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L'évolution juridique des modes de sauvetages maritimes en France


par Simon Coyac
Université de Nantes - Master 2 - Droit et sécurité des activités maritimes et océaniques 2023
  

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INTRODUCTION

Les océans et les mers sont par essence, des espaces physiques variés et caractérisés par leur étendue qui représente environ 72% de la surface terrestre. La mer est depuis toujours un lieu de rencontre entre les hommes, permettant le transport et la réalisation du commerce mais également le travail, la guerre, la découverte et les loisirs. Si l'espace océanique renvoie à la notion de liberté, il reste l'occasion de tous les dangers en raison de son imprévisibilité. Lors d'une sortie en mer, que ce soit à la nage ou avec une embarcation, il est hélas probable de se retrouver dans une situation de détresse, il est alors nécessaire de mettre en place des secours adaptés pour épargner l'homme et les biens, des éventuels dangers rencontrés en mer et d'encadrer juridiquement les espaces d'intervention ainsi que les attributions et les responsabilités des sauveteurs. Le sauvetage est par définition une action destinée à récupérer des personnes en urgence ou en détresse, à leur dispenser les soins et à les mettre en lieu sûr (Cf.1). L'espace maritime est en revanche plus difficile à définir puisque la question des frontières implique que l'océan dispose de limites bien précises or, en mer on ne peut pas réellement parler de frontières en raison de l'impossibilité de matérialiser les océans.

Les modes de sauvetages maritimes ont alors connu une évolution juridique en raison des volontés d'acquisition de l'espace maritime qui ne sont pas récentes et qui ont toujours fait l'objet de convoitises et donc d'importants conflits, car c'est l'idée même de liberté qu'il s'agit de restreindre ou d'obtenir. Le droit de la mer s'est en effet construit principalement autour de la notion de liberté. Les océans ont longtemps été soumis à la doctrine de la liberté de la mer qui limitait les droits nationaux sur les océans car n'appartenant à personne (Cf.2). De fait, les compétences d'un État côtier sont variées en mer et bien souvent conditionnées par le respect des droits des États tiers. Cette situation a eu un réel impact sur le sauvetage en mer qui est resté longtemps une discipline dévolue soit aux marins eux-mêmes, soit aux autorités côtières locales. En raison de l'hétérogénéité des environnements et des situations, le sauvetage en mer, est une activité plurielle qui couvre divers domaines : le sauvetage à la nage qui s'effectue en surface, le sauvetage en plongée réalisé en profondeur, le sauvetage côtier déclenché à partir du littoral et le sauvetage en haute mer qui peut être assuré par des embarcations déjà engagées sur l'eau ou par les airs. Il n'existe cependant pas d'organisme international dédié au sauvetage maritime, en dehors de deux Fédérations (la Fédération internationale de sauvetage maritime - IMRF qui est une organisation non gouvernementale datant de 1924 et la Fédération internationale de sauvetage aquatique - ILSF qui est un regroupement d'associations sportives et d'organismes de

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prévention de la noyade) et jusqu'à la conclusion de la convention de Bruxelles en 1910, aucun dispositif international relatif aux opérations de recherche et de sauvetage en mer n'était prévu, il faudra ensuite attendre l'adoption des conventions dites `SOLAS' en 1974 et `SAR' en 1979. Un cadre juridique international devenant alors impératif, l'ONU a facilité les efforts internationaux qui ont abouti à la conclusion d'un traité international unique pouvant régir toutes les affaires maritimes. Les États se sont dotés d'une convention internationale précisant leurs droits, dans les divers espaces maritimes : il s'agit de la `Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer' du 10 décembre 1982 à Montego, en Jamaïque. Plus communément appelée Convention de Montego Bay (= CMB), dont le champ d'application est vaste et définit différentes zones sur lesquelles les États exercent leur souveraineté en distinguant notamment les eaux intérieures, la mer dite "territoriale" sur laquelle les États côtiers jouissent d'une souveraineté et qui s'étend jusqu'à 12 milles marins du littoral et enfin la haute mer.

Pour protéger la vie humaine en mer, milieu de plus en plus fréquenté, la France assume sur de vastes étendues maritimes la responsabilité du sauvetage en mer en coordination avec d'autres administrations ou organismes, nationaux et étrangers. Au regard de leurs complexités et de leurs diversités, les méthodes de récupération des personnes et des biens reviennent à plusieurs autorités qu'elles soient militaires, civiles ou parfois même associatives. Le sauvetage maritime est donc une discipline qui a connu une lente évolution juridique en France. Une règlementation, d'abord approximative, émergea progressivement pour le sauvetage des marchandises et des victimes, avant de devenir plus claire et applicable.

La disparité des pratiques et des sources de droit inhérentes au sauvetage en mer, nécessite de qualifier ce qu'est le sauvetage en mer dans sa dimension générale, tout en s'adaptant aux spécificités géographiques du lieu d'intervention. Une harmonisation à l'échelle nationale serait alors utile avec la création de garde-côtes en France à qui reviendrait l'ensemble des missions en mer. Il apparaît alors nécessaire de comprendre la diversité des rapports et des pratiques de sauvetage maritimes par les différents acteurs (I) pour ensuite appréhender les approches réglementaires évolutives et envisager quelles seraient les harmonisations possibles (II).

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I / HISTOIRE COMPARÉE DES RAPPORTS ET DES PRATIQUES DES SAUVETAGES

La mer est souvent associée à l'idée d'évasion puisque son immensité est propice aux voyages et son étendue amoindrie la notion de limites, elle reste cependant un lieu de dangers pour l'homme. Si historiquement les populations primitives considéraient le naufrage comme un châtiment divin, la multiplication des expéditions et des échanges marchands à travers les océans permit aux premières civilisations côtières d'évoluer sur ce point (A) et de développer des modes de sauvetage adaptés aux besoins (B)

A/ LA DIVERSITE DES RAPPORTS

A.1 L'EVOLUTION DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC L'OCÉAN
Mythes antiques et bibliques / Créatures et monstres marins / Lecture de la nature

Si désormais la conquête spatiale est un indicateur de puissance d'un État, il s'agissait autrefois de la conquête maritime, la puissance navale était en effet un important facteur de développement d'un empire ou d'un royaume. Le rapport de l'homme à la mer et aux océans, résumé par le géographe thalassocrate Halford Mackinder dans sa devise `Qui tient la mer, tient le monde', a permis à plusieurs civilisations de se développer bien au-delà des frontières terrestres. La proximité avec la mer est un cadeau géographique qui a brisé l'isolement de certains peuples dès lors qu'une flotte était créée. En revanche, certaines civilisations peu portées sur la mer sont longtemps restées éloignées des autres populations et n'entretenaient que très peu de relations extérieures, comme les Aborigènes d'Australie ou bien les habitants de l'Amérique car personne ne soupçonnait l'existence de ce continent, de même pendant près de 6 000 ans, la moitié sud du continent africain fut coupée du monde par le Sahara. Par ailleurs, jadis, la science n'apportait pas encore d'explications rationnelles aux phénomènes naturels et certaines civilisations furent effrayées, durant de longues périodes, par les légendes et les récits imaginaires liés à la mer (croyance en des monstres imaginaires ou créatures dangereuses etc.). D'autres civilisations, notamment côtières, ont bravé les superstitions qui se retrouvent dans les mythes antiques et bibliques car l'accès à la mer permettait de mieux la connaître et aussi d'amoindrir les craintes.

Mythes antiques et bibliques

Dans l'histoire de l'Humanité, toutes les sociétés, qu'elles soient structurées en civilisations ou qu'il s'agisse de groupes humains restreints, ont créé des mythes, des récits indissociables de l'imaginaire humain, qui utilisent un ensemble de métaphores et de symboles et contribuent à former le discours d'une communauté sur ses origines et son histoire. Le mythe est une histoire constituée d'allusions et de codes qui sert à transmettre un système de valeurs par-delà les générations. Les mythes portant sur la mer sont très nombreux. A partir de l'apparition du christianisme et avant la généralisation de la scolarisation vers la fin du XIXème siècle, la source de connaissances la plus longtemps diffusée en Europe et au Moyen-Orient a longtemps été la Bible, qui regroupe un ensemble de textes sacrés compilant des histoires à portée morale. Beaucoup de thèmes sont évoqués dans les textes bibliques et parmi eux, la mer est très souvent citée. C'est parce-qu'elle peut être mortelle que la mer est sujette à des récits dans la Bible, puisqu'elle révèle la fragilité de l'existence humaine et soulève des interrogations sur le sens de la vie. A travers les textes bibliques, la mer est présentée comme une réalité dont l'homme ne peut se passer et est perçue comme le cadre symbolique de la lutte contre le mal. La mer étant souvent le théâtre de grandes tempêtes, Dieu dompte l'agitation de la mer qui est mise à son service. Le fait d'être sauvé des eaux serait alors une bénédiction divine et permet surtout de souligner la toute-puissance de Dieu et ainsi de le glorifier et donc de multiplier le nombre de croyants.

Si presque tous les livres de la Bible mentionnent la mer, ce sont les récits de Noé, Moïse, Jonas puis Jésus, les principaux épisodes qui s'y réfèrent. La Genèse, le premier livre de la Bible, raconte de façon poétique les débuts de l'humanité. Après la création du monde, puis celle d'Adam et Eve, les êtres humains prennent possession de la terre mais la violence apparaît du fait de leur nombre croissant. Dieu prend alors la décision radicale de débarrasser la terre de tous les hommes qui sont devenus mauvais, en déclenchant une pluie torrentielle afin de provoquer un déluge qui noiera tous les êtres qui peuplent la planète, les hommes et les animaux. Le seul homme qui sera épargné en raison de sa bonté et sa droiture est Noé, qui pourra également protéger sa famille et des couples d'animaux de chaque espèce du déluge. En matière de navigation, Noé est le seul constructeur naval mentionné dans la Bible. Il reçoit des instructions divines préconisant la conception d'une arche en bois résineux enduite de bitume car Dieu détecte en Noé une qualité de marin. Le récit biblique évoque le rôle des oiseaux dans l'usage de la navigation, en effet Noé lâcha une colombe pour déterminer si les eaux avaient baissé et lorsque

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la colombe revint tenant dans son bec un rameau d'olivier, Noé compris que la terre ferme était à proximité de son arche ; cette pratique était effectivement une référence pour les marchands de l'Antiquité. Durant les voyages, ils embarquèrent plusieurs oiseaux d'observation pour détecter la terre la plus proche. En somme, Dieu retrouve confiance en l'humanité et lui permet de croître à nouveau. L'histoire de Noé s'apparente donc également à une mission de sauvetage en mer.

Dans l'ancien Testament, après le récit des origines du monde par la Genèse, les quatre autres livres relatent l'histoire du prophète Moïse qui apparaît comme le sauveur de son peuple. C'est en effet sous sa conduite que les hébreux échappèrent aux troupes du Pharaon Ramsès II (Cf.3) et surtout grâce à l'intervention de Dieu, qui ouvre la mer afin de les laisser passer, pour ensuite la renfermer sur les armées égyptiennes qui les pourchassent. Le peuple sauvé sort vivant et libre de la mer où se noient les soldats. La mer devenant à la fois le symbole de la liberté et de la mort. Les origines de Moïse sont d'ailleurs associées à l'eau puisque dès son plus jeune âge, il fut déposé par sa mère biologique, dans un panier flottant sur le Nil. La mère de Moïse préférant confier l'avenir de son enfant à la nature plutôt que de l'exposer à la mort. Le terme hébreu désignant la mer : « Yam » s'étend d'ailleurs à toutes les étendues d'eau : rivières, lacs, oasis ou fleuves. Le fleuve étant alors assimilé à un paisible chemin vers un destin meilleur, car durant le périple fluvial du bébé, les récits ne mentionnent aucun danger lié à la présence de crocodiles ou d'hippopotames, pourtant nombreux dans le Nil. Moïse fut ainsi sauvé des eaux et sauvé par l'eau. Le second épisode de la vie de Moïse au cours duquel il sera confronté au milieu aquatique, se déroule lors de la fuite d'Égypte. Les hébreux qui souhaitent quitter les terres du Pharaon afin de ne pas être rattrapés par son armée, se lancent à pied et acceptent de suivre les prophéties de Moïse mais doivent faire face à un obstacle naturel : la mer.

Enfin, dans l'Ancien Testament, le livre de Jonas raconte les aventures du prophète éponyme. Il évolue à la cour de Jéroboam II, roi d'Israël vers 750 av. J.C. Au XIXe siècle et est envoyé par Dieu dans la ville de Ninive, il veut s'échapper en prenant la mer et embarque sur un bateau qui va affronter une violente tempête et se retrouve projeté à l'eau. Pour sauver Jonas, Dieu fait intervenir un gros poisson qui l'avale et il se retrouve enfermé durant trois jours dans le ventre de cette créature marine en implorant le tout puissant avant d'être rejeté sain et sauf. Cette histoire se place entre le miraculeux et le récit animalier. Avec la multiplication des traversées en mer et le développement des sciences, qui s'accentuèrent au XVIe siècle, les descriptions de l'animal se rapprochèrent de la représentation d'une

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baleine, d'ailleurs au fil des époques, les représentations bibliques de la créature marine ressemblèrent de plus en plus à une baleine. Le récit de Jonas reste surtout emblématique puisque cet épisode est une allégorie de l'homme à l'épreuve de sa fragilité et la mer est le théâtre de son désarroi. Son histoire évoque également une créature des mers. La peur des créatures et des monstres marins a souvent été diffusée par la littérature et trouve en partie son origine dans le récit de Jonas. Son aventure garda une influence qui se retrouve dans la littérature, notamment dans « Les aventures de Pinocchio » de Carlo Collodi ou dans « Moby Dick » d'Herman Melville.

Créatures et monstres marins

Les légendes autour de la mer comprenaient auparavant, systématiquement des monstres imaginaires ou supposés. Étymologiquement, le terme `monstre' conserve l'empreinte du mot latin `monstrare' qui signifie "montrer" et fait écho à un autre mot latin `monre' qui signifie `avertir' car ce sont des créatures révélatrices. Les monstres symbolisent la mort puis naturellement la notion de bravoure, aussi bien dans les mythes babyloniens ou bibliques ou encore dans la mythologie grecque avec notamment l'oeuvre d'Apollodore, la « Première guerre de Troie » lorsque Hésione est offerte à un monstre marin qui sera ensuite tué par Hercule. Les sirènes figurent parmi les créatures marines les plus populaires et les plus anciennes, Homère est le premier à évoquer les sirènes dans « L'Odyssée » mais sans les décrire réellement et on apprend qu'il s'agit de femmes avec une attitude de démons qui possèdent des ailes et séduisent par leur chant. Ulysse lui-même, héros de la mythologie grecque reconnu pour son intelligence, va se lier au mât de son navire pour ne pas succomber aux chants des sirènes. Souvent associées à la mort et plutôt malveillantes, les sirènes ont alors une connotation assez négative. Ce n'est qu'au VIIème siècle dans l'ouvrage du moine anglais Aldhelm de Malmesbury : le « Liber Monstrorum », véritable catalogue de toutes les monstruosités légendaires, qu'on y trouve la première mention de femmes-poissons et non plus de femmes-oiseaux. Cette fois, elles sont décrites comme de `très belles jeunes filles dotées d'une queue de poisson couverte d'écailles'. L'auteur a très probablement été influencé par les légendes celtes et germaines, populaires en son temps. Puis au Moyen-Age, l'Église s'empare du mythe et ces créatures mystiques sont apparentées à des beautés fatales incarnant la luxure qu'il faut fuir comme les autres péchés capitaux. L'absence de réelles expéditions scientifiques à l'époque, laisse penser qu'elles existent véritablement. Suite aux premières grandes expéditions marines des portugais, espagnols, français et anglais, les mythes disparaissent peu à peu et les écrivains

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ont tendance à rédiger des ouvrages plus sérieux car ils sont influencés par des descriptions plus précises des marins et par les explications des scientifiques souvent embarqués à bord. Ainsi, Thomas Browne, écrivain et scientifique anglais du XVIIème siècle, avait composé une encyclopédie des idées reçues de son époque : « Pseudoxia Epidemica », un dictionnaire dans lequel il confronte les opinions des philosophes, de l'Église et des scientifiques et évoque les monstres marins populaires à son époque dont beaucoup ressemblent aux baleines, aux requins ou aux crabes. Au XVIIIème, les auteurs romantiques relancent les légendes mais il ne s'agit plus d'informer mais bien de distraire. Le dramaturge danois Christian Andersen contribuera ainsi à populariser le mythe des sirènes avec son oeuvre « La petite sirène » en 1837 et de manière plus globale, la littérature du XIXème siècle s'inspire des anciens récits pour la science-fiction. C'est notamment le cas pour Herman Melville qui rédige en 1851 son roman d'aventures autour d'une dangereuse baleine « Moby Dick », pour Herbert Georges Wells, dans son roman publié en 1895 « La machine à explorer le temps » où le passager de la machine est attaqué par des crabes géants, enfin pour Jules Verne dans son livre «Vingt mille lieues sous les mers» en 1870, dans lequel les créatures océaniques -bien que fantaisistes- sont plus proches de la réalité, notamment le calamar géant puisqu'à cette époque les poulpes géants étaient connus des biologistes et des navigateurs.

Toutes ces légendes illustrent la persistance de l'image du monde océanique qui s'est développée sous l'influence des premiers cartographes, eux-mêmes influencés par les récits (imaginaires ou réels) de religieux et d'explorateurs. Les cartographes du Moyen-Age et du début de l'époque moderne évoquaient les affabulations des témoins oculaires mais aussi des voyageurs, des marins, des pèlerins et des charlatans. De plus, les cartographes prétendaient offrir des informations et des relevés topographiques précis sur les terres émergées, tout en peuplant les mers d'êtres fabuleux, terribles et coriaces. Ces chimères gigantesques étaient censées mettre en garde contre les dangers d'un milieu encore mal connu (Cf.4). La plupart de ces créatures étaient nées dans les esprits de cartographes et d'écrivains qui rêvaient plutôt qu'ils ne voyageaient (Cf.5). Chet Van Duzer, l'historien américain spécialiste de la cartographie, révèle dans son ouvrage « Sea monsters on medieval and renaissance maps » que les cartes marines représentaient souvent un monstre marin autrefois appelé `l'aspidochélon' qui ressemblait à un gros poisson dont il fallait se méfier car il pouvait précipiter les marins en enfer. Les artistes qui assistaient les cartographes représentaient les traits monstrueux avec une créativité stupéfiante. L'absence d'une science consacrée spécifiquement aux animaux, la zoologie,

entraînait des légendes sur les véritables animaux en mer. Les sirènes décrites par les marins étaient probablement des animaux marins transformés par leur imagination. C'est ainsi qu'est né un langage associant souvent les noms d'animaux connus sur terre à ceux découverts plus tard dans les mers : `éléphants de mer' ou `léopard de mer' pour évoquer les phoques, `lion de mer' pour désigner les otaries ou encore `chien de mer' pour qualifier un requin. Ce parallélisme entre le catalogue des animaux terrestres et marins provenait d'une méconnaissance plus générale du milieu océanique et de l'idée humaine d'une centralité de la vie sur terre. Les marins utilisaient donc dans un premier temps, des cartes marines qui fourmillaient de créatures fantastiques et la fascination qu'elles exerçaient, provenaient d'un imaginaire qui associe la mer aux dangers mortels et qu'on retrouve dans les écrits les plus anciens. L'écrivain anglais du XIIIème siècle, Gervais de Tilbury avait par exemple compilé l'ensemble des connaissances du Moyen-Age dans une vaste encyclopédie « Desriptio Totius Orbis » avec une interprétation souvent très personnelle des créatures marines. La diffusion de ses écrits avait donc un impact sur l'image de la mer et sur sa dangerosité. Autre exemple, Olaus Magnus, archevêque suédois des XVème et XVIème siècles, auteur de la « Carta Marina » (une carte représentant les côtes et l'intérieur des terres des pays encerclant la mer Baltique) avait truffé ses illustrations de monstres mythiques et polymorphes nageant dans les mers nordiques (le trolual, l'aspidochélon etc.). Il s'agissait sans doute pour Olaus Magnus de faire figurer des allégories de dangers physiques afin de diffuser une crainte et donc un besoin de protection divine.

Lecture de la nature

Les premiers explorateurs en mer purent partir sur les voies maritimes à l'aide d'une lecture attentive de la nature. La nature offre effectivement plusieurs outils de repérage et après les avoir identifiés, les marins avaient appris à les interpréter : estimant les vents par leur force ou par le vol des oiseaux, estimant aussi les courants par la couleur de l'eau etc. L'homme a toujours navigué et sans doute depuis le paléolithique en raison des distances raccourcies par le très bas niveau de la mer depuis la dernière ère glaciaire. Cette théorie de Brian Fagan (Cf.6) prétend que la plateforme continentale qui réunissait alors l'Australie et la Nouvelle-Guinée, n'aurait été atteinte par l'homme que par la mer et sans doute par des homo-sapiens qui avaient appris la navigation côtière et avaient rejoint les côtes car ils se sont fiés à leur instinct de recherche en pressentant qu'une terre se trouvait au-delà de la ligne d'horizon et sans doute en apercevant les fumées dégagées par les feux de forêt puis les vols d'oiseaux. La lecture et

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plus précisément l'analyse de la nature permet de se repérer en mer. Par exemple, puisque le soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest, le capitaine d'un navire qui aperçoit le soleil à bâbord en début de journée saura alors qu'il fait approximativement route vers le sud. Le soleil n'est pas le seul astre qui peut servir d'indicateur, l'étoile polaire permet d'estimer une position avec la latitude (distance comptée du nord au sud) et la longitude (distance comptée d'est en ouest). La latitude pouvant être évaluée approximativement à l'oeil en estimant la hauteur de l'étoile polaire au-dessus de l'horizon. Il est aussi possible, dans l'hémisphère nord, de se fier pendant la nuit à l'étoile polaire car sa position est fixe et au nord, ainsi plus un bateau avance au nord et plus l'étoile polaire apparaît haute dans le ciel, à l'inverse plus il avance vers le sud et plus elle se confond avec l'horizon jusqu'à disparaître au niveau de l'équateur. Étant précisé que les Vikings basaient leur savoir sur une approche sensorielle et interprétaient les indices laissés par la nature pour assurer une navigation précise (Cf.7), en observant la succession des nuages, la direction des vents et des vagues, la couleur de l'eau, le passage des oiseaux etc.

Les rapports que l'homme a entretenus avec la mer sont ambivalents et furent profondément liés d'une part à son lieu de naissance et d'autre part au contexte religieux de son époque. C'est la navigation qui va véritablement bouleverser la dimension mystique que l'homme avait par rapport à la mer.

A.2 L'EVOLUTION DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NAVIGATION
Enjeux de la construction navale / Rôles des premiers cartographes / Fonction des instruments de

navigation

Auparavant les marins ne passaient pas volontiers par-dessus bord car d'une part, beaucoup ne savaient pas nager et d'autre part ils craignaient des « monstres marins ». L'analyse de la provenance de cette peur renvoie à une recherche plus ancienne car autrefois, voyager était une entreprise difficile et souvent périlleuse. En Europe, les habitants passaient généralement toute leur vie au même endroit et à l'exception des missionnaires, des soldats et des marchands, peu de personnes s'aventuraient sur les routes et encore moins sur les mers. Bien que plusieurs civilisations eussent connu de longs périples : les Grecs, les Carthaginois et surtout les Vikings, un voyage en mer restait risqué et les connaissances qu'on avait des océans devaient autant à l'imagination qu'à la réalité, reposant sur un mélange de récits rapportés, de fables et de voyages plus ou moins vrais (Cf.5). Ce qui était ou est inconnu, est souvent

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sujet à bien des interprétations personnelles. Les conteurs et diseurs de bonne aventure rajoutant durant des siècles, des parts de récits transformés, personnalisés et souvent exagérés, ont contribué ainsi à susciter soit la peur, soit la curiosité. Les premiers explorateurs qui utilisèrent les voies maritimes ne pouvaient compter sur une assistance en mer et avaient besoin de navires suffisamment solides pour résister aux tempêtes et braver les vents violents et d'outils de navigation de plus en plus précis. Ils ont contribué à donner une meilleure approche du milieu océanique, grâce à laquelle les cartographes purent se faire une vision plus exacte du monde.

Enjeux de la construction navale

La construction navale fut un élément nécessaire pour le développement d'un pays côtier. C'est en Grèce antique, à partir du VIIIe siècle av. J.-C, que la construction navale est devenue progressivement un élément majeur du développement et du rayonnement de la culture grecque, permettant échanges commerciaux, conquêtes et défense (notamment lors de bataille navale de Salamine face à l'Empire perse). La marine marchande et la marine militaire disposaient d'une flotte considérable pour l'époque, issue d'ateliers de fabrications.

La construction navale a également joué un rôle majeur dans le développement et le maintien de la civilisation carthaginoise, de -814 av. J-C à -146 av. J-C Le pouvoir authentique de Carthage se trouvait en mer, sa marine était la plus puissante du monde connu de l'époque. Hérodote, le célèbre historien, évoquait lui-même la force des marins carthaginois. Parmi eux, un navigateur, portant le nom de Hannon, aurait ainsi lancé une expédition navale de la côte ouest de l'Afrique qui aurait pu atteindre le sud de l'actuel Gabon, tandis qu'un autre explorateur de Carthage, Himilcon est le premier navigateur à atteindre les côtes du nord-ouest de l'Europe en partant de la mer Méditerranée.

Autre exemple, les Vikings qui furent des explorateurs scandinaves, principalement actifs du VIIIème siècle jusqu'au XIème siècle. À la fois guerriers et commerçants, ils se livrèrent à des découvertes, des pillages et des installations de longue durée en Normandie, en Sicile et au Vinland (actuelle Amérique). Ils avaient la particularité de se déplacer non pas à dos de cheval en passant par les terres mais par bateaux en passant par les mers, les fleuves et les rivières, surprenant ainsi leurs ennemis. Les voyages des Vikings ne devaient rien au hasard mais résultaient d'un savoir-faire exceptionnel en construction navale. Ils avaient conçu un bateau sophistiqué : le `drakkar'. L'extension de la culture Viking était

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donc étroitement liée à leur ingéniosité navale et plus précisément à leur incroyable invention, rarement égalée en Europe. Le drakkar est né d'une maîtrise très élaborée de la navigation et utilisé pour partir en guerre ou pour le transport de marchandises (armes, aliments etc.) mais dont l'usage s'est perdu avec l'avancée des technologies. C'est l'analyse de nombreuses épaves de drakkars ainsi que des représentations sur des pièces, des enluminures, des sceaux et la fameuse tapisserie de Bayeux qui permettent de déterminer avec davantage de précisions les étapes de la construction d'un drakkar. Les Vikings utilisaient deux types de drakkars, les `kaupskip' et les `langskip'. Si les premiers sont des navires de commerce disposant d'un équipage réduit (Cf.8), les seconds n'ont pas de place pour le stockage des marchandises et se déplacent avec un important équipage de rameurs, en mesure de traverser l'Atlantique nord et d'affronter les pires conditions météorologiques. C'est pour cette raison que certaines civilisations purent découvrir d'autres terres, les Vikings ont ainsi pu connaître l'Amérique, qu'ils appelaient alors le Vinland, avant les Espagnols et les Portugais, notamment grâce à leurs bateaux agiles et robustes à la fois, aptes à affronter les flots sur des longues distances.

Au milieu du XVème siècle, les Portugais construisirent un nouveau type de navire, la `caravelle', petite et légère, armée d'une voile triangulaire, elle pouvait naviguer au plus près. A la fin du XVème siècle, apparut également un nouveau navire plus grand : la `caraqueÇ un bateau équipé de vastes cales et de voiles carrées et latines (triangulaires). À partir de l'année 1500, tous les navires européens disposaient de cette voilure mixte qui les rendait plus manoeuvrables. Au XVIème siècle, bien peu de navires étaient en capacité d'effectuer un long voyage sur l'océan. Les Arabes dominaient l'océan indien mais leurs bateaux, dénommés `boutres' et gouvernés par un aviron, tenaient difficilement le cap. Construits avec des planches assemblées par des chevilles de bois et des cordes en fibre, ils étaient vulnérables en haute mer, à l'inverse les `jonques' chinoises couvraient de longues distances mais ne pouvaient résister aux tempêtes. Les navires marchands de l'Europe du nord étaient beaucoup trop lourds et beaucoup trop lents. Leur voile carrée les empêchait de remonter au vent.

En somme, l'amélioration progressive des techniques de construction navale a permis aux sociétés qui disposaient d'une flotte de se développer elles-mêmes. La construction navale était indispensable à l'essor d'une civilisation. Ce processus de conception et d'assemblage d'un navire ou d'un bateau était le préalable indispensable aux conquêtes et aux expéditions maritimes et surtout était le préalable au développement des connaissances géographiques avérées. A titre d'exemple, Ptolémée (astronome grec

qui vécut en Egypte au IIème siècle après J.C. reconnu comme le plus grand géographe de l'antiquité) pensait qu'il était impossible de faire le tour de l'Afrique (Cf.9). Ce ne fut que bien plus tard que le marin Bartholomé Dias mit un terme à cette croyance infondée, en menant son expédition autour de l'Afrique en dépassant le cap de Bonne Espérance. Le pragmatisme de Dias avait balayé l'idée de Ptolémée.

Rôles des premiers cartographes

La cartographie est partie intégrante de l'histoire de la marine et plus généralement de l'histoire de l'homme. La carte du monde telle que nous la connaissons, fut dressée au fur et à mesure par des cartographes et des astronomes mais aussi des explorateurs, des aventuriers, des marins, des navigateurs qui se lancèrent dans des expéditions risquées et utilisaient des instruments de repérage rudimentaires. Si l'évolution de la cartographie doit beaucoup à l'invention de l'aéronef (l'invention de la montgolfière date de 1782 puis l'avion fut créé en 1890 par le français Clément Ader), auparavant les cartes étaient dressées de manière empirique et la connaissance qu'on avait des terres et des mers lointaines, devait autant à l'imagination qu'à la réalité. Toutefois, depuis les conquêtes d'Alexandre le Grand et les voyages de Marco Polo, les dignitaires européens savaient que la Chine et l'Inde existaient mais les premières cartes restaient des outils imprécis et les premiers navigateurs s'orientaient `à l'estime', une méthode d'évaluation très approximative.

C'est Ptolémée qui est à l'origine de la première réelle carte connue. Il avait alors repris les concepts des astronomes babyloniens qui eux-mêmes avaient développé un savoir empirique sur la position des astres, la périodicité des éclipses, etc. Il avait également repris différentes techniques et observations d'un phénicien : Marin de Tyr. Partant du postulat que la terre est sphérique, il va alors unifier l'ensemble de ses connaissances et définir les outils de repérages fondamentaux dont les parallèles et les méridiens. Il va également dresser une carte de ce que l'on connaissait du monde, avec plusieurs continents (dont l'Asie) et les océans. Ses travaux en astronomie seront une précieuse source de savoir pour les navigateurs puisque tous les océans (et toutes les mers sauf la mer Caspienne) sont reliés les uns aux autres et il est possible de se rendre en bateau de n'importe quel point d'un littoral à n'importe quel autre.

Bien souvent les marins dessinèrent avec plus ou moins de précisions la carte de toutes les côtes qui les bordaient, l'établissement de ces cartes nautiques était basé sur un mode de navigation par cabotage (Cf.10), en y inscrivant chaque lieu de mouillage, chaque port pour des courtes distances. L'approche des côtes donna d'ailleurs naissance au jalonnement par des phares afin de prévenir les marins d'un danger, comme le célèbre phare d'Alexandrie (aujourd'hui disparu) situé autrefois sur l'île de Pharos. Les premières cartes marines donnaient donc la position et la forme des masses de terre mais on ignorait la configuration des contrées qui s'étendaient par-delà les rivages.

Fonction des instruments de navigation

Parmi les principaux outils de repérage en mer, le plus fameux fut la longue vue, en réalité un télescope qui fut largement utilisé en mer après son invention par un opticien hollandais, Hans Lippershey, au tout début du XVIIème siècle. Mais se repérer en mer, c'est être capable de déterminer sa latitude et sa longitude (Cf.11), or si au XVIIe siècle, les Européens sillonnent depuis longtemps les océans, ils ne savaient pas encore établir leur longitude correctement. Ce problème sera résolu grâce au progrès de l'horlogerie. Inventé au XVIIIème siècle, le chronomètre va en effet permettre de déterminer la longitude et ce n'est pas le seul instrument qui va servir les marins. L'homme pouvait utiliser ses propres moyens, par exemple pour estimer la vitesse de son navire : la `ligne de loch' était une ligne que l'on laissait filer à l'arrière du navire et qui était marquée de distance en distance par des noeuds. La vitesse de passage des noeuds était mesurée à l'aide d'un sablier.

Plus tard, vinrent à bord : la boussole, invention chinoise qui indique une trajectoire, aussi appelée `compas' dans la marine et qui pointe toujours vers le nord magnétique et non le nord géographique. Précédant le `sextant' de l'astronome anglais John Adley (1682-1744), le `quadrant' de navigation était un instrument de mesure angulaire permettant de mesurer la hauteur d'un objet visé. Sa forme, en quart de cercle dont le bord est gradué de 0° à 90°, comprenait un fil à plomb qui pendait de son sommet. Il suffisait au navigateur d'aligner le quadrant sur l'étoile qu'il choisissait et de lire le chiffre indiqué par le fil à plomb pour déterminer la hauteur de l'étoile en degrés, donc sa latitude. Le quadrant sera progressivement remplacé par `l'astrolabe nautique', un autre instrument inventé par des marins portugais avec un fonctionnement différent, puis par la `balestrille' composée d'un bras de rencontre qui indique la hauteur du soleil.

L'amélioration des techniques de navigation liées au perfectionnement de la construction navale et du repérage en mer (cartographie et outillage) a permis à l'homme de dépasser ses appréhensions et de concevoir la mer comme un véritable espace indispensable au développement. Par conséquent, le nombre de trajets en mer devenant de plus en plus important, un cadre légal s'est peu à peu imposé en Europe et donc en France.

A.3 LES PREMIÈRES DISPOSITIONS LÉGALES EN EUROPE ET EN FRANCE
Sources du droit maritime en Europe du sud
/en Europe du nord / en France

Les premières civilisations maritimes étaient d'abord commerçantes. Il existe un lien étroit entre le droit commercial (droit des affaires) et le droit maritime. Le commerce était intrinsèquement lié aux questions maritimes. Durant les périodes les plus reculées de l'histoire Antique, la voie la plus fiable était la voie d'eau et le chemin était bien plus rapide. Les premières puissances navales vont tenter de se positionner de manière dominante par rapport à l'obtention de ces ressources et notamment maîtriser les routes commerciales et les routes maritimes qui permettent d'accéder à ces ressources. Une route commerciale était une organisation militaire pour sécuriser le trafic, une organisation logistique à travers des ports, pour se ravitailler et réparer les navires. Jalonnée de points clés, la maîtrise d'une route maritime est considérée comme étant la maîtrise d'un flux, d'une circulation. Durant l'Antiquité, des routes commerciales furent bien établies pour accéder à des ressources (sel, différents métaux) et trois solutions apparurent pour accéder à une route maritime :

- Partage de la route avec d'autres puissances,

- Évincement du concurrent grâce à une flotte maritime pour s'imposer sur cette route,

- Possibilité de créer de nouvelles routes maritimes ce qui a nécessité de lancer des expéditions maritimes pour découvrir des territoires nouveaux.

La mer devint un espace géostratégique majeur en raison des enjeux économiques et militaires extrêmement importants. Les civilisations dominantes qui avaient accès à la mer développèrent progressivement un droit pour dominer la maîtrise des flux. Le sauvetage apparaissait alors utile mais le sauvetage des marchandises était plus important que le sauvetage des personnes.

Les sources du droit maritime dans le sud de l'Europe

Les plus anciennes sources européennes du droit maritime se situent autour du bassin méditerranéen et furent essentiellement des compilations coutumières et législatives. Durant l'Antiquité (période allant de l'invention de l'écriture vers -3300 -3200 av. J.C jusqu'à la chute de l'Empire romain d'Occident en 476 ap. J.C), les civilisations et empires qui vécurent autour du bassin méditerranéen (égyptiens, grecs, carthaginois, phéniciens et romains) tentèrent d'affirmer leur puissance par le contrôle des mers.

A titre d'exemple, les phéniciens vont développer des villes comme Tyr ou des comptoirs en Corse. Les grecs vont créer des comptoirs commerciaux en Mer noire, en Libye, en Sicile, dans le Sud de la France et autour de la Mer Égée. Les forces égyptiennes, phéniciennes et grecques vont se concurrencer et s'affronter pour asseoir une hégémonie portuaire. Trois ports principaux vont apparaître : le port du Pirée à Athènes, le port de Rhodes et le port de Corinthe qui porte aussi le nom de `Lechaion'. Cette stratégie d'expansion diversifiée sur toute la Méditerranée va poser les bases des premières mesures juridiques. Athènes va alors devenir le coeur économique d'une puissance maritime et dans le port du Pirée, l'activité économique va se structurer débouchant sur la création d'un tribunal spécifique pour trancher les litiges entre les marchands issus de différentes contrées. Dans la pratique du droit maritime, la plupart des décisions relèvent de l'arbitrage. A l'origine, les marchands dans les ports n'avaient pas les mêmes normes, les mêmes langues, les mêmes visions du droit. C'est principalement en Grèce Antique (au tribunal des gens de la mer du port du Pirée), l'endroit où l'on règle les différends survenus en haute mer, qu'apparaissent ces premiers éléments du droit maritime. De même, le droit maritime se développe dans le port de Rhodes, qui était d'abord un port de culture phénicienne avant de devenir grec et qui était réputé pour abriter le colosse de Rhodes. Le port de Rhodes est alors un `Emporion', terme qui désigne un port de commerce et qui par extension indique un négociant au long cours. À Rhodes, des usages communs permettent d'identifier deux mécanismes, qui vont devenir fondamentaux dans la culture maritime :

- `Le jet à la mer' (Cf.12),

Principe du partage pour les pertes occasionnées en mer

- `Le prêt nautique' (Cf.13),

Remboursement entre un bailleur de fonds et un marchand en fonction du succès de l'expédition

Ces deux piliers constituent la `loi rhodienne' qui traite essentiellement de l'obligation imposée à tous les chargeurs de contribuer à la perte des marchandises jetées à la mer. Ce sont les bases juridiques du

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sauvetage en mer puisque l'accès à la mer a rapidement introduit le problème du sauvetage des biens avant le secours aux personnes. Déjà en Grèce Antique, la loi rhodienne (III0 siècle av J.C) qui s'appliquait pour les usages en mer, accordait une récompense en fonction des dangers encourus par les sauveteurs car l'article 44 énonçait que :

« Celui qui sauvera quelques objets provenant d'un naufrage recevra 1/5 de leur valeur en prime ».

De plus, durant la période dite « archaïque » (VII0 au V0 siècle av. J.C) les grecs avaient inventé : -`le droit de bris' (Cf.14),

Droit donnant la propriété des épaves et des cargaisons aux seigneurs des terres d'échouage

Malgré l'existence de ce texte, les pillages restèrent nombreux sur les lieux dangereux. Les naufragés étaient dépouillés, réduits en esclavage ou souvent tués et les marchandises volées. Le sauvetage en mer ne portait alors que sur les marchandises, seuls les biens étaient concernés par ces dispositions. À cette époque, lorsqu'on est face à un évènement de mer, le capitaine du navire devait parfois ordonner d'alléger le bateau afin de réaliser correctement ses manoeuvres. La question était de savoir quelles marchandises pouvaient être jetées par-dessus bord ? Les Rhodiens considéraient que ces pertes occasionnées ne devaient pas être supportées exclusivement par le seul propriétaire des marchandises. Les pratiques en mer donnèrent donc naissance au principe de solidarité car les pertes devaient être assumées par tous. Cette solidarité était obligatoire à la condition que le péril soit commun. La solidarité est un mécanisme générique et fédérateur et plus généralement un principe juridique qui se retrouve dans divers domaines. Ce mécanisme deviendra le régime des avaries communes sous l'ancien droit maritime français.

Le droit romano-byzantin, très influencé par la culture maritime grecque, va engager un processus de codification par écrit des coutumes et des usages. C'est dans ce contexte qu'apparaît « le Code Théodosien » : la grande compilation juridique de l'Empire Romain d'Occident. Dans ce code, des éléments portent sur le droit maritime puisque le titre du XVI du code concerne la garde des rivages et des ports. De plus, les armées navales sont évoquées du titre X au titre XII. Ces flottes sont appelées les flottes prétoriennes et ont pour mission de surveiller les navires dans des embarcations appelées les `actuaires' (= navis actuaria), très rapides et servant à surveiller en permanence la mer, à ravitailler, à transporter des troupes ou à surveiller des territoires. Les Romains vont développer ce type de navire en

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ajoutant des jarres contenant de l'eau, des `doliums'. Les navires à `dolias' sont les premiers bateaux-citernes, les premiers bateaux servant au sauvetage des biens et des personnes. Le code théodosien est la source d'inspiration et de travail pour les juristes postérieurs à la chute de l'Empire Romain. C'est après la mort de l'empereur romain Théodose Ier le Grand, dernier empereur à régner sur l'Empire romain unifié, qu'est définitivement partagé en deux : l'Empire d'Orient et l'Empire d'Occident. L'empire romain d'Orient devient l'Empire romano-byzantin à la chute de l'Empire d'Occident en 476 après J.C. Dans l'Empire romain d'Orient, Justinien va effectuer un travail de recensement du droit romain et le « Code Justinien » va apparaître mais ne sera appliqué que dans la partie orientale de l'Empire. C'est dans le code Justinien, que plusieurs passages du livre VI portent sur les questions du naufrage en mer.

Les sources du droit maritime en Europe du Nord

Beaucoup de compilations juridiques proviennent du Nord de l'Europe, essentiellement de Scandinavie, des Pays-Bas et du nord de l'actuelle Allemagne. Parmi ces compilations, le « Guidon de la Mer », l'une des premières études sur le droit et l'assurance maritimes, parue à Rouen au XVIème siècle (vers 1556 mais son auteur reste inconnu). Le « Guidon de la Mer » est un recueil de sentences arbitrales, de coutumes et de décisions. Il sera l'une des bases d'inspiration de l'ordonnance de la Marine de 1681. C'est un texte charnière entre le monde médiéval et le monde moderne et qui annonce la place grandissante des assurances maritimes.

C'est autour du Gotland, au coeur de la culture maritime suédoise que le `droit maritime de Wisby' va émerger ainsi que `les lois de la Hanse Teutonique' (= hansa) désignant une petite troupe et par extension un rassemblement de marchands. C'est une confédération de cités commerçantes, de ports qui vont s'associer. Les marchands sont associés pour produire des règlements qui vont s'imposer aux autres marchands qui voudront à leur tour intégrer l'association. C'est en 1241 qu'un Traité voit le jour, ayant pour objectif de se protéger de la piraterie, dans la mer Baltique et de défendre les franchises des marchands associés contre les seigneurs qui voudraient les subordonner. Les personnes tentent davantage de se libérer des seigneurs. De nombreuses villes vont rejoindre cette association : Bruges, Dunkerque, Bayonne et Rotterdam. Le système de la Hanse a bien fonctionné dans le monde médiéval

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puis va s'affaiblir au XVIIe siècle. La Hanse va disparaître au moment où s'affirment les premiers grands États modernes.

Cette réalité maritime va constituer une matière autonome, avec ses contrats et ses propres mécanismes juridiques. Cette matière va s'affirmer de la fin du Moyen-Age jusqu'à la période Moderne. Une véritable singularité juridique du droit maritime apparaît clairement en Europe du nord à la fin du Moyen-Age. Le sauvetage n'est pas encore la priorité mais les premières mesures de lutte contre la piraterie témoignent d'un intérêt grandissant pour la sécurité des biens et de personnes à bord.

De plus, l'influence de l'Eglise sera considérable au fil des années. Le sauvetage en mer était vu comme un salut de l'âme (l'acronyme S.O.S signifiant `Save Our Souls' = sauvez nos âmes), comme une bonne action à accomplir. Au cours de l'histoire, plusieurs bulles papales ont été émises concernant le sauvetage des naufragés.

En France

Au Moyen-Age, l'État est en période d'émergence, la justice étatique, l'armée, la fiscalité se construisent et le système repose sur une féodalité. Les usages maritimes médiévaux sont coutumiers. Les rares documents légaux qui régulaient l'activité maritime étaient `Le capitulaire de Charlemagne' (= « littorum custodiâ ») en 780 (Cf.15), puis plus tard apparurent les `jugements d'Oléron', donnés par la reine Éléonore de 1152 à 1154.

Plusieurs termes désignent ces jugements `les lois de Leyron' ou `les rôles d'Oléron' et contiennent les premières condamnations solennelles des pilleurs de navires :

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- Article 31 : « Des gens inhumains plus cruels que les chiens et loups enragés qui, en beaucoup de lieux meurtrissent et tuent les pauvres patients pour avoir leur argent, leurs vêtements et autres biens seront excommuniés et punis comme larrons »

Mais également des mesures portant sur le sauvetage en mer des biens

- Article 29 : « Ordonne conformément à la droite raison et à l'équité de fournir les secours convenables à ceux qui auroient le malheur de faire naufrage et de leur abandonner tous leurs effets sans en rien retenir sous peine pour les transgresseurs d'être excommuniés et punis comme larrons »

L'influence des rôles d'Oléron avait dépassé le Royaume de France pour atteindre les monarques anglais qui tinrent le « Black Book of the Admiralty » (= « Livre noir de l'amirauté »), une compilation des décisions les plus importantes de la Haute Cour de l'amirauté anglaise, créée au cours de plusieurs règnes, écrite en vieux français vers 1360 sous le règne d'Edouard III (Cf.16).

Une dynamique européenne d'exploration des voies maritimes et des nouvelles terres entraînera un basculement de l'économie monde, de la Méditerranée vers l'Atlantique qui va alors devenir le coeur économique du monde, mais également un changement d'échelle des puissances qui aboutira au déclin de Gênes, la ville maritime la plus puissante du Moyen-Age et à celui de la hanse teutonique. L'Angleterre, la France, les Pays Bas vont devenir plus puissants en raison de leur accès à l'Atlantique. L'étendue du littoral permet de développer des richesses et de constituer un marché économique à l'échelle du royaume. Vont alors apparaître des dynasties d'armateurs et les anciennes élites Françaises vont également s'intéresser à la mer. C'est dans ce contexte qu'apparaît La Compagnie française pour le commerce des Indes orientales par Colbert en 1664 (Cf.17) suivant la volonté préalable de Richelieu d'établir par les mers, la liberté du commerce français vers l'Asie et surtout de concurrencer les anglais qui avaient auparavant lancé La Compagnie britannique des Indes orientales en 1600. L'État moderne royal va tenter d'organiser une partie de la navigation marchande et ne pas laisser les marchands gérer entre eux le domaine maritime. Ce dernier devenant si sensible et stratégique que l'aristocratie va commencer à participer aux aventures maritimes et à les financer tout en conservant le statut de nobles à bord, en restant ainsi dispensés des tâches les plus pénibles, laissant les places de cambusier, gabier ou timonier aux matelots issus du tiers-état. Les jeunes nobles vont s'intégrer dans l'activité maritime,

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qu'elle soit militaire ou commerciale et y apporter une dimension différente. Sous le règne de Louis XIV, la mise en place d'une codification thématique de la mer sur des sujets circonscrits va naître sous la forme d'une ordonnance royale. Rédigée par Colbert, l'Ordonnance de la marine va être élaborée en plusieurs temps. Cette ordonnance a été formée sur la base des anciens usages du droit de la mer notamment les jugements d'Oléron et le Consulat de la mer.

Cela signifie que l'une des inspirations évidentes de l'ordonnance de la marine est la réappropriation des sources coutumières. Cette réappropriation du droit maritime vise à organiser ces usages dans l'ordre étatique et comprend une compilation de droit maritime ancienne, déjà préparée par Richelieu : il y a à la fois les compilations coutumières et un projet antérieur de l'époque de Richelieu, enfin différents textes doctrinaux dont celui du juriste hollandais Grotius, auteur d'un court texte sur la liberté des mers (Cf.18) qui a pour objectif de défendre le droit de naviguer et de commercer pour tout navire à travers le monde. Grotius se faisait ainsi le défenseur des intérêts de son pays et plus particulièrement des intérêts de la Compagnie hollandaise des Indes orientales qui se heurtait aux prétentions des Portugais qui considéraient, sur divers fondements, qu'ils avaient le monopole de la navigation.

L'Ordonnance royale de la Marine de 1681 va encadrer diverses activités maritimes regroupées sous le vocable contemporain d'action de l'État en mer. L'action de l'État en mer fait référence aux activités, compétences et responsabilités que l'État exerce dans les eaux maritimes relevant de sa juridiction. L'Ordonnance est également une synthèse de plusieurs éléments : les contrats et assurances maritimes mais aussi la manière dont on doit rendre la justice pour toutes les questions maritimes et littorales. Le sauvetage en mer prend également une dimension légale plus ferme, notamment avec les articles :

- Article 1er : « Déclarons que nous avons mis et mettons sous notre protection et sauvegarde, les vaisseaux, leur équipage et chargement qui auront été jetés par la tempête sur les côtes de notre Royaume ou qui autrement y auront échoué et généralement tout ce qui sera échappé du naufrage »

- Article 11 : « Enjoignons à nos sujets de faire tout devoir pour secourir les personnes qu'ils verront dans le danger de naufrage »

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Au XVIIIe et particulièrement au XIXe siècle, un certain nombre d'organisations de sauvetage ont été créées dans les puissances maritimes de l'Europe de l'ouest (qui sont également devenues des puissances coloniales)

- En Hollande, la Maatschappij tot Redding van Drenkelingen (1767),

- En Angleterre, la Royal Life Saving Society (1891),

- En France, la Société centrale de sauvetage des naufragés (1865), (Cf.19)

À la fin du XIXe siècle, la nécessité d'assurer la sauvegarde de la vie humaine le long des côtes du littoral français incite des organisations nationales de sauvetage à travailler ensemble, mais de manière informelle. La première société de sauvetage (Cf.20) est instituée en 1825 à Boulogne-sur-Mer, sous la dénomination Société Humaine des Naufragés puis à Dunkerque en 1834 est créée la Société Humaine de Dunkerque suivie de celle de Calais, Rouen, Bayonne, et Dieppe en 1839 et enfin Montreuil-sur-mer en 1841. Alors que les grandes nations maritimes européennes se dotent d'un service d'État voué à la mission du sauvetage en mer par embarcations, dès le début du XIXe siècle, notamment en Norvège, au Royaume-Uni et en Belgique, un début de centralisation apparaît en France en 1865, à l'initiative de l'amiral de Genouilly avec la Société centrale de sauvetage des naufragés. Il en sera de même avec la Société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons créée à Rennes en 1873 et qui fusionneront en 1967 pour former à elles deux la Société Nationale de Sauvetage en Mer (= SNSM) qui sera reconnue d'utilité publique en 1970. Cette fusion leur permet de mettre en commun leurs moyens de sauvetage. Le sauvetage des personnes devenant obligatoire et gratuit, le sauvetage en mer va progresser en prenant une dimension internationale, tout en conservant les spécificités nationales. Les activités internationales de sauvetage remontent à 1878, année du premier Congrès mondial tenu à Marseille. Les différentes organisations voulaient apprendre en échangeant diverses techniques et expériences de sauvetage. Deux organisations ont été créées pour promouvoir les objectifs de sauvetage : la Fédération internationale de Sauvetage Aquatique en 1910, puis à la création de World Life Saving. Ces deux structures ont fusionné en 1993 pour devenir l'International Life Saving Federation (= ILSF).

B / LES DIFFÉRENTS MODES DE SAUVETAGE EN MER

Les sauveteurs embarqués (ou marins-sauveteurs) / Les sauveteurs à la nage (ou nageurs-
sauveteurs) / Le sauvetage sportif

En fonction de la zone d'intervention : eaux internationales, eaux côtières ou eaux intérieures, le droit en vigueur n'est pas le même et diffère dans son interprétation. Le droit applicable au sauvetage en mer est une particularité du droit maritime international compte tenu de sa dimension universelle. Il convient alors de distinguer les différents modes de sauvetage qui varient selon le zonage.

Le sauvetage en mer revêt plusieurs formes puisque le lieu d'intervention va déterminer le mode d'intervention. Il est possible de sauver en mer au moyen d'une embarcation (c'est le rôle des marins-sauveteurs) ou à la nage (c'est le rôle des nageurs-sauveteurs). La pratique du sauvetage aquatique à la nage est d'ailleurs devenue une discipline sportive qui s'est codifiée au fur et à mesure et qui est disputée dans des compétitions nationales et internationales.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote