1.2.2. Le munyal
Selon les normes comportementales peules régies par le
munyal, la retenue, les attitudes gestuelles féminines doivent
manifester un sentiment de réserve ou de retenue, le munyal. Ce
dernier consiste en un contrôle verbal et gestuel des émotions
ressenties lors des interactions, selon les statuts des individus et leurs
liens de parenté. Dans les représentations sociales, les femmes,
à l'inverse des hommes sont pensées comme étant impulsives
et ne contrôlant pas leurs affects. Posséder du munyal ou
« posséder sa tête » comme disent les femmes signifie
qu'elles ont appris à se contrôler. Pour les techniques du corps,
cette expression se réfère à une réserve
donnée aux expressions du visage et à l'absence de gestes qui
trahiraient l'émotion ressentie. Le munyal apparaît comme
une qualité, qui particularise le genre féminin. Les hommes ne
possèdent pas de munyal, car leur attitude corporelle
témoigne d'une assurance et d'un sentiment de fierté.
Malgré que les femmes dans Munyal Les larmes de la
patience soient conscientes de l'oppression et de l'asservissement dont
elles sont à la fois objets et victimes innocentes de la part d'une
société patriarcale et fondamentalement phallocratique, elles
n'ont pas la possibilité de s'en défaire. Bien plus, leurs
efforts de résister, donc de survivre et affronter la
réalité, à armes inégales, ne dussent-elles courir
le risque d'en perdre l'âme, leur identité propre sont battus en
brèche par les règles régissant le foyer polygamique. Ce
faisant, elles apprennent à supporter, le munyal, face aux
nombreux écueils qui jonchent l'existence d'une femme doublement
affectée par leur statut et la tradition dans l'environnement social
réputé hostile pour elles. Dans l'extrait suivant, la patience
s'apparente à une préparation psychologique de la femme face aux
difficultés : « Daada-saaré, tu seras
aussi le souffre-douleur de la maison. Tu conserveras ta place de
daada-saaré, même s'il en épouse dix autres.
Alors, un seul mot, munyal, patience ! Car tout relève ici de
ta responsabilité. Tu es le pilier de la maison. À toi de faire
des efforts, d'être endurante et conciliante. Pour cela, tu devras
intégrer à jamais la maîtrise de soi, le munyal.
Toi, Safira, la daada-saaré, jiddere-saaré, la
mère, la maîtresse du foyer et le souffre-douleur de la maison !
Munyal, munyal... »(MLP : 22)
En effet, la patience est un terme fétiche qui permet
aux hommes de pousser la femme à accepter les différentes
situations dégradantes dans le foyer. Ce comportement culturel est
insidieusement inculqué à la femme. Elle est
préparée à la docilité. Elle est tout le temps
victime et est prédisposée à l'acceptation. Les mots dans
cet enseignement sont choisis. Elle est flattée par son statut de
première femme. Pourtant, les difficultés qu'elle doit supporter
du fait de sa position sont disproportionnées. Il lui est
enseigné entre autre la maîtrise de soi, la responsabilité.
Tout se rapporte à elle. De ce fait, elle se sent responsable dans
toutes les situations dans la famille, bonnes ou mauvaises. Il ressort de
l'analyse ci-dessus que la patience est enseignée à la femme,
surtout la première épouse Comme le dit l'auteure des romans,
avec la patience, on peut réaliser des choses incroyables. Ceci se
matérialise à travers l'extrait suivant :
Munyal ! Munyal... Munyal ma fille ! Combien de fois
a-t-elle entendu ce mot ? Combien de personnes lui ont donné ce
conseil ? Encore et toujours ! De la part de tous. Par toutes les
circonstances douloureuses de sa vie. On le doit d'ailleurs, on ne conseille le
fameux Munyal comme remède souverain à tous les maux que dans les
moments difficiles. On le sait c'est dans la douleur qu'on dit à une
personne : « supporte ! » ... Toute vie est faite de
patience dit-on : « Avec de la patience, on peut vider un
étang à l'aide d'un chameau » ! On peut aussi
boire un puits de bouillie avec une aiguille ! (MLP: 7).
Notons encore que le munyal est une norme sociale
qu'on inculque à la jeune fille dès le bas âge pour la
préparer à la vie future dans la société peule. Une
jeune fille doit s'armer de patience pour que son mariage perdure, une fois
marié. Elle doit user de la patience car le Munyalest le
remède à tout problème que cela soit dans un couple ou
dans la vie sociale. C'est le premier conseil qu'on donne à toute jeune
fille qui va en mariage et à toute personne éprouvée. Il
est d'une importance capitale, même notre créateur apprécie
ceux qui sont patients. « Munyal ma fille !
Intègre déjà cela dans ta vie future. Inscris-le dans ton
coeur, répète-le dans ton esprit ! Munyal ma fille,
telle est la seule valeur du mariage de notre religion, de nos coutumes, du
pulaaku, Munyal ma fille car c'est dans la douleur qu'on te le
conseille. Alors tu ne dois jamais l'oublier ! » ...
« Munyal ma fille car la patience est une vertu. Dieu aime
les patients, avait précisé son oncle. Tu es à
présent une grande fille. Tu es désormais mariée et dois
respect et considération à ton époux. (MLP :
10-11).L'extrait représente les conseils que les oncles et tantes
donnent à leurs nièces le jour du mariage.
Une lecture plus poussée du même roman permet de
se rendre compte que c'est un enseignement qui se déroule toute la vie
de la femme. Elle y est préparée dès sa jeunesse et la
veille du mariage. Dans l'extrait suivant,AlhadjiOumarou prépare ses
filles à accepter leur situation quoiqu'il en coûte :
« Patience, mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur
du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos
coutumes, du pulaaku. Intégrez-la dans votre vie future.
Inscrivez-la dans votre coeur, répétez-la dans votre esprit !
Munyal, vous ne devrez jamais l'oublier ! » fait mon père
d'une voix grave. » (MLP :52) Cette prescription, sous
le couvert du précepte de munyalest sensé régir
la vie de la jeune fille. Elle doit s'y conformer, l'intérioriser, la
faire sienne. Pour renforcer la force de précepte, le parent y adjoint
un argument de force, celui de la religiosité de cette prescription.
La femme et fille peule doit s'armer de patience face à
n'importe quelle situation de la vie. Pour une femme mariée, la patience
est un impératif afin de pouvoir partagé son mari avec d'autres
femmes. C'est le cas de la quatrième femme d'Alhadji. (Sakina).
Malgré son éducation, doit subir les mêmes traitements que
ses autres coépouses sans exception. Pourtant, elle a fait des
études et espérait que son mari la traiterait différemment
dans son foyer polygamique. Sakina réalisa qu'elle ne pouvait rien faire
face à cette réalité du mariage, elle ne peut que se
résigner et faire semblant d'être heureuse pour dissiper le regard
social. Ceci s'illustre à travers le passage suivant :
Sakina avait pris conscience désormais qu'elle
vivait dans un ménage polygamique. Qu'elle partageait le même
homme avec plusieurs femmes qu'elle voyait tous les jours. Des femmes avec
lesquelles elle vivait, mangeait, parlait, discutait, plaisantait de fois. Des
femmes qui partageaient le même lit que l'homme auquel elle était
liée par l'amour. Elle suivait juste le mouvement, se laissait vivre
sans espoir, sans projets. Elle attendait juste ! Elle attendait son
Walaandé. Elle attendait que son Waalandé
s'achève. Elle attendait elle ne sait quoi. Mais elle attendait quand
même. (WAPM: 24).
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