « Première guerre de Troie
» lorsque Hésione est offerte à un monstre marin qui
sera ensuite tué par Hercule. Les sirènes figurent parmi les
créatures marines les plus populaires et les plus anciennes,
Homère est le premier à évoquer les sirènes dans
« L'Odyssée » mais sans les décrire
réellement et on apprend qu'il s'agit de femmes avec une attitude de
démons qui possèdent des ailes et séduisent par leur
chant. Ulysse lui-même, héros de la mythologie grecque reconnu
pour son intelligence, va se lier au mât de son navire pour ne pas
succomber aux chants des sirènes. Souvent associées à la
mort et plutôt malveillantes, les sirènes ont alors une
connotation assez négative. Ce n'est qu'au VIIème siècle
dans l'ouvrage du moine anglais Aldhelm de Malmesbury : le « Liber
Monstrorum », véritable catalogue de toutes les
monstruosités légendaires, qu'on y trouve la première
mention de femmes-poissons et non plus de femmes-oiseaux. Cette fois, elles
sont décrites comme de `très belles jeunes filles
dotées d'une queue de poisson couverte d'écailles'. L'auteur
a très probablement été influencé par les
légendes celtes et germaines, populaires en son temps. Puis au
Moyen-Age, l'Église s'empare du mythe et ces créatures mystiques
sont apparentées à des beautés fatales incarnant la luxure
qu'il faut fuir comme les autres péchés capitaux. L'absence de
réelles expéditions scientifiques à l'époque,
laisse penser qu'elles existent véritablement. Suite aux
premières grandes expéditions marines des portugais, espagnols,
français et anglais, les mythes disparaissent peu à peu et les
écrivains
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ont tendance à rédiger des ouvrages plus
sérieux car ils sont influencés par des descriptions plus
précises des marins et par les explications des scientifiques souvent
embarqués à bord. Ainsi, Thomas Browne, écrivain et
scientifique anglais du XVIIème siècle, avait composé une
encyclopédie des idées reçues de son époque :
« Pseudoxia Epidemica », un dictionnaire dans lequel il
confronte les opinions des philosophes, de l'Église et des scientifiques
et évoque les monstres marins populaires à son époque dont
beaucoup ressemblent aux baleines, aux requins ou aux crabes. Au
XVIIIème, les auteurs romantiques relancent les légendes mais il
ne s'agit plus d'informer mais bien de distraire. Le dramaturge danois
Christian Andersen contribuera ainsi à populariser le mythe des
sirènes avec son oeuvre « La petite sirène »
en 1837 et de manière plus globale, la littérature du
XIXème siècle s'inspire des anciens récits pour la
science-fiction. C'est notamment le cas pour Herman Melville qui rédige
en 1851 son roman d'aventures autour d'une dangereuse baleine « Moby
Dick », pour Herbert Georges Wells, dans son roman publié en
1895 « La machine à explorer le temps » où le
passager de la machine est attaqué par des crabes géants, enfin
pour Jules Verne dans son livre «Vingt mille lieues sous les
mers» en 1870, dans lequel les créatures océaniques
-bien que fantaisistes- sont plus proches de la réalité,
notamment le calamar géant puisqu'à cette époque les
poulpes géants étaient connus des biologistes et des
navigateurs.
Toutes ces légendes illustrent la persistance de
l'image du monde océanique qui s'est développée sous
l'influence des premiers cartographes, eux-mêmes influencés par
les récits (imaginaires ou réels) de religieux et d'explorateurs.
Les cartographes du Moyen-Age et du début de l'époque moderne
évoquaient les affabulations des témoins oculaires mais aussi des
voyageurs, des marins, des pèlerins et des charlatans. De plus, les
cartographes prétendaient offrir des informations et des relevés
topographiques précis sur les terres émergées, tout en
peuplant les mers d'êtres fabuleux, terribles et coriaces. Ces
chimères gigantesques étaient censées mettre en garde
contre les dangers d'un milieu encore mal connu
(Cf.4). La plupart de ces créatures
étaient nées dans les esprits de cartographes et
d'écrivains qui rêvaient plutôt qu'ils ne voyageaient
(Cf.5). Chet Van Duzer, l'historien
américain spécialiste de la cartographie, révèle
dans son ouvrage « Sea monsters on medieval and renaissance maps
» que les cartes marines représentaient souvent un monstre
marin autrefois appelé `l'aspidochélon' qui ressemblait
à un gros poisson dont il fallait se méfier car il pouvait
précipiter les marins en enfer. Les artistes qui assistaient les
cartographes représentaient les traits monstrueux avec une
créativité stupéfiante. L'absence d'une science
consacrée spécifiquement aux animaux, la zoologie,
entraînait des légendes sur les véritables
animaux en mer. Les sirènes décrites par les marins
étaient probablement des animaux marins transformés par leur
imagination. C'est ainsi qu'est né un langage associant souvent les noms
d'animaux connus sur terre à ceux découverts plus tard dans les
mers : `éléphants de mer' ou `léopard de mer'
pour évoquer les phoques, `lion de mer' pour
désigner les otaries ou encore `chien de mer' pour qualifier un
requin. Ce parallélisme entre le catalogue des animaux terrestres et
marins provenait d'une méconnaissance plus générale du
milieu océanique et de l'idée humaine d'une centralité de
la vie sur terre. Les marins utilisaient donc dans un premier temps, des cartes
marines qui fourmillaient de créatures fantastiques et la fascination
qu'elles exerçaient, provenaient d'un imaginaire qui associe la mer aux
dangers mortels et qu'on retrouve dans les écrits les plus anciens.
L'écrivain anglais du XIIIème siècle, Gervais de Tilbury
avait par exemple compilé l'ensemble des connaissances du Moyen-Age dans
une vaste encyclopédie « Desriptio Totius Orbis »
avec une interprétation souvent très personnelle des
créatures marines. La diffusion de ses écrits avait donc un
impact sur l'image de la mer et sur sa dangerosité. Autre exemple, Olaus
Magnus, archevêque suédois des XVème et XVIème
siècles, auteur de la « Carta Marina » (une carte
représentant les côtes et l'intérieur des terres des pays
encerclant la mer Baltique) avait truffé ses illustrations de monstres
mythiques et polymorphes nageant dans les mers nordiques (le trolual,
l'aspidochélon etc.). Il s'agissait sans doute pour Olaus
Magnus de faire figurer des allégories de dangers physiques afin de
diffuser une crainte et donc un besoin de protection divine.
Lecture de la nature
Les premiers explorateurs en mer purent partir sur les voies
maritimes à l'aide d'une lecture attentive de la nature. La nature offre
effectivement plusieurs outils de repérage et après les avoir
identifiés, les marins avaient appris à les interpréter :
estimant les vents par leur force ou par le vol des oiseaux, estimant aussi les
courants par la couleur de l'eau etc. L'homme a toujours navigué et sans
doute depuis le paléolithique en raison des distances raccourcies par le
très bas niveau de la mer depuis la dernière ère
glaciaire. Cette théorie de Brian Fagan (Cf.6)
prétend que la plateforme continentale qui
réunissait alors l'Australie et la Nouvelle-Guinée, n'aurait
été atteinte par l'homme que par la mer et sans doute par des
homo-sapiens qui avaient appris la navigation côtière et avaient
rejoint les côtes car ils se sont fiés à leur instinct de
recherche en pressentant qu'une terre se trouvait au-delà de la ligne
d'horizon et sans doute en apercevant les fumées dégagées
par les feux de forêt puis les vols d'oiseaux. La lecture et
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plus précisément l'analyse de la nature permet
de se repérer en mer. Par exemple, puisque le soleil se lève
à l'est et se couche à l'ouest, le capitaine d'un navire qui
aperçoit le soleil à bâbord en début de
journée saura alors qu'il fait approximativement route vers le sud. Le
soleil n'est pas le seul astre qui peut servir d'indicateur, l'étoile
polaire permet d'estimer une position avec la latitude (distance comptée
du nord au sud) et la longitude (distance comptée d'est en ouest). La
latitude pouvant être évaluée approximativement à
l'oeil en estimant la hauteur de l'étoile polaire au-dessus de
l'horizon. Il est aussi possible, dans l'hémisphère nord, de se
fier pendant la nuit à l'étoile polaire car sa position est fixe
et au nord, ainsi plus un bateau avance au nord et plus l'étoile polaire
apparaît haute dans le ciel, à l'inverse plus il avance vers le
sud et plus elle se confond avec l'horizon jusqu'à disparaître au
niveau de l'équateur. Étant précisé que les Vikings
basaient leur savoir sur une approche sensorielle et interprétaient les
indices laissés par la nature pour assurer une navigation précise
(Cf.7), en observant la succession des nuages, la
direction des vents et des vagues, la couleur de l'eau, le passage des oiseaux
etc.
Les rapports que l'homme a entretenus avec la mer sont
ambivalents et furent profondément liés d'une part à son
lieu de naissance et d'autre part au contexte religieux de son époque.
C'est la navigation qui va véritablement bouleverser la dimension
mystique que l'homme avait par rapport à la mer.
A.2 L'EVOLUTION DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA
NAVIGATION Enjeux de la construction navale / Rôles des
premiers cartographes / Fonction des instruments de
navigation
Auparavant les marins ne passaient pas volontiers par-dessus
bord car d'une part, beaucoup ne savaient pas nager et d'autre part ils
craignaient des « monstres marins ». L'analyse de la provenance de
cette peur renvoie à une recherche plus ancienne car autrefois, voyager
était une entreprise difficile et souvent périlleuse. En Europe,
les habitants passaient généralement toute leur vie au même
endroit et à l'exception des missionnaires, des soldats et des
marchands, peu de personnes s'aventuraient sur les routes et encore moins sur
les mers. Bien que plusieurs civilisations eussent connu de longs
périples : les Grecs, les Carthaginois et surtout les Vikings, un voyage
en mer restait risqué et les connaissances qu'on avait des océans
devaient autant à l'imagination qu'à la réalité,
reposant sur un mélange de récits rapportés, de fables et
de voyages plus ou moins vrais (Cf.5). Ce
qui était ou est inconnu, est souvent
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sujet à bien des interprétations personnelles.
Les conteurs et diseurs de bonne aventure rajoutant durant des
siècles, des parts de récits transformés,
personnalisés et souvent exagérés, ont contribué
ainsi à susciter soit la peur, soit la curiosité. Les premiers
explorateurs qui utilisèrent les voies maritimes ne pouvaient compter
sur une assistance en mer et avaient besoin de navires suffisamment solides
pour résister aux tempêtes et braver les vents violents et
d'outils de navigation de plus en plus précis. Ils ont contribué
à donner une meilleure approche du milieu océanique, grâce
à laquelle les cartographes purent se faire une vision plus exacte du
monde.
Enjeux de la construction navale
La construction navale fut un élément
nécessaire pour le développement d'un pays côtier. C'est en
Grèce antique, à partir du VIIIe siècle av. J.-C, que la
construction navale est devenue progressivement un élément majeur
du développement et du rayonnement de la culture grecque, permettant
échanges commerciaux, conquêtes et défense (notamment lors
de bataille navale de Salamine face à l'Empire perse). La marine
marchande et la marine militaire disposaient d'une flotte considérable
pour l'époque, issue d'ateliers de fabrications.
La construction navale a également joué un
rôle majeur dans le développement et le maintien de la
civilisation carthaginoise, de -814 av. J-C à -146 av. J-C Le pouvoir
authentique de Carthage se trouvait en mer, sa marine était la plus
puissante du monde connu de l'époque. Hérodote, le
célèbre historien, évoquait lui-même la force des
marins carthaginois. Parmi eux, un navigateur, portant le nom de Hannon, aurait
ainsi lancé une expédition navale de la côte ouest de
l'Afrique qui aurait pu atteindre le sud de l'actuel Gabon, tandis qu'un autre
explorateur de Carthage, Himilcon est le premier navigateur à atteindre
les côtes du nord-ouest de l'Europe en partant de la mer
Méditerranée.
Autre exemple, les Vikings qui furent des explorateurs
scandinaves, principalement actifs du VIIIème siècle jusqu'au
XIème siècle. À la fois guerriers et commerçants,
ils se livrèrent à des découvertes, des pillages et des
installations de longue durée en Normandie, en Sicile et au Vinland
(actuelle Amérique). Ils avaient la particularité de se
déplacer non pas à dos de cheval en passant par les terres mais
par bateaux en passant par les mers, les fleuves et les rivières,
surprenant ainsi leurs ennemis. Les voyages des Vikings ne devaient rien au
hasard mais résultaient d'un savoir-faire exceptionnel en construction
navale. Ils avaient conçu un bateau sophistiqué : le
`drakkar'. L'extension de la culture Viking
était
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donc étroitement liée à leur
ingéniosité navale et plus précisément à
leur incroyable invention, rarement égalée en Europe. Le drakkar
est né d'une maîtrise très élaborée de la
navigation et utilisé pour partir en guerre ou pour le transport de
marchandises (armes, aliments etc.) mais dont l'usage s'est perdu avec
l'avancée des technologies. C'est l'analyse de nombreuses épaves
de drakkars ainsi que des représentations sur des pièces, des
enluminures, des sceaux et la fameuse tapisserie de Bayeux qui permettent de
déterminer avec davantage de précisions les étapes de la
construction d'un drakkar. Les Vikings utilisaient deux types de drakkars, les
`kaupskip' et les `langskip'. Si les premiers sont des
navires de commerce disposant d'un équipage réduit
(Cf.8), les seconds n'ont pas de place pour le
stockage des marchandises et se déplacent avec un important
équipage de rameurs, en mesure de traverser l'Atlantique nord et
d'affronter les pires conditions météorologiques. C'est pour
cette raison que certaines civilisations purent découvrir d'autres
terres, les Vikings ont ainsi pu connaître l'Amérique, qu'ils
appelaient alors le Vinland, avant les Espagnols et les Portugais, notamment
grâce à leurs bateaux agiles et robustes à la fois, aptes
à affronter les flots sur des longues distances.
Au milieu du XVème siècle, les Portugais
construisirent un nouveau type de navire, la `caravelle', petite et
légère, armée d'une voile triangulaire, elle pouvait
naviguer au plus près. A la fin du XVème siècle, apparut
également un nouveau navire plus grand : la `caraqueÇ un
bateau équipé de vastes cales et de voiles carrées et
latines (triangulaires). À partir de l'année 1500, tous les
navires européens disposaient de cette voilure mixte qui les rendait
plus manoeuvrables. Au XVIème siècle, bien peu de navires
étaient en capacité d'effectuer un long voyage sur
l'océan. Les Arabes dominaient l'océan indien mais leurs bateaux,
dénommés `boutres' et gouvernés par un aviron,
tenaient difficilement le cap. Construits avec des planches assemblées
par des chevilles de bois et des cordes en fibre, ils étaient
vulnérables en haute mer, à l'inverse les `jonques'
chinoises couvraient de longues distances mais ne pouvaient
résister aux tempêtes. Les navires marchands de l'Europe du nord
étaient beaucoup trop lourds et beaucoup trop lents. Leur voile
carrée les empêchait de remonter au vent.
En somme, l'amélioration progressive des techniques de
construction navale a permis aux sociétés qui disposaient d'une
flotte de se développer elles-mêmes. La construction navale
était indispensable à l'essor d'une civilisation. Ce processus de
conception et d'assemblage d'un navire ou d'un bateau était le
préalable indispensable aux conquêtes et aux expéditions
maritimes et surtout était le préalable au développement
des connaissances géographiques avérées. A titre
d'exemple, Ptolémée (astronome grec
qui vécut en Egypte au IIème siècle
après J.C. reconnu comme le plus grand géographe de
l'antiquité) pensait qu'il était impossible de faire le tour de
l'Afrique (Cf.9). Ce ne fut que bien plus tard que le
marin Bartholomé Dias mit un terme à cette croyance
infondée, en menant son expédition autour de l'Afrique en
dépassant le cap de Bonne Espérance. Le pragmatisme de Dias avait
balayé l'idée de Ptolémée.
Rôles des premiers
cartographes
La cartographie est partie intégrante de l'histoire de
la marine et plus généralement de l'histoire de l'homme. La carte
du monde telle que nous la connaissons, fut dressée au fur et à
mesure par des cartographes et des astronomes mais aussi des explorateurs, des
aventuriers, des marins, des navigateurs qui se lancèrent dans des
expéditions risquées et utilisaient des instruments de
repérage rudimentaires. Si l'évolution de la cartographie doit
beaucoup à l'invention de l'aéronef (l'invention de la
montgolfière date de 1782 puis l'avion fut créé en 1890
par le français Clément Ader), auparavant les cartes
étaient dressées de manière empirique et la connaissance
qu'on avait des terres et des mers lointaines, devait autant à
l'imagination qu'à la réalité. Toutefois, depuis les
conquêtes d'Alexandre le Grand et les voyages de Marco Polo, les
dignitaires européens savaient que la Chine et l'Inde existaient mais
les premières cartes restaient des outils imprécis et les
premiers navigateurs s'orientaient `à l'estime', une
méthode d'évaluation très approximative.
C'est Ptolémée qui est à l'origine de la
première réelle carte connue. Il avait alors repris les concepts
des astronomes babyloniens qui eux-mêmes avaient développé
un savoir empirique sur la position des astres, la périodicité
des éclipses, etc. Il avait également repris différentes
techniques et observations d'un phénicien : Marin de Tyr. Partant du
postulat que la terre est sphérique, il va alors unifier l'ensemble de
ses connaissances et définir les outils de repérages fondamentaux
dont les parallèles et les méridiens. Il va également
dresser une carte de ce que l'on connaissait du monde, avec plusieurs
continents (dont l'Asie) et les océans. Ses travaux en astronomie seront
une précieuse source de savoir pour les navigateurs puisque tous les
océans (et toutes les mers sauf la mer Caspienne) sont reliés les
uns aux autres et il est possible de se rendre en bateau de n'importe quel
point d'un littoral à n'importe quel autre.
Bien souvent les marins dessinèrent avec plus ou moins
de précisions la carte de toutes les côtes qui les bordaient,
l'établissement de ces cartes nautiques était basé sur un
mode de navigation par cabotage (Cf.10), en y
inscrivant chaque lieu de mouillage, chaque port pour des courtes distances.
L'approche des côtes donna d'ailleurs naissance au jalonnement par des
phares afin de prévenir les marins d'un danger, comme le
célèbre phare d'Alexandrie (aujourd'hui disparu) situé
autrefois sur l'île de Pharos. Les premières cartes marines
donnaient donc la position et la forme des masses de terre mais on ignorait la
configuration des contrées qui s'étendaient par-delà les
rivages.
Fonction des instruments de
navigation
Parmi les principaux outils de repérage en mer, le plus
fameux fut la longue vue, en réalité un télescope qui fut
largement utilisé en mer après son invention par un opticien
hollandais, Hans Lippershey, au tout début du XVIIème
siècle. Mais se repérer en mer, c'est être capable de
déterminer sa latitude et sa longitude
(Cf.11), or si au XVIIe siècle, les
Européens sillonnent depuis longtemps les océans, ils ne savaient
pas encore établir leur longitude correctement. Ce problème sera
résolu grâce au progrès de l'horlogerie. Inventé au
XVIIIème siècle, le chronomètre va en effet permettre de
déterminer la longitude et ce n'est pas le seul instrument qui va servir
les marins. L'homme pouvait utiliser ses propres moyens, par exemple pour
estimer la vitesse de son navire : la `ligne de loch' était une
ligne que l'on laissait filer à l'arrière du navire et qui
était marquée de distance en distance par des noeuds. La vitesse
de passage des noeuds était mesurée à l'aide d'un
sablier.
Plus tard, vinrent à bord : la boussole, invention
chinoise qui indique une trajectoire, aussi appelée `compas'
dans la marine et qui pointe toujours vers le nord magnétique et
non le nord géographique. Précédant le `sextant'
de l'astronome anglais John Adley (1682-1744), le `quadrant' de
navigation était un instrument de mesure angulaire permettant de mesurer
la hauteur d'un objet visé. Sa forme, en quart de cercle dont le bord
est gradué de 0° à 90°, comprenait un fil à
plomb qui pendait de son sommet. Il suffisait au navigateur d'aligner le
quadrant sur l'étoile qu'il choisissait et de lire le chiffre
indiqué par le fil à plomb pour déterminer la hauteur de
l'étoile en degrés, donc sa latitude. Le quadrant sera
progressivement remplacé par `l'astrolabe nautique', un autre
instrument inventé par des marins portugais avec un fonctionnement
différent, puis par la `balestrille' composée d'un bras
de rencontre qui indique la hauteur du soleil.
L'amélioration des techniques de navigation
liées au perfectionnement de la construction navale et du
repérage en mer (cartographie et outillage) a permis à l'homme de
dépasser ses appréhensions et de concevoir la mer comme un
véritable espace indispensable au développement. Par
conséquent, le nombre de trajets en mer devenant de plus en plus
important, un cadre légal s'est peu à peu imposé en Europe
et donc en France.
A.3 LES PREMIÈRES DISPOSITIONS LÉGALES
EN EUROPE ET EN FRANCE Sources du droit maritime en Europe du sud
/en Europe du nord / en France
Les premières civilisations maritimes étaient
d'abord commerçantes. Il existe un lien étroit entre le droit
commercial (droit des affaires) et le droit maritime. Le commerce était
intrinsèquement lié aux questions maritimes. Durant les
périodes les plus reculées de l'histoire Antique, la voie la plus
fiable était la voie d'eau et le chemin était bien plus rapide.
Les premières puissances navales vont tenter de se positionner de
manière dominante par rapport à l'obtention de ces ressources et
notamment maîtriser les routes commerciales et les routes maritimes qui
permettent d'accéder à ces ressources. Une route commerciale
était une organisation militaire pour sécuriser le trafic, une
organisation logistique à travers des ports, pour se ravitailler et
réparer les navires. Jalonnée de points clés, la
maîtrise d'une route maritime est considérée comme
étant la maîtrise d'un flux, d'une circulation. Durant
l'Antiquité, des routes commerciales furent bien établies pour
accéder à des ressources (sel, différents métaux)
et trois solutions apparurent pour accéder à une route maritime
:
- Partage de la route avec d'autres puissances,
- Évincement du concurrent grâce à une flotte
maritime pour s'imposer sur cette route,
- Possibilité de créer de nouvelles routes
maritimes ce qui a nécessité de lancer des expéditions
maritimes pour découvrir des territoires nouveaux.
La mer devint un espace géostratégique majeur en
raison des enjeux économiques et militaires extrêmement
importants. Les civilisations dominantes qui avaient accès à la
mer développèrent progressivement un droit pour dominer la
maîtrise des flux. Le sauvetage apparaissait alors utile mais le
sauvetage des marchandises était plus important que le sauvetage des
personnes.
Les sources du droit maritime dans le sud de
l'Europe
Les plus anciennes sources européennes du droit
maritime se situent autour du bassin méditerranéen et furent
essentiellement des compilations coutumières et législatives.
Durant l'Antiquité (période allant de l'invention de
l'écriture vers -3300 -3200 av. J.C jusqu'à la chute de l'Empire
romain d'Occident en 476 ap. J.C), les civilisations et empires qui
vécurent autour du bassin méditerranéen (égyptiens,
grecs, carthaginois, phéniciens et romains) tentèrent d'affirmer
leur puissance par le contrôle des mers.
A titre d'exemple, les phéniciens vont
développer des villes comme Tyr ou des comptoirs en Corse. Les grecs
vont créer des comptoirs commerciaux en Mer noire, en Libye, en Sicile,
dans le Sud de la France et autour de la Mer Égée. Les forces
égyptiennes, phéniciennes et grecques vont se concurrencer et
s'affronter pour asseoir une hégémonie portuaire. Trois ports
principaux vont apparaître : le port du Pirée à
Athènes, le port de Rhodes et le port de Corinthe qui porte aussi le nom
de `Lechaion'. Cette stratégie d'expansion diversifiée
sur toute la Méditerranée va poser les bases des premières
mesures juridiques. Athènes va alors devenir le coeur économique
d'une puissance maritime et dans le port du Pirée, l'activité
économique va se structurer débouchant sur la création
d'un tribunal spécifique pour trancher les litiges entre les marchands
issus de différentes contrées. Dans la pratique du droit
maritime, la plupart des décisions relèvent de l'arbitrage. A
l'origine, les marchands dans les ports n'avaient pas les mêmes normes,
les mêmes langues, les mêmes visions du droit. C'est principalement
en Grèce Antique (au tribunal des gens de la mer du port du
Pirée), l'endroit où l'on règle les différends
survenus en haute mer, qu'apparaissent ces premiers éléments du
droit maritime. De même, le droit maritime se développe dans le
port de Rhodes, qui était d'abord un port de culture phénicienne
avant de devenir grec et qui était réputé pour abriter le
colosse de Rhodes. Le port de Rhodes est alors un `Emporion', terme
qui désigne un port de commerce et qui par extension indique un
négociant au long cours. À Rhodes, des usages communs permettent
d'identifier deux mécanismes, qui vont devenir fondamentaux dans la
culture maritime :
- `Le jet à la mer'
(Cf.12),
Principe du partage pour les pertes occasionnées en
mer
- `Le prêt nautique'
(Cf.13),
Remboursement entre un bailleur de fonds et un marchand en
fonction du succès de l'expédition
Ces deux piliers constituent la `loi rhodienne' qui
traite essentiellement de l'obligation imposée à tous les
chargeurs de contribuer à la perte des marchandises jetées
à la mer. Ce sont les bases juridiques du
21
sauvetage en mer puisque l'accès à la mer a
rapidement introduit le problème du sauvetage des biens avant le secours
aux personnes. Déjà en Grèce Antique, la loi rhodienne
(III0 siècle av J.C) qui s'appliquait pour les usages en mer,
accordait une récompense en fonction des dangers encourus par les
sauveteurs car l'article 44 énonçait que :
« Celui qui sauvera quelques objets provenant d'un
naufrage recevra 1/5 de leur valeur en prime ».
De plus, durant la période dite « archaïque
» (VII0 au V0 siècle av. J.C) les grecs
avaient inventé : -`le droit de bris'
(Cf.14),
Droit donnant la propriété des épaves et des
cargaisons aux seigneurs des terres d'échouage
Malgré l'existence de ce texte, les pillages
restèrent nombreux sur les lieux dangereux. Les naufragés
étaient dépouillés, réduits en esclavage ou souvent
tués et les marchandises volées. Le sauvetage en mer ne portait
alors que sur les marchandises, seuls les biens étaient concernés
par ces dispositions. À cette époque, lorsqu'on est face à
un évènement de mer, le capitaine du navire devait parfois
ordonner d'alléger le bateau afin de réaliser correctement ses
manoeuvres. La question était de savoir quelles marchandises pouvaient
être jetées par-dessus bord ? Les Rhodiens considéraient
que ces pertes occasionnées ne devaient pas être supportées
exclusivement par le seul propriétaire des marchandises. Les pratiques
en mer donnèrent donc naissance au principe de solidarité car les
pertes devaient être assumées par tous. Cette solidarité
était obligatoire à la condition que le péril soit commun.
La solidarité est un mécanisme générique et
fédérateur et plus généralement un principe
juridique qui se retrouve dans divers domaines. Ce mécanisme deviendra
le régime des avaries communes sous l'ancien droit maritime
français.
Le droit romano-byzantin, très influencé par la
culture maritime grecque, va engager un processus de codification par
écrit des coutumes et des usages. C'est dans ce contexte
qu'apparaît « le Code Théodosien » : la grande
compilation juridique de l'Empire Romain d'Occident. Dans ce code, des
éléments portent sur le droit maritime puisque le titre du XVI du
code concerne la garde des rivages et des ports. De plus, les armées
navales sont évoquées du titre X au titre XII. Ces flottes sont
appelées les flottes prétoriennes et ont pour mission de
surveiller les navires dans des embarcations appelées les
`actuaires' (= navis actuaria), très rapides et
servant à surveiller en permanence la mer, à ravitailler,
à transporter des troupes ou à surveiller des territoires. Les
Romains vont développer ce type de navire en
22
ajoutant des jarres contenant de l'eau, des
`doliums'. Les navires à `dolias' sont les premiers
bateaux-citernes, les premiers bateaux servant au sauvetage des biens et des
personnes. Le code théodosien est la source d'inspiration et de travail
pour les juristes postérieurs à la chute de l'Empire Romain.
C'est après la mort de l'empereur romain Théodose
Ier le Grand, dernier empereur à régner sur
l'Empire romain unifié, qu'est définitivement partagé en
deux : l'Empire d'Orient et l'Empire d'Occident. L'empire romain d'Orient
devient l'Empire romano-byzantin à la chute de l'Empire d'Occident en
476 après J.C. Dans l'Empire romain d'Orient, Justinien va effectuer un
travail de recensement du droit romain et le « Code Justinien »
va apparaître mais ne sera appliqué que dans la partie
orientale de l'Empire. C'est dans le code Justinien, que plusieurs passages du
livre VI portent sur les questions du naufrage en mer.
Les sources du droit maritime en Europe du
Nord
Beaucoup de compilations juridiques proviennent du Nord de
l'Europe, essentiellement de Scandinavie, des Pays-Bas et du nord de l'actuelle
Allemagne. Parmi ces compilations, le « Guidon de la Mer »,
l'une des premières études sur le droit et l'assurance maritimes,
parue à Rouen au XVIème siècle (vers 1556 mais son auteur
reste inconnu). Le « Guidon de la Mer » est un recueil de
sentences arbitrales, de coutumes et de décisions. Il sera l'une des
bases d'inspiration de l'ordonnance de la Marine de 1681. C'est un texte
charnière entre le monde médiéval et le monde moderne et
qui annonce la place grandissante des assurances maritimes.
C'est autour du Gotland, au coeur de la culture maritime
suédoise que le `droit maritime de Wisby' va émerger
ainsi que `les lois de la Hanse Teutonique' (= hansa)
désignant une petite troupe et par extension un rassemblement de
marchands. C'est une confédération de cités
commerçantes, de ports qui vont s'associer. Les marchands sont
associés pour produire des règlements qui vont s'imposer aux
autres marchands qui voudront à leur tour intégrer l'association.
C'est en 1241 qu'un Traité voit le jour, ayant pour objectif de se
protéger de la piraterie, dans la mer Baltique et de défendre les
franchises des marchands associés contre les seigneurs qui voudraient
les subordonner. Les personnes tentent davantage de se libérer des
seigneurs. De nombreuses villes vont rejoindre cette association : Bruges,
Dunkerque, Bayonne et Rotterdam. Le système de la Hanse a bien
fonctionné dans le monde médiéval
23
puis va s'affaiblir au XVIIe siècle. La Hanse va
disparaître au moment où s'affirment les premiers grands
États modernes.
Cette réalité maritime va constituer une
matière autonome, avec ses contrats et ses propres mécanismes
juridiques. Cette matière va s'affirmer de la fin du Moyen-Age
jusqu'à la période Moderne. Une véritable
singularité juridique du droit maritime apparaît clairement en
Europe du nord à la fin du Moyen-Age. Le sauvetage n'est pas encore la
priorité mais les premières mesures de lutte contre la piraterie
témoignent d'un intérêt grandissant pour la
sécurité des biens et de personnes à bord.
De plus, l'influence de l'Eglise sera considérable au
fil des années. Le sauvetage en mer était vu comme un salut de
l'âme (l'acronyme S.O.S signifiant `Save Our Souls' = sauvez nos
âmes), comme une bonne action à accomplir. Au cours de l'histoire,
plusieurs bulles papales ont été émises concernant le
sauvetage des naufragés.
En France
Au Moyen-Age, l'État est en période
d'émergence, la justice étatique, l'armée, la
fiscalité se construisent et le système repose sur une
féodalité. Les usages maritimes médiévaux sont
coutumiers. Les rares documents légaux qui régulaient
l'activité maritime étaient `Le capitulaire de Charlemagne'
(= « littorum custodiâ ») en 780
(Cf.15), puis plus tard apparurent les `jugements
d'Oléron', donnés par la reine Éléonore de
1152 à 1154.
Plusieurs termes désignent ces jugements `les lois
de Leyron' ou `les rôles d'Oléron' et contiennent
les premières condamnations solennelles des pilleurs de navires :
24
- Article 31 : « Des gens inhumains plus cruels que
les chiens et loups enragés qui, en beaucoup de lieux meurtrissent et
tuent les pauvres patients pour avoir leur argent, leurs vêtements et
autres biens seront excommuniés et punis comme larrons »
Mais également des mesures portant sur le sauvetage en mer
des biens
- Article 29 : « Ordonne conformément à
la droite raison et à l'équité de fournir les secours
convenables à ceux qui auroient le malheur de faire naufrage et de leur
abandonner tous leurs effets sans en rien retenir sous peine pour les
transgresseurs d'être excommuniés et punis comme larrons
»
L'influence des rôles d'Oléron avait
dépassé le Royaume de France pour atteindre les monarques anglais
qui tinrent le « Black Book of the Admiralty » (= «
Livre noir de l'amirauté »), une compilation des
décisions les plus importantes de la Haute Cour de l'amirauté
anglaise, créée au cours de plusieurs règnes,
écrite en vieux français vers 1360 sous le règne d'Edouard
III (Cf.16).
Une dynamique européenne d'exploration des voies
maritimes et des nouvelles terres entraînera un basculement de
l'économie monde, de la Méditerranée vers l'Atlantique qui
va alors devenir le coeur économique du monde, mais également un
changement d'échelle des puissances qui aboutira au déclin de
Gênes, la ville maritime la plus puissante du Moyen-Age et à celui
de la hanse teutonique. L'Angleterre, la France, les Pays Bas vont devenir plus
puissants en raison de leur accès à l'Atlantique.
L'étendue du littoral permet de développer des richesses et de
constituer un marché économique à l'échelle du
royaume. Vont alors apparaître des dynasties d'armateurs et les anciennes
élites Françaises vont également s'intéresser
à la mer. C'est dans ce contexte qu'apparaît La Compagnie
française pour le commerce des Indes orientales par Colbert en 1664
(Cf.17) suivant la volonté préalable de
Richelieu d'établir par les mers, la liberté du commerce
français vers l'Asie et surtout de concurrencer les anglais qui avaient
auparavant lancé La Compagnie britannique des Indes orientales
en 1600. L'État moderne royal va tenter d'organiser une partie de
la navigation marchande et ne pas laisser les marchands gérer entre eux
le domaine maritime. Ce dernier devenant si sensible et stratégique que
l'aristocratie va commencer à participer aux aventures maritimes et
à les financer tout en conservant le statut de nobles à bord, en
restant ainsi dispensés des tâches les plus pénibles,
laissant les places de cambusier, gabier ou timonier aux matelots issus du
tiers-état. Les jeunes nobles vont s'intégrer dans
l'activité maritime,
25
qu'elle soit militaire ou commerciale et y apporter une
dimension différente. Sous le règne de Louis XIV, la mise en
place d'une codification thématique de la mer sur des sujets
circonscrits va naître sous la forme d'une ordonnance royale.
Rédigée par Colbert, l'Ordonnance de la marine va
être élaborée en plusieurs temps. Cette ordonnance a
été formée sur la base des anciens usages du droit de la
mer notamment les jugements d'Oléron et le Consulat de la
mer.
Cela signifie que l'une des inspirations évidentes de
l'ordonnance de la marine est la réappropriation des sources
coutumières. Cette réappropriation du droit maritime vise
à organiser ces usages dans l'ordre étatique et comprend une
compilation de droit maritime ancienne, déjà
préparée par Richelieu : il y a à la fois les compilations
coutumières et un projet antérieur de l'époque de
Richelieu, enfin différents textes doctrinaux dont celui du juriste
hollandais Grotius, auteur d'un court texte sur la liberté des mers
(Cf.18) qui a pour objectif de défendre le
droit de naviguer et de commercer pour tout navire à travers le monde.
Grotius se faisait ainsi le défenseur des intérêts de son
pays et plus particulièrement des intérêts de la Compagnie
hollandaise des Indes orientales qui se heurtait aux prétentions des
Portugais qui considéraient, sur divers fondements, qu'ils avaient le
monopole de la navigation.
L'Ordonnance royale de la Marine de 1681 va encadrer diverses
activités maritimes regroupées sous le vocable contemporain
d'action de l'État en mer. L'action de l'État en mer
fait référence aux activités, compétences et
responsabilités que l'État exerce dans les eaux maritimes
relevant de sa juridiction. L'Ordonnance est également une
synthèse de plusieurs éléments : les contrats et
assurances maritimes mais aussi la manière dont on doit rendre la
justice pour toutes les questions maritimes et littorales. Le sauvetage en mer
prend également une dimension légale plus ferme, notamment avec
les articles :
- Article 1er : « Déclarons que
nous avons mis et mettons sous notre protection et sauvegarde, les vaisseaux,
leur équipage et chargement qui auront été jetés
par la tempête sur les côtes de notre Royaume ou qui autrement y
auront échoué et généralement tout ce qui sera
échappé du naufrage »
- Article 11 : « Enjoignons à nos sujets de
faire tout devoir pour secourir les personnes qu'ils verront dans le danger de
naufrage »
26
27
Au XVIIIe et particulièrement au XIXe siècle, un
certain nombre d'organisations de sauvetage ont été
créées dans les puissances maritimes de l'Europe de l'ouest (qui
sont également devenues des puissances coloniales)
- En Hollande, la Maatschappij tot Redding van Drenkelingen
(1767),
- En Angleterre, la Royal Life Saving Society (1891),
- En France, la Société centrale de sauvetage
des naufragés (1865), (Cf.19)
À la fin du XIXe siècle, la
nécessité d'assurer la sauvegarde de la vie humaine le long des
côtes du littoral français incite des organisations nationales de
sauvetage à travailler ensemble, mais de manière informelle. La
première société de sauvetage (Cf.20)
est instituée en 1825 à Boulogne-sur-Mer, sous la
dénomination Société Humaine des Naufragés
puis à Dunkerque en 1834 est créée la
Société Humaine de Dunkerque suivie de celle de Calais,
Rouen, Bayonne, et Dieppe en 1839 et enfin Montreuil-sur-mer en 1841. Alors que
les grandes nations maritimes européennes se dotent d'un service
d'État voué à la mission du sauvetage en mer par
embarcations, dès le début du XIXe siècle,
notamment en Norvège, au Royaume-Uni et en Belgique, un début de
centralisation apparaît en France en 1865, à l'initiative de
l'amiral de Genouilly avec la Société centrale de sauvetage
des naufragés. Il en sera de même avec la
Société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons
créée à Rennes en 1873 et qui fusionneront en 1967
pour former à elles deux la Société Nationale de
Sauvetage en Mer (= SNSM) qui sera reconnue d'utilité publique en
1970. Cette fusion leur permet de mettre en commun leurs moyens de sauvetage.
Le sauvetage des personnes devenant obligatoire et gratuit, le sauvetage en mer
va progresser en prenant une dimension internationale, tout en conservant les
spécificités nationales. Les activités internationales de
sauvetage remontent à 1878, année du premier Congrès
mondial tenu à Marseille. Les différentes organisations voulaient
apprendre en échangeant diverses techniques et expériences de
sauvetage. Deux organisations ont été créées pour
promouvoir les objectifs de sauvetage : la Fédération
internationale de Sauvetage Aquatique en 1910, puis à la
création de World Life Saving. Ces deux structures ont
fusionné en 1993 pour devenir l'International Life Saving
Federation (= ILSF).
B / LES DIFFÉRENTS MODES DE SAUVETAGE EN
MER
Les sauveteurs embarqués (ou
marins-sauveteurs) / Les sauveteurs à la nage
(ou nageurs- sauveteurs) / Le sauvetage
sportif
En fonction de la zone d'intervention : eaux internationales,
eaux côtières ou eaux intérieures, le droit en vigueur
n'est pas le même et diffère dans son interprétation. Le
droit applicable au sauvetage en mer est une particularité du droit
maritime international compte tenu de sa dimension universelle. Il convient
alors de distinguer les différents modes de sauvetage qui varient selon
le zonage.
Le sauvetage en mer revêt plusieurs formes puisque le
lieu d'intervention va déterminer le mode d'intervention. Il est
possible de sauver en mer au moyen d'une embarcation (c'est le rôle des
marins-sauveteurs) ou à la nage (c'est le rôle des
nageurs-sauveteurs). La pratique du sauvetage aquatique à la nage est
d'ailleurs devenue une discipline sportive qui s'est codifiée au fur et
à mesure et qui est disputée dans des compétitions
nationales et internationales.
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